Village de Chenini © Isolda Agazzi
Destination Dahar, un projet de tourisme alternatif développé dans le Sud tunisien par une fédération d’acteurs locaux soutenue par la Suisse, vise à valoriser une région méconnue, berceau de la civilisation berbère. Avec, à la clé, le premier itinéraire de randonnée du pays
Les voutes ocre et rose de Ksar Hallouf se dressent dans la lumière cristalline du matin, silhouettes élancées sur fond de ciel bleu électrique. Construits sur les hauteurs, à l’entrée des vallées, ces greniers de montagne servaient à conserver précieusement le blé et autres céréales. Dans les collines arides du sud de la Tunisie, les Amazigh – aussi connus sous le nom de Berbères – allaient se lover dans l’antre de la terre pour construire des maisons, des greniers, des lieux de culte et des huileries. C’est toute une culture troglodytique d’inspiration fœtale qui s’est développée dans ces régions reculées où les femmes, dit-on, avaient le pouvoir.
Aux pieds des anciens greniers, dans l’oasis de montagne de Ksar Hallouf, Nasser avait d’abord pensé à émigrer, découragé par la dureté de la vie dans ces reliefs dessinés par les vents, où les habitants doivent se contenter d’un peu d’agriculture et d’élevage s’ils ne vont pas chercher fortune en ville ou à l’étranger.
Jusqu’à ce que son chemin croise celui de la Fédération Tourisme Authentique Destination Dahar (FTADD), une petite structure dont les adhérents – gîtes, musées, hôtels, guides de montagne – se sont rassemblés autour d’une identité territoriale pour lancer un projet de tourisme durable : Destination Dahar. Hedi Kallali, le directeur exécutif, détaille le projet : valorisation de la culture amazighe, des sites géologiques, de la randonnée et, à l’avenir, développement de l’astro-tourisme vu que, dans ces cieux éthérés, l’absence de pollution lumineuse permet presque de toucher les étoiles.

Société civile amazighe structurée depuis la révolution de 2011
« Depuis que j’ai ouvert Dar Sana, un petit gîte de cinq chambres, j’ai abandonné mes projets d’émigration, je reçois beaucoup de clients et j’ai même été contacté par le principal tour opérateur de Tunisie », raconte fièrement Nasser. Il faut dire que les maisons troglodytiques, avec leurs tapis kilims colorés, leur décoration traditionnelle et une température constante de 22 degrés toute l’année, sont particulièrement accueillantes.
Dans le petit village de Chenini, construit sur six niveaux, une soixantaine de familles amazigh sont restées envers et contre tout. « Habib Bourguiba, le premier président de la Tunisie indépendante, a essayé de les faire partir car il voulait construire une unité nationale et était opposé à l’esprit tribal, mais les habitants ont refusé », nous explique Dabbabi Mohamed Sadok, le président de la FTADD.
C’est surtout après la révolution de 2011 que la société civile amazigh s’est structurée – aujourd’hui elle compte douze associations. Même si leur marge de manœuvre reste limitée, les Amazigh sont autorisés à organiser des activités culturelles et à parler leur langue, mais celle-ci n’est pas reconnue officiellement et n’est pas enseignée dans les écoles, ni utilisée à la radio et à la télévision comme en Algérie et au Maroc. « Je suis pour défendre la culture berbère qui précédait l’arrivée des Arabes en Tunisie, mais en tant que patrimoine, pas comme revendication ethnique ou politique », souligne le président de la Fédération.

La Grande Traversée du Dahar, premier itinéraire de randonnée en Tunisie
« Notre architecture amazighe est menacée d’extinction. » Avec sa pancarte, Gahaki Jallou, le fondateur de l’Association tunisienne pour la culture amazighe, est venu perturber gentiment la cérémonie d’inauguration de la Grande Traversée du Dahar. Le premier itinéraire de randonnée de Tunisie permet de parcourir 194 km sur douze étapes en dormant chez l’habitant, dans des maisons troglodytiques ou pas. La FTADD a élaboré un guide de voyage et un topoguide, formé 26 guides de montagne et commencé à commercialiser le produit en Tunisie et à l’étranger. Le ministre du Tourisme, Mohamed Belhassine, était venu en personne saluer « le tourisme non conventionnel, alternatif et pluriel de la Tunisie ».
Selon Gahaki Jallou, cette forme de tourisme permet de combler au moins en partie les carences de l’Etat : « J’ai créé cette association en 2011 pour défendre l’identité amazighe, qui est menacée dans notre pays et a été marginalisée tout au long de l’histoire. Notre langue est encore parlée dans treize villages, mais nous ne recevons aucune aide et elle risque de disparaître. Nous ne savons même pas combien d’Amazigh il y a en Tunisie car les statistiques ethniques sont interdites et la population est très mélangée », souligne-t-il.

