La promotion politique de l’inculture

Le premier et le plus indispensable des vecteurs d’une culture est la langue. Alors que le français a servi depuis près d’un millénaire de support à une civilisation brillante, sous nos yeux, dans nos oreilles, il se délite et se mue en franglais. La pression vient évidemment des Etats-Unis, économie dominante, et de son facteur le plus intrusif la numérisation. Et pas la « digitalisation », utilisation erronée de la racine digit qui veut dire nombre en anglais, alors que digital se rapporte aux doigts en français.

 

Ce n’est qu’un début. Dans le langage le plus courant, le français défi disparait au bénéfice de challenge, prononcé tchallènege, qui peut aussi remplacer compétition ; une occasion devient une opportunité (opportunity) ; le verbe réaliser, qui signifiait originellement se rendre compte, signifie maintenant exécuter (realize) ; impact (heurt) a donné impacter qui ne veut pas dire cogner mais influencer, alors que impact se traduit par encastrer ; alternative, qui voulait dire alternance, choix, est devenu solution de remplacement (alternative), etc…Ces nouvelles acceptions de mots souvent français d’origine (challenge signifiait chicane en vieux français) proviennent de la consanguinité entre les deux langues et ne créent point de tort, sinon de créer un halo d’incertitude sur leur sens.

 

Mais que dire de « sale » à la place de solde, qui s’affiche sur tant de vitrines en Suisse et qui est tout simplement grotesque : cela ne dit rien de plus mais cela s’efforce de faire plus chic, moins vulgaire, moins attaché à la bonne affaire recherchée par les gagnepetits. L’abomination des abominations est sans doute « booster », qui se prononce « bouster » et qui ne dit rien de plus que des verbes bien ordinaires comme relancer, augmenter,  promouvoir. Il fait partie de ces mots (boom, booléen, boomerang), comportant un double oo, avalé tout cru dans sa prononciation « ou » anglaise, alors que coopération se prononce légitimement en français avec deux o.

 

Il est normal et sain qu’une langue évolue, pourvu qu’elle incorpore les apports plutôt que de les laisser flotter comme des parasites : ces mots anglais, prononcés à l’anglaise, donnent l’impression à ceux qui ignorent cette langue qu’ils en possèdent tout de même une teinture. Depuis plus d’un siècle,  supporter  comme substantif signifie celui qui soutient : il suffit de l’orthographier comme il se prononce « supporteur » pour l’incorporer, le distinguer du verbe supporter qui signifie soutenir et qui ne pouvait manifestement pas engendrer « souteneur » déjà utilisé dans un tout autre contexte. Si l’on tient absolument à « hacker, qu’au moins on l’écrive hackeur, hackeuse, comme il se prononce, parce que le substitut proposé officiellement fouineur n’a jamais pris. En revanche, email donne le verbe abominable emailer, qui se prononce imayer, alors que les Québecois utilisent depuis 1990 le très beau terme courriel.

 

L’évolution (souhaitable ou non) de la langue est tellement importante et rapide que d’ores et déjà le français des siècles antérieurs est devenu incompréhensible pour la jeune génération. Il ne sert plus à grand-chose d’organiser des représentations théâtrales de classiques pour les élèves des collèges car que peuvent-ils comprendre à des phrases raciniennes du style « Un cœur noble ne peut soupçonner en autrui/ La bassesse et la malice / Qu’il ne sent point en lui “. Cette pensée qui se replie sur elle-même leur est devenue étrangère. Ils n’en soupçonnent même plus l’existence et ne peuvent donc concevoir ce qu’ils ne peuvent exprimer. C’est cela qui définit l’inculture, l’incapacité de formuler ce que l’on ressent au point de ne plus le ressentir.

 

Dans les théâtres, que ce soit en Suisse ou à Paris, les textes classiques n’ont plus la cote, parce que les troupes savent que les spectateurs ne les comprennent plus. Depuis dix ans à Lausanne, j’ai eu le bonheur exceptionnel de voir un seul Racine, où Etéocle et Polynice paradaient en tenues camouflées en brandissant des mitraillettes. Aucun Claudel, Montherlant, Sartre, Anouilh, Beaumarchais, Marivaux, etc.

