Une orchidée qui ne révèle que le rétinacle
Quel que soit votre genre, en prenant connaissance du travail effectué par la romancière Douna Loup et l’illustratrice Justine Saint-Lô, vous découvrirez probablement des choses que vous ignorez sur un organe qui demeure généralement caché : le clitoris. La bande dessinée imaginée par les deux jeunes femmes raconte, avec talent et délicatesse, l’enquête sociale menée par Pulchérie qui, à 35 ans, découvre que le clitoris est une belle orchidée dont on n’aperçoit que le rétinacle. En effet, cette perle du plaisir n’est pas qu’un petit bouton très innervé. C’est une grande fleur qui s’épanouit à l’intérieur du corps et qui mesure dix centimètres en moyenne. Interpellée par cette donnée anatomique qu’elle ne soupçonnait pas, Pulchérie se met en orbite autour de cette planète de chair et de ravissement en se posant plein de questions. Elle entame ainsi une révolution qui déteindra sur celles et ceux qui l’entourent. Par quel étrange tour de passe-passe cet organe central de la jouissance a disparu des atlas d’anatomie ? Comment se fait-il qu’il ait fallu autant de temps pour qu’il réapparaisse dans l’imaginaire collectif ?
Une enquête à travers l’histoire
L’Affaire Clitoris est une enquête menée avec beaucoup de curiosité à travers les pages de l’Histoire. L’on apprend, par exemple, qu’en l’an – 540 av. J.-C le poète grec Hipponax évoquait déjà le clitoris en l’appelant myrton, ce qui signifie baie du myrte. Où, qu’à partir de 1830 et jusqu’en 1960 environ – c’est-à-dire à peine hier pour les plus âgés d’entre nous, – dans les pays protestants (Allemagne, États-Unis, Royaume-Uni…) certains médecins, inspirés par une prohibition morale, pratiquaient l’excision. Cette mutilation était infligée pour soigner les glands du clitoris trop proéminents, pour mettre un terme aux pratiques masturbatoires, jugées déviantes, pour lutter contre la lascivité, la nymphomanie ou l’hystérie. Bref, en Occident aussi l’excision s’est pratiquée pour remettre les femmes sur le droit chemin du non-désir et de la chasteté.
Ce récit nous enseigne comment, suivant les époques, l’on a considéré la femme soit comme une créature exagérément lubrique – une impudique tentatrice incapable de retenir ses pulsions, une Eve croqueuse de « pommes » toujours prête à damner les hommes – ou alors, plus récémment, à partir du 19ème siècle, comme un être frigide, désintéressé par les affaires de sexe et de coït, le contraire étant considéré comme anormal. Cependant, il semble évident qu’en occultant de quelle manière le clitoris peut donner du plaisir, qu’en considérant ce plaisir, si par hasard il se manifestait, comme une anomalie ou une chose sale qui mérite punition, il est normal que les femmes se soient désintéressées de la sexualité.
Une BD pour les 12 à 112 ans
Les dessins légers et délicats, exempts de vulgarité, de l’illustratrice Justine Saint-Lô, et le texte sobre, clair et documenté de Douna Loup, mettent poétiquement ce récit à la portée de tous et de toutes. Aux enfants, ils peuvent apprendre l’anatomie de la femme cisgenre. Aux adultes qui ont un lien avec le clitoris, que ce soit parce qu’elles en possèdent un, ou parce ou qu’ils voudraient lui faire plaisir, ils peuvent enseigner comment l’appréhender pour le satisfaire. Une bande dessinée pleine de tact, de subtilité et d’érudition à déposer entre toutes les mains des 12 à 112 ans.
Douna Loup : l’interview
Comment l’idée de faire une bande dessinée sur l’histoire du clitoris vous est-elle venue ?
Un jour, au détour d’une conversation, j’ai découvert que le clitoris était un organe de 10 cm et non un simple petit bout de chair bien innervé. C’était en 2017, un manuel scolaire de SVT (ndlr : Sciences de la Vie et de la Terre) représentait pour la première fois ledit organe en entier. Ça a été un gros choc dans ma tête, un choc de toutes les représentations erronées que je m’étais faites. De nouvelles perspectives se sont mises à cheminer en moi, des questions. Pour moi ça été du même ordre que si j’avais toujours pensé que la terre était plate et que je venais d’apprendre qu’elle était ronde. C’était une sorte de révolution dans mon esprit.
