La monnaie n’a pas besoin d’un socle matériel (même liquide)

Après le Bitcoin, le bilur présente une nouvelle monnaie privée, adossée au pétrole. Malgré ses fondations physiques (un million de barils sous le Texas) cette monnaie n’offre pas une sécurité plus forte que la monnaie standard. Vouloir ancrer la monnaie sur une fondation physique (or, pétrole, ou autre) est un souhait assez courant, mais il n’en demeure pas moins que la monnaie est par définition une bulle (pas spéculative rassurez-vous).

Le pétrole ne préserve pas vraiment la valeur

A première vue une monnaie avec une base physique est un bon moyen de conserver la valeur de son épargne. En fait pas vraiment. Le graphique ci-dessous montre l’évolution du prix du pétrole depuis 1970 (ligne bleue). Si le prix du baril est monté il est très volatile. Mieux vaut ne pas devoir retirer son épargne placée en pétrole au mauvais moment.

En plus, stocker du pétrole n’est pas gratuit : le bilur est taxé de 3.65 pourcent par année pour couvrir les frais de stockage. Ceci est loin d’être bon marché, et si nous considérons la valeur d’une épargne en pétrole nette de frais (ligne rouge du graphique), nous arrivons à 9.9 francs par baril, soit moins que la mise de départ de 14.45 francs. Un billet de banque sous le matelas aurait mieux préservé la valeur.

La monnaie est une bulle (et c’est normal)

Toute monnaie ne préserve la valeur que si nous pouvons au final l’échanger contre des biens et services. La clef de voûte de la monnaie – et de tout moyen d’échange – est l’acceptation de sa valeur par les vendeurs et acheteurs.

La monnaie est donc une convention sociale, et sa valeur découle de cet accord et non pas d’une quelconque caractéristique intrinsèque. En termes techniques, la monnaie est une bulle, c’est-à-dire un actif qui n’a de valeur que parce qu’on l’en lui donne (pas de quoi s’inquiéter car cette bulle n’est pas spéculative tant que la monnaie a force de loi).

Il en va de même pour tout support physique : la valeur de l’or par exemple va bien au-delà de son utilité en bijouterie ou en dentisterie. Certes l’or a eu un rôle important dans l’histoire financière. Mais c’était parce qu’il remplaçait des institutions défaillantes, et encore de manière imparfaite car l’étalon-or était un carcan pour la politique économique.

Les banques centrales indépendantes avec un mandat de stabilité des prix représentent une institution plus efficiente. Certes elles ne sont pas plus solides que l’accord politique qui les sous-tend. Mais il en va de même pour toutes les lois.

Cédric Tille

Cédric Tille est professeur d'économie à l'Institut des IHEID de Genève depuis 2007. Il a auparavant travaillé pendant neuf ans comme économiste chercheur à la Federal Reserve Bank of New York. Il est spécialiste des questions macroéconomiques, en particulier des politiques monétaires et budgétaires et des dimensions internationales comme les flux financiers.