Le français, fenêtre ouverte sur le monde ?

Photo: au Village de la Francophonie © Isolda Agazzi

Le 18ème Sommet de la Francophonie s’est tenu à Djerba le 19 et 20 novembre. L’occasion de constater l’attachement à la langue française surtout dans les pays du Sud, qui y voient une ouverture sur les valeurs démocratiques et une occasion de nouer des relations de coopération

Deux hommes en djellaba blanche déambulent dans les ruelles du Village de la Francophonie, à Djerba. Leur tenue étincelante se confond avec le blanc des maisons et réfléchit le bleu du ciel et le vert des palmiers, arbres emblématiques de cette île du sud tunisien. Intrigués, nous nous approchons : « Nous sommes des chanteurs des Emirats arabes unis (EAU). Nous sommes ici pour montrer qu’il y a une seule humanité et présenter nos traditions «, lancent-ils… en anglais. A la tombée du jour, ils se produiront dans un spectacle qui attirera une foule nombreuse.

321 millions de francophones dans le monde, dont 62% en Afrique

Mais que font donc les EAU, où l’on parle à peine français, à un sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ? Ils sont membres associés (comme le Qatar par exemple) de cette organisation de pays « ayant le français en partage », créée il y a 52 ans par quatre chefs d’Etat d’anciennes colonies – le président tunisien Habib Bourguiba, le sénégalais Léopold Sédar Senghor, le nigérien Hamani Diori et le roi du Cambodge Norodom Sianouk. Forte aujourd’hui de 54 membres (dont la Suisse, mais à l’exception notable de l’Algérie), 7 membres associés et 27 observateurs, elle tenait son 18ème sommet à Djerba le 19 et 20 novembre, sous le thème « Connectivité dans la diversité : le numérique, vecteur de développement et de solidarité dans l’espace francophone ».

D’après les chiffres de l’OIF, le français serait parlé par 321 millions de personnes dans le monde – dont 62% résident en Afrique – et serait donc la 5ème langue mondiale et la 4ème sur internet. Malgré son recul au profit de l’anglais dans certaines régions, comme le Maghreb, les francophones sont appelés à devenir 750 millions en 2050 en raison de la croissance démographique. Rien d’étonnant, dès lors, que la Francophonie intéresse surtout les pays du Sud. Si le but originel de l’organisation était de promouvoir la langue française, la paix et l’éducation, la coopération économique prend de plus en plus d’importance. « Les jeunes francophones nous demandent non seulement de leur fournir de l’éducation, mais aussi de l’emploi », déclarait Louise Mushikiwabo, la secrétaire générale, lors de la cérémonie d’ouverture du sommet.

Village de la Francophonie très visité

Ouvert au public, le Village de la Francophonie attire une foule nombreuse, surtout des Tunisiens. « On est venus entre amis pour s’intéresser aux autres cultures. Le français est très important au niveau international, c’est la deuxième langue que nous apprenons à l’école », glisse Malek, une Djerbienne de 16 ans.

Une soixantaine de stands proposent de découvrir les pays « francophones ». La Suisse a misé sur la Genève internationale : un pavillon sobre et fonctionnel présente quatre ONG actives dans le numérique. La Fédération de Wallonie – Bruxelles soutient une centaine de jeunes entrepreneurs par an, en Afrique. Quant au Canada, il cherche à attirer des personnes ayant une formation professionnelle, avec ou sans contrat, et des étudiants, « car cela reflète nos valeurs de diversité. »

Le sommet est aussi l’occasion de chercher des investisseurs et de lancer de nouveaux partenariats économiques. La représentante de Côte d’Ivoire montre une fève de cacao à une Djerbienne intriguée. Sur un présentoir sont exposées des tablettes de chocolat fabriqué au pays. « Nous sommes le premier producteur mondial de cacao, mais nous ne nous contentons plus de l’exporter à l’état brut, nous fabriquons aussi du chocolat sur place ! » lance fièrement la dame. Une dégustation, prise d’assaut, nous permettra de confirmer de première main la qualité de ce fameux chocolat.

La Francophonie, instrument (néo)colonial ?

Qu’en est-il de certains soupçons de (néo) colonialisme qui pèsent sur la Francophonie ?  « Ce n’est pas du tout un instrument d’influence de la France dans le monde, tranche Olivier Caslin, journaliste au magazine Jeune Afrique. Contrairement au Commonwealth, elle a été créée par d’anciens colonisés et non par la France, qui ne sait pas trop quoi en faire…L’OIF a toujours été tiraillée entre son rôle linguistique et culturel et son désir d’aller plus loin en matière politique et économique, qui semble avoir été confirmé à ce sommet. »

Chokri Ben Nsir, rédacteur en chef de La Presse, un des deux plus anciens journaux francophones de Tunisie, renchérit : « La Francophonie n’est pas un instrument néocolonial ou de nostalgiques du passé colonial. La preuve : la question du français ne se pose même pas quand on a besoin d’un bon chirurgien qui a travaillé en France. La langue n’est pas seulement un outil de communication et le français véhicule les valeurs de liberté, droits de l’homme et humanisme. »

Etat du français en Tunisie catastrophique, mais il y a un sursaut

Après l’indépendance (le protectorat français a duré de 1881 à 1956), la Tunisie a gardé le système d’éducation français, mais le journaliste regrette qu’avec le départ des colons, des Italiens et des Juifs, elle se soit repliée peu à peu sur elle-même et se soit laissé tenter par le populisme, le panarabisme et les extrêmes. Dans les années 1980 le système éducatif a été arabisé, « ce qui n’a donné rien de bon. Aujourd’hui la situation du français en Tunisie est catastrophique. On a de moins en moins de lecteurs, d’enseignement, de rédaction, de création. Mais il y a un sursaut », assure-t-il.

Le tirage de La Presse elle-même, qui était de 80’000 exemplaires il y a dix ans (dont 20’000 abonnés publics), a fortement baissé pour chuter à 10’000 exemplaires depuis la crise du covid. « Le monde a besoin de langues, pas uniquement d’une seule langue, comme l’arabe ou l’anglais. Il faut beaucoup de fenêtres pour que le soleil irradie nos maisons d’énergies positives et chaleureuses », conclut-il.


Ce reportage a été publié dans l’Echo Magazine

La Ghriba, miracle du vivre-ensemble

Photos de la Ghriba © Isolda Agazzi

Le pèlerinage juif de la Ghriba s’est tenu de nouveau à Djerba, en Tunisie, après deux ans d’absence. Selon la tradition, il a rassemblé surtout des Juifs venus de Tunisie et de France, mais aussi des fidèles de toute confession

Naila a voulu mettre toutes les chances de son côté : c’est carrément un plateau d’œufs durs qu’elle s’apprête à déposer dans la grotte souterraine, sur lesquels elle a écrit scrupuleusement les noms de ses cinq enfants. « Je prie pour qu’ils aient la santé, l’argent, le succès et pour qu’ils se marient, inshallah ! », lance-t-elle. « Vous êtes musulmane ? », lui demandons-nous, étonnés par cette dernière invocation. « Oui, mais je ne rate jamais le pèlerinage de la Ghriba. Juifs, chrétiens, musulmans, tout le monde vient ici pour demander à la sainte d’exaucer ses vœux », nous répond-elle, jouant des coudes pour garder sa place dans la file d’attente. Des femmes parées de leurs plus beaux habits attendent de déposer le précieux sésame dans la cavité étroite, dans l’espoir de se marier ou d’avoir un enfant, selon une croyance populaire. Un Belge s’excuse, un peu gêné : « Je viens pour mon épouse, mais il n’y a que des femmes ici, pouvez-vous déposer les œufs à ma place ? » demande-t-il à Naila, qui s’en charge volontiers et distribue des œufs durs à la ronde.

