ECOPOP ou l’éloge de la domination au XXIème siècle

A un mois de la votation sur ECOPOP, bien des arguments ont déjà été avancés pour démontrer que cette initiative est une profonde ineptie. Au plan économique et social, une limitation du solde migratoire à 0,2% par an, soit 16'000 personnes par an (solde actuel : plus de 90'000 personnes env.) est suicidaire tant pour nos emplois que pour nos assurances sociales. Un taux d’immigration élevé se révèle notamment propice à l’AVS car la charge d’assainissement se répartit sur un plus grand nombre et permet de désamorcer les problèmes de financement sur le court et moyen terme.[1]

 

Au plan environnemental, il est établi que le texte ne propose aucune mesure concrète d’amélioration de l’environnement. La détérioration de notre espace n’est pas causée pour l’essentiel par l’augmentation de la population mais bien par la surconsommation des ressources de la part des pays développés, la suburbanisation et la surconsommation (étalement urbain, mitage du paysage, hausse des surfaces de logement par personne, mise en œuvre laxiste de la loi sur l’aménagement du territoire).  La croissance démographique n’a jamais nuit par principe à l’environnement.[2]

 

Au plan migratoire, il importe de rappeler que les migrants constituent un facteur clé du développement humain que nous devons accompagner non seulement par des instruments de gouvernance qui doivent être développés (mesures d’accompagnement, aménagement du territoire, politique du logement, mesures relatives aux infrastructures, etc.) mais aussi par une défense stricte des droits fondamentaux des migrants. En ce sens, ECOPOP contient une atteinte profondément choquante aux droits de ces derniers en opposant les droits de la nature à ceux de l’être humain (protection de la vie privée et familiale, droit au mariage et liberté de procréer).

 

Atteinte sans précédent aux droits sexuels et reproductifs des femmes

Au plan féministe, il importe de relever qu’Ecopop préconise l’encouragement de la « planification familiale volontaire » dans le cadre de la coopération au développement pour atteindre une limitation de la population dans les pays en développement et préserver ainsi durablement les ressources naturelles. Plusieurs problèmes sont ici à signaler. Les initiants réduisent de manière inacceptable la planification familiale à un moyen pour limiter la croissance démographique dans les pays du Sud et non comme un élément constitutif des droits de l’être humain et de santé des femmes. Pour toute femme, le droit de procréer comprend le choix d’avoir des enfants, le choix de rester fertile et le droit de fonder une famille (art. 8, 12 CEDH, art. 14 Cst.).[3] Comme tout droit de l’homme, il est essentiel que ce droit fondamental à procréer soit consacré en tant que tel et sans le faire dépendre d’un objectif spécifique prépondérant. De même qu’il serait choquant que le droit à ne pas être torturé soit conditionné par des objectifs politiques supérieurs, le droit de procréer doit se concevoir de manière autonome et sans arrières pensées. Promouvoir activement l’avortement et la stérilisation pour des motifs « dépopulationnistes » pose des problèmes insurmontables de proportionnalité. Tôt ou tard, se poserait la question de l’efficacité des mesures face aux objectifs à atteindre. La tentation de mettre en place des mesures plus coercitives de limitation de la population comme en Chine ou en Inde ne serait pas très éloignée.

 

En ressuscitant une politique de contrôle des naissances digne de l’époque coloniale, ECOPOP constitue un recul inadmissible pour les droits des femmes. La promotion des mesures incitatives de planning familial (éducation sexuelle, droit à la contraception et à l’avortement) se conçoivent comme un instrument de mise en œuvre des droits de l’homme, de lutte contre la pauvreté, d’abolition des inégalités et d’autodétermination des femmes. Les grossesses non désirées chez femmes sont, outre le manque de moyens de contraception, la discrimination sexuelle, les violences sexuelles et le mariage forcé. C’est pourquoi les mesures incitatives sur les moyens de contraception doivent s’accompagner d’investissements massifs de la part des collectivités dans la formation des filles et dans l’accès à l’emploi, dans la lutte contre la discrimination et les violences sexuelles, l’interdiction des mariages forcés et une éducation sexuelle globale. En fixant les parts de financements attribués aux moyens de contraception, ECOPOP renie le caractère global et subtil de l’ensemble des mesures de planification familiale.[4]

 

Aujourd’hui, il n’est pas question de renoncer à ces acquis obtenus de longue lutte par les femmes. De tous temps, le patriarcat a cherché à influer sur les forces productrices et reproductrices des femmes.  En cherchant à contrôler le ventre des femmes des pays en développement pour des motifs de confort des populations des pays riches, ECOPOP est une illustration de plus de ce phénomène. En visant les femmes précarisées des pays du Sud, la domination patriarcale des pays riches trouve ainsi réunies les conditions de son plein exercice dans un monde globalisé, dominé par les inégalités.

 

Après l’échec du 9 février dernier, il est essentiel de ne pas considérer cette votation comme acquise et de nous mobiliser pour la faire échouer.


[1] Stefan Moog, Veronica Weisser, Bernd Raffelhüschen, Prévoyance veillesse : Report du fardeau sur les générations futures. Bilan intergénérationnel de la Suisse, Publications UBS, avril 2014.

[2] Alexandre Flückiger, Limiter la population pour protéger l’environnement et garantir une occupation rationnelle du territoire, AJP/PJA 2/2014, pp. 165 à 184.

[3] Sur ces points, cf. Alexandre Flückiger, Limiter la population pour protéger l’environnement et garantir une occupation rationnelle du territoire, AJP/PJA 2/2014, pp. 165 à 184, spéc. pp. 178 ss.

[4] Sur ces questions, cf. Santé sexuelle Suisse, Prise de position du 7 mai 2014.

 

Celsa Amarelle

Professeure de droit à l'Université de Neuchâtel, Cesla Amarelle enseigne actuellement le droit constitutionnel, les droits humains et le droit de la libre circulation des personnes. Elle est également conseillère nationale (PS/VD), membre de la Commission des institutions politiques et de la Commission des finances (présidente de la sous-commission en charge de la santé), et vice-présidente des Femmes socialistes suisses.