La 5G mérite mieux qu’un moratoire

Le canton de Vaud a décidé de ne pas autoriser la construction de nouvelles antennes dans le sillage du rapport fédéral portant sur le déploiement de cette technologie sur le territoire suisse. Et pendant ce temps, l’économie doit ronger son frein.

On appelle cela familièrement «refiler une patate chaude». La semaine dernière, le Conseil d’Etat vaudois a annoncé qu’il interdisait la construction de nouvelles antennes 5G sur son sol jusqu’à ce que la Confédération mette «à disposition des cantons certains outils permettant, notamment, de vérifier que ces installations respectent les valeurs limites en matière de rayonnement». Il s’abrite derrière le principe de précaution. Il a beau jeu de le faire, d’ailleurs, car le rapport publié fin novembre sur mandat du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) portant sur le déploiement de la 5G sur le territoire suisse ne livre guère de conclusions claires… Devant ce flou fédéral, le gouvernement vaudois consent toutefois à accepter les modifications d’antennes dites mineures qui n’impliquent pas d’augmentation de leur puissance.

Il est louable de vouloir préserver la santé de la population face à une technologie que certaines études accusent d’induire un risque sanitaire. Or, et c’est bien là son seul mérite, le groupe de travail mandaté par le DETEC «constate que, jusqu’à présent, aucun effet sanitaire n’a été prouvé de manière cohérente en dessous des valeurs limites fixées dans l’ordonnance sur la protection contre le rayonnement non ionisant (ORNI) pour les fréquences de téléphonie mobile utilisées actuellement». Or, avec ou sans moratoire, les opérateurs respecteraient ces limites, tant pour la 3G, la 4G ou la 5G. Des valeurs qui, soit dit en passant, sont dix fois moins élevées que dans d’autres pays! Les experts estiment en outre que 90% du rayonnement auquel nous sommes exposés ne dépend que de nous: il s’agit du smartphone que nous gardons longuement à l’oreille au lieu d’utiliser une oreillette avec micro intégré, du wifi que nous laissons activé en permanence, du téléphone conservé près de soi la nuit sans l’éteindre ou encore du PC portable posé sur les genoux. Il est donc aisé de limiter les risques d’exposition aux ondes.

Technologie indispensable

Disons-le clairement: dans ces conditions, les moratoires décrétés par les cantons n’ont pas lieu d’être, et ils doivent conséquemment être levés. Des voix s’élèvent même pour dénoncer leur caractère illégal au regard de la législation fédérale en la matière. Les réseaux sont presque saturés dans les grandes villes. Si la 5G paraît surfaite pour l’utilisateur lambda, l’économie, elle, attend avec impatience le déploiement d’une technologie indispensable pour le développement prometteur de l’internet des objets connectés. Songeons aussi aux diverses applications médicales possibles et aux drones. Le canton de Vaud, où le moratoire dure depuis le mois d’avril, a déjà pris beaucoup de retard dans la couverture de la 5G. Pendant ce temps, les opérateurs de téléphonie mobile investissent dans des cantons moins réfractaires au progrès.

Il est possible de développer un réseau performant dans le respect de normes sévères en matière de santé publique. S’agissant de la 5G, un peu de discernement ne ferait pas de mal à nos autorités, qu’elles soient fédérales ou cantonales.

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Guerre commerciale, quel tarif?

La nomination de deux juges de l’organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce est bloquée par les États-Unis. Le régulateur du commerce planétaire s’en trouve paralysé. Coup de projecteur sur un embrouillamini préoccupant.

C’est une crise grave qui clôt l’année 2019 du commerce mondial. Hier, deux des trois juges de l’organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sont arrivés au terme de leur mandat, et aucun successeur n’a été désigné. Les Etats-Unis bloquent cette nomination, rendant impossible le traitement des plaintes qui sont soumises à cet organisme indépendant d’arbitrage. Pour deux juges, le régulateur du commerce planétaire est paralysé. Sa survie n’est pas en jeu, assure son président, des solutions existent pour résoudre encore des conflits commerciaux entre Etats, mais l’on sent bien que la donne a changé. Et que l’on n’est plus du tout dans l’élan d’après-guerre qui a mené, sur plus de cinquante ans, à la formalisation multilatérale des échanges commerciaux mondiaux depuis le centre William-Rappard, à l’entrée est de Genève, siège d’abord du GATT puis de l’OMC.