Plus ancienne synagogue au monde en-dehors de Jérusalem

Une ambiance survoltée règne dans la petite synagogue de la Ghriba, qui se dresse modestement en rase campagne à Djerba, au sud de la Tunisie. Située à un kilomètre de Hara Sghira, l’un des deux villages juifs de l’île, elle est considérée comme la plus ancienne au monde en dehors de Jérusalem. Ses fondations auraient été jetées par des prêtres qui avaient ramené quelques pierres du temple de Salomon, détruit par Nabuchodonosor au 6ème siècle av. J.-C. Le pèlerinage, qui se tient chaque année, célèbre Lag Ba’Omer, la fin du deuil de 40 jours pendant lequel les Juifs ne peuvent ni danser, ni chanter, ni se marier.

Sous les voûtes blanches et bleues du petit édifice, des femmes en foulard ou couvre-chef allument religieusement des cierges ; quelques hommes à la longue barbe, une kippa vissée sur la tête, sont plongés dans la lecture de la thora. Dans le oukala qui fait face – le caravansérail construit dans les années 1950 pour héberger les Juifs libyens – on se croirait dans une grande kermesse : un orchestre arabo-juif joue dans la cour, à côté de la « Menora », un char sur lequel les fidèles viennent nouer des foulards. Les gens chantent et dansent parmi les effluves de b’hur (bois de santal), au point que l’animateur se voit obligé de rappeler que les femmes n’ont pas le droit de danser devant la « Menora ». Ils reprennent en chœur Au café des délices, la chanson de Patrick Bruel qui narre le départ des Juifs de Tunisie. Des stands de nourriture casher, de boutargue (une spécialité tunisienne à base d’œufs de poisson) garantie casher, de souvenirs en tout genre et de… Tunisie Télécom, participent au côté festif, pour ne pas dire commercial de l’évènement.

Pour la petite communauté des Juifs de Tunisie, pour la plupart exilés en France, c’est l’occasion de se retrouver une fois par an et de resserrer les liens. « C’est la sixième fois que je viens à la Ghriba, d’ailleurs on ne se voit qu’ici, alors qu’on habite la même ville ! », lance une Parisienne à ses copines, attablées autour de brochettes d’agneau fumantes.

L’aspect religieux persiste, malgré le côté touristique

Mais y a-t-il encore quelque chose de religieux dans cet évènement à l’apparence folklorique, utilisé d’ailleurs sciemment par les autorités tunisiennes pour lancer la saison touristique ? « Le judaïsme tunisien est un judaïsme de joie, festif. Certes, il y a un aspect touristique, mais le côté religieux et la ferveur persistent », nous assure le rabbin Moshé Lewin, vice-président des rabbins européens et conseiller spécial du Grand rabbin de France, qui a fait le déplacement.

Robert, un Juif tunisien parti en France en 1965, à l’âge de 11 ans, observe d’un œil amusé la vente aux enchères qui se déroule dans la cour, entrecoupée de cris et de musique. Il est plus sceptique : « Il y a un côté très païen ici, il n’y a même pas eu de cérémonie religieuse… lâche-t-il. Mais j’avais besoin de faire ce pèlerinage au moins une fois dans ma vie. » Pour renflouer les caisses de la communauté, une sorte de commissaire-priseur met en vente des bouquets de fleurs accompagnés de rimonims (ornements rituels), dont les prix augmentent aussi rapidement que la ferveur ambiante et se vendent pour plusieurs milliers d’euros, dans une sorte d’archaïsme mâtiné de modernité qui sert aussi, en passant, à montrer sa réussite. L’un d’entre eux sera acheté par une femme qui assure, fondant en larmes, qu’elle avait attrapé une maladie très grave juste avant un pèlerinage à la Ghriba, mais en a été guérie après avoir fait une donation conséquente.

« On est dans un temps de survivants d’un monde qui n’existe plus, continue Robert, pensif. Mais que c’est bon la nostalgie, et là elle est d’une souffrance joyeuse ! J’ai l’impression de me trouver dans un décor où il y a encore des personnages, mais pour combien de temps ? Il n’y a plus de Juifs dans les pays arabes. A Djerba ils vivent en vase clos, c’est peut-être ce qui leur a permis de continuer à exister »

Imam français star de l’événement

Le point fort de l’événement, c’est peut-être son côté rassembleur. Sous un soleil de plomb, Hassen Chalgoumi arrive à se frayer un chemin jusqu’à l’estrade. Cet imam de la banlieue parisienne de Drancy, lui-même d’origine tunisienne, très connu pour sa lutte contre le communautarisme et l’islam politique, devient, presque malgré lui, la star de la fête : « Assalam Aleikum, Shalom ! lance-t-il à une foule conquise. Nous vivons une période difficile, avec la guerre en Ukraine et les autres guerres dans le monde. Les tensions au Proche Orient doivent baisser par le dialogue, non par la guerre. La Ghriba est un miracle, une flamme d’espoir, l’humanité a besoin de cela. C’est la preuve que nous pouvons vivre ensemble. »

La nuit tombe. La « Menora », couverte de foulards et de fleurs, est amenée en procession jusqu’au village voisin, escortée par un impressionnant dispositif de sécurité. Auparavant elle effectuait un parcours bien plus long, mais l’attentat de 2002 est passé par là. Peu après, elle est ramenée à la synagogue. Les fidèles continuent d’affluer à la Ghriba, parés de leurs plus belles tenues, et se préparent à festoyer jusque tard dans la nuit. Tout s’est déroulé dans le calme. Cette année, le pèlerinage tant attendu aura tenu ses promesses.


Le dernier pèlerinage juif du monde arabe qui rassemble les communautés

Cette année, le pèlerinage de la Ghriba a eu lieu le 18 et 19 mai, après deux ans d’absence en raison de la pandémie. Il a accueilli 3000 pèlerins et visiteurs de 14 nationalités et une cinquantaine de journalistes étrangers, invités par l’Office National du Tourisme Tunisien. La plupart étaient des Juifs tunisiens qui habitent en France.

« C’est un événement très particulier car c’est peut-être le dernier pèlerinage juif du monde arabe qui rassemble les différentes communautés, nous explique Dionigi Albera, directeur de recherche au CNRS d’Aix-en-Provence. Les Juifs de Djerba sont une communauté qui vit en vase clos, mais en même temps ils sont très ouverts car ils ont une diaspora dans toute la Méditerranée, c’est assez paradoxal. Dans le temps ils possédaient beaucoup de typographies, aujourd’hui ils en ont encore une qui continue à imprimer un hebdomadaire en juif arabe, à savoir un arabe qui s’écrit avec des caractères juifs »

La population juive de Tunisie, estimée à environ 100’000 personnes au moment de l’indépendance, en 1956, est partie par vagues successives jusqu’aux années 1980 car elle se sentait discriminée. Aujourd’hui il reste 1’200 Juifs dans le pays, dont 1’000 à Djerba. Selon un représentant de la communauté qui habite Tunis, ils n’ont pas de problèmes.