 

Les metteurs en scène sont à ce point imbus de leurs personnes et démunis de culture classique, qu’ils se prennent pour des écrivains et composent eux-mêmes le texte de leurs succédanés de pièces. J’ai subi le sommet de la stupidité à Vidy avec un prétendu « Roi Lear », joué par un seul comédien d’origine kazakhe dans sa langue maternelle, sous-titrée en français, sans aucun rapport avec le texte de Shakespeare. Comme attraction ultime, il se déshabillait lors de la dernière scène, ce qui est devenu un poncif des mises en scène actuelle. Les « théâtres » dûment subventionnés en viennent à concurrencer les boites de nuit.

 

Les éditeurs de littérature publient de plus en plus de titres (500 romans pour la rentrée) dont la vente diminue à proportion. Selon une formule célèbre, « les lecteurs entrent au cimetière, tandis que les illettrés sortent des universités ».

 

Il existe une origine politique à cette promotion de l’inculture. Pour les partis extrémistes, la masse inculte constitue une réserve de recrutement. Ainsi, j’ai surpris l’aveu d’une personnalité vaudoise dont le parti contrôle l’enseignement obligatoire : « Le véritable but de l’enseignement n’est pas d’apprendre, mais de socialiser ». Moins les élèves en savent, plus ils sont malléables. Et c’est bien juste que la culture classique apprenne à se déterminer par la réflexion personnelle et non par le formatage à des slogans. La promotion de l’inculture explique donc le présent désamour de la démocratie, qui entraine tant de pays européens vers des formes de dictature. Il faut se souvenir des autodafés de  livres par les nazis et de l’interdiction de publier les meilleurs écrivains en Union Soviétique. La promotion de l’inculture et  le mépris de la langue procèdent de la même volonté

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

22 réponses à “La promotion politique de l’inculture

  1. Merci pour cette magistrale description d’une situation catastrophique et affligeante, contre laquelle se bat depuis longtemps déjà et sans grand succès http://www.defensedufrancais.ch
    C’est bien sûr le nivellement par le bas, but politique pervers, que met parfaitement en évidence votre analyse. Qu’y pourrons-nous lorsque bêtise, facilité et affairisme règnent en maîtres absolus ?

    1. Il existe mieux que votre lien
      https://www.francophonie.org/
      Il y a aussi une chaine qui, à l’heure d’internet, devrait diffuser tout en clair (radio, TV) pour la promotion du français.
      http://www.tv5monde.com/

      Mais que ce soit pour des raisons géopolitiques ou de droits d’auteur, la langue française piétine de bureaucratie. On peut faire le même reproche à l’Europe ou à l’urgence climatique et ça n’a rien à voir avec de quelconques partis, ou plutôt tout à voir!

      P.S. On félicite la SSR de diffuser beaucoup en “clair”

    2. Magnifique Monsieur ! Tout est dit, en affirmant Orwell ! Les transports publics deviennent l’athanor de toutes ces humeurs verbales corrompues. Nous recevons continuellement les gifles de l’ignorance et de l’inculture en pleine face. Perte de Racine, pertes de Molière, pertes du jeu et de lintelligence des textes, la justesse de l’interprétation. Avec leurs bactéries de ” masters”, il y a de moins en moins de bons acteurs et de plus en plus selon l’expression de José Artur: ” d’intellichiants. “

  2. Le propre de la culture est d’évoluer, le propre de la confiture aussi, Dieu merci!

    Les chinois (plus que les futurs indiens) partent avec un grand handicap linguistique, (comme les romands qui essaient d’apprendre le suisse-allemand).

    Mais comme l’anglais d’Angleterre n’est pas le même que celui des Etats-Unis, ni celui de l’Inde ou de l’Australie, tout le monde a sa chance.
    Vous me direz, il y a encore des illuminés pour croire en l’esperanto… :

  3. Vous avez remarqué? Il est très facile de se faire une idée des visions des auteurs de blogs ici.
    – D’un côté, vous avez les centristes qui publient les commentaires.
    – De l’autre, vous avez la gauche qui censure lourdement les commentaires au nom de leurs idéaux chéris.