Évidemment, celui qui incarne l’opposition aux règles définies par l’OMC porte un nom: Donald Trump. Le président de l’ «Amérique d’abord» («America First») ne semble accepter les verdicts du gardien mondial du commerce que lorsqu’ils sont prononcés en faveur des intérêts américains. Cela dit, cette tendance n’est pas nouvelle: les USA ont toujours vu avec scepticisme l’existence d’une juridiction supra territoriale, en considérant de surcroît que l’organe d’appel extrapolait à partir des règles existantes plutôt que de les faire appliquer. En 2011 déjà, l’administration Obama avait menacé de ne pas remplacer un juge. La posture n’a fait que se durcir.

Règles à adapter

Les Américains ont certainement raison sur un point: les règles en vigueur lors de l’avènement de l’OMC, en 1994, doivent être adaptées aux réalités du XXIe siècle. Les distorsions concurrentielles nées de situations politico-économiques divergentes (libre marché ou économie dirigiste) se sont accrues, la rapidité des échanges aussi, la numérisation et la dématérialisation ont changé les équilibres. La question reste entière de savoir qui veut vraiment d’un système indépendant qui fonctionne. La Suisse, elle, est prête à apporter sa contribution. Elle fait partie d’un groupe de 60 pays qui veulent réformer le système pour le renforcer.

Pour l’instant, ce contexte de guerre douanière à géométrie variable (la Chine constamment, mais soudain la France, puis le Brésil et l’Argentine sont pénalisés), où les taxes sur les produits et services sont le bras armé d’une politique protectionniste censée favoriser les intérêts d’une industrie, d’une agriculture ou d’une économie nationale au détriment des autres, a un effet profond sur le climat économique global. À des mesures et des prévisions de croissance en baisse – récemment encore, le FMI – s’ajoutent l’incertitude et l’imprévisibilité, ces ennemies des entreprises. Et à long terme, personne n’est gagnant, pas même le paysan de l’Ohio ou l’ouvrier de Pennsylvanie. La guerre, même commerciale, fait toujours des victimes, et dans chaque camp.

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Un recadrage de notre politique européenne s’impose

Pour faire le point sur les relations entre la Suisse et l’Union européenne, un détour par Bruxelles n’est pas inutile. L’occasion de constater que la torpeur régnant sur l’accord-cadre reflète un manque de vision du Conseil fédéral, même si un frémissement semble enfin se dessiner dans ce dossier. Retour sur un périple instructif.

C’est peu dire que le Conseil fédéral (CF) est aussi actif dans la gestion de l’accord-cadre que le DETEC et sa cheffe dans celle de la 5G… Depuis que les sept Sages ont renoncé à signer ce traité avec l’Union européenne (UE), l’été dernier, en demandant des précisions à ce sujet dans la foulée, il ne se passe plus grand-chose dans ce dossier pourtant capital pour notre économie. Faut-il rappeler que l’UE affiche des échanges commerciaux plus élevés avec la Suisse qu’avec le Japon, le Mercosur et la Corée du Sud réunis?

C’est dans ce contexte d’incertitude institutionnelle que la Conférence des gouvernements de Suisse occidentale a effectué une visite d’information à Bruxelles à la fin de la semaine dernière, avec des représentants des organisations économiques des cantons membres, dont la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie. À ce titre, j’ai pu appréhender de près les relations entre notre pays et l’Union européenne. Fiscalité, aides d’État, libre circulation des personnes et coopération transfrontalière ont figuré au menu de ces échanges intéressants.

Ce qui ressort de cette prise de température? Le sentiment que le Conseil fédéral manque cruellement de vision dans ce dossier, ce qui provoque l’incompréhension de Bruxelles. Jean-Claude Juncker, qui vient de prendre congé de la Commission européenne après un mandat de cinq ans, a été un témoin «privilégié» des atermoiements helvétiques. L’un des épisodes les plus fameux, hormis celui évoqué dans le premier paragraphe, reste sans doute la lettre que le CF a envoyé à l’UE en 2016 pour l’informer qu’il retirait sa demande d’adhésion, laquelle remontait à… 1992. Ce n’est là que l’un des soubresauts illustrant la complexité des relations nouées avec notre puissant voisin.

Une lueur dans un ciel tumultueux

Un peu d’histoire, encore. Les premiers rapprochements avec l’Europe remontent à 1972, année où fut signé un accord qui créait une zone de libre-échange pour les produits industriels et qui régissait le commerce des produits agricoles transformés. Au gré de l’évolution et de l’extension de son influence sur le continent, Bruxelles a entrepris de permettre la participation de sept États de l’AELE au marché intérieur de l’UE. Ce fut le fameux traité instituant l’Espace économique européen (EEE), que peuple et cantons rejetèrent en 1992.