La communauté de Djerba, fortement repliée sur elle-même, a su se préserver. Elle a refusé notamment l’enseignement de l’Alliance israélite universelle, qui visait à donner une éducation moderne aux Juifs d’Afrique du Nord. Aujourd’hui les Yeshivas de l’île (écoles talmudiques) accueillent 300 garçons et 350 filles. Selon un arrangement conclu avec l’Etat tunisien, ceux-ci fréquentent aussi l’école publique, où ils bénéficient d’horaires aménagés. A Djerba, il reste 19 synagogues, dont la Ghriba.


Ce reportage a été publié par l’Echo Magazine

En Tunisie, le jasmin s’est fané

Manifestation des partisans du président Kaïs Saïed, Tunis, 17.12.2021 © Isolda Agazzi

Onze ans après la révolution, la corruption et le covid ont plongé la Tunisie dans une crise économique qui risque de dégénérer en explosion sociale. L’effervescence démocratique est réelle, mais beaucoup regrettent l’ordre et la sécurité qui régnaient sous Ben Ali. Un sursaut est nécessaire pour aider le pays à sortir de l’ornière

En ce 17 décembre, 11ème anniversaire de la révolution tunisienne, surnommée par la presse étrangère « révolution du jasmin », deux manifestations séparées se déroulent au centre-ville de Tunis: sous le pont, celle des opposants au président Kaïs Saïed ; devant le théâtre municipal, celle de ses partisans. Tenues à bonne distance par un impressionnant dispositif de sécurité, elles en disent long sur l’état de la seule démocratie rescapée du printemps arabe : divisée, bousculée.

« Vous soutenez le président ? », demandons-nous à Abderrazak, enveloppé dans un large drapeau rouge et blanc aux couleurs du pays. «Pas le président, mais la Tunisie», nous répond sans hésitation celui qui affirme avoir vécu dans plusieurs pays démocratiques, « dont la Suède. Certains l’accusent d’être un dictateur, mais s’il l’était vraiment il n’autoriserait pas ses opposants à manifester ! Ce qu’il veut c’est se débarrasser des corrompus et des islamistes d’Ennahda qui ont pillé le pays et ça, croyez-moi, tous les Tunisiens le veulent ! »

Manifestation des opposants au président Kaïs Saïed, Tunis, 17.12.2021 © Isolda Agazzi

Corrompus obligés de mener des projets sociaux

Le 25 juillet, le président Kaïs Saïed avait suspendu le parlement et limogé la plupart des ministres pour s’arroger les pleins pouvoirs. Si son coup de force constitutionnel avait été soutenu par l’écrasante majorité des Tunisiens, aujourd’hui l’état de grâce pourrait se terminer.

Le 13 décembre, prenant tout le monde de court, cet homme de plus en plus isolé, qui s’exprime dans un arabe littéraire que personne ne comprend, a annoncé une feuille de route fumeuse: elle prévoit des consultations populaires en ligne pour élaborer une nouvelle constitution, suivies par un referendum pour valider celle-ci et, le 17 décembre 2022, de nouvelles élections législatives. Entre temps, la justice devrait être assainie et les personnes corrompues condamnées à réaliser des projets de développement social dans les régions reculées.

Sauf qu’au lieu d’arguties juridiques, les Tunisiens attendent des réponses à l’énorme crise économique qui fait redouter une explosion sociale. Le covid, ajouté à la mauvaise gouvernance et à l’instabilité, a mis le pays à genoux : l’investissement étranger, qui a chuté à 652 millions de USD, est à son niveau le plus bas depuis la révolution, tout comme le tourisme, qui emploie 10% de la population active ; avec une inflation à 6%, le pouvoir d’achat a dégringolé, alors que le taux de pauvreté a grimpé à 21%.

La dette au détriment des droits humains ?

L’Etat n’a plus d’argent pour payer les salaires des fonctionnaires et les retraites et il doit trouver urgemment quatre milliards USD. Il se tourne pour cela vers le FMI, qui demande en contrepartie des réductions de salaires qui seraient intenables. La Presse, le principal quotidien francophone du pays, se demandait même s’il fallait continuer à rembourser la dette au détriment des droits humains.

Onze ans après la révolution – dont l’anniversaire était d’abord fixé au 14 janvier -, l’effervescence démocratique est réelle :  on dénombre plus de 21’000 associations – même si des élus demandent la fermeture de plusieurs d’entre elles, accusées d’être financées par les islamistes ; les minorités ethniques, religieuses et sexuelles revendiquent leurs droits et un pourvoi en cassation vient d’être déposé pour faire annuler deux condamnations pour homosexualité. Mais la liberté d’expression et de la presse est désormais menacée, plusieurs personnes ayant été condamnées pour avoir critiqué Kaïs Saïed, à commencer par l’ancien président Moncef Marzouki.

Par ailleurs, la jeune démocratie s’accompagne de l’incurie et du chaos, au point que beaucoup regrettent l’ordre et la sécurité qui régnaient sous le dictateur Ben Ali.

Pour permettre au jasmin d’embaumer, il faut soutenir la lutte contre la corruption, continuer à investir dans ce pays, le visiter de nouveau et l’aider à surmonter la crise du covid. Pour l’instant, la cinquième vague qui frappe l’Europe semble épargner encore la Tunisie, mais avec le nombre de contaminations en hausse et moins de 48% de la population ayant reçu deux doses de vaccin, elle n’est pas à l’abri d’un nouveau déferlement.


Une version de cette chronique a été publiée dans l’Echo Magazine 

 

 

Tunisie : le tourisme durable pour sauver le patrimoine berbère

Village de Chenini © Isolda Agazzi

Destination Dahar, un projet de tourisme alternatif développé dans le Sud tunisien par une fédération d’acteurs locaux soutenue par la Suisse, vise à valoriser une région méconnue, berceau de la civilisation berbère. Avec, à la clé, le premier itinéraire de randonnée du pays

Les voutes ocre et rose de Ksar Hallouf se dressent dans la lumière cristalline du matin, silhouettes élancées sur fond de ciel bleu électrique. Construits sur les hauteurs, à l’entrée des vallées, ces greniers de montagne servaient à conserver précieusement le blé et autres céréales. Dans les collines arides du sud de la Tunisie, les Amazigh – aussi connus sous le nom de Berbères – allaient se lover dans l’antre de la terre pour construire des maisons, des greniers, des lieux de culte et des huileries. C’est toute une culture troglodytique d’inspiration fœtale qui s’est développée dans ces régions reculées où les femmes, dit-on, avaient le pouvoir.

Aux pieds des anciens greniers, dans l’oasis de montagne de Ksar Hallouf, Nasser avait d’abord pensé à émigrer, découragé par la dureté de la vie dans ces reliefs dessinés par les vents, où les habitants doivent se contenter d’un peu d’agriculture et d’élevage s’ils ne vont pas chercher fortune en ville ou à l’étranger.

