Quelques observations sur la réforme des retraites

(english text below)

Après de forts longs débats, les chambres ont adopté le projet de réforme des retraites. Les points de vue très contrastés sur le sujet annoncent une campagne vive d’ici le 24 septembre, et quelques observations sont de mises.

 

Un conflit de génération ?

Une première critique est que la réforme pénalise les jeunes générations. Il est tout à fait exact que celles-ci seront moins bien loties que les générations précédentes. Mais ceci n’est pas un argument contre la réforme proposée. Tout d’abord, les jeunes générations seraient pénalisées quelle que soit la réforme : l’allongement de la durée de vie et la baisse durable des rendements financiers ne peuvent que réduire la générosité du système. En fait, la situation serait encore pire dans le cas d’une retraite à 67 ans sans compensation, ce qui serait le cas de figure en cas de refus le 24 septembre. Il est aussi normal que la réforme ne touche pas les personnes proches de la retraite, car celles-ci n’ont pas le temps de suffisamment renforcer leur avoir par des cotisations plus élevées au 2ème pilier.

Ensuite il faut garder une certaine perspective avant de crier au conflit de générations. Etre jeune en Suisse aujourd’hui c’est aussi bénéficier d’un système de formation de qualité, financé par les générations précédentes, et d’opportunités sans égales avec celles qu’avaient ces générations à leurs époques, pas si lointaines. De plus, tout n’est pas rose pour les personnes proches de la retraite. Si les plus de 50 ans connaissent un taux de chômage plus bas que les travailleurs jeunes (tableau 5 page 17), la part des chômeurs de longue durée est très nettement plus élevée chez les chômeurs de 50 ans et plus (tableau 7 page 19). Un quart de ces derniers cherchent un emploi depuis au moins une année. En d’autres termes, les plus jeunes sont plus nombreux à connaître des périodes de chômage, mais celles-ci s’avèrent courtes et débouchent sur un nouvel emploi. En revanche les travailleurs plus âgés ont plus de risque de subir une exclusion durable du marché du travail, une situation particulièrement dommageable. Sommes toutes, la vie est faite de différentes phases, certaines comme la formation ou la retraite où l’on reçoit des autres, et d’autres comme les années actives où l’on donne.

 

Se concentrer sur le 2ème pilier ?

Une seconde critique est qu’il vaudrait mieux compenser la baisse du taux de conversion du 2ème pilier par une hausse des cotisations que par une hausse des prestations du 1er pilier. Accroître les cotisations du 2ème pilier revient toutefois un peu à remplir un réservoir qui fuit. Un des développements marquant de la situation économique ces dernières années est la forte baisse des taux d’intérêts, une baisse qui n’est pas simplement le miroir d’une inflation basse mais reflète toutes sortes de facteurs structuraux qui persisteront, comme le montrent les analyses du FMI ou de la Fed de San Francisco. A moins d’accroître la prise de risque des fonds de pension, il faut donc accepter que le 2ème pilier n’est plus ce qu’il était.

Lorsque l’on considère la situation à l’échelle d’un pays, il faut en outre prendre garde à ne pas transposer tel quel les recettes s’appliquant à un individu. Si je décide d’accroître mon épargne, je ne vais pas affecter le marché car je ne suis qu’un investisseur parmi tant d’autres. Si cependant nous prenons tous la même décision, l’offre totale d’épargne augmentera et ceci fera bouger le prix (c’est-à-dire baisser le taux d’intérêt). Accroître les cotisations au 2ème pilier va donc générer une pression supplémentaire sur les rendements.

 

Redistribution par le 1er pilier

Une dernière critique de la réforme est que la hausse de 70 francs mensuelle des prestations AVS représente une approche d’arrosoir trop peu ciblée. Je reconnais que ce point est pertinent, et qu’un affinage de la hausse des prestations en fonction du revenu aurait été en théorie souhaitable. Cependant les opposants à la réforme n’ont pas fait de proposition concrète dans ce sens. En outre, étant donné le plafond assez bas des prestations AVS, même une hausse pour tous représente de fait une hausse proportionnellement plus forte pour les bas revenus. Ce sont au final les hauts revenus qui paieront la (modique) hausse de prestations. Introduire un affinage de cette hausse tiendrait du perfectionnisme helvétique.