Ce coup d’arrêt brutal dans la dynamique européenne allait heureusement déboucher sur une série d’accords bilatéraux qui, aujourd’hui encore – et fort heureusement pour notre économie – sont en vigueur. Ils sont toutefois menacés sur deux fronts. Primo, l’UE attend de notre pays depuis 2008 (!) qu’il signe l’accord-cadre qui permettrait de stabiliser et de pérenniser les accords sectoriels. Le CF a négocié pendant plus de quatre ans ce texte, qu’il a ensuite mis en consultation. Cette dernière l’a conduit à demander des éclaircissements, sans en préciser les contours, nous faisant passer pour un partenaire pas très sérieux. Secundo, une initiative veut en finir avec la libre circulation des personnes. Le rendez-vous avec les urnes est prévu le 17 mai 2020.

Le Conseil National a apporté hier une lueur dans ce ciel tumultueux en donnant son accord au milliard de cohésion en faveur de l’UE, certes sous conditions. Ce signe de bonne volonté devrait contribuer à détendre l’atmosphère avec Bruxelles. Ce frémissement se confirme à l’échelon gouvernemental: le conseiller fédéral, Ignazio Cassis, a fait savoir hier dans le cadre du Forum européen de Lucerne qu’une lettre avait été envoyée à la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dont Berne espère une réponse encore avant la fin de l’année. Il était temps! Il reste donc à convaincre peuple et cantons de rejeter cette initiative inepte en mai prochain pour ouvrir la voie à une régularisation de nos relations avec un partenaire incontournable.

Si Paris valait bien une messe, Bruxelles vaut bien un accord-cadre.

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Thomas Jordan n’est pas le père Noël

«Qui veut les milliards de la BNS?…» Ce n’est pas un nouveau jeu télévisé, mais telle est la question qui taraude certains politiciens suisses. Il est vrai que sur le papier, plus de 50 milliards de bénéfice, voilà de quoi faire rêver tout responsable politique: financement de l’AVS, du deuxième pilier ou d’autres assurances sociales dont les coûts ne cessent d’augmenter… La réponse semble si simple.

Il est naturellement tentant de voir dans le bénéfice de la BNS un «bien» qui appartiendrait à la population suisse, et dont on devrait pouvoir disposer au gré des nécessités. Après tout, l’article 5 de la loi sur la Banque nationale stipule noir sur blanc que l’établissement «conduit la politique monétaire dans l’intérêt général du pays». Et cet intérêt général ne justifie-t-il pas précisément que l’avenir des retraites soit garanti? Que les investissements nécessaires au bon développement de notre société soient possibles? Que les sommes faramineuses qui s’accumulent au bilan de la BNS ne servent pas, très concrètement, à alléger les charges qui pèsent sur les finances publiques et, par ricochet, sur la fiscalité et le pouvoir d’achat des citoyennes et citoyens?

Le bénéfice 2019 de la BNS va certainement franchir un nouveau record. Et nombreux, à gauche mais aussi tout à droite de l’échiquier politique, sont ceux qui estiment que la banque centrale ne sait plus que faire de ces milliards. Elle encaisse des intérêts (négatifs) de la part des banques commerciales qui lui confient des avoirs, n’a-t-elle pas un devoir – patriotique ou moral – de réinjecter cet argent dans le premier et le deuxième pilier (par exemple) de notre système de retraites, sous forme de redistribution (AVS) ou d’exonération de taux négatifs (caisses de pensions)?

Un principe cardinal

Pour répondre sereinement à ces questions d’opportunités, il faut lire l’article 6 de la loi, intitulé «Indépendance»: «Dans l’accomplissement des tâches de politique monétaire visées à l’art. 5, al. 1 et 2, la Banque nationale et les membres de ses organes ne peuvent ni solliciter ni accepter d’instructions du Conseil fédéral, de l’Assemblée fédérale ou d’autres organismes.» Déroger à ce principe cardinal, c’est prendre le risque d’une lecture à court terme, c’est ouvrir la boîte de Pandore. A double titre: d’abord, parce que la limite de ce qui est opportun fluctuera selon les modes et les élans du moment, ensuite, parce que tout cet argent que l’on croit disponible n’est en fait que virtuel.

