Les sentiers valaisans avaient habitué leurs promeneurs à découvrir mains oratoires et petites chapelles au détour des chemins, nichés dans la verdure. Quelques statues de Marie souriante, ornées de lumignons parfois encore fumants. De nos jours, le jogging dans les vergers ensoleillés de nos voisins peut provoquer le face à face avec un “chaman de Noël”, grande statue orante et décorée avec humour d’une boule rouge de sapin.
Ma fois il ne manque pas d’allure ce grand sorcier portant peau de loup et barbichette, rappelant le temps païen de ces terres qui en connaissent encore un vin du même nom. L’image me paraît accompagner on ne peut plus adéquatement plusieurs événements de ces dernières semaines, que chacun/e de nous évaluera diversement selon ses valeurs et ses choix de vie, mais qui ne peuvent manquer de nous faire comprendre le profond bouleversement culturel que nous traversons.
En novembre dernier, alors que nous assistions avec stupeur aux meurtres de plusieurs personnes en France dans un contexte de fanatisme religieux, la RTS a judicieusement publié un dossier sur les troubles qui avaient éclaté en 1988 lors de la sortie du film de Martin Scrosese, La dernière tentation du Christ: “En octobre 1988, tout bascule. Sang et fureur en France. Jets de gaz lacrymogènes dans les salles de cinéma, bris de glaces, cocktails Molotov, menaces écrites et orales contre les patrons de salles. Des radios encouragent les fidèles à déchirer les sièges des cinémas qui distribuent le film”. Le cinéma St-Michel à Paris avait été détruit. Quant à Mgr Lustiger, il fustigeait: “On n’a pas le droit de choquer les sentiments de millions de gens pour qui Jésus est plus important que leur père et leur mère”. C’est impressionnant de voir à quel point ces scènes de fanatisme chrétien d’une part, et d’indignation des Églises institutionnelles d’autre part, nous semblent aujourd’hui appartenir au passé: nous les avons simplement oubliées, effacées de nos mémoires, alors que c’était il y a une génération seulement.
Aujourd’hui, l’éventualité de voir les pistes de ski limitées ou fermées suscite une émotion forte, tandis que la fermeture des Églises peine à drainer quelques articles dans la Tribune de Genève (TGE). Quant à la suppression d’émissions religieuses sur la SRF, elle est commentée avec un art tout jésuite par un pasteur réformé, Christoph Weber-Berg, président du conseil d’administration de Reformierte Medien, dans une interview publiée en ligne sur le site du journal Réformés. Weber-Berg prend acte de cette décision que son Église ne songe même plus à remettre en question. Cette posture frappe d’autant plus que ces mêmes Églises institutionnelles semblent interdites devant le raz-de-marée du COVID-19: Anne-Sylvie Sprenger souligne pour Protestinfo et la TGE que “le silence des Églises face à ce qui se passe est inquiétant”.
A moins que ce silence ne soit apaisant. Je préfère assurément une retenue empruntée aux grandes diatribes ecclésiales qui animaient encore la fin des années 80. L’espace social suisse est désormais ouvert à des refontes culturelles, pas à pas, comme l’achèvement de l’égalité des couples de différentes orientations sexuelles. Ou encore le choix enfin assumé d’un congé paternité, à transformer en congé parental, pour la meilleure synergie possible entre besoins économiques et familiaux. Sans oublier l’imposition individuelle.
Dans le calme des vergers, le chaman se tait encore, brandissant sa boule de Noël, accrochée par un taquin. Peut-être murmurera-t-il, en chœur avec les loups, lors de la nuit du 24 décembre “mon beau sapin, roi des forêts…”, invoquant le génie helvétique de la diversité. Ce génie helvétique, actif depuis des siècles, nous a maintes fois permis de conserver ce qui nous est cher, ce qui compte, et d’accueillir en même temps l’autre dans sa diversité. Il aura sans doute bien des défis à relever dans les années à venir, mais gageons qu’il sera fidèle au poste, de Noël en Noël.
NB Après presque cinq années de blogging dans le Temps, je choisis de laisser cette place à d’autres. Avec ma très vive reconnaissance à cette équipe journalistique dont nous pouvons tous être fiers. Belle suite au Temps! Claire Clivaz