    Et, enfin, il y a 30% de la population qui n’est pas du tout représentée car leTemps ne veut pas donner la parole aux UDC…

    Vive la démocratie! Vive la liberté d’expression!
    Et au revoir aux censeurs, la cheffe d’Amnesty en tête, je quitte ce site. Et Merci à mr Neyrinck d’avoir toujours publié mes commentaires.

  4. “Toutes les écoles sont de parfaits abattoirs où des fournées de gosses vont quotidiennement se faire socialiser, encadrer, régimenter, en un mot éduquer. Ces lugubres endroits, ces temples de la docilité, de l’abdication et de l’esclavage mystifient encore une foule innombrable de gens, d’éducateurs, de parents… Basée sur l’humiliation, la répression, l’égalisation de tous en êtres uniformes, l’Education apparaît comme un des meilleurs piliers de nos sociétés, un des meilleurs garants du Pouvoir… Le Pouvoir enfante l’Enseignant. Les Enseignants enfantent le Pouvoir.” –
    Gérard Vincent, “Les Lycéens”, 1972.

    “Tout projet de connaissance a une visée de pouvoir” – Jean Guénot

    “L’école leur a déjà donné ce qu’il faut pour se résigner à l’état de citoyen bagnard, auquel ils sont promis. Vaste distillerie d’ennui, c’est-à-dire de démoralisation – qu’on se le dise! – puissance de crétinisation lente, standardisation de toutes les mesquineries naturelles, l’école a déjà tué en eux tout ce qui leur donnerait l’envie de se libérer. Après avoir entraîné l’âme moderne dans ses collèges, elle l’y enferme et l’y laisse crever de faim.” – Denis de Rougemont, “”Les Méfaits de l’instruction publique” (1929)

    (Extraits de mon petit bréviaire apocryphe, “Les Bonnes bouteilles” )

  5. Bonjour,
    Ne commetez-vous pas une erreur à propos du verbe “réaliser” ? J’ai vérifié dans le dictionnaire “Trésor de la langue française” : le sens d’origine (1495) serait plutôt “rendre réel”, “faire exister”.
    L’anglicisme “réaliser” dans l’acception “prendre conscience” aurait été utilisé la première fois par Baudelaire traduisant E. A. Poe, en 1858.

  6. Les vieux disent qu’à leur époque… mais les vieux racontent des sornettes…
    Le français est vivant, et évolue, et le salut de sa survivance viendra peut-être d’Afrique ou du Quebec. Notre langue possède tous les atouts de par sa complexité, son adaptabilité et sa précision pour survivre aux néologismes du « globish », bâtardisation actuelle de l’anglais.

  7. Emprunts à l’anglais, jargons de fats, prétentions de cuistres, oubli des classiques : broutilles que tout cela. Il y a bien pire : mes étudians ne saves pas distingué un verbe d’un nom ou d’un adjectif. Ils ne lises pas et n’écrive qu’avec leur pousses sur leur smartphones. Ils sont infirmes et c’est notre faute.

    1. Si vous n’enseignez pas à des étudiants imaginaires, ils sauront corriger vos sept fautes d’orthographe !

    2. Il me semble que vous exagérez un peu. Je n’ai pas d’élèves, mais mon entourage recèle pas mal d’enfants d’ages différents et je n’observe pas ce que vous décrivez. La langue évolue, c’est une de ses qualités, la culture et les connaissances aussi, avec les générations.
      Même le climat et l’environnement font qu’homo sapiens sapiens (l’homme qui sait) s’adapte depuis 40’000 ans (aurignacien), à l’exception de quelques spécimens politiques qui s’accrochent curieusement au passé et veulent nous faire croire que c’est l’avenir. Certains de ces pitres n’ont pas hésité à manipuler, à utiliser la violence ou le font encore.
      Les parents éduquent, mais en complément, l’école sert à l’apprentissage (langue, calcul, expression, sciences, histoire, géographie, arts, musique et sport, etc.) de nos enfants,, mais sert aussi à les socialiser. Libre à eux ensuite de questionner, de developer, d’innover, de chercher et découvrir, puis de transmettre (la roue tourne), car la santé nos sociétés en dépend, depuis des millénaires.

