Le Japon face à Donald Trump

Impossible ces jours-ci de parler d’autre chose que de la victoire surprise de Donald Trump durant l’élection présidentielle américaine, qui a plongé le monde entier dans l’incertitude. Qu’en est-il au Japon ? En bref, les habitants de l’archipel sont tout aussi sidérés et horrifiés que le reste de la planète.

Les grands journaux expriment leur inquiétude pour la stabilité économique et politique internationale, et pour le sort des minorités ethniques, religieuses et sexuelles aux Etats-Unis. Sur Internet, on est fasciné par le succès de M. Trump malgré son manque total d’expérience, sa rustrerie et une flagrante absence d’empathie pour beaucoup de ses concitoyens. Tout cela va complètement à l’encontre des valeurs sociales japonaises – respect pour la séniorité, importance de la cohésion sociale, bonnes manières… L’opinion publique japonaise est donc largement en accord avec la majorité des Européens.

 

Les éloges de M. Abe

Quid du monde politique ? Le Premier Ministre Shinzo Abe s’est empressé de féliciter chaleureusement M. Trump. Il est même allé jusqu’à faire l’éloge de son succès comme « businessman aux talents extraordinaires » et à exprimer sa confiance que l’Amérique deviendrait « encore plus grande » grâce à son « leadership fort ». M. Abe sera l’un des premiers dirigeants étrangers à rencontrer M. Trump cette semaine à New York.

Cette surprenante démonstration d’enthousiasme n’est cependant pas le signe d’une quelconque affinité politique entre les deux hommes. Au contraire, le gouvernement japonais a beaucoup à craindre de l’Amérique sous la présidence de M. Trump, et leurs relations risquent d’être difficiles. Il faut plutôt voir là une démonstration du pragmatisme de M. Abe, héritier d’une longue tradition dans la politique étrangère du Japon.

 

Pragmatisme et engagement

En effet, si le pays est aujourd’hui un sincère avocat du pacifisme et du respect pour les règles et les institutions de la société internationale, il ne partage pas pour autant l’ambition des grands pays occidentaux de promouvoir la démocratie et les droits humains chez ses partenaires, préférant faire valoir que les relations continues même avec des régimes parfois peu ragoutants auront un impact positif sur le long terme.

C’est pourquoi le Japon était par exemple bien plus actif que les pays occidentaux au Myanmar avant son ouverture et sa démocratisation partielle en 2007, ou fut l’un des premiers à renouer avec la Chine communiste dans les années 1970. Bien entendu, la poursuite des opportunités économiques et les froids calculs de l’intérêt national du Japon comptent également pour beaucoup dans ce genre de décisions.

 

M. Abe n’hésite donc pas aujourd’hui aussi à fraterniser avec des dirigeants autoritaires s’il y voit un clair intérêt pour son pays. Il a par exemple longtemps tenté de se rapprocher de Vladimir Poutine – et n’a suivi qu’avec réticence les pays occidentaux dans l’application de sanctions après la crise en Ukraine – dans l’espoir de résoudre enfin la dispute territoriale autour de quatre îles qui oppose le Japon à la Russie depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale et qui empêche encore aujourd’hui la signature d’un véritable traité de paix.

M. Abe a également déroulé le tapis rouge pour Rodrigo Duterte, le président populiste des Philippines, élu l’année dernière et souvent surnommé le « Trump de l’Asie », et a évité de critiquer ses dérives autoritaires afin de préserver la bourgeonnante relation qu’ont développée les deux pays en termes de commerce et de sécurité.

 

A quel point la flatterie aidera-t-elle ?

C’est sous ce même angle qu’il faut voir les éloges du Premier Ministre japonais envers M. Trump. Il a calculé, probablement à juste titre, qu’ignorer les controverses suscitées par le nouveau président américain et flatter son égo fragile et surdimensionné facilitera l’entente entre les deux chefs d’Etats, et permettra peut-être de diminuer le prix à payer par le Japon pour préserver une bonne relation avec les Etats-Unis.

En effet, si l’on prend au mot les déclarations de M. Trump durant la course à la présidence, Tokyo a beaucoup à craindre dans ses relations avec sa future administration. Bien qu’il s’attaque aujourd’hui plutôt à la Chine et au Mexique, le nouveau président avait auparavant longtemps traité le Japon de « voleur » en raison du surplus commercial avec les Etats-Unis que généraient ses exportations de produits en tous genres. Encore plus inquiétant, M. Trump a menacé d’abroger la garantie de sécurité offerte par les Etats-Unis à ses alliés si ceux-ci ne paient pas « une part équitable » du coût de leur défense et n’a pas exprimé beaucoup d’inquiétude face au programme nucléaire nord-coréen, suggérant même durant une interview que le Japon devrait peut-être lui-même acquérir la bombe atomique.

Etant donné l’importance du commerce avec les Etats-Unis pour l’économie japonaise et le fait que l’alliance entre les deux pays est au centre de la politique étrangère et sécuritaire nippone, ces propos ont de quoi susciter l’inquiétude. Certains conseillers de M. Trump ont déjà tenté de rassurer en soulignant l’importance de ses alliances pour les Etats-Unis, et en promettant même une augmentation de la présence militaire américaine en Asie pour contrer la Chine montante et maintenir une « paix par la force », mais nul ne peut aujourd’hui deviner quelle politique le nouveau président adoptera. Ni un regain de tension avec la Chine ni un retrait américain hors de l’Asie ne seraient les bienvenus pour les autres pays de la région.

 

Vu ces incertitudes, on peut comprendre que M. Abe veuille prendre les devants et s’assurer le plus possible les bonnes grâces d’un nouveau président que l’on sait extrêmement capricieux et vindicatif. Reste à savoir si les flatteries seront suffisantes pour éviter une dégradation de l’alliance entre le Japon et les Etats-Unis. Il est dans tous les cas possible que Tokyo se voie forcé de s’opposer à M. Trump si celui-ci menace d’abjurer ou de porter atteinte aux institutions qui garantissent une certaine stabilité à la vie internationale et que le Japon est déterminé à préserver.

 

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.

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