Décrépitude des services

« Une société de services est une entreprise fournissant à titre onéreux un travail, des prestations, du personnel, des équipements, des marchandises, à l’exclusion de la production de biens matériels. ». Cela va donc d’une école à un hôpital en passant par un restaurant. Dans tous les cas, cela signifie la mobilisation d’un personnel, plus ou moins qualifié, plus ou moins bien rémunéré. Cela s’étage d’un plongeur dans un restaurant jusqu’à un chirurgien chef de service. Pendant longtemps la thèse des économistes a été celle d’une mutation merveilleuse où les travailleurs de la campagne passaient par l’industrie pendant une ou deux générations avant d’accéder à une société de services. Or, ce derniers sont en voie d’attrition plutôt que de développement.

La vision prospective la plus significative est celle des Etats-Unis. Une fois que l’on est au cœur du pays, inutile de chercher une quelconque auberge campagnarde, mijotant des plats locaux, du reste inexistants. Il n’y a plus que les mangeoires à hamburger d’une chaine industrielle, besognant avec des travailleurs non qualifiés, des manœuvres formés en quelques heures et assujettis à des sonneries. Pas d’hôtels mais des motels, tout à fait fonctionnels mais sans charme. Pas de terrasse de café où l’on peut lézarder en sirotant un blanc ou une bière, mais des abreuvoirs limités à un café insipide. Le commerce est essentiellement entre les mains de chaînes nationales par le biais de grandes surfaces. L’épicerie de village, la boulangerie, la boucherie sont quasi inexistantes.

C’est vers ce désert que nous marchons à grand pas. Le signal emblématique est celui des chaînes de distribution en libre services. Le client est abandonné à lui-même pour découvrir les rayons où se nichent ses emplettes et récemment invité à établir sa note face à une caisse automatique.

Un peu partout le secteur hôtellerie restauration souffre d’une disette de personnel au point que des établissements ferment ou réduisent leurs prestations. C’est que ce genre de service rime avec un contexte de servitude. Certains clients mal élevés manquent à la courtoisie la plus élémentaire et oublient les pourboires.

L’épidémie s’étend vers d’autres secteurs. La Poste en est le dernier avatar. Année après année, le courriel grignote la poste aux lettres dont on peut se demander si elle survivra encore longtemps. A Lausanne Ouest, le bureau de St. Sulpice vient de fermer. Celui d’Ecublens ne délivre plus de colis à domicile, mais dépose une injonction de venir le chercher à la poste. Ce qui signifie tout d’abord posséder une voiture et ensuite se colleter un distributeur automatique, qui ne répond qu’à des manœuvres dépassant l’entendement de la plupart des clients. Heureusement le personnel est sensible aux plaintes et se dérange encore pour récupérer les colis au terme d’opérations magiques et les amener au guichet. Ultime projet, on évoque la possibilité d’utiliser des drones pour transporter les colis à domicile.

Dans une gare, les billets sont délivrés par des automates plutôt bien conçus, qui n’ont évidemment pas le sourire d’une préposée. Il existe encore de véritables hôtels en Suisse, mais il ne faut tout de même pas espérer qu’un groom portera la valise jusqu’à la chambre. Le restaurant de la Gare de Lausanne, jadis desservi par des serveurs compétents est devenu un libre-service, c’est-à-dire que les clients les remplacent. Un ordinateur n’est pas vendu avec un service de dépannage ou d’initiation et reste donc, son existence durant, sous-utilisé. L’épidémie a instillé l’idée du télétravail et, pire, du téléenseignement au point que des commentaires de ce blog suggèrent de réduire les bâtiments académiques en y supprimant les bureaux. Les crèches, quand elles existent, sont hors de prix.