Jusqu’à ce que son chemin croise celui de la Fédération Tourisme Authentique Destination Dahar (FTADD), une petite structure dont les adhérents – gîtes, musées, hôtels, guides de montagne – se sont rassemblés autour d’une identité territoriale pour lancer un projet de tourisme durable : Destination Dahar. Hedi Kallali, le directeur exécutif, détaille le projet : valorisation de la culture amazighe, des sites géologiques, de la randonnée et, à l’avenir, développement de l’astro-tourisme vu que, dans ces cieux éthérés, l’absence de pollution lumineuse permet presque de toucher les étoiles.

Oasis de montagne de Ksar Hallouf © Isolda Agazzi

Société civile amazighe structurée depuis la révolution de 2011

« Depuis que j’ai ouvert Dar Sana, un petit gîte de cinq chambres, j’ai abandonné mes projets d’émigration, je reçois beaucoup de clients et j’ai même été contacté par le principal tour opérateur de Tunisie », raconte fièrement Nasser. Il faut dire que les maisons troglodytiques, avec leurs tapis kilims colorés, leur décoration traditionnelle et une température constante de 22 degrés toute l’année, sont particulièrement accueillantes.

Dans le petit village de Chenini, construit sur six niveaux, une soixantaine de familles amazigh sont restées envers et contre tout. « Habib Bourguiba, le premier président de la Tunisie indépendante, a essayé de les faire partir car il voulait construire une unité nationale et était opposé à l’esprit tribal, mais les habitants ont refusé », nous explique Dabbabi Mohamed Sadok, le président de la FTADD.

C’est surtout après la révolution de 2011 que la société civile amazigh s’est structurée – aujourd’hui elle compte douze associations. Même si leur marge de manœuvre reste limitée, les Amazigh sont autorisés à organiser des activités culturelles et à parler leur langue, mais celle-ci n’est pas reconnue officiellement et n’est pas enseignée dans les écoles, ni utilisée à la radio et à la télévision comme en Algérie et au Maroc. « Je suis pour défendre la culture berbère qui précédait l’arrivée des Arabes en Tunisie, mais en tant que patrimoine, pas comme revendication ethnique ou politique », souligne le président de la Fédération.

Cérémonie d’inauguration de la Grande Traversée du Dahar © Isolda Agazzi

La Grande Traversée du Dahar, premier itinéraire de randonnée en Tunisie

« Notre architecture amazighe est menacée d’extinction. » Avec sa pancarte, Gahaki Jallou, le fondateur de l’Association tunisienne pour la culture amazighe, est venu perturber gentiment la cérémonie d’inauguration de la Grande Traversée du Dahar. Le premier itinéraire de randonnée de Tunisie permet de parcourir 194 km sur douze étapes en dormant chez l’habitant, dans des maisons troglodytiques ou pas. La FTADD a élaboré un guide de voyage et un topoguide, formé 26 guides de montagne et commencé à commercialiser le produit en Tunisie et à l’étranger. Le ministre du Tourisme, Mohamed Belhassine, était venu en personne saluer « le tourisme non conventionnel, alternatif et pluriel de la Tunisie ».

Selon Gahaki Jallou, cette forme de tourisme permet de combler au moins en partie les carences de l’Etat : « J’ai créé cette association en 2011 pour défendre l’identité amazighe, qui est menacée dans notre pays et a été marginalisée tout au long de l’histoire. Notre langue est encore parlée dans treize villages, mais nous ne recevons aucune aide et elle risque de disparaître. Nous ne savons même pas combien d’Amazigh il y a en Tunisie car les statistiques ethniques sont interdites et la population est très mélangée », souligne-t-il.

 

Dar Ennaïm à Zammour © Isolda Agazzi

Synagogue, église, mosquée ou les trois ?

Un mélange qui est le fruit de l’histoire. Est-ce une synagogue, une église ou une mosquée ? Difficile d’identifier ce lieu de culte creusé dans la roche, où sont gravés les symboles des trois religions – les Juifs sont restés jusqu’à l’arrivée de l’armée allemande en 1941, qui avait planté une garnison tout près du village de Zammour. « Le Dahar marquait la frontière de l’empire romain, il était au carrefour des civilisations, sur la route des caravanes qui amenaient du sel au Mali et en ramenaient des esclaves pour les vendre au marché de Gabès, raconte Jalel, guide et gérant de la maison d’hôte Dar Ennaïm à Zammour, nous faisant découvrir cet endroit mystérieux. Il y a de nombreux lieux comme celui-ci dans la région, même une université souterraine, dit-on. Les Amazigh avaient construit des systèmes ingénieux d’adduction d’eau et ils faisaient de la biodynamie, l’agriculture inspirée par les étoiles que les Tunisiens pratiquent encore aujourd’hui. »

 

 

Départ de la Grande Traversée du Dahar © Isolda Agazzi

« Le projet Dahar peut nous aider, même si nous sommes un produit touristique »

Rabbeb Benkraiem, la maire de Matmata, petite ville toute proche, est confiante : « Nous voulons valoriser notre patrimoine car nous avons beaucoup de sites intéressants et des maisons troglodytiques. Mais malheureusement aussi de nombreux chômeurs car la région est peu fertile et notre économie repose essentiellement sur le tourisme. »

L’un des lieux les plus spectaculaire de Matmata est la madrasa Sidi Moussa Joumani, fondée en 1755, qui a été le premier centre d’enseignement dans le Dahar. A la base c’était une école coranique de rite malékite (une interprétation souple de l’Islam), mais elle dispensait aussi toutes sortes de disciplines, surtout scientifiques, et a fonctionné jusqu’aux premières années de la présidence de Bourguiba, qui l’a fait fermer car il était opposé aux écoles coraniques. Pendant 200 ans elle a rayonné sur le sud et a reçu des étudiants de tout le monde musulman.

« Le projet Dahar peut nous aider, même si nous sommes utilisés comme produit touristique, car les investisseurs sont obligés de sauvegarder notre patrimoine », conclut avec pragmatisme le président de l’Association tunisienne pour la culture amazighe. Réaliste et rêveur à la fois, à l’image du drapeau amazigh : enraciné dans la terre, la tête tournée vers le ciel.

 

 


Un projet soutenu par la Suisse

« Faire de la randonnée, c’est très suisse », déclarait Willi Graf, représentant en Tunisie de la Coopération suisse, le principal bailleur de fonds de Destination Dahar, lors de l’inauguration du circuit de randonnée. « En randonnant on fait des étapes et à chaque étape on apprend : dans les madrasas, on apprend le respect des cultures. Dans les gîtes, on découvre l’hospitalité. Et les gens qui vivent le long des étapes apprennent qu’ils ont intérêt à coopérer. » Il ajoute que le but du projet est de développer des circuits touristiques hors des sentiers battus, ou en complément de ceux-ci – le Dahar est à trois heures de Djerba – pour aider au développement des zones excentrées et marginalisées et créer des emplois.  La contribution suisse est mise en œuvre par la Fondation Swisscontact.


Ce reportage a été publié dans Le Courrier. Il a été réalisé dans le cadre d’un voyage de presse organisé par l’Office National du Tourisme Tunisien (ONTT)

Du premier homme à la dernière femme

Deux films, deux réalités si proches et pourtant si différentes en matière de droits des femmes. Adam raconte l’histoire d’une mère célibataire au Maroc. Un divan à Tunis narre les soubresauts psychiques de la Tunisie d’aujourd’hui.