Comme j’écris des livres, je me suis assez vite dit que c’était un sujet dont je voulais absolument parler, je découvrais cette zone d’ombres et de méconnaissances et je voulais participer à la mise en lumière ! Mais je ne me voyais pas écrire un roman sur le sujet (bien que finalement dans mes deux derniers romans je parle du clitoris, je n’ai pas pu m’en empêcher!) je me disais que ce qui manquait c’était des représentations, des images, alors une BD me semblait toute indiquée. J’aime beaucoup la BD et c’était une belle opportunité d’essayer ce nouveau territoire, ayant écrit du théâtre, cela me rassurait pour les parties dialoguées ! Mais c’était quand même toute une aventure nouvelle.
De savoir comment laisser de la place au dessin, ne pas tout dire par les mots, être à la fois informative et documentée et laisser de la place à l’onirique, l’imaginaire, faire rire et réfléchir, j’espérais développer un projet qui parvienne à dire beaucoup en gardant de la légèreté !
Et puis je ne connaissais pas d’illustratrice de BD, mais au détour d’une librairie ou Justine Saint-Lô venait dédicacer sa BD sur les vins naturels, nous avons eu l’occasion de nous rencontrer et je lui ai parlé du projet pour lequel je cherchais une illustratrice. Elle a vite été aussi emballée que moi par le sujet que je souhaitais défendre et explorer. Justine était en train de travailler sur la BD Accouche ! le sujet du clitoris l’intéressait et nous nous sommes très vite bien entendue sur ce projet.
À ce moment-là j’avais déjà écrit une bonne partie du texte de la BD. Elle m’a fait des retours, a commencé à dessiner les premières planches et les personnages pour que nous puissions présenter le projet à ses éditrices. Le projet a été validé chez Marabulles et j’ai donc fini l’écriture du synopsis que Justine a ensuite découpé sous forme de story-board. Nous avons eu des échanges à toutes les étapes mais globalement le gros du travail d’écriture s’est fait en premier, puis le découpage et le dessin dans un deuxième temps. Notre échange a été très fluide et nous avons vite senti que nous nous étions bien trouvées et que le projet se ferait avec joie !
Avez-vous eu des difficultés pour accéder à ces informations restées longtemps cachées ou ignorées ?
J’ai eu la chance de rencontrer la chercheuse Odile Fillod qui avait rassemblé et synthétisé beaucoup de données et d’informations sur le clitoris afin de développer un modèle de clitoris reproductible avec une imprimante 3D. Sa rencontre et les ressources disponibles sur son site ont été d’une grande aide.
Avez-vous appris des choses sur vous-même en écrivant ce texte ?
J’ai découvert beaucoup de systèmes de pensées intériorisés sur la façon de me penser en tant que femme, sur la façon de penser mon corps et la sexualité, le rapport à l’autre, la honte… en échangeant avec beaucoup d’amies je me suis aperçue avec elles de beaucoup de zones d’ombres, des difficultés pour beaucoup de valider et valoriser leur propres ressentis, leurs besoins. En travaillant sur ce sujet toute la trame des dominations patriarcales bien intériorisées a fait jour, je pensais me pencher sur le corps sensible et cet organe oiseau trop méconnu, j’ai rencontré le corps politique dominé et invisibilisé, le corps psychologique honteux et/ou coupé de ses ressentis, le corps amoureux limité dans sa représentation de ce qu’est l’amour et de la norme des gestes et des pratiques qui lui sont associés, le corps sexuel, le corps animal, le corps habitude, le corps imaginaire… des tas de corps et de sujets sont venus s’inviter au fil de cette exploration. C’est difficile de résumer toutes les prises de consciences qui en découlent, mais il y a eu de façon progressive un dévoilement des rapports baignés d’hétéronormativité dans lesquels j’ai grandi et qui sont encore si prévalents dans notre société. Je me suis donc rendu compte qu’il y a encore beaucoup à faire et défaire pour que nos corps se sentent le droit à la joie et à la validation de nos ressentis, et que nos cœurs inventent d’autres histoires d’amour ou la princesse puisse par exemple embrasser la sorcière, vivre seule ou s’envoler sur le dos d’un dragon pour explorer le monde…
Comment cette BD a-t-elle été accueillie ? Vous a-t-on censurées ou avez-vous eues des remarques outrées, goguenardes ou désobligeantes ?
