Le peuple a parlé : la cause est entendue

 

Un soir de votations fédérales sur cinq objets, le premier sentiment est celui d’une infinie considération pour les institutions. Une fois de plus elles ont bien fonctionné, même si ce n’est pas toujours dans le sens que personnellement l’on souhaitait. Le peuple a parlé. La cause est entendue. Qui d’autre aurait pu trancher sur des décisions aussi difficiles à prendre, avec parfois autant de pour que de contre ?

Jadis et ailleurs, c’était le souverain qui n’avait d’autre légitimité que d’être né d’une lignée illustre et d’être l’oint prétendu de Dieu lui-même. Il décidait ainsi parce que c’était son bon plaisir, parce qu’il fallait bien trancher, parce qu’en politique on est constamment obligé de prendre des décisions sans disposer de toutes les données, à commencer par ce que réserve l’avenir. Or ce despote était toujours animé par des préjugés personnels, par sa famille, par ses courtisans, par sa favorite du moment, par son confesseur. Il était aussi parfois fou au sens clinique du terme.

Mieux vaut une assemblée de despotes, parce que chacun de ceux-ci est tout aussi influençable qu’un autocrate, mais qu’ils ne le sont pas tous dans le même sens. Une votation est une prise de température de l’opinion publique, partagée par définition. Elle l’est parfois tellement que sur les cinq objets, deux ont été décidé à la marge. Les avions de combat par 8670 voix d’écart sur 1 604 700 oui. On pourrait presque parler d’un jeu de pile ou face.

Néanmoins, c’est un bon système parce que la responsabilité est totalement diluée. Quand tout le monde décide, c’est comme si personne n’avait le droit de décider : ce n’est pas de la démocratie directe, c’est de l’acratie. Ni le Conseil fédéral, pseudo gouvernement, ni le parlement, ni les cantons, ni les partis. Il n’y a pas de responsable si cela tourne mal plus tard.

On le remarque dans les débats télévisés d’une incommensurable retenue. Les partisans du oui et du non, selon le résultat, se réjouissent avec modération ou acceptent dignement que le peuple se soit prononcé. C’est exactement le contraire de la position de Donald Trump, annonçant avant une élection que, s’il perd, il ne tiendra pas compte du résultat, au risque de déclencher une guerre civile. Les Etats-Unis, peuplés de ceux que l’Europe a rejeté au fil des persécutions et des guerres, aspirent à une démocratie dont ils n’ont élevé qu’une façade dissimulant de profondes fractures.

Dans l’acratie suisse, il n’y a le soir d’une votation ni vainqueurs, ni vaincus. Tout le monde a gagné. Si la décision a été prise à la marge, on sait déjà qu’elle sera appliquée avec précaution. Accepter les avions de combat ne signifie pas dépenser 6 milliards n’importe comment. Il faudra viser des avions bons marché, plus appropriés à la police du ciel qu’au soutien d’une bataille rangée sur terre entre des chars russes et helvétiques, hautement improbable. Le refus à l’arraché de la loi sur la chasse ne signifie pas qu’on ne pourra pas abattre de loups mais qu’il faudra attendre qu’ils aient commis des méfaits et, surtout, qu’il faudra entamer des mesures concrètes pour mieux protéger les moutons.

Il reste deux votes contradictoires, mais révélateurs :  oui au congé paternité, non à la déduction fiscale pour la garde d’enfants. Ils ne sont pas tout à fait antithétiques car le congé est à la charge de l’employeur et la déduction fiscale à celle des finances publiques, c’est-à-dire de tout un chacun. Mais ils révèlent une position fondamentale : la démographie déclinante d’un pays vieillissant, qui ne reconstitue plus sa population, exprime un vœu profond du peuple. On pourrait dire qu’il est fatigué de se reproduire au terme d’une longue et valeureuse légende, qu’il est dans l’état d’esprit d’un vieillard aspirant au repos éternel, qu’il veut sortir de l’Histoire. Mais ce serait outrepasser les limites de l’interprétation.

Il y a plus simple. Pour compenser les 40 000 naissances par an qui manquent, il suffit d’accepter en moyenne 40 000 immigrants, arrivant à l’âge adulte, déjà formés et prêts à travailler. Telle est peut-être l’explication secrète du refus de l’initiative de limitation, qui n’a pas qu’une motivation économique. La Suisse accepte d’être une terre d’immigration parce qu’il n’y a de richesse que d’hommes et qu’elle progresse en attirant les meilleurs de toute l’Europe. Il n’y en a point comme nous car nous venons de partout.

