Pourquoi nombre de Chinois continuent d’admirer Donald Trump

C’est un euphémisme de dire que Donald Trump est impopulaire hors de son pays. Un sondage (en anglais) réalisé récemment par le Pew Research Center dans vingt-cinq pays révèle qu’une moyenne de seulement 27% lui font confiance pour bien agir sur la scène internationale. L’image des Etats-Unis a également beaucoup souffert après les années fastes de la présidence de Barack Obama. Les lecteurs seront donc peut-être surpris d’apprendre que l’image de l’occupant de la Maison Blanche reste assez positive dans un endroit où on ne l’attendrait pas, à savoir en Chine.

 

Trump le « gagnant »

Les sondages sur les questions internationales sont rares dans ce pays. Il devient cependant vite clair en se baladant sur WeChat, ou à travers des comptes rendus de chercheurs ayant récemment séjourné à Pékin (et à travers mes conversations personnelles avec des amis chinois), que, malgré la guerre commerciale lancée par M. Trump contre la Chine, les internautes, tout comme les élites politiques, continuent de vouer une certaine admiration à l’homme que la plupart des Européens abhorrent.

C’était déjà le cas au moment de son élection il y a deux ans. Les raisons de ces opinions positives, que j’avais évoquées dans un billet écrit à l’époque, continuent d’expliquer en partie ce phénomène : M. Trump a démontré, en gagnant la course présidentielle malgré l’opposition d’élites méprisées, son habileté politique, que beaucoup, peut-être peu familiers avec son vocabulaire et sa façon de parler, prennent pour de l’intelligence ; nombre de Chinois respectent également les hommes d’affaires à succès et les célébrités pour avoir « réussi dans la vie » (ignorant probablement à quel point le succès de Donald Trump est en réalité très douteux et bâti sur des fraudes en tout genre).

 

Une vision sombre de l’hégémonie américaine

On pourrait cependant s’attendre à ce que les attaques commerciales du Président contre la Chine et le virage vers une attitude très hostile parmi les élites américaines, encouragé par son administration, diminuent quelque peu cette positivité initiale. Pour comprendre pourquoi ce n’est pas le cas, il faut prendre en compte la vision cynique et négative des Etats-Unis et de la politique internationale qui est courante en Chine.

La rhétorique officielle chinoise présente en effet les Etats-Unis comme un pouvoir hégémonique toujours prêt à utiliser la force pour obtenir ce qu’il désire ou pour forcer autrui à se comporter conformément à ses attentes. Les appels des précédents présidents américains aux idéaux de démocratie et de liberté ne sont dès lors rien d’autre qu’un masque hypocrite cachant une mentalité de brute.

 

Qui plus est, l’irruption des puissances impériales occidentales en Asie de l’Est au 19e siècle et leurs actes d’agression et de colonisation envers les pays de la région ont marqué au fer rouge l’esprit des Chinois. Cette période douloureuse les a convaincus que malgré l’attachement proclamé de ces puissances au droit international et à la coopération multilatérale, ce sont bien la loi du plus fort et les luttes de pouvoir qui règnent dans le système étatique dominé par l’Ouest.

Cette vision dure de la politique internationale contemporaine reste fortement ancrée jusqu’à ce jour, alimentée par un système éducatif qui souligne le « siècle d’humiliation » vécu par le pays aux mains des puissances impériales. Cette expérience est utilisée pour justifier la nécessité de soutenir le Parti Communiste dans sa lutte pour rendre à la Chine sa sécurité et sa grandeur d’antan face aux Etats-Unis. Ceux-ci sont vus comme l’héritier de la néfaste tradition impérialiste occidentale, prêts à tout pour empêcher l’Empire du Milieu de retrouver sa juste position parmi des grandes nations de ce monde.

 

Confirmation des images préconçues

Avec cela en tête, on comprend mieux pourquoi la présidence de M. Trump peut être vue comme un succès de l’autre côté du Pacifique. Contrairement à ses prédécesseurs, il a laissé tomber le masque d’hypocrisie, parle peu de démocratie et de droits de l’homme et assume totalement son rôle de fier-à-bras de la société internationale, prêt à toutes les menaces pour « battre » les autres pays. Pour certains Chinois, cette honnêteté est rafraîchissante.

Le Président insiste de plus sur le besoin d’augmenter les dépenses militaires pour assurer la suprématie américaine et ses attaques commerciales envers la Chine la touche à l’endroit le plus douloureux, le porte-monnaie. Son administration décrit ouvertement la Chine comme un « concurrent stratégique ». Pour ceux qui considèrent la puissance militaire et économique comme la plus importante mesure du succès d’un pays et voient les relations entre Etats comme une compétition pour la survie et la domination, M. Trump semble donc avoir judicieusement recentré son pays sur ce qui compte le plus en politique internationale, faisant de lui un redoutable adversaire.

 

Un adversaire avant tout

En effet, si le Chinois moyen peut se contenter de profiter du spectacle d’un président confirmant tous les clichés de l’Américain comme cow-boy rustre et sans foi ni loi, pour les élites politiques, M. Trump représente, quel que soit le respect qu’elles pourraient lui vouer, avant tout une menace. Si certains voient en lui un fin stratège, c’est bien pour avoir précipité une confrontation avec la Chine – probablement inévitable de par les lois de la lutte des puissances – avant que celle-ci ne devienne trop forte pour être contenue. Il est ainsi le chef de file de forces américaines hostiles, jalouses du succès de la Chine et prêtes à tout pour l’amoindrir.

Même s’il est applaudi pour avoir l’honnêteté et le réalisme de déclarer ouvertement sa détermination à voir son pays « battre » tous ses adversaires, M. Trump reste donc le plus grand obstacle à l’accomplissement des rêves chinois. Si le Président espère calmer les tensions par des appels personnels aux élites de Pékin, il va vite déchanter.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.