Pour l’instant c’est le début du partage autour de cette BD et nous n’avons pas encore beaucoup d’expériences de retours…
La question que je pose à toutes les personnes qui écrivent : à quel personnage de la littérature ou de la bande dessinée vous identifiez-vous ?
Je crois que je m’identifie plutôt à l’écrivain.e qu’à ses personnages…
Biographies :
Douna Loup
Née à Genève le 23 mai 1982 de parents marionnettistes, Douna Loup a grandi en France, dans la Drôme. À l’âge de 18 ans, elle voyage en Afrique où elle passe plusieurs mois à Madagascar à faire du bénévolat dans un orphelinat. Douna Loup aime écrire pour sonder son monde intérieur et se lancer dans le vaste extérieur. Elle a publié son premier roman, L’embrasure, et quelques autres au Mercure de France. Puis sont parus aux éditions Zoé, Déployer et Les printemps sauvages, une ode impétueuse et solaire à la liberté. Toujours en quêtes de mouvements et de renouveau, elle écrit pour le théâtre, la danse, les marionnettes. A présent, elle est ravie de se mettre à la BD grâce au clitoris.
Justine St-Lô
Justine Saint-Lô, née le 7 juillet 1990 à Créances dans la Manche, est une illustratrice française de bande dessinée. Lorsqu’un sujet l’intéresse, elle va à la rencontre des gens et dessine ses découvertes d’un trait audacieux et vivant. Son crédo : connaître pour être plus libre, apprendre pour le plaisir. Après les documents graphiques Pur jus, Pur jus vinivication et Accouche ! avec Douna Loup elle lève le voile sur les pouvoirs et mystères du clitoris. Elle vit entre Angers et Poitiers dans un collectif peuplé d’artistes et d’artisans voyageurs avec qui elle a choisi de mener une vie alternative.
Sources :
- L’affaire clitoris, Douna Loup & Justine Saint-Lô, Marabulles
- Douna Loup, autrice

De toujours, les sempiternelles histoires de cocuages s’emparent des arts, aussi bien de la littérature que du théâtre, du cinéma, de la peinture et j’en passe… Un thème assaisonné à toutes les sauces : de la comédie à la tragédie, de l’innocence à la perversion. Un sujet repris par l’auteure de romans noirs Marie Neuser dans « Délicieuse ». Un récit qui, à sa parution, connut un joli succès. Je l’ai lu à ce moment-là. J’avais songé à en parler dans cet espace mais je m’étais abstenue. Pourquoi ? Parce que ce livre m’avait beaucoup agacée. Parce qu’il dépeint ce que je déteste et combat : la jalousie, la possessivité, la vengeance. Parce que même si son héros est une héroïne, si on le lisait au masculin, il représenterait l’une des choses qui m’horripile le plus dans le patriarcat : considérer que l’autre nous appartient. Certes, quand le père de son fils lui annonce, après vingt ans de vie de couple, qu’il est amoureux d’une autre femme, plus jeune, plus fraîche, plus rigolote, en un mot plus délicieuse qu’elle, le trouble de Martha est typiquement féminin. Après avoir donné vingt ans de sa vie et un enfant à cet homme, il lui reproche d’être fade et fatiguée. Un coup de massue qui l’oblige à ne plus voir d’elle et de sa vie que l’image vieillissante, que le corps avachi et la monotone routine du couple dont Raph est aussi largement responsable. Une responsabilité qu’il n’assume pas, évidemment. Suite au choc causé par cette nouvelle, Martha tente de régater avec la belle jeunesse de l’amante ; met tout en œuvre pour récupérer « son homme ». Peine perdue.