Deux films de réalisatrices maghrébines, particulièrement attachants, sont actuellement à l’affiche en Suisse romande et, forcément, on est tentés de faire le lien entre les deux pays où ils se déroulent : le Maroc de Adam, de Maryam Touzani et la Tunisie de Un divan à Tunis, de Manèle Labidi.

Le premier traite, avec beaucoup de tact et de finesse, de la délicate question des mères célibataires dans un pays arabo-musulman. Au Maroc, où les femmes qui ont des relations sexuelles hors mariage sont passibles d’un an de prison et l’avortement est interdit, Samia, enceinte d’un homme qui ne sera jamais évoqué, a décidé de faire adopter son enfant dès sa naissance “pour ne pas le condamner à une vie dans la honte ». Mais sa rencontre avec Abla va ébranler cette certitude. Une battante, qui a le courage d’accueillir chez elle cette jeune femme enceinte qui traînait dans la rue, malgré les qu’en dira-t-on des voisins.

Femmes exclues du cortège funèbre

La cohabitation la changera elle-même, car Samia va obliger cette veuve aigrie, mère d’une adorable fillette, à s’ouvrir à la vie, dans une scène poignante et au son d’une chanson qui célèbre la compagnie en tant que remède à la solitude. C’est qu’Abla a perdu son mari et, à son grand regret, n’a même pas pu lui dire un dernier adieu : la tradition musulmane veut que seuls les hommes accompagnent le cercueil au cimetière.

La chaleur et l’insouciance finiront par s’installer dans cette accueillante maison de la médina de Casablanca, où les deux femmes préparent dans la bonne humeur des gâteaux traditionnels qui se vendent comme des petits pains. C’est le jour de l’Aïd que Samia accouche. Comme tout est fermé et qu’elle ne peut pas donner son enfant en adoption tout de suite, elle développera un instinct maternel contre lequel elle tente en vain de lutter et des liens très forts avec son fils, qu’elle finira par appeler Adam.

2’000 enfants naissent hors mariage chaque année en Tunisie

Un divan à Tunis n’aborde pas particulièrement la question de la femme dans la société tunisienne, même si le fait qu’une psychanalyste, de surcroît franco-tunisienne, ouvre un cabinet où elle accueille même des hommes sur son divan, suscite certains malentendus.

Mais le film donne l’occasion de rappeler quelques faits anciens et d’évoquer des développements récents. La situation de la femme y est très différente du Maroc, même si les mères célibataires y sont tout aussi mal vues. Mais en Tunisie (11 millions d’habitants) elles sont nettement moins nombreuses: 2’000 enfants y naissent hors mariage chaque année, contre 50’000 au Maroc (35 millions d’habitants).

Cela est dû probablement à un planning familial plus efficace et au fait que l’avortement y est autorisé depuis 1973. Par une décision on ne peut moins démocratique, Habib Bourguiba, le premier président de la Tunisie indépendante, a promulgué en 1956 le Code du statut personnel qui a aboli la polygamie, le mariage forcé et la répudiation et accordé aux femmes le droit au divorce. Peu après elles ont obtenu le droit de vote.

Ce qu’il n’a pas réglé, c’est l’épineuse question de l’héritage : la sœur hérite encore et toujours la moitié du frère, à moins que le père ou la mère ne décident autrement par testament  – cela existe. A ce jour, aucun président ni parlement n’a osé changer cette disposition inscrite dans le Coran.

Education sexuelle dès 5 ans en Tunisie

En matière de droits des femmes, les dernières avancées du seul pays rescapé du printemps arabe sont encourageantes : l’éducation sexuelle vient d’être introduite à l’école primaire pour tous les enfants dès l’âge de 5 ans, sur initiative de Yamina Zoghlami, une députée du parti islamiste Ennahdha, qui a déclaré: « Nous devons ancrer la culture sexuelle auprès des enfants. Cessons de parler de halal et haram et apprenons à l’enfant à se familiariser avec son corps.» Le but est surtout d’enrayer la pédo criminalité, suite à des scandales d’abus sexuels sur des enfants, mais cela constitue bel et bien une première dans le monde arabe.

Finalement, le 28 janvier passé, lors de l’enterrement de Lina Ben Mhenni qui, avec son blog A Tunisian girl, était devenue une icône de la révolution, ce sont des femmes qui ont porté le cercueil. Les seules litanies ont été des slogans appelant à l’égalité homme – femme, «un pied de nez aux obscurantistes de tout bord» selon des observateurs. Et la preuve que les choses peuvent évoluer.

Tunisie : une procession rassemble à nouveau les communautés

Photos © Isolda Agazzi

Le 15 août, la procession de la Madone de Trapani a eu lieu pour la troisième fois à La Goulette. Reflet d’une nouvelle mondialisation, les Sub-sahariens ont remplacé les pêcheurs siciliens, mais la ferveur populaire, toutes religions confondues, reste intacte. Si l’évènement n’a plus l’ampleur du début du 20ème siècle, dans l’un des rares pays arabes démocratiques il prend un peu plus de place chaque année.

Une foule bigarrée se presse dans l’église de La Goulette, pleine à craquer. Dans l’ancien quartier de la Petite Sicile, une église blanche toute simple a survécu comme par miracle à la destruction des vieilles maisons des pêcheurs siciliens, remplacées par des bâtiments modernes. Jusqu’à l’indépendance, en 1956, toutes les communautés vivaient en harmonie dans cette ville portuaire de la banlieue de Tunis. Ensuite la plupart des étrangers ont quitté le pays, tout comme les juifs tunisiens.

Mais en ce 15 août, fête de l’Assomption, chrétiens et musulmans, Tunisiens, Français, Italiens et beaucoup de Sub-Sahariens attendent plus ou moins en silence le début de la messe. Et surtout la procession de la Madone de Trapani, une statue au voile azur qui trône sous la nef.  Bien que la messe en elle-même ait toujours eu lieu, c’est la troisième année que la procession va se déployer à nouveau, alors que de la fin du 19ème siècle à 1964 elle faisait le tour de la ville pour aller jusqu’à la mer. Ensuite elle a été interdite. Aujourd’hui nul ne sait exactement si elle osera s’aventurer hors de l’église, et jusqu’où.

« Cette procession est importante parce qu’elle fait partie de l’ADN de cette ville, nous explique Hatem Bourial, un musulman animateur des rencontres de la bibliothèque du diocèse. A l’époque elle était très attendue par tous les pêcheurs, nombreux ici, Siciliens, mais également musulmans, qui demandaient des grâces à la Madone. Ils s’exclamaient « Evviva la Madonna di Trapani ! » quelle que soit leur confession. C’était un moment de célébration qui coïncidait avec l’Assomption mais qui, avec la procession, permettait à toute la population de La Goulette multiconfessionnelle de participer. Cela nous renseigne sur le vivre ensemble de ce pays jusqu’à une date relativement récente. »

Un évènement qui a tellement marqué les esprits des Tunisiens qu’ils disent encore aujourd’hui qu’après la sortie de la Madone la mer change- en effet, depuis deux ou trois jours le vent s’est levé, la mer est moutonnée de vagues et la chaleur est devenue moins écrasante.