Toutes ces mutations reposent sur l’action séculaire des syndicats, qui ont réussi à augmenter les salaires minimums et à instaurer des contrats de travail. Elles sont donc le prix à payer pour une révolution sociale majeure, une rémunération plus égalitaire et plus juste, comportant néanmoins encore de sérieuses lacunes. A la différence de jadis, il n’existe plus de servante, de jardinier ou de cocher à domicile sous-payés.

L’excellente série Downton Abbey a fasciné les téléspectateurs parce qu’ils découvraient le monde de 1900 où chaque dame disposait d’une femme de chambre à temps plein, chaque monsieur d’un valet de pied   et où une famille d’aristocrates jouissaient des services d’une domesticité pléthorique. Le bonheur des oisifs de naissance dépendait du labeur du peuple. Ce n’est évidemment plus ni souhaitable, ni possible. Cela n’aurait jamais dû l’être. Mais on peut abandonner l’idée que l’enrichissement d’un pays produira plus de services en remplacement des emplois des secteurs primaires et secondaires, l’agriculture et l’industrie.

Restent heureusement les services assurés vaille que vaille dans la pénombre des familles, la garde des enfants, l’assistance aux vieillards, la cuisine, la lessive le ménage, en un mot ce qui suppose encore l’inégalité entre les hommes et les femmes. Et puis l’exploitation encore plus occulte de ceux qui n’ont pas de permis de travail, pas de domicile fixe, pas de contrat, pas de protection syndicale, en commençant par les prostituées recrutées à l’étranger. Dans une société avec peu de services assurés, il y aura toujours une place pour ceux que l’on sous-estime ou dont on a honte.

 

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

18 réponses à “Décrépitude des services

  1. « Le bonheur des oisifs de naissance dépendait du labeur du peuple. Ce n’est évidemment plus ni souhaitable, ni possible. »

    Je pense que non seulement l’oisiveté va devenir la règle mais que les loisirs vont devenir l’activité principale des sociétés développées.
    Le bonheur des nouveaux oisifs va dépendre du développement de la robotisation industrielle et des intelligences artificielles.

    Nous assistons à deux désirs de nos sociétés qui s’opposent : la volonté d’intégration des plus fragiles, des moins qualifiés et des moins formés (désir d’égalité) et la complexification de la société que ce désir induit.

    Dans un sens, des personnes de moins en moins bien formées doivent pouvoir participer au même titre que les autres au fonctionnement de nos sociétés (désir d’inclusion, injonction morale à favoriser l’être au détriment du faire, refuser de travailler plutôt que d’exercer une profession « qui ne fait pas sens » ou qui participe à la destruction de la planète, refus des systèmes éducatifs de fournir de la « chair à canon » au capitalisme, etc.) ce qui induit une forme de nivellement par le bas, le travail n’étant plus considéré par une partie grandissante de la société que comme une contrainte inutile voire néfaste.

    Dans l’autre sens, toutes ces personnes aspirent à se réaliser, à consommer et à profiter des bienfaits de la modernité qui doit trouver des alternatives à l’absence grandissante de compétences disponibles. Ces alternatives sont essentiellement faites de procédures simplificatrices, de systèmes automatisés et de technologies destinées à se substituer à l’humain quand cela est possible afin de maintenir à un niveau acceptable les services demandés par la population que le mouvement de décompétence auquel nous assistons ne permet plus d’offrir en quantité et en qualité.

    En d’autres termes, pour permettre l’existence d’une société constituée de personnes qui se voient avant tout comme des consommateurs, des rentiers ou des militants et plus comme des producteurs, il faut mettre en place des systèmes très sophistiqués … que, à terme, seule une petite élite extrêmement compétente sera à même de contrôler (le reste de la population en étant tout simplement plus capable).

    Les manifestations contre le nouveau régime des retraites en France ou les démissions massives observées aux Etats-Unis et dans quelques pays occidentaux sont les premières manifestations de ce désir d’oisiveté ou, à tout le moins, de non-participation à la société techno-industrielle telle qu’elle nous est proposée actuellement. Ce n’est qu’un début je crois.