En effet, les gains de la BNS découlent d’achats d’actifs étrangers dont la valeur a augmenté, mais qui n’ont, par définition, pas été vendus… car si la banque centrale suisse achète des euros, c’est pour lutter contre l’appréciation du franc. Les «vrais» bénéfices ne pourront être comptabilisés que lorsque ces devises étrangères auront été revendues contre des francs, qui disparaîtront du bilan de la BNS. Et cette inversion n’est pas à l’ordre du jour actuellement: elle péjorerait l’économie suisse en accentuant la hausse du franc.

La loi fixe la redistribution de la part du bénéfice qui dépasse le dividende annuel de 6% maximum: un tiers à la Confédération, deux tiers aux cantons, pour un milliard de francs par an – voire deux si la situation est «exceptionnelle». Cette appréciation constitue la marge de manœuvre de la discussion politique. Thomas Jordan, le président de la BNS, n’est pas le père Noël. Il n’est pas un ermite non plus: avec son directoire, il doit aussi écouter les milieux politiques et économiques pour guider sa politique monétaire pour le bien du pays. Et déterminer jusqu’où, dans les chiffres et dans le temps, les intérêts négatifs serviront positivement l’intérêt de la Suisse. Au contraire de l’illusion d’une fontaine de cash où l’on pourrait s’abreuver à satiété, cette dialectique est utile.

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Des avions de combat pour l’emploi

En revoyant à la baisse les compensations pour l’industrie liées à l’achat d’un nouveau chasseur aérien, le Conseil fédéral provoque l’incompréhension de tout un pan de notre économie. Ces dernières sont pourtant vitales pour les entreprises et l’innovation.

En fonction depuis le début de l’année, Viola Amherd, cheffe du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS), n’aura pas mis longtemps à fâcher l’institution et l’économie. La semaine dernière, devant des cadres militaires et des patrons de l’industrie de l’armement, elle s’est exprimée sur les compensations pour l’industrie de l’armement. Traditionnellement, lors de l’achat d’un tel matériel à l’étranger, la Suisse demande à l’entreprise qui obtient le contrat de compenser 100% du prix d’acquisition en achetant des biens ou des prestations auprès de l’industrie suisse et, par cascade, à de nombreux sous-traitants.

Problème: l’achat de notre futur avion de combat ne devrait être compensé qu’à 60% selon le Conseil fédéral. Il estime qu’un tel taux suffit en l’espèce, alors même qu’il avait déclaré en décembre dernier qu’une norme de compensation de 100% s’appliquerait aux achats d’armes. La raison de cette volte-face? Viola Amherd, relate «24 heures» samedi, a expliqué que les sept Sages ne remettaient pas en question la règle des 100%. «Mais, là, a-t-elle averti, il s’agit d’un cas exceptionnel. Avec 8 milliards pour la défense aérienne, nous avons affaire à un volume d’investissements record.» Pour la cheffe du DDPS, 60% de compensations amèneront donc suffisamment d’investissements à l’industrie suisse. Pour autant, bien sûr, que l’achat d’un avion de combat soit accepté par le peuple, probablement à l’automne 2020. La campagne sera difficile, mais le jeu en vaut la chandelle pour les entreprises actives dans la sécurité et de défense, car cela leur permettrait d’acquérir de précieuses connaissances technologiques et de continuer à investir dans l’innovation, facteur indispensable à la prospérité. Tous les pays essaient de maintenir leur secteur industriel, et la Suisse n’échappe pas à cette nécessité.

Le plaidoyer de Viola Amherd, on s’en doute, a mal passé auprès des militaires et des industriels. Mais la partie est loin d’être jouée: en septembre dernier, le Conseil des États a accepté l’arrêté de planification relatif à l’achat de nouveaux avions de combat, en demandant que les acquisitions faites à l’étranger soient compensées à 100% par des commandes passées à des entreprises en Suisse. Le dossier passera devant le National en décembre. Va-t-on vers une confirmation de ce vote, ou alors la Chambre basse transigera-t-elle à 80%? L’avenir le dira.

L’industrie donne de la voix

L’industrie n’est, en tout état de cause, pas près de rendre les armes: Swissmem, l’association faîtière des PME et des grandes entreprises de l’industrie suisse des machines, des équipements électriques et des métaux, ainsi que des branches technologiques apparentées, et le Groupe romand pour le matériel de défense et de sécurité (GRPM) ont rejeté l’idée de limiter les collaborations industrielles à 60% du volume effectivement facturable. «Cela exclurait un grand nombre d’opérations de contrepartie indirectes», estiment ces derniers. Ils rappellent que, selon les principes d’acquisition du Conseil fédéral, 30% du volume doit provenir d’entreprises de Suisse romande et 5% d’entreprises tessinoises: «Le projet de renouvellement des avions n’a une chance politique de se réaliser que si cette distribution est garantie.»