Idée du curé de la paroisse, un missionnaire tchadien

C’est le Père Narcisse Djerambete, un missionnaire lazariste du Tchad et curé de la paroisse, qui a eu l’idée de relancer cette procession. « En Afrique on fait beaucoup de processions comme celle-ci, nous confie-t-il lorsque nous arrivons enfin à l’arracher à ses paroissiens, dans une ambiance survoltée. Dans la communauté il y a beaucoup de Sub-sahariens – étudiants, employés des ambassades et des organisations internationales,  migrants. Certains migrants traversent des situations difficiles, parfois ils sont exploités, mais en général s’ils ont des papiers ils trouvent du travail. Certains veulent retourner chez eux, alors je les aide comme je peux. »

A l’église, le silence descend sur l’assemblée et l’archevêque de Tunis, Mgr. Ilario Antoniazzi, fait son entrée, entouré par une dizaine de prêtres. Au premier rang siègent la maire de La Goulette et l’ambassadeur de France. La messe sera très bigarrée, chaleureuse et débordante de vie. Les pêcheurs siciliens ont été remplacés par de jeunes Sub-sahariens qui chantent, esquissent des pas de danse et amènent toutes sortes d’offrandes à l’autel. Les appareils photos crépitent sans cesse et une caméra de télévision immortalise un évènement visiblement très attendu. Lorsque, après deux heures de célébration, la statue de la Madone est portée en procession vers la sortie de l’église, c’est l’apothéose : une foule impressionnante, encore plus nombreuse dehors que dedans, trépigne derrière un modeste cordon de sécurité. La nuit est en train de tomber, l’appel à la prière résonne des minarets voisins, les youyous fusent.

Un jour, une procession dans toute la ville de nouveau?

« Avant c’était plus beau, il y avait plus de monde, ils amenaient la sainte Vierge jusqu’à la mer, la faisaient baigner et les enfants ramassaient de l’argent, se souvient Mounira, une femme en foulard venue assister à l’évènement. Maintenant elle arrive seulement jusqu’ici, mais ce serait bien que ça recommence comme avant. A l’époque nous habitions la Petite Sicile, mais notre maison a été démolie pour construire des bâtiments neufs et on nous a relogés au Kram. C’est dommage, ils auraient dû garder le quartier d’avant, avec ses ruelles, ses magasins et ses fontaines d’eau », soupire-t-elle nostalgique et ses filles acquiescent.

«Ce n’est pas impensable de faire à nouveau une procession dans la ville, nous confie Hatem Bourial. A Djerba il y a bien un pèlerinage juif, la Ghriba, qui prend la forme d’une procession, bien que modeste, et elle n’a jamais été remise en question. Ce serait très intéressant d’instaurer quelque chose de ce type à La Goulette, à la confluence du tourisme religieux et du retour des communautés. En tout cas ce serait un appel d’air extraordinaire et je défends l’idée que pour la Tunisie, c’est un message fort de dire : nous sommes capables d’organiser une procession ! »


Interview de Mgr. Ilario Antoniazzi : « Un pays musulman démocratique peut garantir la liberté de religion »

A la fin de la célébration, étant enfin parvenus à le soustraire à l’enthousiasme débordant de ses nombreux fidèles, nous nous sommes entretenus avec Mgr. Ilario Antoniazzi, archevêque de Tunis depuis 2013, entre un makroudh (biscuit typique tunisien) et un beignet ivoirien.

Quelle est la situation des chrétiens en Tunisie aujourd’hui ?

Ils sont respectés, nous n’avons jamais eu de problèmes. Jamais un chrétien n’a été menacé ou insulté. Moi je vais où je veux, je n’ai jamais eu besoin d’escorte. Mais nous devons faire attention car le Modus Vivendi, signé en 1964 entre le Vatican et l’Etat tunisien, pose des limites. Il interdit par exemple de sortir du périmètre de l’église, d’organiser des processions  et de sonner les cloches. Par cet accord, le Vatican a rétrocédé plusieurs églises de l’intérieur du pays où les chrétiens étaient partis, alors que d’autres églises sont restées pour le culte. Les églises rétrocédées ont servi pour des activités culturelles ou d’éducation, comme la basilique Saint Cyprien à Carthage.

Aujourd’hui il y a 30’000 chrétiens en Tunisie et notre diocèse compte dix paroisses.

La situation a-t-elle changé depuis la révolution de janvier 2011?

Avant la porte était fermée à clé, depuis ils ont trouvé la clé. Elle n’est pas grande ouverte non plus, mais nous sommes toujours sollicités. Ils veulent connaître la position de l’Eglise sur la bioéthique, la paix, la violence… Je suis souvent le seul chrétien au milieu d’une multitude de religieux musulmans, mais c’est une expérience magnifique.

La Tunisie est le seul pays musulman qui a inscrit la liberté de conscience dans la constitution et celle-ci est très fiable. Aujourd’hui beaucoup de Tunisiens désirent connaître la religion chrétienne, cela nous porte à un vrai dialogue interreligieux et à une meilleure connaissance réciproque. Au lieu de nous diviser, les différences religieuses sont considérées comme une vraie richesse et une aide mutuelle à mieux vivre notre spiritualité. En vertu dudit principe de liberté de conscience, si un Tunisien se tourne vers le christianisme, il n’est pas accusé d’apostasie par notre société démocratique. Nous attendons les prochaines élections présidentielles et nous avons pleine confiance dans les futurs dirigeants politiques pour continuer à vivre en paix et en sérénité dans ce beau pays.

Comment expliquez-vous le succès de la procession d’aujourd’hui ?

Dimanche passé c’était l’AÏd, la fête musulmane du sacrifice. Les chrétiens de Tunisie participent à cette prière car ils sont enracinés dans ce pays, ils sont partie prenante de ce peuple dans la joie, la souffrance et l’espoir d’un monde meilleur. La Madone de Trapani est devenue le patrimoine religieux et social de la Tunisie, mais surtout de cette ville de La Goulette. La Vierge est la seule qui peut nous unir car on la trouve dans les trois religions monothéistes. Ce soir on a vécu le dialogue interreligieux, on a oublié qu’on est chrétien ou musulman, on était tous frères.


Une version de cet article a d’abord été publiée par l’Echo Magazine

Le petit train bleu au pays du jasmin

Photos © Isolda Agazzi

Le TGM relie le centre-ville de Tunis aux quartiers résidentiels de la banlieue Nord. Il traverse des lieux historiques et reflète les soubresauts du pays. En ce 13 août, fête nationale de la femme, les observateurs se demandent si le prochain président  parviendra à instaurer l’égalité femme – homme dans l’héritage.   

C’est un train de deux ou trois wagons qui relie Tunis à La Marsa, une petite ville en bord de mer située dans la banlieue huppée de la capitale tunisienne. Depuis 1905, son nom officiel est TGM – Tunis, Goulette, Marsa –, mais le train, nous assure le vendeur de billets, n’a que trente ans. Il est bleu et blanc, comme les maisons en chaux aux volets azur qu’il côtoie, comme la mer d’un bleu intense qui scintille au loin, comme le ciel éclatant de lumière qu’aucun nuage ne vient assombrir. Parti de Tunis, il longe le port où mouillent de lourds cargos pour déverser les estivants à La Goulette, la station balnéaire la plus proche de la capitale, célèbre pour avoir donné naissance à l’actrice italo-tunisienne Claudia Cardinale. Autrefois connue pour son côté tolérant et multiculturel – lorsque  Musulmans, Juifs, et Chrétiens, Tunisiens, Italiens, Français et Maltais s’y côtoyaient en harmonie – la petite ville garde un charme populaire certain et ses célèbres restaurants de poisson ne désemplissent pas.

