Les dérives bellicistes du social-nationalisme

Lors d’un débat télévisé, Emmanuel Macron s’est récemment réapproprié la phrase « le nationalisme, c’est la guerre ». De fait, elle est signée François Mitterrand qui, lors de sa dernière grande intervention comme Président de la République française, n’hésita pas à déclarer devant les parlementaires européens, réunis à Strasbourg le 17 janvier 1995 ce que je vous demande là est presque impossible, car il faut vaincre notre histoire et pourtant si on ne la vainc pas, il faut savoir qu’une règle s’imposera, mesdames et messieurs : le nationalisme, c’est la guerre ! La guerre ce n’est pas seulement le passé, c’est peut-être notre avenir, et c’est vous, mesdames et messieurs les députés, qui êtes désormais les gardiens de notre paix, de notre sécurité et de cet avenir.
Réapparue au-devant de la scène politique vingt-deux ans après avoir été prononcée la première fois, cette citation n’a pas perdu de son actualité. Aujourd’hui, la guerre connaît de nouveaux champs de bataille, ayant délaissé les terres Srebrenica au détriment de celles de l’Ukraine, du Caucase et de la Syrie. Mais la menace persiste, pire elle évolue à l’heure où le terrorisme frappe à nos portes. Et si comme en 1995, nous n’arrivons toujours pas à vaincre notre histoire, une règle s’imposera, mesdames, messieurs, le nationalisme, c’est la guerre…!
Au-delà de toutes les fausses analogies et de tous les recoupements de circonstance, comment néanmoins ne pas rester muet devant les réactions des uns et des autres ? De ceux qui, au nom de leur idéologie, préfèrent nier la vérité, marivauder avec les maîtres du Kremlin, sinon apporter quelque crédit à ceux pour qui l’arme chimique ferait dorénavant partie de leur arsenal afin de tuer à qui mieux mieux femmes, hommes et enfants ? Qu’on les retrouve à l’extrême droite de l’échiquier politique, soit. Cela n’a pas de quoi trop surprendre. Qu’en revanche, de telles personnes se situent à gauche a de quoi révolter toutes celles et ceux qui prêtent à cette famille politique, et plus qu’à nulle autre, une part d’humanisme et de grandeur d’esprit qui sont en train de se noyer dans les eaux usées d’un néo-communisme doctrinaire et profondément ringard.
Qu’une péripétie bolivarienne vienne étayer la polémique n’est que pure anecdote. Car la substance de leur pensée se trouve depuis près de vingt-cinq ans, soit depuis le traité de Maastricht, dans le refus de l’Europe. Non que l’UE soit exempte de tout reproche. Non qu’elle ait épousé à tort des schémas idéologiques trop néolibéraux, non qu’elle ait failli là où elle aurait dû se montrer plus entreprenante et plus sociale. Sauf que l’Union européenne, c’est mieux que tout le reste. C’est surtout mieux que le nationalisme. Et plus encore, c’est la seule réponse crédible au nationalisme.
Beaucoup ne le comprennent pas ou ne veulent pas le comprendre. Ils se réfugient alors dans un verbiage apostrophé gentiment de souverainiste qui, de fait, n’est que la traduction d’une incapacité à comprendre qu’aucune nation du vieux continent n’est aujourd’hui capable de faire face aux dangers que les ennemis de la liberté veulent faire peser sur l’Europe. Tout ne serait alors que souverain, que purement national, comme si de rien n’était. Comme si le modèle social d’un seul et même pays, même miné par la persistance d’un chômage touchant près de 10% de sa population active, pouvait encore servir d’exemple. Ce n’est là que l’aveu d’un terrible échec, d’un échec si terrible que l’Europe, une fois de plus acculée dans son rôle de bouc-émissaire, leur sert d’échappatoire vers une pensée qu’il faut bien qualifier de « social-nationaliste » ; toutefois à ne pas confondre avec le « national-socialisme ».
Les défenseurs de ce « social-nationalisme » demeurent profondément ancrés à gauche. Ils en sont même des représentants loyaux et sincères. Sauf qu’ils ont laissé leur « internationale » au fond d’un placard ; et qu’ils ne comprennent plus que « les damnés de la terre » sont souvent les réfugiés et les migrants de ces mêmes dictatures que parfois ils oublient de pourfendre. C’est triste, profondément triste, car mesdames, messieurs, si vous continuez comme ça, en ne condamnant que l’Europe, en croyant que seul votre modèle social, parfois au bord de la rupture, vous sauvera, une règle s’imposera…, le nationalisme, c’est la guerre…!

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.