Apprendre aux “petits suisses” à coder… vraiment?

Digital, ô digital… alors que s’agitent les géants du numérique autour d’enjeux allant de l’encodage d’informations sur des séquences ADN à l’implantation de puces destinées à augmenter nos capacités cérébrales et physiques, l’arrière-garde semble se concentrer sur des éléments anecdotiques au pays du chocolat et des montagnes (qui risque bien de s’y cantonner à nouveau si rien ne bouge…)!

Fans du solutionnisme, ceci est un message pour vous: de la même façon qu’en engageant un Y ou un Z dans l’entreprise, on règle le problème de sa transformation numérique (avec un titre de CDO, c’est encore mieux!), en apprenant aux enfants à coder dès l’école, on en fera l’élite planétaire de demain… Réjouissons-nous: notre Président qui milite pour le rire à l’international pourra reprendre sa bannière avec un plan destiné à nous permettre de rivaliser avec Palo Alto ou Tel-Aviv, à savoir, des enfants biberonnés à la programmation

Aaah, si c’était aussi simple, la culture numérique, ce serait évidemment bien moins compliqué. CQFD. Pourtant, au risque de faire redondance avec mon article paru sur Linkedin, je ne crois pas que l’atout principal de la Suisse, et assurément pas celui qui fera sa différence demain, réside dans la capacité de son école à formater une nouvelle génération, d’autant moins qu’elle a déjà prouvé être assez performante en la matière…

Au-delà de la capacité à coder, outil important, mais pas indispensable, il me semble que d’autres compétences pourraient se révéler fort utiles à l’avenir – elles le seraient aujourd’hui déjà, mais étant donné que nous parlons des générations futures… – indépendamment de l’aspect technique (tellement rassurant, mais si peu pertinent somme toute: d’autres pays fabriquent plus de techniciens que nous ne sommes d’habitants en Europe):

  • la capacité à s’exprimer en public ou à expliquer une idée, un projet devant une audience
  • la capacité à défendre son point de vue avec des arguments étayés
  • la capacité à analyser ce que l’on nous dit ou montre, et à forger son opinion propre
  • la capacité à développer des connexions entre des univers apparemment sans rapport immédiat
  • la capacité à formuler, par oral ou par écrit
  • la capacité à aller vers l’Autre, sans inhibition ou complexe
  • la capacité à poser une question, sans craindre d’être jugé
  • la capacité à garder l’esprit ouvert sur ce qui nous est étranger
  • la capacité, enfin, à se donner le droit d’échouer

Evidemment, il s’agit d’une liste non exhaustive, et que d’aucuns compléteront à leur guise, mais si nous pouvions éviter de tomber dans nos travers d’ingénieurs en imaginant que tout se réglera demain par la maîtrise de la machine alors que ceux à qui nous voulons ressembler ont déjà compris que l’avenir est à la maîtrise des applications, ce serait bien…

Comme le disait le grand Clint: le monde se divise en deux catégories de personnes, ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent.

Ce serait dommage que la Suisse se résume à former ceux qui tiennent une pelle.

#JamaisSansElles

Alors que le contenu est devenu roi, y compris dans nos contrées, que le contexte thématique tente de faire le lien avec les centres d’intérêts du business et que chaque institution, organisation, association, école, et autres collectivités y va de sa conférence ou de sa table ronde, les panels de messagers, eux, par contre, continuent de ressembler désespérément à ceux du siècle dernier…

90, voire 100% des intervenants, speakers, conférenciers issus de la gente masculine, et parmi celle-ci, on privilégie encore ceux nés avant les années 70 plutôt que la génération suivante… Vous me direz qu’avec des sujets aussi techniques que le numérique, l’intelligence artificielle, voire l’innovation de rupture ou la cybersécurité, des sujets de castes aussi segmentant que les Conseils d’administration, le leadership, l’innovation managériale ou l’usine 4.0, il paraît difficile de trouver des représentantes féminines “à la hauteur” de leurs congénères en terme d’expertise… Eh bien que nenni!