    3. Bel exemple de français approximatif par un enseignant. La formation de ceux-ci comporte un mépris délibéré de l’orthographe et de l’analyse, ancré dans la volonté politique de ne pas favoriser les enfants de classes aisées, habitués à entendre leurs parents parler correctement et disposant de livres dès leur plus jeune âge.

  8. Votre entourage, tout comme le mien, n’est en rien représentatif. La classe éduquée élève, corrige et stimule ses enfants. Les autres, non. L’école socialise sans doute, mais elle n’élève que rarement. Elle ségrège volontiers dans des classes différentes ceux qui iront plus loin et ceux qui n’iront nulle part. A l’Université, il est trop tard pour apprendre à écrire (et donc à penser): les enseignants ne se sentent pas responsables des lacunes criantes de leurs étudiants: un cours de physique n’est pas un cours de grammaire élémentaire. Croyez-moi quand j’affirme que je dois parfois lire à haute voix une réponse d’examen pour en saisir le sens, quand il y en a un.

    1. “La classe éduquée élève, corrige et stimule ses enfants.”

      Si par élever, il faut entendre éduquer, alors l’école publique s’attribue aussi cette tâche, dévolue en priorité aux parents. Sinon, pourquoi l’institution chargée de la formation des maîtres et maîtresses de l’enseignement genevois s’appellerait-elle Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education (FPSE)?

    2. Votre vision assez curieuse de la pédagogie en 2019 m’amène à me demander dans quel monde vous vivez, et si vos élèves ne doivent pas se pincer parfois pour ne pas rêver en même temps que vous… Dans votre premier commentaire l’on pouvait croire que vous ne maîtrisez pas l’orthographe élémentaire, mais il s’agissait d’une caricature moqueuse destinée à « vos étudiants… » Vous avez donc besoin de rire et aimez faire rire, et c’est là que vous êtes une illustration de la personne qui est « passée des bancs de l’école au pupitre du professeur » tel que l’évoque Pyaget. Votre bonne blague, dans une proportion moindre et d’un meilleur goût, m’a fait penser à l’humour puéril d’un prof, quand il a brandi un emballage de nouilles Nasi Goreng, à la sortie du camp d’Auschwitz qu’il visitait lors du voyage d’étude avec ses collègues. Le pauvre homme s’est fait taper sur les doigts, a été exclu du collège, et un an plus tard ne comprenait toujours pas pourquoi aucun directeur ne désirait répondre positivement à ses offres d’emploi : « Il est injuste que je ne puisse pas exercer mon métier un an après avoir commis une bêtise que j’ai reconnue… » Cet ancien enseignant maîtrisait peut-être bien l’orthographe, ou était même capable de donner un cours d’histoire sur la période du nazisme en affichant un visage bien sérieux, mais n’était manifestement pas à sa place en milieu éducatif…

      Vous définissez le rôle que vous attribuez à l’enseignant, à la famille éduquée qui stimule ses enfants, mais à côté des livres posés sur votre pupitre vous avez oublié votre ballon resté dans la cour de récréation. Mais oui, celui que vous avez fait rebondir joyeusement dans votre premier commentaire…

  9. L’école ne confond-elle pas pédagogie et enseignement ? Voici déjà plus de trente ans, l’école vaudoise, qui n’en est pas à une réforme près, introduisait à grands renforts de trompettes, de falbalas et de flonflons, la méthodologie du français dit renouvelé, « Maîtrise du français ». Aussitôt qualifiée de gauche – le quotidien « 24 heures » titrait même : « Et le verbe s’est fait rouge » -, la nouvelle méthode se voulait fondée sur la grammaire générative transformationnelle, introduite par Noam Chomksy en 1955. Les auteurs de la nouvelle méthode se disaient conscients de prendre des libertés avec la théorie de référence, ceci dans un but pédagogique et à des fins d’application pratique en classe. Or, en 1964 déjà, Chomsky disait :

    […] je suis franchement plutôt sceptique sur la signification des aperçus et des explications de la linguistique et de la psychologie pour l’enseignement des langues – N. Chomsky, « Linguistic Theory » (p. 43), cité par Eddy Roulet dans « Théories grammaticales, description et enseignement des langues, Fernand Nathan, 1972 (p. 60).

