La liberté de culte des protestants sacrifiée

Il a l’air toujours bien las ce taureau ailé de ma ville, souvenir d’une église protestante désaffectée, joyeusement reconvertie en maison de quartier. Il est aussi l’écho lointain d’un monde pagano-chrétien, mêlant les héritages symboliques pour associer le taureau des sacrifices, l’animal ailé des mythologies et l’un des quatre textes majeurs du Nouveau Testament, l’Evangile selon Luc [1]. Et bien la lassitude de l’animal est de mise en cette veille du 28 mai, car dès demain, les protestants perdent leur liberté de culte.

Lausanne, ©CClivaz

De manière incompréhensible, alors même que les restaurateurs y ont renoncé, il sera demandé à quiconque veut assister à un culte protestant de décliner son identité à l’entrée, une identité soigneusement listée et conservée deux semaines durant. A noter également que les célébrations seront privées de communion, de baptême et de chant : c’est ce qu’annonce le site officiel de l’Eglise Evangélique Réformée du canton de Vaud (EERV). Est-ce là ce qui a été négocié avec les Eglises à Berne pour leur permettre de reprendre les célébrations plutôt ? Faut-il y voir un sacrifice justifié pour la cause commune, et tel ce taureau à terre, courber l’échine avec résignation ? Certes non.

A vrai dire, le bon sens déjà alerté, les lecteurs avisés auront une surprise de taille en allant comparer le donné protestant avec les recommandations de l’évêché catholique de Lausanne-Genève-Fribourg. En effet, son site commente ainsi : « Faut-il dresser une liste de présence des participants ? Selon l’OFSP, le devoir de traçage des chaînes de transmission ne vaut que si le respect des règles de distance ne sont pas assez garanties. Toutefois, dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, il est exigé que le respect de la distanciation sociale soit garanti. Dès lors, le recours au traçage est inutile ». Par ailleurs, les catholiques pourront communier, et des solistes chanter à la messe.

Que diantre s’est-il passé dans l’esprit des autorités protestantes pour qu’elles fassent preuve d’un tel zèle policier envers leurs ouailles ? Je laisse la question à qui de droit. Mais il est évident que les protestants font un choix qui pourrait indiquer un tournant dans leur histoire, à l’heure où ils ne sont plus que 24% dans le canton de Vaud, selon l’ouvrage d’Olivier Bauer, professeur de théologie pratique à l’Université de Lausanne [2]. En effet, ce qui distingue une Eglise subventionnée par l’Etat, en prise avec la sphère publique, c’est notamment la liberté de culte. Le droit inaliénable d’entrer dans une église et d’en ressortir sans qu’il ne soit rien demandé, laissant à « Dieu le jugement des cœurs », selon les anciens principes de l’EERV.

L’humour du 28 mai veut que ce jour-là précisément, l’application SwissCovid sera à la disposition d’un plus large public, préparée avec soin par l’EPFL et l’ETH, pour permettre au quidam de conserver l’anonymat via la gestion d’identifiants aléatoires par l’intelligence artificielle, dans un système décentralisé si innovant qu’il a déjà été repris par Google et Apple. Du côté des Eglises, la donne est claire : qui veut désormais entendre des chants, communier et garder sa liberté de culte devra considérer ce dimanche qu’il convient de pousser plutôt la porte de l’Eglise chrétienne majoritaire. A moins de choisir le mode usuel de méditation des vaudois protestants : la promenade en montagne.

[1] L’association entre l’évangéliste et l’animal ailé, image venue du tétramorphe d’Ezechiel 1,1-14 et reprise dans l’Apocalypse 4,7-8, a été faite par le Père de l’Eglise latin Irénée, au 2ème siècle de notre ère (Contre les hérésies III,11,8).

[2] Olivier Bauer, 500 ans de Suisse protestante, Alphil, 2020, p. 152. En libre accès grâce à une bourse du Fonds National Suisse: https://www.alphil.com/freedownload.php?sku=978-2-88950-045-1

Claire Clivaz

Claire Clivaz est théologienne, Head of DH+ à l'Institut Suisse de Bioinformatique (Lausanne), où elle mène ses recherches à la croisée du Nouveau Testament et des Humanités Digitales.

13 réponses à “La liberté de culte des protestants sacrifiée

  1. Vous y croyez, vous, que cette application sera anonyme?

    Bien sûr que non! Il est certain que c’est un mensonge et que d’une manière ou d’une autre les données seront conservées et exploitées, contre nous. Il suffit d’écouter les propos de Bill Gates. Ou alors, disons que cette application n’est qu’une étape. Dans un premier temps les données seront peut-être anonymes. Puis un jour “ils” trouveront une autre nécessité vitale de derrière les fagots, pour convaincre le bétail humain d’accepter qu’on lève l’anonymat. Tout le monde (presque) l’acceptera, surtout ceux qui auront deja accepté l’application.

    C’est ainsi qu’on nous habitue peu à peu à la tyrannie. Et beaucoup, beaucoup trop, y consentent.