    Le corollaire à ces mouvement est le développement des technologies des tinées à remplacer les travailleurs.
    Je me permets d’ajouter ces extraits d’un ouvrage fort intéressant, même si je n’en partage pas toutes le conclusions : « FUCK WORK! (pour une vie sans travail)» de James Livingston, Préface de Paul Jorion (aux éditions « Champs actuel » 2016)

    « En disant « Fuck work », je veux dire que la corrélation travail / revenu étant déjà en elle-même incompréhensible et injustifiable, nous devons les découpler, en suivant la leçon que nous ont donné les prestations sociales, les allocations, les bonus de Wall Street, et, dans la vraie vie, l’expérience de travailler pour un salaire garanti, à savoir : que, pour le meilleur ou pour le pire, recevoir quelque chose pour rien n’a pas d’effet mesurable sur la personnalité des récipiendaires.
    Ce fait empirique nous propulse dans un univers moral où le travail ne peut rien nous apprendre à notre sujet. Si ce n’est que, comme moi, vous être obligé de travailler. (…) »

    « Les économistes d’Oxford qui étudient les tendances du marché de l’emploi nous disent que, dans les vingt ans à venir, l’informatisation risque de faire disparaître les deux tiers des jobs existants, y compris les « tâches cognitives non-routinières » (non-routine cognitive tasks) – vous savez, penser par exemple. (…) les types de la Silicon Valley qui donnent des conférences TED ont commencé à parler des « humains en surplus » qui résulteront de ce processus – la production cybernétique. « Rise of the Robots » (« L’Ascension des robots »), le titre du livre qui cite ces sources, est de la science sociale, pas de la science-fiction.
    Bref, la crise que nous vivons est une crise morale, tout autant qu’une catastrophe économique. On pourrait même dire que c’est une impasse spirituelle, car elle nous oblige à nous demander quel échafaudage social autre que le travail permettra la construction de la personnalité – ou encore si la personnalité elle-même est quelque chose à quoi nous devons aspirer. Mais c’est aussi pourquoi c’est une opportunité intellectuelle : elle nous force à imaginer un monde où ce n’est plus le travail qui construit notre caractère, décide de nos revenus, et gouverne nos vie au jour le jour. (…)
    Que feriez-vous si vous n’aviez plus besoin de travailler pour percevoir un revenu ?
    Et à quoi ressemblerait la société et la civilisation si nous n’avions plus à gagner notre vie – si le loisir, au lieu d’être notre choix, était notre condition ? (…)
    Je ne suis pas en train de proposer une expérience mentale. Je pose des questions qui sont aujourd’hui des questions pratiques, parce qu’il n’y a pas suffisamment de jobs. (…)
    On a déjà quelques réponses provisoires, car on est déjà tous au chômage, plus ou moins. La part du revenu des ménages qui a le plus augmenté depuis 1959, ce sont les prestations sociales du gouvernement. Au début XXIème siècle, 20% des tous les revenus provenaient de cette source – qu’on parle d’ « Etat providence » ou d’ « allocations ».

    « (…) la firme était bâtie sur la séparation de la propriété et du contrôle. Les capitalistes se sont ainsi condamnés eux-mêmes à la mort sociale, en confiant des décisions de base, concernant la production et la distribution, à des dirigeants salariés qui n’étaient pas propriétaires des biens de l’entreprise – exactement comme leurs prédécesseurs aristocrates avaient loué leurs terres à de simple paysans quand ils avaient dû affronter le crise sociale de la fin de la féodalité, et s’étaient ainsi condamnés eux-mêmes à une lente mort sociale.
    Ces managers salariés agissent au nom du capitalisme, mais ne sont pas eux-mêmes des capitalistes. Ces sont des employés, des serviteurs, des courtisans, qui feront tout ce que leurs maîtres invisibles décrèteront, parce qu’ils n’ont pas de dessein autonome, à part de plus gros bonus. (…)
    La fin du capitalisme tel que nous l’avons connu est déjà là parmi nous. Le nombre de gens qui bénéficient de la façon dont nous organisons la production et le distribution a chuté : il s’agit aujourd’hui d’une petite minorité choyée, les 1% comme on dit. Nous n’avons pas besoin d’eux et ils le savent. C’est pourquoi leurs courtisans et leurs laquais essaient maintenant de protéger leurs privilèges par tous les moyens législatifs possibles (…) »

