Le Japon à nouveau face à la menace nord-coréenne

La Corée du Nord fait une fois de plus la une des journaux ces dernières semaines suite aux multiples essais de lancement de missiles balistiques que le régime de Kim Jong Un a récemment effectués avec plus ou moins de succès et à la guerre des mots de plus en plus intense entre Pyongyang et Washington. Le Japon, sous la menace directe des missiles nord coréens est bien entendu concerné au premier chef.

J’avais déjà publié en septembre dernier, lors d’un précédent épisode de tensions suite à un test nucléaire, un billet sur la réaction des citoyens de l’archipel face à cette menace ; les sentiments de la population nippone ont peu changé depuis : il règne aujourd’hui encore un sentiment de résignation face à un voisin capricieux et déraisonnable, et la menace nord-coréenne justifie les efforts du gouvernement japonais pour renforcer ses capacités de défense.

 

L’allié modèle

Le grand changement, depuis septembre dernier, est bien sûr la transition de la présidence de Barack Obama à celle de Donald Trump. Ce dernier a été critiqué pour sa rhétorique belliqueuse qui contribue à la montée des tensions, et pour s’être ensuite couvert de ridicule en annonçant de façon prématurée le déploiement d’un groupe naval de combat au large de la péninsule coréenne, alors que les vaisseaux en question étaient encore en mission à l’autre bout du continent.

Le Japon officiel ne s’est cependant pas joint aux critiques. Au contraire, Tokyo continue de suivre la politique choisie après le choc de l’élection de Donald Trump, à savoir se comporter en allié modèle et redoubler son engagement avec la nouvelle administration dans l’espoir d’éviter les potentielles retombées négatives du protectionnisme et du nationalisme affichés du président américain. Le bon contact lié par Shinzo Abe, le premier ministre japonais, avec ce dernier a semble-t-il contribué à éviter toute tension entre Tokyo et Washington (aidé en cela par les pragmatiques choisis par M. Trump pour s’occuper de la sécurité nationale) et l’alliance entre les deux pays est aujourd’hui plus solide que jamais.

 

Dans la crise coréenne actuelle, donc, le gouvernement japonais est pour le moment resté plutôt silencieux, déclarant simplement qu’il était en coordination étroite avec son allié et qu’il avait demandé à être consulté avant que le Pentagone ne lance une quelconque opération. Le Japon a également profité de l’arrivée du groupe naval de combat mentionné plus haut pour invoquer pour la première fois le droit à l’auto-défense collective, établi après une grande controverse il y a bientôt deux ans, et envoyer quelques vaisseaux assister les Américains.

 

Un sentiment de menace réelle

La politique agressive de la nouvelle administration américaine reçoit également le soutien d’une (relativement faible) majorité de la population japonaise selon des sondages récents. Cela n’est pas surprenant puisque les mêmes sondages montrent que plus de 90% des habitants de l’archipel se sentent menacés par les actions du régime de Pyongyang. La menace est telle qu’une partie du public est même prête à envisager l’acquisition, par le Japon, de moyens permettant de lancer une attaque préventive contre les installations militaires nord-coréennes – ce qui aurait été impensable il y a dix ans encore. L’inquiétude à l’égard de la belligérance du royaume ermite est donc bien réelle.

La plupart des Japonais préfèrent cependant encore la voie diplomatique pour tenter de résoudre la question nord-coréenne, et seulement 21% sont favorables à plus de pression militaire. Tout comme leurs voisins sud-coréens, encore plus exposés à la menace du nord, les habitants de l’archipel seraient donc certainement opposés à une attaque initiée par les Etats-Unis. Les risques de représailles que pourraient lancer Pyongyang contre les alliés de Washington font en effet froid dans le dos.

 

Cela n’empêche pourtant pas la vie de continuer de suivre son cours comme si de rien n’était dans l’archipel. La Corée du Nord fait certes souvent la une des nouvelles, et toute mention du sujet suscite une expression mélangeant inquiétude, exaspération, résignation et lassitude. Cependant, après plus de vingt ans d’un problème nucléaire nord-coréen que personne ne semble savoir résoudre mais qui ne s’est encore jamais transformé en crise aigüe, les habitants de la région ont appris à “vivre avec” et à ne pas laisser la question les déranger outre mesure. Pour les paisibles Japonais, les déclarations guerrières grand-guignolesques de Pyongyang pourraient tout autant venir d’une autre planète.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.

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