 

 

 

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

15 réponses à “Le peuple a parlé : la cause est entendue

  1. “La Suisse accepte d’être une terre d’immigration”

    Non.
    Nous acceptons des travailleurs temporairement et qui repartent chez eux pour fonder une famille. Nous sommes une terre de travail, pas de réunification familiale (d’où le rejet des déductions).

    Et vos chiffres sortent de nulle part. Il n’y a aucune étude qui fixe un déficit de la Suisse à 40000 naissances par an. Citez vos sources et arrêtez vos faits alternatifs. Ou dites clairement que c’est votre opinion, soit une parmi d’autres…

    1. Pour maintenir une population, le taux de fécondité doit être à 2.1 enfants par femme. En Suisse il est à 1.54, mais pas parmi les femmes suisses. Pour une natalité qui devrait être à 120.00 par an et qui se situe à 80 000, il y a donc un déficit de l’ordre de 40 000 naissances.
      La Suisse comporte 2 175 000 étrangers vivant sur son sol ce qui représente le quart des habitants. C’est un des taux les plus élevés au monde.
      Si vous avez d’autres chiffres, mentionnez vos sources.

        1. La Suisse vient en position 170 dans la liste des pays rangés par taux de fécondité. Le calcul est classique : comme la moitié d’une population est composée de femmes, pour la renouveler, il faut plus de deux enfants par femme en moyenne. Un peu plus parce que tous les nouveau-nés n’atteindront pas l’âge de la reproduction.
          Il ne suffit pas qu’à un moment donné il y ait autant de naissances que de décès, lorsque l’espérance de vie s’allonge. Dans ce cas la population reste instantanément constante, mais l’âge moyen progresse et cette population stable est de plus en plus vieille et de moins en moins propre à procréer. A terme elle diminuera inexorablement.
          Calcul simple. Un pays a un solde migratoire nul et une espérance de vie constante. Le taux de fécondité n’est que de 1. Chaque femme ne procrée qu’un seul enfant. La génération suivante représente la moitié de celle qui est en train de se reproduire. A 1.4 elle diminue d’un tiers. A 0.7 elle diminue des deux tiers.

  2. Une fois de plus, l’analyse (!) de M.Neirynck montre qu’il ne comprendra jamais rien à la politique suisse !
    Il s’accroche à son acratie comme à la prunelle de ses yeux , mais sans apporter la moindre signification .
    Les institutions suisses fonctionnent d’après une constitution comme dans la plupart des pays et la notre , faut-il le rappeler pour l’auteur de ce blog , y inclut les notions de referendum et d’initiative populaire .
    Et selon ces dispositions , une loi peut être soumise à la décision du peuple qui donnera son dernier mot et ceci n’a rien à voir avec l’acratie qui conviendrait mieux à la Belgique où l’on cherche vainement un gouvernement ( https://plus.lesoir.be/302721/article/2020-05-25/trois-ans-sur-dix-sans-gouvernement-federal-mais-quel-est-donc-le-probleme) !
    C’est justement à la fois pour empêcher un autocrate plus ou moins éclairé de centraliser le pouvoir et également de faire participer les citoyens à la chose publique …

    1. Acratie signifie la non possession du pouvoir selon son étymologie : personne ne le possède et tout le monde l’exerce. Une démocratie parlementaire signifie le partage du pouvoir entre l’exécutif et le législatif, le peuple étant ignoré sinon dans son rôle électoral. Par le mécanisme des initiatives et des referendum, le peuple suisse vote une douzaine de fois par an et emporte la décision finale sur des lois que l’exécutif et le législatif ne font que proposer. C’est donc bien lui le souverain comme il l’a montré encore aujourd’hui. Finalement personne en Suisse ne peut exercer le pouvoir sinon en se fondant dans un système où il n’est qu’une partie infime, le pouvoir collectif.
      La Belgique fonctionne en état d’anarchie, à savoir le non exercice, la vacance du pouvoir, ce qui est tout autre chose que l’acratie, qui est l’anonymat d’un pouvoir, qui est cependant exercé.

      1. Mais en Belgique des décisions sont prises néanmoins. Qui décide? L’administration? Le monde des affaires? Bruxelles (je veux dire la Bruxelles européenne, le pouvoir européen)? La famille royale? Les partis politiques ou leurs comités? Les syndicats? L’Eglise? (Ça m’étonnerait, mais on ne sait jamais). Les flamingants? Les médias? Il faut bien que quelque part quelqu’un décide. La Belgique est un pays intéressant, mal connu. Pourriez-vous nous aider à mieux le comprendre?