  2. Monsieur Neyrinck,
    Constat navrant mais malheureusement exact. Mais quelles solutions nous sont offertes ? Malheureusement aucune. Avec la destruction de la famille, l’individualisme exacerbé bientôt réduit à la robotisation, la négation de l’Histoire, l’abrutissement de la jeunesse et l’endoctrinement des masses populaires, notre civilisation est condamnée à s’éteindre comme toues celles qui ont disparu avant elle. Mais est-ce la fin de la fin ? Certainement pas. La fin d’un monde ne signifie pas la Fin du Monde. Privés de spiritualité, d’aucuns se réveillent et refusent la soumission, recherchent les valeurs traditionnelles dont ils ont été privés, une nouvelle jeunesse est en marche et constitue déjà aujourd’hui les ferments de demain. Non une continuation ou un renouveau de l’ancien, une civilisation nouvelle, toute neuve, pure dans son origine !

    1. Je ne sais pas de quelle “nouvelle jeunesse” vous faites allusion? Celle qui consomme allégrement comme nous tous, hyper connectée, qui ne vote pas, ne milite pas ( en Suisse), mais voyage, ne propose rien à la société comme alternative, et qui travaille à 60% pour ne pas payer trop d’impôts. Le Monde ne cesse d’évoluer, c’est la permanence de la vie, et les jeunes d’aujourd’hui seront les adultes de demain au commande du monde. Oubliez “la civilisation nouvelle”, ce sont des utopies pour des bien pensants qui pensent penser mieux que la masse. Hitler voulait aussi une civilisation nouvelle et indestructible. Nous pouvons juste espérer que les jeunes seront plus responsables que les générations précédentes, plus solidaire aussi, plus humain. La réalité du monde actuel, nous prouve le contraire, et je crains que le Capitalisme Ultra Libéral ait réussi une révolution sans versé une goutte de sang, la ou tous les dictateurs, penseurs, philosophe ont échoués. Amazone a réussi ce que le Communisme à raté. Je pense que notre Monde devrait arrêter de Parler, pour Agir. Il serait temps, car les enjeux sont colossaux.

      1. “Je pense que notre Monde devrait arrêter de Parler,”

        Ya pas à dire, c’est bien parlé, ça.

    2. « Privés de spiritualité, d’aucuns se réveillent et refusent la soumission, recherchent les valeurs traditionnelles dont ils ont été privés, une nouvelle jeunesse est en marche et constitue déjà aujourd’hui les ferments de demain »

      L’ « affaire TikTok » qui défraie la chronique depuis quelques temps est peut-être l’illustration de ce que vous dites.

      Au-delà du danger d’espionnage pur et simple, il apparaît que le contenu de ce réseau social, d’origine chinoise rappelons le, avant tout destiné aux (très) jeunes, est complètement différent selon qu’il est vu en Chine ou à l’extérieur.
      En Chine, des contenus éducatifs et patriotiques destinés au « redressement moral » de leur jeunesse. A l’extérieur, des contenus insignifiants, ludiques et bébêtes, purement divertissants, dont le contenu est alimenté par les internautes eux-mêmes.

      De là à penser qu’il y a une stratégie délibérée de la Chine pour abrutir les jeunesses non chinoises en général et occidentales en particulier, il n’y a qu’un pas que certains services de renseignement ont déjà franchi.

