Ni pour, ni contre, bien au contraire

Je conseille à celles et ceux qui jugent inutile l’apprentissage du latin et du grec d’aller faire un tour sur les réseaux sociaux. Chaque jour, on y constate que connaître les origines des mots éviterait (peut-être) une ribambelle de commentaires oiseux. J’en veux pour illustration ce commentaire d’un utilisateur de Facebook: “Ceux qui votent non ne sont pas forcément homophobes. Faut arrêter l’étiquetage de ceux qui sont contre l’homosexualité”. En passant, je remercie le journaliste David Lemos d’avoir signalé cette perle sur son compte Twitter.

Au premier abord, ce commentaire m’évoque le célèbre “je ne suis pas raciste, mais”… En le lisant plus attentivement, et sans partager pour autant la position de son auteur, je me demande s’il n’est pas, tout simplement, dû à son ignorance et au poids du suffixe -phobe dans l’inconscient collectif.

Tout ça à cause d’un mot grec: Phobia (φ ο β ι α), “peur morbide, crainte” qui a contribué à forger un très large champ de dérivés qui s’empilent du côté de la psychologie et de la psychopathologie. Je postule que c’est cette histoire évoquant divers troubles mentaux qui fait qu’on ne veut surtout pas être taxé de phobique de quelque chose.

– phobe, la gloire d’un suffixe

À ce stade de ma réflexion, ayant égaré mon Dictionnaire historique de la langue française derrière plusieurs couches de romans policiers (j’en ai honte, mais c’est vrai), j’ouvre un autre trésor, inépuisable et en ligne, celui du Centre national des ressource textuelles et lexicales (CNRTL) que tout obsédé-e textuel-le devrait connaître (pour le graphisme, en revanche, on repassera).

Le CNRTL m’apprend donc ceci: I. − -phobe. [Exprime l’aversion instinctive, l’hostilité irraisonnée ou parfois l’absence d’affinité vis-à-vis de qqn ou de qqc.; les mots constr. sont des adj. et des subst.]

A. − [Le 1erélém. désigne une pers. ou un groupe de pers.] V. anglophobe, germanophobe, judéophobe (s.v. judéo- II), xénophobe
C’est donc à cette première catégorie de phobiques que l’on peut rattacher notre commentateur qui est “contre l’homosexualité” mais “n’est pas forcément homophobe”. Un peu comme un Monsieur Jourdain qui refuserait d’admettre qu’il parle en prose.

Bibliophobique, ça existe

Un dictionnaire est un monde en soi. Il y a de quoi s’y perdre et la page du CNRTL n’échappe pas à cette règle. En poursuivant notre lecture, on quitte le registre des haines de personnes ou de groupes de personnes pour arriver dans le vaste royaume des choses et des objets:
B. − [Le 1erélém. désigne qqc.] V. claustrophobe, hydrophobe (…).
Il s’ensuit une longue liste de choses dont on peut avoir une peur ou une haine irraisonnée. Puisque l’on peut être bibliophile (aimer les livres), on peut également découvrir, à l’inverse, des êtres bibliophobes. Heureusement, cette forme de haine doit être peu répandue, car mon correcteur orthographique le souligne en rouge et me propose, à la place… son antonyme! J’espère surtout que cette maladie rare se soigne.

Peur des épingles

Quant à moi, j’ai enrichi mon vocabulaire avec les mots suivants, dont certains auraient pu figurer dans le répertoire d’insultes du capitaine Haddock: la bélénophobie désignant la peur des épingles et l’éreuthophobie, la crainte obsessionnelle de rougir. Quant à la téléphonophobie, elle me semble beaucoup moins répande que la téléphonophilie…
Tout cela n’est peut-être que marotte de philologue. Mais si j’ai pu amener quelques phobologues à lire ce billet, j’en rougirai de plaisir, sans fausse éreuthophobie.
Source: https://www.cnrtl.fr/definition/-phobe

Emmanuelle Robert

Après des études de lettres et un parcours de journaliste, Emmanuelle Robert a travaillé dans la coopération au développement. Active dans la communication (le jour), elle écrit (la nuit) et est l'auteure de Malatraix (Slatkine, Genève, 2021). Elle est aussi coach professionnelle et amatrice de course à pied.

5 réponses à “Ni pour, ni contre, bien au contraire

  1. “Phobies.”

    “A un niveau plus quotidien, je suis frappé depuis quelques années par l’opération de médicalisation systématique dont sont l’objet tous ceux qui ne pensent pas dans la juste ligne : on les taxe de “phobie”. Et personne n’ose seulement délégitimer cette expression en la problématisant (c’est-à-dire en disant ce que devrait se dire à tout propos un intellectuel : “qu’est-ce que, au fait, ça signifie ?”) Il y a maintenant des phobes pour tout, des homophobes, des gynophobes (encore appelés machistes ou sexistes), des europhobes etc … Une phobie, c’est une névrose : est-ce qu’on va discuter, débattre, avec un névrosé au dernier degré ? Non, on va l’envoyer se faire soigner, on va le fourrer à l’asile, on va le mettre en cage. Dans la cage aux phobes.”

