Le discours de Saint Pierre, une institution œcuménique

Les copains confédérés qui ignorent notre tradition du discours de Saint Pierre rigolent chaque fois qu’ils apprennent l’existence de cette appellation, leur oreille entendant non pas “le discours tenu dans la cathédrale Saint-Pierre”, mais le discours d’un dénommé Pierre sanctifié au détour d’on ne sait pas quoi.

C’est vrai qu’elle est solennelle, cette cérémonie. Le lieu, laïcisé de fait pour l’opération, teinte toutefois nos élus d’une aura un peu religieuse. On y joue le carrefour de la tradition et de la modernité, de l’alliance des trois pouvoirs, du local et de l’international. Du passé et du futur. C’est le petit big bang du nouveau monde genevois des cinq années à venir.

Le lieu, laïcisé de fait pour l’opération, teinte toutefois nos élus d’une aura un peu religieuse.

Le discours fonctionne comme une espèce de sas d’entrée dans la nouvelle législature. On s’est éloigné du temps des promesses électorales fracassantes. Rien d’étonnant à ça : on était alors dans le temps de la confrontation, la campagne fonctionnant comme un marché à la criée. A Saint-Pierre, les élus en cérémonie d’adoubement doivent montrer la concorde, l’alliance, la paix retrouvée qui filera les décisions de la législature à venir.

Le discours de Saint-Pierre, c’est presque un genre, comme on le dit en littérature ou au cinéma. Certains passages sont devenus obligés : l’exorde annonce le début des temps nouveaux enracinés dans le monde d’avant, on fait un petit détour par la constitution fédérale, pour rappeler que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres. Et puis, pourquoi pas, Rousseau, le Genevois parti à pied de sa ville pour faire essaimer son Contrat social dans le monde entier.

Le discours de Saint-Pierre, ce ne sont ni des promesses électorales, ni un programme politique. C’est un entre-deux où on doit réunir tout le monde (c’est là son caractère un peu œcuménique) et commencer à se montrer prudent quant aux promesses. On se montre réfléchi depuis le discours de 2018 qui affichait une volonté presque militaire de “gouverner ensemble”, engagement qui n’en a pas moins très vite heurté un écueil fatal. On sait maintenant que le discours de Saint-Pierre passera cinq ans plus tard au jeu des différences (promis/pas fait).

Ce qui est intéressant, dans le discours de Saint-Pierre, une fois le moment d’émotion collective passé, c’est d’entendre ce qui n’a pas été dit, ce qui ne peut pas l’être à ce stade, dans cet exercice un peu pastoral.

Le nouveau conseil d’Etat veut une “administration performante, efficace” (on ne dit plus “efficiente”, comme pendant la campagne, adjectif qui poserait la question du strict contrôle des ressources dont on sait qu’elle ne fait pas l’unanimité), une administration libérée des “contraintes trop bureaucratiques”. La manière d’y parvenir sera probablement un point de discorde, qui ne peut par conséquent pas être abordé dans l’immédiat.

La nouvelle équipe vise un “renforcement du système de soins accessible à l’ensemble de la population”. Comment ? Caisse unique ? Caisse publique ? Les promesses de campagne devront encore mûrir autour de la table du mercredi matin.

La police cantonale ? Important, en effet ! Et le discours de citer les missions connues de ladite. On en restera là pour le moment, c’est plus sûr.

Qui ne voudrait pas de “finances publiques saines” ? La droite a manifestement réussi à faire passer l’idée d’une diminution d’impôts pour “redonner du pouvoir d’achat” à la population. Avec une cautèle cette fois : pour peu que les résultats des comptes soient “durablement positifs”. Voilà qui n’engage plus du tout. Pas plus, somme toute que la vision de la mobilité où chacun, dans la perspective de “mobilité multimodale et innovante”,  peut espérer être satisfait, sans entraves. Sans priorisation des modes, ça va être compliqué de débloquer Genève.

La transition démographique est identifiée comme importante. Il faut s’occuper des aînés, des jeunes, des petits, du congé parental, des places d’accueil. Rien sur la croissance. Rien sur l’école à trois ans ou l’horaire continu, non plus, sujets qui divisent. Le Conseil d’Etat continuera d’œuvrer pour “une école publique forte qui forme, qui oriente”. On entend passer le spectre de la réforme du cycle d’orientation, qu’on évite de nommer à ce stade.

Sur l’économie et les entreprises, on ne dit pas que l’outil de travail sera défiscalisé (promesse de la droite), on dit que cette fiscalisation sera “allégée”. Tout est dans le pourcentage, comme le diable dans les détails.

A l’image des trois parchemins du Trésor de la Licorne, les étapes de la construction de cette législature se présentent comme des transparents aux informations partielles qu’il s’agira, au fil des mois et des années, de superposer pour en faire émerger la vérité : les promesses, le discours de Saint-Pierre, les réalisations concrètes devront être soigneusement compilés pour que, au soir du 31 mai 2028, on puisse en dresser l’image complète.

Aujourd’hui, c’est le moment de souhaiter bonne chance à un Conseil d’Etat dont on devine que les défis tiendront en grande partie dans la concrétisation partagée des quelques lignes d’une profession de foi qui doit maintenant passer aux actes. Pour de vrai.

 

 

Marie-Claude Sawerschel

Après une carrière consacrée à l’éducation et à l’enseignement, Marie-Claude Sawerschel veut conjuguer la réflexion sur l’humain et les trésors de la philosophie. Parce que la philosophie est soluble dans les sciences, la politique, les arts, l’entreprise, le sport, dans la vie sous toutes ses formes et qu’elle n’est pas réservée aux seuls spécialistes.

Une réponse à “Le discours de Saint Pierre, une institution œcuménique

  1. Grand merci pour cette judicieuse analyse du discours de Saint-Pierre, toute en finesse et en bienveillance ! Et l’image des trois parchemins de la Licorne est fort parlante !
    Les bonnes intentions énoncées par le président du Conseil d’Etat étaient précédées par un autre discours : celui de la présidente du Grand-Conseil, Céline Zuber-Roy, qui présidait cette cérémonie de prestation de serment. Elle rappela les principes et le cadre de notre démocratie pour l’ancrer dans son fond. « Il est de la responsabilité des élus d’œuvrer pour les intérêts de la république et de se rappeler que leurs fonctions ne sont qu’une délégation de la suprême autorité du peuple. » Espérons que les conseillers, au service de Genève et non d’eux-mêmes, l’auront en tête avant toute décision, surtout que les présidents des deux Conseils (Grand- et d’Etat) veulent collaborer en se rapprochant de la population pour lui permettre de prendre part à l’avenir de notre canton.
    Espérons aussi que les conseillers d’Etat garderont précieusement leur serment et son contenu au fond de leur cœur. (LRGC – Loi 12367, qui prescrit le serment que doivent prêter les conseillers d’Etat à leur entrée en fonction)
    C’est rigolo que le discours de Saint-Pierre ait été couronné par le ramage des oiseaux de Clément Janequin, brillamment interprété d’ailleurs, qui se termine par le coucou :
    Où est il, le cocu?
    Fuiez, fuiez
    Fuiez, fuiez, maître cocu
    Sortez de nos chapitre
    Vous ne serez point retenu
    Car vous n’êtes qu’un traître.
    Ce qui permit au journaliste de conseiller aux conseillers d’Etat « de chanter en harmonie et pas de piailler » …

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