      On peut supposer que la Chine cherche, par ces manœuvres, à se positionner comme le leader de ceux qui maîtriseront les outils technologiques de domination des populations dans le monde à venir (voir mon précédent commentaire). Ils en ont les moyens et la volonté politique car, comme vous, il méprisent l’individualisme occidental.

      Quant à la spiritualité, à moins que l’on considère la mouture moderne du confucianisme comme en étant une, je doute qu’elle ait grand-chose à voir avec toute cette affaire.

  3. Un grand Merci d’aborder ici un sujet sérieux s’il en est… Si sérieux qu’il semble pousser faire l’objet de retenue, du moins en nombre de commentaires. Puisque l’occasion en est si gracieusement offerte, je ne saurais échapper à la tentation de sauter à pied joints dans le plat.
    Vous auriez pu intituler votre article la gangrène du monde néo-libéral. Cela a commencé par une idée toute simple et un peu grossièrement stupide: on a débaptisé le service du personnel pour le renommer ressource humaine. Le personnel est une ressource qui se doit d’être facilement interchangeable… d’où la nécessité d’un chômage structurel. Là, il ne s’agit plus d’affirmer une différence à travers un comportement paternaliste, mais juste de dire: nous sommes vos bienfaiteurs car sans nous, vous n’êtes rien. Il reste ensuite à faire tourner un système basé sur le mépris. Quelqu’un a-t-il la solution? Non, mais ça s’agite. Nous touchons le fond du problème dont les conséquences sont à la fois économiques, politiques et militaires.
    La réalité vécue est qu’aucune entreprise ne peut survivre si de petites mains, généralement anonymes, n’enlèvent les grains de sables qui viennent freiner les engrenages. Toujours faut il qu’elles en aient le pouvoir, c’est-à-dire la confiance, et le désire par l’identification à la bonne marche de l’entreprise. Dans les services, surtout ceux qui ne sont pas soumis à la concurrence, c’est moins crucial, moins visible. Les conséquences au niveau macroéconomique? Reprenons l’excellent exemple des US si justement cité. Si nous observons leurs atouts économiques, ils sont tellement énormes qu’ils devraient surperformer (main d’oeuvre travailleuse, matières premières et agricultures, taille du marché, créativité, risque de change, indépendance (personne pour faire sauter leur gazoduc, condamner leurs banques ou limiter l’arrivée d’argent sale), stabilité politique, etc…) .
    Non seulement ils ne vivent pas mieux que nous, mais en plus, le risque d’effondrement et réel s’ils devaient ne plus pouvoir recourir à un endettement massif. D’un point de vue politique, ils ont vécu des moments chauds, chauds, chauds et rien ne permet de penser que le pire est derrière. D’un point de vue militaire, leur dépenses gigantesques ne leur évitent pas une succession de défaites (Vietnam, Irak, Afghanistan, etc…).
    Plus près de nous, prenez la France. Pour éviter un effondrement social, l’Etat a instauré le smic, plus des aides complémentaires. Une proportion significative de la population est au smic, souvent sans réel espoir de progression. Un tiers de la population ne paie pas l’impôt sur le revenu. Lorsqu’on en arrive là, il n’est plus possible de compter sur la confiance. Donc on invente des règlements pour empêcher les initiatives de cette catégorie de travailleurs. Autant de rouages dont aucune main ne vient retirer les grains de sable, autant de frustrés. Au niveau politique, le système est de plus en plus stabilisé par une forme de clientélisme. Il y a tout ceux qui se sentent dépendant de l’Etat pour toucher leur allocations. Mais il y a tout ceux qui dépende plus ou moins directement de l’Etat au travers d’entreprises privées toujours partie prenantes dans les infrastructures, imbriquée les une dans les autres à la manière de poupées Russes. Elles se nourrissent des “enveloppes” budgétaires avant de faire effectuer les travaux par de petits indépendants payés au lance pierre. Je pense, par exemple, au remplacement des lignes BT…
    Tout cela n’est pourtant pas sans espoir: une part croissante des salariés démissionnent pour disparaitre de toute statistique. Il y a donc une vie hors statistique.