L’an passé, entre deux confinements, Jean-Luc Fornelli a publié Les Aigrettes, journal d’un poète givré même l’été, aux 
En été 2006, l’auteure subit un deuil 
Après un brillant parcours universitaire, en tant que chercheur et professeur à l’Institut de sociologie de la faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université de Neuchâtel, François Hainard s’adonne au côté ludique de l’écriture. En 2017, son premier roman
Dans une campagne pas très loin de chez nous, trois personnes vivent sous le même toit, font tourner une ferme sans se soucier les unes des autres. Dans cette famille recomposée où la communication est impossible, le trio est devenu infernal et tout s’enchevêtre : les rêves brisés du quotidien, l’invisibilité de l’autre, les addictions de chacun, l’absence de distance, une démence qui conduit à l’abjection… Il y a pourtant des exutoires : le sordide de l’ordinaire se dilue dans ce qu’il peut y avoir de plus magique et de rédempteur, la musique.

Dans la mythologie et les textes fondateurs, et ce jusqu’à récemment, la stérilité était considérée comme une affaire presque exclusivement féminine. Dans mon enfance l’on disait encore « ELLE ne pouvait pas avoir d’enfant » en parlant de voisines ou de grands-tantes qui auraient désiré une grossesse à une époque où l’on ne faisait pas encore d’examens médicaux pour détecter cette problématique. De l’Antiquité et jusqu’au deux tiers du XXe siècle, on imputait la stérilité du couple aux manquements de la femme, à sa faible constitution, à sa mélancolie, à son manque de sommeil, à sa luxure, à sa maigreur ou à son obésité, mais aussi à sa laideur ou à son extrême beauté. Toutefois, il est à présent prouvé, qu’en cas d’infertilité d’un couple, les hommes en sont la cause dans 40% à 50% des cas. D’autant que la qualité du sperme est en chute libre.
Du Léman aux sommets des Alpes, de Kyoto à Zurich, de Pompéi à l’île de Pâques, Sylvie Blondel nous invite à effectuer un voyage dont la douceur et la légèreté ne sont que de trompeuses apparences. Avec un raffinement cruel
Sylvie Blondel, romancière, est née à Lausanne. Après des études de lettres modernes à l’Université de Lausanne, elle devient professeur de français au gymnase. Un parcours jalonné d’autres activités, notamment le journalisme à








Mémoire des cellules, Marc Agron, roman, éd. L’Âge d’Homme

L’Horizon et après, Bernadette Richard
Dèdè est obligé d’abandonner sa ferme dans le Jura bernois après cinquante ans de labeur. En plein hiver, il part sur les routes accompagné d’un jeune âne. Avec son équipage, il espère descendre, à pied, dans le sud de la France en s’arrêtant de ferme en ferme pour y trouver assiette et logis selon la coutume des journaliers d’autrefois. Empreint de tradition et de souvenirs bienveillants, Dèdè s’imagine que les paysans lui ouvriront leur porte comme lui-même ouvrait la sienne quand il possédait sa propre demeure. Il doit déchanter. De nos jours les campagnes se sont repliées sur elles-mêmes. A peine si on les laisse, son âne et lui, malgré une température peu clémente, s’installer sous le toit d’une remise. Ces mœurs, nouvelles et hostiles, n’améliorent guère la mélancolie et les idées suicidaires qui le rongent depuis qu’il a été contraint de se séparer de tout ce qu’il aimait : son coin de terre, ses vieux murs, ses animaux, ses livres… Il rêvait d’accueils chaleureux, d’échanges humains et de partage, il ne trouve que des visages fermés et des battants clos. Quitter cette existence, qui peu à peu anéantit ses idéaux et lui refuse tout ce qu’il aime de la vie, le hante. Tout lui est-il vraiment refusé ? Non pas tout. Deux femmes traverseront sa route. La première, une personne mariée à un homme puissant avec qui elle s’ennuie, vénère son talent d’écrivain. Elle lui offrira admiration, échanges intellectuels, luxe et volupté. La seconde, une ouvrière qui travaille dans une boulangerie industrielle, lui apportera joie et fraîcheur, une manière d’appréhender la vie au jour le jour, de croquer l’instant sans penser au lendemain. Avec Roman de Gares, Jean-Pierre Rochat nous emmène dans le passé de Dèdè, dans la nostalgie du partage traditionnel qui se pratiquait dans les milieux ruraux ainsi que dans les idéaux de mai 1968 qui ont marqué sa jeunesse. Bercé par ses illusions, la découverte des campagnes du XXIème siècle s’avérera amère. Par bonheur, l’amour et le sexe sauveront Dèdè d’une mort à laquelle il songe trop souvent.