10 ans après le Grand Séisme du Tohoku

Le Japon commémore aujourd’hui le dixième anniversaire du terrible tremblement de terre et du tsunami qui a dévasté la côte nord-est du pays le 11 mars 2011 (le « Grand Séisme du Tohoku », comme il est nommé ici). A l’étranger, on se souvient surtout du désastre nucléaire de Fukushima engendré par le tsunami, dont les répercussions se sont fait sentir autour du monde. Au Japon, ses conséquences furent dramatiques pour les habitants des environs, dont la plupart ne peuvent ou ne désirent pas encore retourner dans leurs villes et villages natals. Beaucoup sont restés traumatisés par une évacuation dans la panique et des années d’anxiété et d’incertitude. Quant à la centrale elle-même, il faudra des décennies pour la démonter et décontaminer autant que possible le site.

Le public japonais s’est entre-temps complètement retourné contre l’énergie nucléaire, malgré les efforts du gouvernement pour le convaincre qu’elle doit continuer à faire partie du bouquet énergétique du pays afin de faire face à l’urgence climatique ; malgré aussi le renforcement d’une agence régulatrice qui a imposé des normes de sécurités draconiennes. Seuls neuf des 54 réacteurs de l’archipel ont été réactivés. Les autres sont voués à être mis hors service ou font face à un avenir très incertain.

 

Une blessure profonde, une restauration très inégale

L’accident nucléaire n’est cependant pas au centre des commémorations nationales de la catastrophe du 11 mars. Aussi effroyable soit-il, il pâlit face au coût humain que le tsunami a imposé aux communautés côtières des provinces de Fukushima, de Miyagi et d’Iwate. Les plus de 18’000 personnes noyées par les flots et les bourgades entières emportées en un instant ont laissé une blessure profonde. Celle-ci fait désormais partie intégrale de l’identité de la région. Le visiteur verra les mémoriaux défiler et le sujet fera partie de toutes les conversations qu’il pourra avoir avec ses habitants. Le dixième anniversaire qui tombe aujourd’hui, marqué par des cérémonies tenues dans le nord-est et tout autour du pays pour honorer les victimes du tsunami, n’est donc qu’un épisode – certes majeur – dans un processus continu d’entretien de la mémoire collective.

Les médias japonais marquent également l’occasion par de nombreux reportages sur la façon dont les localités affectées se sont reconstruites. Cette reconstruction est en réalité encore incomplète et inégale. De nombreux logements, voire des villages entiers, ont été rebâtis dans des zones surélevées à l’abri de toute crue violente et les autorités locales ont élaboré des projets détaillés de revitalisation de leur communauté. Des dizaines de milliers de personnes évacuées en 2011 n’ont cependant pas encore retrouvé de nouveau logement définitif. Le séisme a de plus accéléré la dépopulation des zones rurales et reculées qui touche tout l’archipel. La tendance est particulièrement aiguë dans la province de Fukushima en raison de la charge supplémentaire de l’accident nucléaire. Seule Sendai – la plus grande ville du Nord-Est – a vu sa population augmenter grâce à une immigration intérieure qui surcompense la baisse naturelle entrainée par le vieillissement de la société nippone.

 

Une réponse de Tokyo insatisfaisante

Les habitants du Tohoku ont longtemps soupçonné le gouvernement central de les négliger au profit du couloir entre Tokyo et Osaka, le cœur économique du pays qui héberge la majorité de la population. Les efforts de reconstruction après le Grand Séisme n’ont pas changé leur opinion. Les autorités nationales se sont concentrées sur des grands projets d’infrastructure dont elles raffolent – outre la décontamination à large échelle des lieux d’habitation autour de la centrale de Fukushima, des centaines de kilomètres de digue massive et une « route de la reconstruction » longeant toute la côte de la région – qui auront certes des effets positifs mais sont également d’une grande laideur et dommageables à l’environnement. Beaucoup moins d’attention a été accordée aux besoins plus complexes des municipalités côtières qui tentaient de rebâtir une vie communautaire plaisante.

On soupçonne donc le gouvernement central d’avoir pour projet de déployer des bulldozers, de créer quelques monuments dédiés à ses prouesses de poseur de béton, et de déclarer sa tâche accomplie à temps pour les Jeux olympiques baptisés « de la reconstruction ». Un incident il y a quelques années, lorsqu’un ministre avait soulevé un tollé par une remarque maladroite suggérant que le Tohoku était moins important que d’autres régions, montre à quel point le sujet est délicat. Entre les défauts des plans de reconstruction et les faiblesses fatales du régime de supervision du nucléaire révélées par l’accident de Fukushima, les suites du Grand Tremblement de Terre n’ont quoi qu’il n’en soit pas servi à renforcer la confiance de la population japonaise envers la compétence des autorités nationales.

 

Certaines leçons tirées

Celles-ci sont cependant plus que jamais conscientes à quel point leur légitimité dépend de leur capacité à gérer les tremblements de terre et autres désastres naturels que le Japon est voué à subir régulièrement, et à porter assistance rapidement aux régions affectées. L’assimilation des leçons du 11 mars 2011 fut pleinement visible il y a quelques semaines (le 13 février pour être précis), lorsque le Tohoku fut à nouveau touché par un puissant séisme.

Celui-ci a causé de grands dommages matériels et plusieurs blessés, mais n’a heureusement fait qu’une seule victime. Les améliorations du système d’alerte et de réponse national étaient néanmoins frappantes. La chaîne d’information nationale (la NHK) a alors montré le point d’origine du séisme et affirmé qu’aucun tsunami n’était à craindre avant même que la terre ne cesse de trembler. Dans les cinq minutes, on annonçait qu’une cellule de crise présidée par le Premier Ministre lui-même avait été mise en place et que les Forces d’auto-défense se tenaient à disposition pour toute opération de secours. Peu après, les informations quant aux abris à disposition des personnes victimes de coupure de courant ou dont les logements semblaient instables étaient diffusées (le séisme a frappé vers 11h du soir). Dans les jours qui ont suivi, les autorités nationales se sont efforcées de souligner à quel point elles prenaient au sérieux la gestion des conséquences de la secousse. A l’heure où il s’attire de vives critiques pour les faiblesses de sa réponse à un autre type de calamité – covid-19 –, le gouvernement semble déterminé à prouver que, dans les domaines des désastres naturels au moins, il a su tirer leçon des erreurs passées.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.