  4. Concernant votre dernier paragraphe, croyez-vous vraiment que “les services assurés vaille que vaille dans la pénombre des familles” supposent encore l’inégalité entre hommes et femmes? À notre époque, les hommes aussi participent de plus en plus à ces tâches, que ce soit par nécessité ou par goût. Et croyez-vous aussi qu’un permis de travail, un domicile fixe, un contrat ou des syndicats protègent vraiment de l’exploitation? Et bien non, absolument pas, car il ne vous est même pas venu à l’esprit que ça pouvait être là autant de chaînes de dépendance et de servitude. Et pour “les prostituées recrutées à l’étranger” (pas celles qui exercent en cachette, mais dans des salons ou des clubs), le canton de Berne (avec beaucoup d’autres) considère que c’est parfaitement normal dans le cadre de “la liberté du commerce”. Ces personnes sont de toute façon soumises à autorisation officielle (question sanitaire mais aussi fiscale), mais d’après votre remarque pensez-vous que ce serait mieux (plus acceptable) qu’elles soient recrutées sur place pour faire ce genre de “travail”? Moi pas. Je m’étonne beaucoup que vous fassiez semblant de découvrir ici les tares du capitalisme libéral, que vous êtes censé pourtant bien connaître puisque vous avez siégé pendant des années comme parlementaire à Berne, en défendant plus ou moins ce système. Question “services assurés” (par l’Etat), je pense bien au contraire que ceux-ci ne garantissent rien du tout quand je vois la dérive actuelle de l’assurance-maladie dans ce pays.

      1. Ce n’est pas aussi simple que ça. J’émets juste quelques questions que vous esquivez. Je ne présume rien de vos opinions, mais c’est un fait qu’un parlementaire accepte de faire partie d’un système dont il défend avant tout les intérêts. La preuve en est que le système en question n’évolue pas en bien depuis longtemps et dérive de plus en plus en l’absence de vraies réformes (comme l’Ancien Régime qui a fini par s’écrouler).

        1. Je suis partiellement d’accord. La démocratie suisse a des défauts mais moins que la plupart.

          1. C’est certainement le meilleur des systèmes qui existe actuellement, à l’exception de tous les autres, d’où l’incroyable prospérité de ce pays. Sauf qu’il est perfectible et doit faire l’objet d’améliorations et d’aménagements importants absolument nécessaires pour se maintenir, ce qui tarde vraiment à venir et menace de le faire régresser.

  5. “A la différence de jadis, il n’existe plus de servante, de jardinier ou de cocher à domicile sous-payés.”

    Non, mais il existe, il a toujours existé et il existera toujours des pédagogues – y compris à domicile, par exemple un(e) étudiant(e) appelé(e) à donner des cours privés chez un particulier. Autrefois, le pédagogue n’était-il pas l’esclave chargé, non pas d’enseigner aux enfants mais de les accompagner à l’école – du latin paedagogus (esclave qui accompagne les enfants, précepteur), tiré du grec ancien παιδαγωγός , paidagôgós (esclave chargé de conduire les enfants à l’école, précepteur d’un enfant), de παῖς , paîs (enfant ») et de ἄγω , ágô (conduire)?

    Puis l’esclave a montré qu’il savait faire autre chose que faire l’accompagnateur et s’est vu confier par son maître l’éducation de celui-ci (le métèque Aristote maître d’Alexandre le Grand, l’esclave Epictète celui de l’empereur Marc-Aurèle et, plus proches de nous, les pédagogues vaudois et suisses au service des grands de ce monde, comme le rollois Frédéric-César de la Harpe précepteur des enfants d’Alexandre 1er de Russie ou le lausannois Pierre Gilliard au service de ceux de Nicolas II.