Au final, la réforme proposée est imparfaite, ce qui est bien normal vu les nombreux arbitrages qu’elle implique. Elle ne satisfait pleinement personne, mais a le mérite d’exister. Proposer une telle réforme s’appelle tout simplement gouverner, ce qui est bien plus complexe que simplement critiquer.

 


Some comments on the reform of the Swiss retirement system

 

After a long and passionate debate, the Swiss parliament has voted a project of reform of the retirement system. Several sharply contrasted viewpoints were expressed and we can expect a very active campaign until the popular vote of September 24. Against this background, some comments are warranted.

 

A generational conflict ?

A first criticism of the proposed reform is that its cost falls more on young generations. It is true that these will get a less generous deal that their predecessors. But this is not an argument against the proposed reform. First, young generations would be adversely affected by any reform: the higher life expectancy and the sustained decrease in financial returns can only lead to a reduction of the generosity of the retirement system. In fact things would be even worse in a situation with the retirement age raised to 67 years without any offset, which is the case that would effectively prevail should the reform be turned down on September 24. It is also sensible that the reform does not affect people close to retirement, because they do not have enough time to materially raise their savings through higher payments in the capitalization leg of the Swiss system (the so-called 2nd pillar).

One should also keep a sense of perspective before complaining about a conflict between generations. To be young in Switzerland today also means benefiting from an excellent educational system, funded by previous generations, and opportunities that these earlier generations could only dream of (even not to long ago). In addition, life is not so rosy for people close to retirement age. While people above 50 have an unemployment rate lower than the one of young workers (table 5 page 17), the share of long-term unemployed is much higher among older workers (table 7 page 19). A quarter of unemployed people aged 50 or higher have been looking for work for at least a year. In other words, younger workers are more likely to experience an unemployment spell, but this turns out to be short and lead to another job. By contrast older workers are much more at risk of a persistent exclusion from the workplace, a situation that is particularly damaging. All in all, life is made of different phases, some such as education or retirement when we receive, and others such as active life when we give.

 

A focus on the 2nd pillar (capitalization leg)?

Another criticism is that it would make more sense to offset the reduction of the conversion rate of the 2nd pillar (the rate at which the savings accumulated are converted into a pension) through higher contributions to this pillar rather than higher benefits from the pay-as-you-go component of the retirement system (the 1st pillar). An increase of savings contributions however amounts to some extent to refill a leaking bucket. One of the major economic developments in recent years has been the substantial decrease in interest rates, a decrease that is not just due to lower inflation but is driven by a range of structural factors that are likely to persist, as shows in studies by the IMF or the San Francisco Fed. Unless one is will to raise the risk taking by pension funds, one must accept that the 2nd pillar is not what it used to be.

In addition, when considering the situation at the scale of a country one must be careful not to blindly transpose the reasoning applying to an individual. If I decide to increase my savings, I shall not affect the market as I am only one out of so many investors. If however we all take the same decisions, the supply of savings will increase and this will move the price (that is lower the interest rate). Increasing savings contribution will then generate further pressure on returns.

 

Redistribution through the 1st pillar (pay-as-you-go leg)

A final criticism of the reform is that the 70 franc increase in monthly benefits in the 1st pillar is a “hosing” policy that takes too little account of need. I recognize that this point is relevant, and a finer calibration of the benefits increase would have been better in theory. This said, the opponents to the reform have not made concrete proposals in that sense. Furthermore, as the ceiling of 1st pillar benefits is quite low even an increase of benefits to everybody is de facto an increase that is proportionally more substantial for retirees with low incomes. In fact, the individuals with high incomes will be the ones paying for the (moderate) increase in benefits. Introducing a fine tuning would be a case of Helvetic perfectionism.

All in all the proposed reform is far from perfect, which is hardly a surprise given the numerous trade-offs that it includes. It makes nobody happy, but is at least a real proposal on the table. To propose such a balanced package is simply called governing, which is much more complex that simply criticizing.

Cédric Tille

Cédric Tille est professeur d'économie à l'Institut des IHEID de Genève depuis 2007. Il a auparavant travaillé pendant neuf ans comme économiste chercheur à la Federal Reserve Bank of New York. Il est spécialiste des questions macroéconomiques, en particulier des politiques monétaires et budgétaires et des dimensions internationales comme les flux financiers.