L’étrange attrait des internautes chinois pour Donald Trump

L’élection de Donald Trump à la présidence américaine est pleine de risques comme de promesses pour la Chine, comme l’explique Julie Zaugg ailleurs sur ces pages. Une chose est sûre, la lumière peu flatteuse que jette cette élection sur la démocratie américaine ne peut que réjouir Pékin.

 

Grand intérêt sur le web

En effet, de même que pour le vote pro-Brexit en Angleterre en juin, la première réaction de mes amis chinois ici à Tokyo est de voir dans l’élection de M. Trump une preuve que l’on ne peut laisser une population souvent mal informée et gouvernée par les émotions plutôt que par la raison décider de questions cruciales pour l’avenir du pays et du monde. Voilà un sentiment qui ravirait les dirigeants de Pékin cherchant à tout prix à préserver la dictature du Parti Communiste.

Cependant, si l’intelligentsia chinoise peut éprouver un mélange de répulsion et de Schadenfreude face à la victoire de M. Trump, il n’en va pas de même pour une majorité des internautes chinois, qui ont été tout aussi séduits par le populiste au teint orange que les habitants de l’Amérique profonde. En effet le phénomène Telangpu (comme le nom Trump est retranscrit en mandarin) fait grand débat sur les sites internet chinois, et suscite un intérêt incomparable à celui qu’avaient déclenché par exemple les faits et gestes de Barack Obama. Nombreux sont ceux qui se sont réjouis de sa victoire.

 

Les élites ne sont pas populaires en Chine non plus

Comme l’explique le bloggeur Ma Tianjie dans un excellent billet (en anglais), cette popularité de M. Trump de l’autre côté du Pacifique a plusieurs sources. L’une est bien sûr l’espoir que la « contraction stratégique » des Etats-Unis sous sa présidence laissera la place libre aux ambitions chinoises (en Asie surtout), ou que le businessman sera plus pragmatique dans ses échanges avec Pékin et moins désireux d’aborder la question des droits humains ou de défendre les alliés asiatiques de son pays.

Une autre source est cependant un anti-élitisme qui rappelle beaucoup les raisons du succès de M. Trump en Amérique. Ces élites, ce sont, selon les supporters chinois de Trump, d’abord les dirigeants occidentaux (et les citadins éduqués qui les soutiennent) refusant de reconnaître la menace posée par l’immigration et par le terrorisme islamiste et ayant perdu le contact avec les classes ouvrières en s’enfermant dans un libéralisme social bien pensant. Ce sont également les « gauchistes blancs », un terme méprisant utilisé pour désigner les jeunes et riches Chinois éduqués en Occident ou « contaminés » par des valeurs jugées par certains comme nocives pour la société chinoise.

 

Comment expliquer le fait que nombre de Chinois se sont également laissés convaincre par les propos si négatifs, en grande partie mensongers et largement répugnants de M. Trump et d’autres politiciens populistes ? Une première raison tient à la propagation jusqu’en Chine de la désinformation et des nouvelles fictives diffusées par des sites pseudo-journalistiques d’extrême-droite comme Breitbart – mensonges et grossières exagérations prises au mot par des internautes qui ont peu de moyens de se faire leur propre idée du véritable état de la situation dans les pays occidentaux.

Certains détectent également sur les forums de discussion chinois un mélange de sentiments quelque peu contradictoire. D’un côté une certaine empathie, vestige d’un passé où l’idéologie communiste dominait, avec la classe ouvrière en Chine et ailleurs, maltraitée par les changements technologiques et (dans certains cas) par la globalisation. De l’autre, une conversion, causée par les années de croissance économique débridée, à un darwinisme social dur qui consacre la loi du plus fort et rend certains Chinois sensibles au prétendu succès en affaires de M. Trump et à sa rhétorique de la division entre les « citoyens méritants » et les autres.

 

L’émergence d’un agenda conservateur en Chine ?

Comme le dit Ma Tianjie, à travers la fascination pour M. Trump, on peut donc voir se coaguler une partie de l’opinion publique chinoise qui embrasse un agenda proche de celui des Républicains américains d’aujourd’hui : fermeture à l’immigration, préservation de la base industrielle, promotion de la mobilité sociale et conservatisme sur les questions d’identité sexuelle. L’élection américaine aura donc peut-être servi de catalyseur des deux côtés du Pacifique, mais comme aux Etats-Unis, cela présage également plus de confrontation entre différents courants sociaux.

En effet, si l’élection de Donald Trump a mis en lumière le conservatisme d’une partie de la population chinoise, elle n’en a pas pour autant fait disparaître une autre partie de cette population qui reste libérale du moins sur les questions économiques et sociales, et partisane d’une plus grande ouverture de la société chinoise. En plus des clivages entre réformateurs et communistes qui ont depuis les années 1980 animé la politique chinoise, nous sommes donc peut-être en train d’assister à l’émergence de nouvelles lignes de bataille très familières pour ceux qui ont suivi les développements politiques récents en Occident. Ici comme ailleurs, la Chine semble pressée de fermer l’écart avec les pays développés.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.