    Chère Mme Clivaz, vous qui êtes théologienne, je vous suggère d’abandonner votre attitude fidéiste. N’ayez plus foi en l’état. Prenez conscience que toute cette mascarade n’est qu’un prétexte pour établir un état policier de controle et de surveillance généralisée. Orwell l’avait prédit. Alain Berset et Simonetta Sommaruga l’ont fait

  2. “A moins de choisir le mode usuel de méditation des vaudois protestants : la promenade en montagne.”

    “La Nature est un temple où de vivants piliers
    Laissent parfois sortir de confuses paroles;
    L’homme y passe à travers des forêts de symboles
    Qui l’observent avec des regards familiers.” (Baudelaire, “Correspondances”)

    De plus, l’entrée de ce temple est gratuite, même si ses “confuses paroles” ne sont pas toujours d’Evangile.

    Vous avez tout à fait raison d’ironiser sur le fait que les restaurateurs ont renoncé au traçage de leurs clients alors qu’il est exigé des fidèles sur leur lieu de culte. Les nourritures terrestres seraient-elles moins nocives pour l’organisme que prières et communion?

    Quant à l’application “SwissCovid”, n’est-il pas prématuré d’en apprécier la portée, en particulier en matière de protection des données, tant que le code source n’en aura pas été donné dans son intégralité? Lui donner d’avance le bon Dieu sans confession n’équivaut-il pas à jouer à la roulette russe?

      1. J’ai quelques doutes sur l’utilité et efficacité de cette application. Pour que ce soit le cas, il faudrait qu’une fraction importante de la population suisse la charge et l’utilise. Sera-ce le cas si elle n’est pas rendue obligatoire? Je n’y crois guère et d’après les constitutionnalistes il ne semble pas possible de prendre une telle mesure dans l’état actuel de notre Constitution. Et s’il faut passer par une modification de celle-ci, on en sera au deuxième ou troisième covirus suivant avant que ce ne soit fait!

        1. Bonjour et merci de votre message! Si 60% de la population l’utilise, elle fonctionnera à satisfaction; si 40% l’utilisent, elle donnera déjà satisfaction (voir l’émission radio avec interview du chef de projet dans mon article ci-dessous). Bien sûr qu’elle ne doit en aucun cas être obligatoire, il en va de la liberté démocratique. D’après les sondages, 59% se déclareraient prêts à l’utiliser. Ce sera en tous les cas beaucoup mieux que de décliner son identité en entrant dans un lieu public. Le parlement se prononce en juin.

  3. Désolé, je vois qu’on s’interroge sur l’efficacité ou non de l’application. On se demande si elle est fiable et si elle respecte la protection des données. Etc.

    A mon avis c’est une mauvaise manière de poser le problème.

    Il s’agit d’une queston de principe: acceptons nous, ou non, le principe de passer d’une société de liberté à une société orwellienne de contrôle et de traçage généralisé.

    C’est ça qui importe, pas les garde fous. Même si les garde fous étaient fiables – ce dont nous DEVONS douter, le principe du traçage est inacceptable. Il ne saurait se justifier pour aucune sorte de considération.

    1. Ce sont des questions importantes, que nous avons tous à l’esprit à un moment ou à un autre. De fait, dès que nous sortons avec un smartphone en poche, nous sommes traçables, même s’il est éteint. Et dès que nous allons sur Google, Apple et Facebook, nous sommes tracés, d’ores et déjà. De notre degré de prise de consciences des ces états de faits dépend notre capacité à gérer au mieux ce que nous appelons liberté.

  4. De la religion, on bascule allégrement à la couronne des rois et pourquoi pas.
    Lu ceci, il y a quelques minutes…

    https://www.letemps.ch/economie/exposee-niveau-mondial-swisscovid-lepfl-pression

    Alors, il faudrait bien sûr que les suisses s’habituent à ce que rien n’est garanti, mais depuis tant d’années, est-ce encore possible?

    Bravo à l’EPFL, votre “nouveau” logotype est détestable, car si vieillot, mais on ne peut pas demander à un scientifique, sauf à des génies comme l’ami De Vinci, de juger de la beauté.
    Le rapport musique-mathématique, je n’y crois toujours pas 🙂

  5. Merci pour cette prise de position stimulante. C’est vrai que dans ce face-à-face avec la confédération les autorités de l’EERS l’ont plutôt joué hyper-conciliant! Par ailleurs, si un culte protestant où l’on chante vous manque, n’hésitez pas à entrer dans une Eglise évangélique… protestante aussi, si je ne m’abuse! Un groupe de louange devrait vous permettre de goûter à un moment de chant… non participatif, normalement! Amitiés. Serge Carrel, lafree.info

    1. Merci de vos messages. Dans l’article que vous indiquez, la position de fond n’a pas changé: tant que les distances sont respectées, pas de liste. «A noter que pour la Conférence des évêques suisses (CES) et le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF), le devoir de traçage des chaînes de transmission ne vaut que si le respect des règles de distance ne sont pas assez garanties. Toutefois, dans le diocèse de LGF, il est exigé que le respect de la distanciation sociale soit garanti. Dès lors, le recours au traçage est considéré comme inutile.Pour l’évêché de Sion et le Territoire abbatial de Saint-Maurice, le recours au traçage n’est recommandé que si les distanciations ne peuvent pas être respectées. (cath.ch/com/rz)».

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