A nos yeux, il est capital de maintenir les règles usuelles en ce qui concerne les collaborations industrielles, à savoir des compensations à 100%, avec 30% pour la Suisse romande. Cela permettrait à nos entreprises de planifier leurs activités sans heurts et de continuer à innover, a fortiori dans l’environnement géopolitique mondial incertain qui est le nôtre.

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Donner la préférence au compromis plutôt qu’au repli

Le mécanisme d’application de l’initiative «Non à l’immigration de masse» donne de bons résultats: il a abouti à près de 5000 recrutements. Notre aptitude à trouver des solutions aux velléités d’isolement de certains a une fois de plus fait ses preuves.

Le premier rapport sur le monitorage de l’exécution de l’obligation d’annoncer les postes vacants, qui découle de la mise en œuvre «light» de l’initiative contre l’immigration de masse, était attendu avec impatience. Le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) a indiqué il y a quelques jours que cette obligation, qui privilégie les résidents suisses, est respectée par les employeurs et qu’elle est mise en œuvre conformément à la loi. La préférence indigène a permis à près de 5000 demandeurs d’emploi de se réintégrer sur le marché du travail, ce qui n’est pas négligeable. Pour le SECO, qui publiera un décompte plus détaillé l’an prochain, ce chiffre est probablement inférieur à la réalité.

Le bilan chiffré est réjouissant: pendant la première année de mise en application du mécanisme, les Offices régionaux de placement (ORP) ont reçu environ 120’000 annonces des employeurs pour un total de 200’000 postes concernés par l’obligation. Ces chiffres sont presque trois fois supérieurs aux résultats attendus avant l’introduction de l’obligation, note le SECO.

La règle de la préférence indigène précise que si une entreprise cherche une personne dans un métier où le taux de chômage dépasse les 8%, elle doit d’abord l’annoncer à un ORP. Plus de 80% des postes annoncés concernent les secteurs de l’hôtellerie/restauration, de la construction et de l’industrie. Le 1er janvier prochain, la valeur seuil déclenchant l’obligation d’annoncer les postes vacants sera abaissée à un taux de chômage moyen de 5%, comme cela a été prévu par la loi.

Mise en œuvre saluée

Bien sûr, le système n’est pas parfait, et il nécessitera encore quelques ajustements. Un certain nombre d’entreprises ont constaté que cette procédure conduit à une surcharge administrative. Il n’empêche, la solution mise en place par les Chambres fédérales pour appliquer la néfaste initiative du 9 février 2014 a fait ses preuves. Sa mise en œuvre n’a fait l’objet que de critiques rares et plutôt mesurées. Curieusement, les auteurs de cette initiative ne se sont pas manifestés à l’heure du bilan dressé par le SECO. Il est vrai qu’ils ont d’autres chats à fouetter après leurs médiocres résultats lors des élections fédérales du mois dernier.

Cela dit, il faut le rappeler: cette obligation d’annoncer les postes vacants illustre à merveille la capacité de la démocratie suisse à trouver des solutions lorsque sa prospérité est mise en péril par des initiatives prônant le repli. Notre pays n’est pas une île au milieu de l’Europe: il a besoin autant de ses propres forces vives que de celles provenant de l’extérieur pour se développer. Il faudra s’en souvenir le 17 mai prochain lorsque peuple et cantons se prononceront sur l’initiative populaire «Pour une immigration modérée», qui menace d’abolir la libre circulation des personnes.

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L’économie vaudoise se défend bien dans un environnement morose

En dépit des nuages qui s’accumulent à l’horizon, une bonne partie des entreprises du canton de Vaud restent confiantes quant aux perspectives conjoncturelles. Par ailleurs, le développement durable fait peu à peu son nid au sein des sociétés.

Les perspectives économiques pour la Suisse demeurent sombres pour la fin de cette année, selon le centre de recherches conjoncturelles KOF de l’École polytechnique fédérale de Zurich. À fin septembre, le baromètre économique de ce dernier a atteint son niveau le plus bas depuis 2015. En dépit de ces présages, rien ne semble devoir entamer la foi des entrepreneurs vaudois en leurs affaires. Les résultats de l’enquête conjoncturelle semestrielle de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI), publiés hier, montrent que les chefs d’entreprises restent globalement confiants quant à l’évolution économique à moyen terme. Le constat vaut également pour le secteur industriel, bien qu’il soit davantage dépendant des aléas des marchés mondiaux.