        1. L’anarchie signifie que des décisions de routine sont prises, par exemple renouveler chaque année le budget de l’année précédente, mais que devant l’imprévu de la pandémie les mesures adéquates ne sont pas prises. D’où le fait que la Belgique compte le plus haut de morts par million d’habitants au monde.

  3. Maintenant que le blochérisme est mort, j’espère qu’on pourra parler des problèmes froidement.
    L’immigration va au-delà de compenser le manque de naissances. La Suisse avait 6 millions d’habitants dans les années 60, 8m maintenant, 10m prévu dans 15 ans.

    On va me parler de payer les retraites, sauf qu’ à un moment il y aura une stagnation qui va faire mal, à l’image de l’Afrique très jeunes qui va avoir du souci, une fois que ceux-ci seront vieux.

    La Suisse doit changer de système de retraite tout en stabilisant la population au mieux. Les raisons? Qualité de vie, préservation écologique (déjà que VTT et promeneurs impactent la vie sauvage), responsabilité envers les générations futures.

    Stabilisation de la population ne veut pas dire, décroissance, mais investissement dans des métros transnationaux. Sélection des entreprises qui doivent s’installer (technologique, ….) qui ne demande pas de grandes ressources humaines, ….

    La Suisse, sa Nature, n’a pas à se sacrifier pour nos voisins. A nous de réinventer le modèle qui nous a réussit mais qui est devenu incontrôlable.

  4. Ne confondons pas un fait avéré “la faible fécondité (des Suisses)” et une opinion “il MANQUE x naissances”.
    La population suisse n’a fait que s’accroître fortement depuis la 1re guerre mondiale. Pourquoi ne pourrait-elle pas diminuer durant une certaine période ? une dose de décroissance serait également bon pour l’environnement. L’argument du paiement des retraites par les immigrés s’apparente à cautionner un “jeu de l’avion” ou une “pyramide de Ponzi”, car cela ne fait que reporter le problème au moment du versement des retraites auxdits immigrés.

    1. La décroissance est possible et peut-être souhaitable dans la mesure où elle s’opère à un rythme compatible avec le paiement des pensions. Un paramètre décisif est l’âge de la retraite qui effectivement conditionne l’équilibre entre actifs et retraités. En ce sens, oui, l’immigration ne résout pas le problème du long terme mais elle évite qu’il se pose tout de suite. Le quart de la population est étrangère. Si on la supprimait, la crise serait immédiate. Pas seulement financière . le quart des médecins exerçant en Suisse ont été formés à l’étranger.

  5. Acratie, acratie… est-ce que j’ai une gueule d’acratie?

    A lire les titres média, non, puisque le succès d’une votation est souvent (voire toujours) attribué à un conseiller fédéral, collégial, comme on le sait. Basse manoeuvre des vainqueurs, sans doute????

    Il n’empêche que le Parlement et bien sûr le CF devraient se hâter, plus vite que possible et plus vite que nécessaire.

    La Suisse a construit des tunnels, verse un milliard de cohésion, a une balance commerciale déficitaire, va acheter des jets, peut-être européens, etc.

    Alors il est temps pour nos politiques d’empoigner le taureau par les cornes, même s’il s’appelle Bull ou Holstein.
    Et non toujours succomber aux sirènes lobbyistes du, too big to fail into the Butter!

  6. Les bilatérales c’est, entre autres :
    1/ un apport de main d’oeuvre aux entreprises
    2/ un moyen de pression à la baisse sur les salaires
    3/ un moyen (facile) d’augmenter les profits, ou a minima les préserver.
    4/ contribuer à baisser le chômage des régions frontalières (en particulier mais pas exclusivement)
    5/ contribuer à se débarrasser des salariés de plus de 45 ans
    6/ contribuer à augmenter le chômage local (pendant 2 ans)
    7/ contribuer à augmenter le budget de l’aide sociale (pour les jeunes locaux, les plus de 45 ans, et pour une période longue)
    8/ se préparer à une misère des personnes âgées une fois à la retraite (ceux qui ont perdu leur emploi car trop “vieux”) puisque absence de cotisations à l’AVS et au 2ème pilier.
    Est-ce une bonne affaire ?

    1. Vous avez tout à fait raison. La Suisse vit depuis 2004 une époque dramatique. Le chômage est devenu le plus élevé de toute l’Europe, le revenu par tête d’habitant s’est effondré, l’espérance de vie nous situe en dessous des plus pauvres pays africains. Merci de cet accès de lucidité.

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