Justice populaire et réseaux sociaux

Il a 61 ans et travaille depuis 12 ans comme chauffeur de bus pour une compagnie de Seattle. Et l'autre jour, arrivé au bout de sa course, il tente désespérément de faire sortir un jeune de 23 ans de son véhicule. Celui-ci s’obstine à rester assis puis crache au visage du chauffeur. Alors c'est l'explosion de colère, la déferlante de coups sur le jeune homme. Le tout est filmé par la caméra de surveillance du véhicule puis diffusé sur le web par différents canaux, créant le buzz sur les médias en ligne. Jusqu’en Angleterre ou en Suisse, par exemple. Le chauffeur est viré.

Vous me direz qu’il s’agit d’un fait divers comme un autre, d’une scène urbaine désormais courante à notre époque où l’incivilité règne. Voilà pour le discours stérile pointant le malaise d’une société en mal de valeurs et d’éducation!

Dans ce cas comme dans d'autres, c'est le rôle de l'image et des médias en ligne qui m'interpelle. L’employeur avait-il le choix de ne pas licencier son collaborateur, alors que la vidéo de son pétage de plombs faisait le tour de la planète? Aurait-il pu envisager une sanction interne – par respect pour les années de bons services, par exemple – sans se préoccuper des réactions prévisibles de la communauté en ligne? Autrement dit, combien pèsent la fidélité et l’irréprochabilité potentielles d’un chauffeur face au risque d’image d’une entreprise?

En l'occurrence, l’irrespect des règles sociales les plus élémentaires – cracher au visage d’autrui en représente l’une des formes les plus inacceptables – ne saurait justifier les coups de poings et de pieds. On peut dès lors comprendre que le Mike Tyson de notre histoire perde son travail, car il a clairement dépassé les limites de sa fonction. 

D’autres cas de mises à l’écart successives à l’indignation populaire (en ligne) paraissent moins évidents. En cas de crise, la notion de fusible n’est pas nouvelle, mais elle semble exacerbée à l’ère numérique. Il faut agir vite, crever l’abcès en sacrifiant des têtes pour éviter la propagation des commentaires négatifs sur les réseaux sociaux, relayés par les médias de référence. Les cas de sanctions spectaculaires autant que précipitées sont multiples et touchent tous les secteurs : politique, économie, sécurité, enseignement, etc. Il y a parfois lieu de se demander si la justice populaire ne serait pas en train de faire son retour, se servant désormais de l’arme des réseaux sociaux pour éliminer ses cibles.

Daniel Herrera

Daniel Herrera a été responsable des relations publiques de Nestlé Suisse, puis DirCom de la BCV, de l’America’s Cup, de Romande Energie et de Kudelski. Il a fondé et dirigé YJOO Communications Lausanne de fin 2011 jusqu’à mai 2014 et il est responsable de la communication institutionnelle du Groupe Assura depuis juin 2015. Ses dadas: accompagnement du changement, relations médias, événementiel et communication de crise.