S’agissant de 2019, notre enquête montre que la marche des affaires est jugée satisfaisante ou positive par 85% du panel, tant dans le secteur secondaire que dans le tertiaire. Les excellents résultats de l’an dernier ont favorisé une hausse sensible des salaires en début d’année, puisque près de 60% des entreprises ont accordé des augmentations de l’ordre de 1,2%. La dynamique demeure favorable en matière d’emploi: plus d’un quart des répondants ont augmenté leurs effectifs, aussi bien dans l’industrie que dans les services. Cette tendance devrait se poursuivre, puisqu’un répondant sur cinq prévoit d’embaucher l’an prochain. Seuls 7% d’entre eux s’attendent à devoir réduire leur personnel.

Un pic a été atteint

Si les prévisions à moyen terme paraissent favorables, le pic semble toutefois avoir été atteint. Les industriels, en particulier, relèvent quelques signaux tempérant le climat conjoncturel actuel, ainsi qu’un manque de visibilité à plus long terme. Ceux-ci sont d’ailleurs globalement moins satisfaits du niveau de leurs marges d’autofinancement que l’an dernier. En outre, 37% des entreprises ont procédé à des investissements cette année (contre 38% en 2018), un pourcentage qui devrait encore baisser l’an prochain, à 35%.

L’alarmisme n’est pourtant pas de rigueur. La croissance, même à la baisse, reste pour l’heure positive. Les fondamentaux de notre économie demeurent consistants. Il convient toutefois de rester vigilant et réactif. Les réformes doivent être poursuivies, de même que les efforts pour garantir des conditions-cadres solides. Il s’agira surtout de clarifier et de régler rapidement un dossier majeur: celui de nos relations avec l’Union européenne. Il est en outre primordial de pérenniser une formation de haute qualité pour faire éclore les talents dont notre économie aura besoin pour maintenir sa prospérité.

En marge de son enquête semestrielle, la CVCI a également demandé à ses membres s’ils avaient mis sur pied des projets liés au développement durable ces deux dernières années. Quatre répondants sur dix déclarent avoir réalisé des actions ou des projets dans le but d’améliorer la performance économique de leur entreprise, tout en intégrant des enjeux environnementaux ou sociaux. Il ressort enfin que 29% des entreprises ont déjà mis en place des plans de mobilité. Davantage concernées par cette problématique, les sociétés de plus de 100 collaborateurs sont plus nombreuses à avoir franchi le pas (56%). Les mesures instaurées consistent principalement en des encouragements à l’utilisation des transports publics (61%) et, pour près d’un répondant sur deux, en services aux collaborateurs (crèche, restaurant d’entreprise, télétravail, vidéoconférence, etc.). La CVCI organise depuis plusieurs années des séminaires pour accompagner les entreprises dans l’établissement de plans de mobilité, et va poursuivre ses actions de sensibilisation.

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Négatif ou positif, telle est la question

Dans les milieux économiques européens, la salve n’est pas passée inaperçue: ce début octobre, une escouade d’anciens banquiers centraux allemands, néerlandais, français et autrichiens – dont deux ont occupé le poste de chef économiste au sein de la Banque centrale européenne (BCE) – a publié une lettre attaquant frontalement la politique monétaire de l’établissement. Ces personnalités accusent la BCE de poser «un faux diagnostic» et d’enfoncer le Vieux-Continent dans la crise en croyant la résoudre par une accentuation des mesures de facilitation de l’accès au crédit – nouveau palier à la baisse du taux de dépôt à -0,5%, et reprise du programme de «quantitative easing» d’une valeur totale de 2600 milliards d’euros via des achats obligataires.

La critique, qui est sans précédent dans l’histoire de la BCE, reflète des tensions exprimées au sein même de la banque après que Mario Draghi a justifié ce nouveau train de mesures par la nécessité de soutenir une économie européenne menacée de récession, et de spirale déflationniste. Les signataires de la lettre contestent précisément ces arguments, estimant qu’ils ont déjà été servis à tort il y a cinq ans, et qu’ils ont conduit la BCE dans un état permanent de gestion de crise. Plus grave, disent-ils, la Banque centrale viole le Traité de Maastricht en finançant ainsi l’endettement des Etats-membres. Ils soupçonnent la BCE de pratiquer, au mépris de son devoir d’indépendance, une protection active des gouvernements qui creusent leur dette, contre le risque d’une remontée des taux.