    Alors qu’aujourd’hui n’importe quel fils d’éleveur de moutons du Maghreb peut devenir docteur d’une haute école, n’y aura-t-il pas toujours assez de paysans pour nous faire la leçon?

  6. Tiens, les boomers se rendent comptent que leur politique pro consommateurs, car eux avaient les moyens de consommer, conduit à la ruine de notre civilisation ?

    ABE, la FRC,… ont méticuleusement tué le service avec leur slogan; les consommateurs sont rois.

    1. Les “boomers” – si c’est à la génération née dans l’immédiat après-guerre que vous vous référez -, n’avaient ni smartphone, ni accès à Internet, ni télévision, ni machine à laver, ni bagnole, ni ne pouvaient s’offrir un vol à 22 francs par Easy Jet vers Barcelone ou un autre, chaque week-end, vers Londres, Stockholm ou Berlin. Pour eux, une course d’école au Lac de Morat ou des Chavonnes, s’ils habitaient le Pays d’En Haut, était déjà une vraie fête, une mine de découvertes et d’émerveillements. Ne suis pas certain que rester enfermé pendant des heures dans un cercueil volant, à ne respirer que de l’air recyclé sans pouvoir bouger, au risque d’attraper des thromboses, fasse plus rêver.

      Ces “boomers” que la génération née dans le coton, cette génération Pampers de petits-bourgeois consommateurs à dégueuler, comme les appelait Claude Duneton, enseignant et écrivain, rend aujourd’hui responsables de tous les maux de la planète – du trou dans la couche d’ozone, de la fonte de la banquise, de la malbouffe, de la pollution, du sida, d’ebola et du covid, de l’obésité, du cholestérol et de l’hypertension, de la déprime et du mal-être… what else? – n’a pas moins dénoncé, la première, la société de consommation et la guerre, souvent au prix de sa vie et de sa santé pour plus d’un(e) militant(e). Dans le seul domaine de l’écologie, on attend toujours avec intérêt que ses thuriféraires produisent un nouveau René Dumont, un André Gorz, un Denis de Rougemont ou un Ivan Illich.

      “Last but not least”, ce sont encore celles et ceux né(e)s dans l’immédiat après-guerre, dont les parents leur ont transmis les pratiques des restrictions qu’ils ont connues pendant les années de rationnement, qui se passent le mieux de smartphones, de la sacro-sainte bagnole sacralisée en temple à roulettes de l’ego contemporain, de télévision, de machine à laver ou de voyages à bas prix.

      Mais nul n’en est dupe et aux esclaves format X, Y ou Z de leurs propres préjugés je préfère de loin cette autre génération, tout aussi importante et non moins méritoire, qui fait face avec courage, conviction et intelligence aux défis qu’elle affronte aujourd’hui et qui ne sont pas moindres, voire pires que ceux de leurs aînés. Elle me rajeunit de plus d’un demi-siècle, j’y retrouve mes propres enthousiasmes passés et me laisse à penser que l’espoir n’est pas un vain mot.

  7. “La vision prospective la plus significative est celle des Etats-Unis. Une fois que l’on est au cœur du pays, inutile de chercher une quelconque auberge campagnarde, mijotant des plats locaux, du reste inexistants. Il n’y a plus que les mangeoires à hamburger d’une chaine industrielle, besognant avec des travailleurs non qualifiés, des manœuvres formés en quelques heures et assujettis à des sonneries. Pas d’hôtels mais des motels, tout à fait fonctionnels mais sans charme. Pas de terrasse de café où l’on peut lézarder en sirotant un blanc ou une bière, mais des abreuvoirs limités à un café insipide.”

    Américain d’adoption et une partie de ma famille l’étant par liens familiaux, même après avoir séjourné longtemps dans ce pays je n’ai jamais mis les pieds dans une “mangeoire à hamburgers” ni même dormi dans un motel et encore moins fréquenté des “abreuvoirs limités à un café insipide” – ceci même après avoir passé une année entière dans l’un des trous les plus perdus du Midwest, au milieu du Grand Nulle Part.