Synagogue, église, mosquée ou les trois ?
Un mélange qui est le fruit de l’histoire. Est-ce une synagogue, une église ou une mosquée ? Difficile d’identifier ce lieu de culte creusé dans la roche, où sont gravés les symboles des trois religions – les Juifs sont restés jusqu’à l’arrivée de l’armée allemande en 1941, qui avait planté une garnison tout près du village de Zammour. « Le Dahar marquait la frontière de l’empire romain, il était au carrefour des civilisations, sur la route des caravanes qui amenaient du sel au Mali et en ramenaient des esclaves pour les vendre au marché de Gabès, raconte Jalel, guide et gérant de la maison d’hôte Dar Ennaïm à Zammour, nous faisant découvrir cet endroit mystérieux. Il y a de nombreux lieux comme celui-ci dans la région, même une université souterraine, dit-on. Les Amazigh avaient construit des systèmes ingénieux d’adduction d’eau et ils faisaient de la biodynamie, l’agriculture inspirée par les étoiles que les Tunisiens pratiquent encore aujourd’hui. »

« Le projet Dahar peut nous aider, même si nous sommes un produit touristique »
Rabbeb Benkraiem, la maire de Matmata, petite ville toute proche, est confiante : « Nous voulons valoriser notre patrimoine car nous avons beaucoup de sites intéressants et des maisons troglodytiques. Mais malheureusement aussi de nombreux chômeurs car la région est peu fertile et notre économie repose essentiellement sur le tourisme. »
L’un des lieux les plus spectaculaire de Matmata est la madrasa Sidi Moussa Joumani, fondée en 1755, qui a été le premier centre d’enseignement dans le Dahar. A la base c’était une école coranique de rite malékite (une interprétation souple de l’Islam), mais elle dispensait aussi toutes sortes de disciplines, surtout scientifiques, et a fonctionné jusqu’aux premières années de la présidence de Bourguiba, qui l’a fait fermer car il était opposé aux écoles coraniques. Pendant 200 ans elle a rayonné sur le sud et a reçu des étudiants de tout le monde musulman.
« Le projet Dahar peut nous aider, même si nous sommes utilisés comme produit touristique, car les investisseurs sont obligés de sauvegarder notre patrimoine », conclut avec pragmatisme le président de l’Association tunisienne pour la culture amazighe. Réaliste et rêveur à la fois, à l’image du drapeau amazigh : enraciné dans la terre, la tête tournée vers le ciel.
Un projet soutenu par la Suisse
« Faire de la randonnée, c’est très suisse », déclarait Willi Graf, représentant en Tunisie de la Coopération suisse, le principal bailleur de fonds de Destination Dahar, lors de l’inauguration du circuit de randonnée. « En randonnant on fait des étapes et à chaque étape on apprend : dans les madrasas, on apprend le respect des cultures. Dans les gîtes, on découvre l’hospitalité. Et les gens qui vivent le long des étapes apprennent qu’ils ont intérêt à coopérer. » Il ajoute que le but du projet est de développer des circuits touristiques hors des sentiers battus, ou en complément de ceux-ci – le Dahar est à trois heures de Djerba – pour aider au développement des zones excentrées et marginalisées et créer des emplois. La contribution suisse est mise en œuvre par la Fondation Swisscontact.
Ce reportage a été publié dans Le Courrier. Il a été réalisé dans le cadre d’un voyage de presse organisé par l’Office National du Tourisme Tunisien (ONTT)
Bel article, instructif, qui donne envie de découvrir cette région de la Tunisie.
Caroline van Aartrijk
Bonjour
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Bonjour, je vous conseille de contacter Jalel, le gérant de Dar Ennaïm à Zammour. Il est aussi guide touristique et connaît très bien la région