Continuant son trajet en brinqueballant, le TGM traverse des paysages à la végétation méditerranéenne luxuriante, ponctués de bougainvilliers, lauriers roses et palmiers. Il fait une nouvelle halte à Carthage, fondée par la reine Didon, près de l’amphithéâtre et du forum romain. C’est là que se trouve l’immense palais construit par Habib Bourguiba, premier président de la Tunisie indépendante, et qui attend d’accueillir le prochain et deuxième président démocratiquement élu – le premier tour des élections présidentielles aura lieu le 15 septembre.

Palais de Carthage et résidence de Suisse

Fait piquant, la résidence de l’ambassadeur de Suisse se trouve dans le périmètre du palais présidentiel. Cette curiosité remonte à fort longtemps et la raison en est assez obscure. Ce qui est clair, par contre, c’est que la Suisse garde une place spéciale dans le cœur des Tunisiens depuis qu’en 2005 Samuel Schmidt, alors président de la Confédération, avait osé critiquer la situation des droits humains lors d’une allocution officielle au Sommet mondial sur la société de l’information, à Tunis. Phrase immédiatement censurée par la télévision nationale, mais dont les personnes présentes se souviennent parfaitement – on s’était regardés abasourdis.

Le petit train bleu reprend sa route vers Sidi Bou Saïd, village pittoresque niché en haut d’une colline surplombant la mer. Les touristes déversés par les bateaux de croisière se mêlent aux locaux venus boire un thé à la menthe, manger un beignet et admirer un paysage époustouflant dans l’un des nombreux cafés – notamment un dont la notoriété (et les prix) ont explosé depuis que Patrick Bruel est venu y tourner le clip d’une célèbre chanson.

Un peu plus d’une demie heure après son départ, le petit train termine sa course à La Marsa, A la tombée de la nuit, lorsque l’appel à la prière résonne dans le bleu du ciel qui s’assombrit, une brise légère répand l’odeur envoûtante du jasmin, symbole de la Tunisie au point que les médias étrangers avaient affublé de son nom la révolution du 14 janvier 2011.

La révolution de jasmin : liberté d’expression et droits des femmes

La révolution, justement, se reflète même dans ce paisible train de banlieue. Aujourd’hui les murs de la vingtaine de gares qui émaillent son trajet sont couverts de graffiti, signe d’une expression démocratique particulièrement vivace – tout comme les barrages routiers pour protester contre les coupures d’eau et les grèves à répétition. Dans le train surchauffé, des passagers en sueur attendent le départ, plus ou moins patiemment. Aujourd’hui celui-ci est retardé car le 13 août est un jour férié : c’est la Journée de la femme, qui célèbre la promulgation du Code du statut personnel par Habib Bourguiba en 1956. Un code avant-gardiste pour l’époque, qui a supprimé la polygamie et instauré un processus légal pour le divorce – le droit de vote sera accordé aux femmes l’année suivante. Un code qui n’a cependant pas réglé l’épineuse question de l’égalité dans l’héritage  en raison de l’opposition des conservateurs – la femme tunisienne hérite encore et toujours la moitié de l’homme. Le président Caïd Essebsi, décédé le mois passé, avait essayé de s’y attaquer, sans succès. Aujourd’hui les observateurs se demandent si le prochain président – et le prochain parlement, qui sera élu en novembre – oseront faire tomber ce dernier tabou.

 

 

Des maires tunisiens à l’école de la démocratie directe

Huit maires tunisiens sont venus à Genève découvrir le système fédéral suisse. Dans le but, non de le copier, mais de s’en inspirer pour asseoir le processus de décentralisation et relever les nombreux défis de la jeune démocratie, à commencer par la gestion de l’environnement et la faiblesse de la participation citoyenne.

«Genève a été à la pointe de l’opposition à l’ancien dictateur Ben Ali», s’enthousiasme Jalel Matri, président de l’association Le Pont qui promeut des échanges citoyens entre la Suisse et la Tunisie. L’ONG a invité en Suisse 8 maires tunisiens de différentes sensibilités politiques pour rencontrer les autorités communales et fédérales, dans le but de les aider à mieux gérer leurs municipalités.

Jalel Matri poursuit: «Les défenseurs tunisiens des droits humains venaient aux réunions des organisations internationales et nous les avons soutenus et accompagnés dans leur combat. Depuis la révolution de 2011, nous aidons à construire la jeune démocratie depuis Genève.»

Membre de l’exécutif de la ville, Rémy Pagani abonde: « La Ville de Genève a une attache très forte avec la Tunisie car elle a toujours soutenu les opposants. Lors de sa première venue en Suisse, Moncef Marzouki, le premier président démocratiquement élu, est venu nous remercier personnellement.»

Le 12 juin, les maires – quatre hommes et quatre femmes – étaient invités au Palais Eynard (mairie) pour assister à une conférence du professeur de droit François Bellanger portant sur la décentralisation et la démocratie directe.

Premières élections municipales de l’histoire de la Tunisie

D’emblée, la décentralisation a été inscrite dans la nouvelle constitution tunisienne de 2014. En avril 2018, le parlement a adopté le code des collectivités locales et les premières élections municipales libres et démocratiques ont eu lieu le 6 mai 2018. Les conseils municipaux ont été élus pour cinq ans et ils ne sont donc pas concernés par les élections législatives et présidentielles qui se tiendront à la fin de cette année. Fiscalement, les communes tunisiennes sont partiellement autonomes: elles se financent en prélevant certains impôts, comme les taxes locatives et celles sur les terrains non bâtis, et en recevant des transferts de fonds de l’Etat. «Mais nous comptons avoir plus d’autonomie fiscale dans les années à venir», précisent les maires.

«Le code des collectivités locales n’est que le premier pas sur le chemin de la décentralisation. Une trentaine d’actes législatifs sont en cours de préparation pour le mettre en œuvre et transférer les compétences au niveau local. Nous ne sommes pas ici pour copier le modèle suisse, mais pour nous en inspirer dans notre transition démocratique», nous confie Faouzi Boussoffara, maire adjoint de Djerba Houmek Souk.

 « Processus irréversible », malgré la difficulté de faire participer la population

Son principal souci, c’est la gestion de l’énorme masse de déchets produits par le million de touristes qui visitent l’île de Djerba chaque année. «C’est un sujet de discorde, reconnaît-il. Il n’y a pas de solidarité au niveau du gouvernorat. On se dirige donc vers une structure intercommunale de gestion des déchets avec les trois communes de l’île à laquelle participeront es structures professionnelles, patronales et syndicales et les autres composantes de la société civile – une première en Tunisie.» Un souci largement partagé par les autres maires présents, très intéressés par la gestion des ordures en Suisse, où elle est du ressort des communes.