Je connais autant de femmes que d’hommes capables d’intervenir sur ces sujets, si les organisateurs/médias veulent bien se donner la peine de mettre à jour leur base de données d’experts et prendre en considération le fait qu’une conférence à 18 heures ne se marie pas forcément bien avec les horaires de repas des enfants, tout comme une émission en direct à 8h30 est plutôt incompatible avec le transbahutage à l’école du dernier-né.

Bien sûr, les choses changent: on voit désormais apparaître des événements typiquement féminins, mais qui ont l’inconvénient de faire fuir ces messieurs, un peu comme s’il fallait continuer de choisir entre les uns et les autres sans jamais pouvoir nous retrouver ensemble autour de la même table, tout comme dans nos vies privées, finalement. Quand l’un assiste à une conférence, l’autre garde les enfants et vice-versa…  Heureusement, il y a aussi des journalistes flexibles, qui sont prêts à accueillir votre progéniture le temps d’une interview dans leurs locaux, histoire de ne pas se priver de votre présence. Eh oui, c’est bien beau de dire “ça manque de femmes” d’un côté et de n’avoir rien à vous proposer quand vous demandez si l’option “garderie provisoire” est incluse dans la proposition!

Alors voilà, désormais, chaque fois que je vois passer un événement composé à quasi 100% d’hommes parmi les experts, j’interpelle l’organisateur; et si celui-ci me dit qu’il n’a trouvé personne, je me fais fort de lui donner des noms, histoire qu’il n’ait aucune autre excuse que son manque de curiosité pour proposer un panel monomaniaque.

Chez nos amis français, ils vont plus loin, comme souvent. Mais je dois avouer que de temps en temps, ça fait du bien dans un pays où on ne va sans doute parfois pas assez loin…

Une cinquantaine de décideurs et d’influenceurs hommes et femmes ont ainsi signé une initiative appelée #JamaisSansElles et qui invite à boycotter les manifestations exclusivement masculines dans la mise en lumière d’experts et d’expertises, et j’irais même au-delà: celles dans lesquelles les femmes ne sont là que pour parler de sujets dits “féminins”.

Pour ma part, j’ai définitivement décidé de ne plus assister à ce genre d’événements, et j’attends avec impatience le jour où on inversera les profils des intervenants/experts avec celui des hôtes et hôtesses lors des grands raouts de Suisse romande: ça donnera du boulot à tout le monde sans segmenter sur le physique ou l’âge dans un sens comme dans l’autre… A bon entendeur!

Mark Zuckerberg, le nouveau petit père du peuple?

Mark Zuckerberg: la loi du plus fort?
Mark Zuckerberg: la loi du plus fort?

Je ne sais pas si vous avez regardé la magnifique présentation (dites “Keynote” pour faire plus tendance) du célèbre fondateur de Facebook: le sémillant trentenaire Mark Zuckerberg. A la fois homme 3.0 (il a pris congé lors de la naissance de sa fille et posté plein de photos attendrissantes de sa progéniture sur… Facebook, évidemment), humaniste (à la naissance de sa fille, toujours, il a décidé de donner 99% de ses actions à la Fondation qu’il a créée – lui permettant, accessoirement de profiter de quelques déductions fiscales (mais ne soyons pas cyniques…)), patron averti (il a développé en moins de 15 ans une des entreprises les plus performantes de tous les temps, révolutionnant nos interactions sociales du même coup), féministe (il a recruté Sheryl Sandberg, ancienne de chez Google et créatrice du mouvement Lean in, qui ne cesse de lui rendre grâce), Mark et ses t-shirts gris sont devenus le symbole de la réussite et de l’accélération de l’innovation technologique mises au service de l’Humanité.

Ainsi donc, si vous jetez un coup d’oeil sur son “show” (on y décèle quelques relents des efforts incommensurables que lui demande la prise de parole en public) vous aurez le privilège de découvrir la vision sur 10 ans de Mark pour Facebook, mais aussi, pour le Monde. Son leitmotiv? Permettre à n’importe qui de partager n’importe quoi avec tout le monde. Et c’est beau. Parce que sur le papier, Mark va s’évertuer dans les années à venir à connecter les 4 milliards de personnes qui naviguent pour l’instant dans les eaux troubles de l’ignorance, afin de leur permettre d’avoir, eux aussi, accès à la connaissance, à l’information, aux services, surtout.