    En revanche, de retour dans ma chère Suisse – c’était au temps des “Gay Sixties” -, j’y ai trouvé plus de Mac Donald’s au kilomètre carré (sans doute est-ce dû à l’effet de distance) que je n’en ai vus d’une côte à l’autre des Etats-Unis. A peine débarqué à Lausanne, place Saint-François, je me faisais bousculer par des jeunes zombies jamais sortis du terroir mais pas moins enivrés par leurs T-shirts, leurs jeans et baskets et, de retour à l’université, devais subir les cours de profs maîtrisant un “Wall Stret English”, en particulier à l’EPFL, encore plus imbuvable que café américain – vous auriez aussi pu citer cette autre merveille culinaire made in USA, le pain en tranches – qui avaient fait du jeans et des baskets, sans parler du tutoiement obligatoire et de leur chevelure de Apache structural, leur carte de visite. Aucun de mes professeurs d’Outre-Atlantique ne s’est autant donné en ridicule dans ses cours que ses homologues européens dans les années mêmes où la révolution chomskyienne, que la vieille Europe s’efforçait de singer avec le “replay” de la révolte estudiantine de Berkeley en 1964 par celle, avec quatre ans de retard, de la Sorbonne en mai 68, avait pourtant gagné les auditoires et la contestation estudiantine battait la cour des campus américains d’une côte à l’autre.

    Ne faut-il pas avoir une “vision prospective” de l’Amérique bien courte si l’on n’en connaît que les “mangeoires à hamburgers”, les chaînes de motels et les “abreuvoirs” à bibine insipide? Pourquoi y perdre son temps alors qu’on en trouve plus au kilomètre carré entre Genève et Zurich? S’il est vrai que le café américain n’est guère plus buvable que de l’eau de vaisselle, en revanche quand j’avais le “blues” de l’Ancien Monde, chez Oncle Sam ce n’est pas moins dans les restaurants italiens que je pouvais aller trouver un peu de réconfort devant un “ristretto” ou un “cappuccino” qui n’avaient rien à envier à ceux de la mère patrie. Quant aux cuisines du monde, dans les grandes villes comme Los Angeles ou New York, on n’a que l’embarras du choix pour s’y sentir chez soi. On y trouve des restaurants français sur la côte Ouest qui n’ont rien à envier au “Train Bleu” de la gare de Lyon, à Paris, et à New York l’offre de spécialités d’outre-mer y est telle que, sur le chemin du retour au bercail, je me suis plus d’une fois demandé pourquoi je devais au fond réintégrer le “statu quo”. A New York, n’avais-je pas le meilleur des deux mondes, l’ancien et le nouveau?

    1. Vous confirmez ma vision prospective de la Suisse qui fait référence aux petites localités du cœur des Etats-Unis, bien évidemment pas aux grandes villes de la côte.

  8. Je trouve aussi excellente l’analyse de la situation actuelle, mais je reste sur ma faim en ce qui concerne la “vision prospective”. La remarque d’Olivier Caillet concernant tiktok me remet sur la piste de ce que sera notre avenir dans deux ou trois générations. Il y a un “algorithme occidental”. L’Amérique est en train de vivre ce que les Européens ont vécu en 14-18, les Romains en 410, et les Grecs en -146. A chaque fois, le “barbare” reprend le flambeau de ce que l’on peut convenir d’appeler l’humanisme intégral (à situer quelque part au-delà du jeu de pouvoir entre libéraux et socialistes). Je soutiens donc que la Chine porte en elle le germe de la prochaine civilisation humaniste, les Hans à la place des Huns, en quelque sorte. Le problème est que l’on voit bien la dimension sociale de la civilisation chinoise (le confucianisme), on en voi pas encore sa dimension spirituelle.

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