    Dans son ouvrage, E. Roulet, ancien professeur de linguistique à la Faculté des Lettres de l’Université de Genève, dont il a été le doyen, signale aussi que Chomsky, « s’il a présenté une critique sévère du modèle de l’apprentissage [empiriste] de Skinner, n’a pas développé de solution de recherche valable. Aussi le maître averti se trouve-t-il dans une situation inconfortable, conscient du fait que la méthodologie mise en œuvre dans les méthodes audio-visuelles et les exercices structuraux est insuffisante, mais aussi sans solution de rechange valable. » (op. cit., p. 86).

    Plus loin (p. 88), cet auteur relève les défauts majeurs des tentatives d’application des vingt années précédant l’introduction de « Maîtrise du français » : « elles admettent implicitement la possibilité d’une transposition directe des résultats des recherches linguistiques à l’enseignement des langues ». […] disons-le nettement, il est naïf de croire qu’il puisse exister un lien direct entre les recherches linguistiques et l’enseignement des langues. […] Ce n’est pas surprenant si l’on songe que linguistique et enseignement des langues sont des disciplines différentes, qui visent des objectifs différents, avec des méthodes et des métalangues différentes […]. » (op. cit., p. 89).

    A un maître d’anglais désorienté, venu lui demander conseil, Chomsky répondait qu’en aucun cas sa théorie ne devait être appliquée, telle quelle, en classe, mais servir plutôt de point de départ pour sa réflexion (N. Chomsky, « Chomsky on Democracy and Education”, Routledge, 2002).

    C’est aussi ce qu’affirmaient autrefois dans leur préface les auteurs de « Maîtrise du français », ouvrage aujourd’hui passé aux oubliettes – au point que même ses éditeurs ne se souviennent pas de l’avoir publié. De fait, dès l’introduction de la nouvelle méthode, l’enseignant se trouvait pris en porte-à-faux entre la théorie et son travail en classe. Celui qui en subissait le plus durement les effets n’était pas, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le maître ignorant tout de la théorie générative. Celui-là faisait mine d’adopter la nouvelle méthode, selon des réflexes quasi pavloviens, tout en s’empressant de reprendre ses bonnes vieilles habitudes dès son retour en classe. Le plus démuni était souvent l’enseignant(e) stagiaire averti(e), confronté(e) à des formatrices et des formateurs qui appliquaient, sans avoir suivi de formation complète en linguistique et donc sans jamais les mettre en question, les directives conçues et imposées d’en haut.

    Jusque là libre de choisir ses propres moyens d’enseignement, le maître s’en voyait soudain privé pour ne plus appliquer à la lettre que les directives et les méthodes imposées par l’institution, véritables diktats de la nomenklatura scolaire, auxquels il n’avait pris aucune part. La formation pédagogique, réduite à quelques recettes, ne servait plus que de prétexte à la mise au pas de l’enseignant, sommé de se remettre en question et livré au seul jugement de ses élèves, désormais placés au centre du projet pédagogique. Le mythe de l’Elève-roi était né.

    Après la mort de Dieu, du père et de l’auteur, on assistait à l’exécution en règle du maître par l’institution même dont il était pourtant le principal pilier et serviteur. Quoi d’étonnant si le taux de désertion des maîtres est devenu supérieur à celui des élèves ?, disait déjà à cette époque Claude Duneton.

    De « maître » – seul terme en vigueur dans la loi scolaire pour définir sa fonction – celui-ci s’est vu muter en animateur, voire en assistant(e) social(e), l’école s’étant soudain auto-proclamée responsable de « socialiser » les élèves.