D’ailleurs, il va non seulement les connecter techniquement, mais aussi leur offrir la possibilité de tester gratuitement des services, dont ceux de première nécessité, liés à la santé, par exemple. Toujours aussi beau. Le tout via des interfaces conçues pour être moins gourmande en données, afin de limiter les coûts pour des internautes au pouvoir d’achat relativement faible. Et bien sûr, il va aussi proposer aux entreprises de tester en version démo la présentation de leurs services et produits sur ces interfaces allégées. Car Mark veut bien offrir l’accès à l’information pour les populations moins bien loties, mais ces 4 milliards de connectés à venir sont surtout 4 milliards de consommateurs potentiels pour ses clients, et 4 milliards de producteurs de contenus supplémentaires pour alimenter ses canaux de distribution.

Non content de connecter les “Cosette du numérique”, Mark veut aussi nous permettre de rester en contact avec nos différents cercles de relation, et de façon plus confidentielle, plus privée. Whatsapp a récemment subi un encryptage de bout en bout pour nous protéger de l’ingérence de l’Etat (Facebook, lui saura avec qui vous avez communiqué, même s’il ne pourra probablement pas savoir sur quoi – le code source n’étant pas publié, nous n’avons que leur parole…), et hier c’était au tour de Messenger de déployer ses deux nouveaux atouts:

1. la possibilité, pour n’importe qui, d’entrer en contact avec une entreprise en direct via Messenger (et d’affiner ses demandes avec le soutien de l’intelligence artificielle)

2. la possibilité d’effectuer un nombre d’opérations (paiement, recherche, partage de documents, etc.) qui ressemblent davantage aux caractéristiques d’un Browser ++ que d’un service de messagerie pure et simple.

Vous serez donc à l’intérieur de Facebook, mais à l’intérieur de Messenger, avec de telles possibilités (et une captation stimulée par les réponses pertinentes des algorithmes) que vous n’aurez plus envie ou besoin de sortir de chez vous… pardon, de chez lui!

Je vous passe la partie sur le Live qui permet à tout le monde de publier directement ses vidéos sur Facebook, en direct (Periscope appartenant à Twitter, il fallait bien faire quelque chose), tout ça pour “fluidifier” l’expérience des gens, c’est à dire nous, et surtout, pour enquiquiner YouTube, propriété de Google. Bienvenue dans le monde intégré de Facebook, et surtout, dans un système fermé pouvant déjà s’appuyer sur 1,5 milliards d’utilisateurs aux réflexes conditionnés par les règles du géant bleu.

Résumons:

  • il y a donc un type seul sur scène, à la tête d’une des plus grosses fortunes mondiales et d’une communauté de 1,5 milliards de personnes, qui nous explique que nous allons tous continuer à travailler gratuitement pour lui,
  • que son seul objectif, c’est de nous permettre d’entrer en relation avec les personnes qui nous sont chères,
  • tout ça dans un environnement dont les règles sont définies par lui et
  • qui condense tout ce dont nous “aurions” besoin (selon lui) pour être heureux…

 “Travail, famille, patrie”, ça vous rappelle quelque chose?

Au passage, il accède à toutes nos données personnelles, fixe les prix d’entrées et les règles aux industries (qu’il se propose même d’uberiser, ni vu, ni connu, grâce à l’intelligence artificielle notamment) et nous soumet des contenus qu’il n’a pas créés selon ce qu’il détermine être pertinent pour nous afin de nous vendre des produits qu’il ne fabrique pas…

Naïvement, devant ce stakhanovisme assumé, je m’attendais à voir la foule se lever et crier “mort à la dictature” ou “nous ne sommes pas des esclaves”… que nenni: le coup de grâce est intervenu lorsque Mark a annoncé la remise d’un Samsung et d’un masque Gear VR à chaque participant et que l’audience s’est mise à applaudir à tout rompre, saluant la générosité sans borne de son bienfaiteur…

Du pain et des jeux, vous avez dit?