Une question fondamentale

La polémique européenne pose une question fondamentale qui concerne aussi la Suisse, et qu’on peut résumer en un jeu de mots qui serait amusant si le sujet était plus léger: les taux négatifs sont-ils positifs pour notre économie? On ne parle pas ici d’une mesure passagère pour répondre à une crise aiguë dont on comprend les tenants et aboutissants. La lettre des banquiers centraux est là pour le rappeler: en Europe, cela fait cinq ans que l’argent ne coûte plus rien – sauf à ceux qui l’épargnent! Et la Suisse n’est pas en reste, qui pratique un taux encore plus négatif que la zone euro.

Y a-t-il une sortie possible de cette spirale? Faut-il en sortir alors que, face à nos voisins européens, nous maîtrisons sensiblement mieux notre endettement? Dans leur missive, les anciens banquiers centraux mentionnent deux éléments qui doivent faire réfléchir aux conséquences globales de la politique monétaire actuelle. D’une part, elle favorise les détenteurs d’actifs immobiliers par la quête de plus en plus éperdue de rendement, creusant ainsi les inégalités sociales. D’autre part, elle tend aussi les relations entre générations, les jeunes actifs ayant l’impression croissante qu’il leur sera impossible de financer leurs retraites. La BCE – et ses consœurs hors zone euro, BNS comprise – peut-elle encore contrôler la machine qu’elle a créé? Christine Lagarde, qui s’installe dans son bureau de Francfort le mois prochain, a un puissant casse-tête à résoudre.

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Fiscalement, une baisse peut cacher une hausse

C’est l’heure des budgets, et le verdict tombe, douloureux! La majorité des communes vaudoises ne baisseront pas leurs impôts en dépit d’un accord signé avec le canton dans le cadre de la réforme fiscale des entreprises. Une mauvaise nouvelle pour les contribuables et l’économie.

On pouvait s’en douter en découvrant, depuis plusieurs semaines, les projets de budgets communaux dans la presse régionale: la majorité des municipalités vaudoises ne respecteront pas l’accord sur la fameuse bascule fiscale conclu avec le canton, en automne dernier. Le deal – lié à la réforme de l’imposition des entreprises – était pourtant clair: l’État reprenait à sa charge les soins à domicile et augmentait d’un point et demi le taux d’impôt cantonal pendant que les communes diminuaient leur propre taux dans une mesure comparable. Le journal «24 Heures» estime cette semaine que deux Vaudois sur trois ne bénéficieront pas des baisses d’impôts promises. Ils subiront même une hausse, à vrai dire.

Pour le citoyen-contribuable, qui a très largement approuvé la RIE III, puis la RFFA dans les urnes, la pilule est dure à avaler. Il a de quoi se sentir floué. Les communes, en ne jouant pas le jeu des vases communicants, contribuent à alourdir une fiscalité qui devient gentiment insupportable. Dans ce contexte, le canton pourrait faire un geste, lui qui affiche depuis de nombreuses années une santé financière à faire pâlir les grands argentiers de tout le pays. Au lieu de saler sans cesse la facture fiscale individuelle, il serait bien inspiré d’alléger la pression sur les contribuables, qui ont largement participé au renflouement des caisses de l’État grâce à la loi cantonale sur les impôts directs, entrée en vigueur en 2001.

Si l’on veut pouvoir maintenir l’attractivité du canton de Vaud et, accessoirement, financer un État social, l’argent doit impérativement rentrer dans les caisses! Cela passe clairement par une fiscalité attractive, un domaine où notre canton est hélas loin de jouer les premiers de classe. De nombreuses communes ont annoncé ces mois derniers le départ de contribuables importants vers des horizons contributifs plus attractifs. Les pantalonnades fiscales auxquelles on assiste aujourd’hui n’arrangent à l’évidence pas les choses.

Un exemple à suivre

Plutôt que de prendre Picsou comme modèle, Vaud devrait méditer l’exemple neuchâtelois. Connu loin à la ronde pour sa fiscalité dissuasive, notre voisin du nord a décidé, en juin dernier, de baisser significativement l’imposition des entreprises, mais aussi et surtout celle des personnes physiques. Si elle bénéficiera en particulier aux familles actives disposant d’un logement propre, la réforme améliorera la situation financière de tous les contribuables, y compris les plus aisés. Un bon moyen d’éviter l’exode de certains assujettis. Responsable des finances neuchâteloises, le conseiller d’État Laurent Kurth a déclaré cet été que «ces réformes ne doivent pas déstabiliser les finances publiques. Toutefois, il ne faut pas se laisser tétaniser par la peur et la crainte au risque de péjorer encore plus l’emploi, les finances des communes et l’attractivité du canton.»