    Pourtant, dans son ouvrage, Eddy Roulet met déjà en question ce rôle que s’est attribué l’école : « […] on peut se demander sérieusement si le but de notre système éducatif doit être d’adapter les individus aux besoins de la société. », écrit-il (op. cit., p. 101).

    Dans le débat actuel sur la numérisation de l’enseignement, que constate-t-on ? Si les moyens sont nouveaux, réforme après réforme, le discours officiel de l’école, lui, n’a pas changé. « Les réformes scolaires n’ont pour but que de maintenir le statu quo » disait Michel Butor. Peut-être serait-il bon de relire certains auteurs.

    A. L.

    1. Merci à tous pour tous vos divers raisonnements et commentaires. Je ne voyais pas Chomsky sous ce jour, car dialoguant souvent avec Mr Normand Baillargeon, enseignant la philosophie pédagogique à l’UQUÀM de Montréal, comme son nom l’indique, et chroniqueur réguler sur CBC Radio Canada, j’en ai encore une approche différemment colorée qui ce qui est rapporté ci-dessus . Ce dernier est un grand admirateur de Noam Chomsky.

      Personnellement, pour moi, l’école fut une prison et un lieu noir, privé de tout, rien ni personne n’a réussi à m’y intéresser jamais, je m’en suis sorti tout seul en embrassant une vocation de danseur classique académique, avec une belle carrière qui s’en suivit. En revanche, sur place, lorsque je prenais mes classes à Lausanne, à l’école de danse Simone Suter, j’ai eu la chance, à cette époque royale, de pouvoir rencontrer des maîtres en plusieurs matières, car cet endroit était un magnifique écrin d’échanges et de cultures à tous points de vues ; je me rappelle de Anne Cuneo, du peintre Jean-Claude Staehli, du mine Jean-Pierre Amiel, de l’astronome Mr. Anhatram, du musicologue et musicien compositeur Suisse Jean-Claude Regamey, des rixes verbales de la direction, avec Jean-Pierre Pastori et Antoine Livio, que j’admirais également.
      Par ailleurs, notre directeur, Mr Turhan Betin était une véritable encyclopédie vivante ; pianiste virtuose il accompagnait tous les cours ; diplômé de philologie et sciences humaines, connaissant à la perfection tous les folklores musicaux et chorégraphiques, parlant un nombre de langues incroyables, écrivant le sanscrit, par son érudition, Il aurait presque pu tenir tête, ” à la virgule près “, au très regretté Jacques Bergier, autre personnage emblématique hors normes. Il tenait à ce que les danseurs soient aussi virtuoses de leurs corps que de leurs esprits. Certaines de ces personnes m’apportèrent de quoi lire, les grands classiques surtout, nous avons eu la chance aussi, toujours grâce à certains, de pouvoir découvrir l’opéra, le théâtre classique par l’intermédiaire du CDL, cette merveilleuse troupe qu’était à l’époque ” Le centre Dramatique de Lausanne “, où Charles Apothéloz lui-même me laissait venir assister à toutes les répétitions du théâtre de Vidy et qui est responsable de ma poursuite en danse classique.

      J’ai donc appris en autodidacte avec des maîtres merveilleux et bien des années plus tard, grâce à cela, à Paris, avec des personnes comme Yves Robert, Georges Descrières, Robert Manuel, Robert Hossein, j’ai pu me gaver de bons français et de jouxtes verbales dignes de merveilleux mets gastronomiques, qu’ils comparaient d’ailleurs souvent à cela.
      Le bon verbe étant comme la bonne cuisine, il fait partie intégrante des saveurs épicuriennes.

      Pensons aussi à Daniel Pennac et de son merveilleux ” Chagrin d’école “, éd. Gallimard, qui ne aurait décrire mieux ces misérables situations.
      Il ne faut jamais oublier que l’instruction est obligatoire, mais pas l’école.
      J’enseigne maintenant le Ballet Classique en collège privé dont je ne peux révéler le nom.
      Je ne retrouve en rien, Dieu merci, ni la mentalité, ni le travail de sape et éteignoir de concupiscence que génère cette épouvantable école vaudoise encore sujette aux relents d’un vieux protestantisme éculé mais non moins ravageur. ( J’ai une fille qui a traversé cela, je sais de quoi je parle. )

      Concernant les États-Unis, ils sont devenus maintenant friands de la culture européenne, sans eux, le château de Versailles et ses parcs attenants seraient tombés en ruines. Ils ont ce côté du ” tout est possible si tu essaies “, et ne sont pas dans le jugement ni le ” oui mais. ”
      ” Try, just do it, take action ! “, dés fois je vous le dis, c’est bien rafraîchissant !