    Philippe Muray (Exorcismes spirituels)

  2. Si je comprends bien votre texte, être contre l’homosexualité relève de “l’aversion instinctive, l’hostilité irraisonnée ou parfois l’absence d’affinité”.
    Or “être contre l’homosexualité” relève d’une attitude raisonnées basée sur des règles et une analyse de la situation.
    On peut être d’accord ou pas, mais compte tenu de votre analyse, considérer l’opposition à l’homosexualité comme de l’homophobie est totalement infondé.

    1. Rappel utile:
      Code pénal Art. 261bis 282

      Quiconque, publiquement, incite à la haine ou à la discrimination en­vers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse ou de leur orientation sexuelle,

      quiconque, publiquement, propage une idéologie visant à rabaisser ou à dénigrer de façon systématique cette personne ou ce groupe de per­sonnes,

      quiconque, dans le même dessein, organise ou encourage des actions de propagande ou y prend part,

      quiconque publiquement, par la parole, l’écriture, l’image, le geste, par des voies de fait ou de toute autre manière, abaisse ou discrimine d’une façon qui porte atteinte à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse ou de leur orientation sexuelle ou qui, pour la même raison, nie, minimise grossièrement ou cherche à justifier un génocide ou d’autres crimes contre l’humanité,

      quiconque refuse à une personne ou à un groupe de personnes, en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse ou de leur orien­tation sexuelle, une prestation destinée à l’usage public,

      est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

      282 Introduit par l’art. 1 de la LF du 18 juin 1993 (RO 1994 2887; FF 1992 III 265). Nouvelle teneur selon le ch. I 1 de la LF du 14 déc. 2018 (Discrimination et incitation à la haine en raison de l’orientation sexuelle), en vigueur depuis le 1er juil. 2020 (RO 2020 1609; FF 2018 3897 5327).

      https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/54/757_781_799/fr#a261bis

  3. Puisque vous aimez les citations, en voici une tirée de Wikipedia: https://fr.wikipedia.org/wiki/Homophobie
    Polémiques sémantiques et critiques du terme

    D’après l’Encyclopædia Britannica, bien que le suffixe « phobia » se rapporte usuellement à une peur irrationnelle, l’homophobie désigne quant à elle « une attitude allant de l’aversion légère à l’exécration vis-à-vis des personnes sexuellement ou amoureusement attirées par les individus de leur propre sexe »8.

    La construction du néologisme à partir du suffixe « -phobie » est toutefois critiquée. Ainsi, pour le psychanalyste Daniel Sibony : « Homophobie, xénophobie, judéophobie… autant de mots détournés de leur sens. Ne pas aimer n’est pas phobie » ; pour lui, les résultats de « cet interdit » en détournant sa compréhension sont « presque contraires à ce qu’on attend »9.

    La juriste Anne-Marie Le Pourhiet a analysé la tendance de certains à « qualifier de “phobie” (homophobie, lesbophobie, handiphobie, islamophobie, judéophobie, mélanophobie, etc.) toute expression d’une opinion contraire à leurs prétentions ou revendications. […] On comprend bien qu’il s’agit de traiter le dissident en malade dont l’accompagnement psychiatrique devrait sans doute être recommandé en parallèle à la répression pénale »10

    Philippe Muray, dans son livre Exercices spirituels, tome 3, note également : « Je suis frappé depuis quelques années par l’opération de médicalisation systématique dont sont l’objet tous ceux qui ne pensent pas dans la juste ligne : on les taxe de phobie ». Évoquant la mode contemporaine des phobies à combattre, il parle de « cage aux phobes »11, calembour en référence au film La cage aux folles.

    En terme d’étymologie, c’est probablement la définition en psychiatrie (telle que rapportée dans
    https://www.toupie.org/Dictionnaire/Homophobie.htm) qui s’en rapproche le plus: “En psychiatrie, l’homophobie est une peur morbide des personnes du même sexe.”

    De mon point de vue, l’erreur de votre texte a été de tenter d’utiliser une étymologie dont le mot s’est écarté pour dénigrer l’opinion d’une personne qui pense pouvoir être contre l’homosexualité sans être homophobe.
    Le terme “homophobie” s’écarte de l’étymologie sur au moins deux points:
    – on a une dérive de la peur irraisonnée à l’hostilité
    – par un raccourci, on sous-entends un “sexu….” mal défini.
    Il est donc difficile de savoir ce que l’inconscient collectif perçoit sous ce terme.
    Est-ce qu’il concerne seulement les personnes homosexuelles, ou aussi le concept d’homosexualité?

    Un vrai débat serait sur la question: “Peut on être contre l’homosexualité tout en étant respectueux et bienveillant envers les personnes homosexuelles?”.
    Il appartient aux personnes qui en sont convaincues de le prouver; et aux autres de les laisser s’exprimer.

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