En cette période où la conjoncture fléchit et où les foyers de guéguerres commerciales allumés par le président américain menacent le libre-échangisme, il est heureux que la charge fiscale des entreprises ait été revue à la baisse grâce à la RFFA. Mais il est tout aussi indispensable de diminuer la charge fiscale des particuliers afin de maintenir un climat de consommation positif, qui profite à toutes et tous. On n’en prend hélas pas encore le chemin.

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Timbrer ou pas? La question va bien au-delà

Le fait d’enregistrer son temps de travail, usage qui remonte à l’époque industrielle, est-il un facteur de réduction du stress? Une étude aborde la problématique sans vraiment répondre à cette question, tout en suscitant un vrai débat de société.

Lorsque l’on parle de timbrage, nous sommes nombreux à avoir la vision d’une usine avec son lot de travailleurs à la chaîne en bleu de travail. A l’heure où l’agilité et la flexibilité sont érigées en vertus, cette image peut réellement paraître d’un autre temps. Il est vrai que depuis quelques années, on tend à supprimer l’obligation de timbrer ou à en simplifier la procédure. Une révision législative fédérale a d’ailleurs introduit, le 1er janvier 2016, un régime dérogatoire. L’article 73a de l’Ordonnance 1 relative à la loi sur le travail prévoit ainsi la possibilité de ne plus enregistrer le temps de travail pour les employés touchant un salaire brut annuel de plus de 120’000 francs et disposant d’une grande autonomie dans l’organisation de leur travail, y compris dans l’aménagement de leurs horaires.

C’est dans ce contexte que le Secrétariat d’État à l’économie a mandaté l’Université de Genève pour évaluer l’impact des mesures d’accompagnement sur la durée du travail effectif, le stress au travail, la conciliation famille-travail et la santé des travailleurs. Sa conclusion principale: les personnes qui renoncent à timbrer ou qui effectuent un enregistrement simplifié travaillent plus longtemps et ont plus fréquemment des horaires atypiques. Les employés qui ont renoncé au timbrage travaillent ainsi 45,6 heures en moyenne contre 41,8 heures pour les travailleurs au bénéfice de l’enregistrement simplifié et 39,6 heures dans le cas d’un enregistrement systématique du temps de travail.

L’étude ne met pas en évidence un lien direct entre la modalité d’enregistrement du temps de travail et l’exposition à un risque de stress important. Cependant, ses auteurs observent que «l’absence de mesures d’accompagnement dans l’entreprise et l’insatisfaction vis-à-vis du mode d’enregistrement des heures de travail sont significativement corrélées avec un niveau de stress élevé». L’étude montre surtout que ceux qui renoncent à timbrer ne sont pas en moins bonne santé et ne sont pas davantage stressées que les personnes qui enregistrent systématiquement leur temps de travail, dès le moment où leur entreprise introduit des mesures d’accompagnement. Au passage, il est piquant d’observer le paradoxe suivant: de nombreux employés dénigrent le timbrage sous prétexte qu’ils se sentent surveillés. D’un autre côté, toutefois, enregistrer le temps de travail leur assure de ne pas bosser au-delà de ce que leur contrat prescrit.

Un défi pour les managers

Au-delà de ces constats, la question du stress me paraît relever d’un plus vaste débat de société, car elle déborde largement du cadre professionnel. Les individus ne sont pas soumis à un rythme élevé qu’au bureau ou à l’usine: la pression est également présente dans le cadre de la vie privée. La famille, les aléas de l’existence et la dépendance grandissante aux réseaux sociaux soumettent les gens à une spirale incessante qui finit par mettre la santé à rude épreuve. Pour les chefs d’entreprise, cette tendance lourde représente un défi. Aucun d’entre eux ne souhaite voir ses collaborateurs partir en burnout, car cela implique un surcroît de travail pour les collègues, une réorganisation temporaire, voire le report de décisions stratégiques. Sans parler, bien entendu, du coût humain pour ceux qui en sont victimes

Alors, faut-il timbrer ou pas? Ce n’est qu’une partie de l’équation à laquelle sont confrontés aujourd’hui les managers dans le tumulte du XXIe siècle. A eux de résoudre au mieux les variables qui sont de leur ressort.

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