      Nous sommes obligés d’utiliser l’anglais pour atteindre des personnes en international, mais pas plus.

      Il ne faisait pas bon être différent, à l’époque, et vouloir suivre une voie autre que celles de la condescendance et du conformisme.
      Malheureusement on obtient pas de diplômes avec l’autodidaxie, enfin, presque pas…
      Encore une fois merci à tous, il nous faut contre vents et marées, préserver notre belle et bonne langue, comme le font les québécois, tabarnak !
      LC

  10. Je ne suis pas de langue maternelle française (et je vous prie d’excuser mes fautes et maladresses) mais j’aime beaucoup cette langue. Cependant j’ai l’impression que, si pendant des siècles elle était le moyen que permettait de communiquer des idées d’une manière précise et faire avancer la science et les connaissances dans tous les domaines, maintenant elle sert surtout à faire la différence entre les personnes qui ont une certaine sorte d’intelligence et le reste de la population.
    Je ne peux pas croire que toutes les personnes qui ne sont pas capables d’apprendre l’orthographe et la grammaire du français sont des crétins qui se laissent embobiner par n’importe quel démagogue. La langue française écrite comporte tellement de difficultés et de complications qui ne contribuent rien ou très peu à la compréhension. Pensez à toutes les lettres qui sont écrites mais ne se prononcent pas et les mots homophones qui ont la même prononciation, mais une orthographe et une signification différentes.

    Le fait de de maitriser ces difficultés ne prouve pas qu’une personne est capable d’une réflexion indépendante, originale ou créative, ou qu’elle peut distinguer entre des propos sincères et des mensonges.
    Les jeunes s’expriment par d’autres moyens, surtout visuels, qui sont parfois utilisés pour tromper (tout comme la parole), mais à force de l’employer, ils apprennent à maitriser ce langage et à distinguer les abus.
    J’adore lire un texte bien écrit en français (ou anglais ou allemand) et je suis d’accord que de grands efforts doivent être faits pour continuer à transmettre ces connaissances , mais il y a aussi d’autre manières de communiquer.

  11. L’auteur a totalement raison dans son analyse de la situation. Cependant, il est vital pour une langue de faire évoluer l’écrit pour suivre et coller à l’oral, car un grand décalage entre les deux est mortel pour la langue. Si l’anglais, plutôt l’américain, envahit le monde c’est aussi pour la facilité de l’écrire presque comme on le parle. Pour “sale” je pense que les chaînes internationales de vêtements ont choisi uniformiser le mot, de plus, les boutiques s’adressent souvent aux visiteurs d’autres pays, pour qu’ils comprennent aisément de quoi il s’agit. A l’ancienne ça donne “Occasion” et les touristes risquent de ne pas comprendre de quoi il s’agit. Le mot “Soldes” que certains utilisent encore n’est pas précis en l’occurrence. Certains anglais d’un certain âge prétendent ne pas comprendre tout ce qui est dit en anglais dans leur programmes à la télévision.

  12. Une fois de plus M. Neirynck propose l’argument juste .
    il me semble que l’on comprend et appréhende la vie plus facilement avec des mots, de la lecture , poussant ainsi à la réflexion , que avec des applications .

    Tous les jours j’essaie , avec un succès mitigé, de faire lever le nez à mes 2 ados de cette incommensurable bêtise d’instagram ou de Facebook qui , sans peut-être plus les formater que le bourrage de crâne maternel voulu , semble , à mon grand effroi, amener une piètre réflexion générale et une expression orale déplorable !
    La bataille des mots : leur compréhension , leur utilisation , continue
    C’est notre boulot de parent

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