«Votre expérience de la démocratie directe est très jolie, mais notre problème, c’est le manque d’habitude des citoyens à participer à la prise de décisions, s’exclame Imen Sahnoun, maire adjointe de Al Ain, dans le gouvernorat de Sfax. Les citoyens sont réticents à participer aux élections. Le taux de participation est à peine de 30%. Dans les conseils municipaux, ils ne s’impliquent pas, même pour soutenir les élus. Quelle stratégie de communication adoptez-vous pour avoir des citoyens aussi avertis ?»

François Bellanger concède qu’en Suisse aussi, la participation aux élections tourne autour de 30 – 40%. «Mais ceux qui n’ont pas voté acceptent les décisions de la majorité. C’est la pratique qui va amener la participation démocratique, avec des débats dans les associations, les médias, en groupe… La liberté d’expression est le bien le plus précieux.»

Malgré tout, Imen Sahnoun est optimiste : «Le transfert de compétences vers les communes va se faire progressivement, mais rapidement. L’être humain aime le pouvoir, mais au niveau du gouvernement, ils n’ont pas d’autre choix que de décentraliser. C’est un processus irréversible. On sent une volonté de faire échouer cette tentative, mais nous avons une société civile extraordinaire qui travaille sur le terrain, observe, dérange. Et qui devient de plus en plus forte depuis la révolution.»

Maroua Dridi qui, à 26 ans, est la plus jeune maire de Tunisie, espère nouer des partenariats avec des communes suisses, comme cela a déjà été fait avec des communes françaises.

Dans une analyse qui vient de paraître, l’International Crisis Group relève que le processus de décentralisation tunisien est de plus en plus clivant. Vu l’austérité budgétaire, il appelle les bailleurs internationaux à augmenter leur soutien. A partir de 2021, la Direction du développement et de la coopération (DDC, coopération suisse) prévoit d’augmenter son soutien au processus de décentralisation en Tunisie.


Cet article a d’abord été publié par Swissinfo

Les Tunisiens pressés comme des citrons

Photo: Marché de Halfaouine, Tunis
© Isolda Agazzi

Un expert de l’ONU vient de tirer la sonnette d’alarme au Conseil des droits de l’homme : le programme d’austérité imposé à la Tunisie n’est pas compatible avec le respect des droits économiques, sociaux et culturels. A terme, il pourrait même déstabiliser le pays.

Début janvier, c’est par d’importantes manifestations de rue que les Tunisiens ont marqué le septième anniversaire de la révolution qui, le 14 janvier 2011, avait chassé le dictateur Zine El Abidine Ben Ali. Ils protestaient contre une inflation à 6,9% et l’adoption de la Loi de finances. Pour réduire le déficit budgétaire, celle-ci prévoit d’augmenter la TVA de 1% et le prix du pétrole, du diesel et du gaz, largement utilisés pour la cuisine et le chauffage dans cet hiver glacial, de 4% – pour la deuxième fois en six mois.

Aujourd’hui, les Tunisiens viennent de recevoir un appui de taille : l’expert indépendant de l’ONU sur les effets de la dette extérieure, Juan Pablo Bohoslavsky, a présenté au Conseil des droits de l’homme de Genève un rapport qui remet les pendules à l’heure. Il rappelle que les mesures d’austérité qui limitent la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels ne doivent être imposées que si elles sont inévitables, proportionnelles et nécessaires et rester en place aussi peu de temps que possible. Ce qui n’est visiblement pas le cas des conditionnalités imposées par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale à la Tunisie.

Le tableau est sombre. Si les libertés ont fait des progrès spectaculaires depuis la révolution, il n’en va pas de même des indicateurs macro-économiques, tous dans le rouge à cause d’un contexte économique défavorable et de la chute brutale du tourisme depuis les attentats de 2015. La croissance stagne à 2% – elle était de 4,5% durant les cinq années précédant la révolution, mais sa répartition très inégale a contribué à mettre le feu aux poudres. Le taux de chômage est de 15,5%, avec des taux beaucoup plus élevés chez les diplômés chômeurs, en raison d’un système qui favorise les études universitaires au détriment des emplois manuels et de l’apprentissage, peu valorisé. Le déficit budgétaire est de 6% et la dette extérieure est devenue complètement incontrôlable, avoisinant les 80% du PIB – ce que la dévaluation du dinar tunisien (DT) préconisée par le FMI n’a fait qu’empirer. Le service de la dette, à savoir le simple paiement des intérêts, est devenu insoutenable. L’expert indépendant appelle les créanciers internationaux à la soulager.

Programme de réformes économiques draconien

Pour essayer de remonter la pente, le gouvernement a emprunté 4,6 milliards USD au FMI. En contrepartie, il a dû se serrer la ceinture : gel des salaires des fonctionnaires et réduction de leur nombre, ce qui va faire augmenter le chômage, alors même qu’il n’est pas prouvé que ce genre de mesures relance la croissance économique. Les personnes à bas et moyen revenu vont être taxées davantage, tandis que les hauts revenus (plus de 50’000 DT[1] par an) vont continuer à payer 35% d’impôts. Mais 30% de l’économie a lieu dans le secteur informel et n’est pas taxée du tout et la moitié des entrepreneurs et des professions libérales échappent aussi à l’impôt. L’imposition des entreprises a tellement baissé qu’elle ne contribue plus qu’à 11% du revenu fiscal. Avec la libéralisation du commerce, les droits de douane ne représentent plus que 8% des taxes indirectes, alors que la TVA a explosé. Problème : elle est très inégalitaire car elle s’applique à tout le monde, indépendamment du revenu.

Le programme de réformes économiques imposé par le FMI prévoit aussi une réduction des subventions à l’énergie, au transport et à l’alimentation. Or l’expert fait remarquer que l’augmentation du prix de l’électricité et la suppression d’autres subventions aux carburants feraient augmenter la pauvreté de 2,5%. Il s’inquiète aussi de l’augmentation des prix des biens de première nécessité : 8,3% pour la nourriture; 4,3% pour l’eau, l’électricité et le gaz ; 6% pour le transport et l’habillement

Associer davantage le parlement et les citoyens

Le premier remède préconisé par Juan Pablo Bohoslavsky est de s’attaquer à la corruption, qui aurait même augmenté depuis la chute de Ben Ali, malgré les efforts du gouvernement. Quant à son corollaire, l’évasion fiscale et les flux financiers illicites vers les pays étrangers, ils coûteraient 2 milliards USD par an à la Tunisie. En ce qui concerne les 42 milliards USD détournés par Ben Ali et son clan, seule une infime partie a été récupérée : 28 millions du Liban et un peu plus de 4 millions de Suisse, où quelques 56 millions restent encore gelés.

L’expert indépendant soutient les propositions du parlement tunisien de procéder à un audit de la dette publique pour déterminer les responsabilités des bailleurs étrangers qui ont soutenu le régime de Ben Ali. Il demande d’inclure davantage le parlement et la société civile dans la mise sur pied de programmes de réformes économiques d’envergure, avant de contracter des prêts. Il exhorte le gouvernement et les institutions financières internationales à revoir le programme d’ajustement structurel pour s’assurer que, s’il est absolument nécessaire, il soit réparti équitablement et non enduré seulement par les plus faibles. Il réclame une analyse d’impact sur les droits humains avant toute réforme économique majeure. Car les dernières mesures d’ajustement pourraient non seulement mettre à mal la croissance économique, mais aussi menacer la paix et la stabilité de la Tunisie.

 

[1] 1 CHF = 2,5 DT