Mixité, parité dans le secteur de la musique : Quotas ou pas quotas ?

Alors que le constat des inégalités entre les sexes semble de plus en plus partagé au sein des milieux de la musique, les prises de position sur les mesures à adopter divergent quant à elles.

L’encouragement à plus de mixité et de représentation de femmes artistes sur scène, aux platines, aux instruments, ou derrière une régie technique est-elle une mesure suffisante ?

Quid de l’instauration d’un quota s’agissant d’un travail artistique; une mesure quantitative, trop technocrate ? La création artistique peut-elle se décliner en chiffres ?

Pour ou contre, force est de constater que, loin de s’améliorer, la place et le rôle des femmes dans le milieu de la musique a tendance au mieux à stagner depuis dix ans, au pire à régresser ; pressions économiques, résistances, utopie du changement spontané si chère au système helvétique ?

Comment encourager les femmes artistes à produire, à sortir des morceaux, à jouer en club ? A travailler dans cette industrie si diverse et si folle ?

 

En renversant cette tendance qu’ont les artistes féminines à ne pas assez se mettre en avant, fruit de décennies d’héritage et de reproductions ?

Les femmes ont intégré dans leur quotidien que leur travail de création sera jugé plus sévèrement, ainsi elles ne présentent leurs réalisations qu’à l’issue d’un degré de perfectionnisme très poussé, là où un artiste homme hésitera sans doute un peu moins…aussi parce qu’il aura plus de facilités à trouver un entourage ; un manager, un agent, un programmateur motivé à la soutenir…

Arrêtons-nous justement sur l’entourage de l’artiste : le cocon protecteur et producteur de ses créations. Un rapide coup d’œil sur la scène suisse, un survol des métiers structurant la musique, nous permet de dire que c’est un milieu d’hommes, conduits, produits, critiqués dans sa grande majorité par des hommes.

Mais la construction du millefeuille des inégalités ne s’arrête pas là…

Sur cette première couche relativement visible, s’ajoute un deuxième niveau qui se réfère à la question des chemins de vie, de carrière. Il touche au choix entre vie de famille et vie professionnelle ; et sur ce point on ne peut pas blâmer plus le secteur de la musique que les autres secteurs économiques, si ce n’est qu’en plus des difficultés usuelles de garde d’enfants, de négociations de temps de travail, etc. s’ajoute celui des horaires hyper flexibles avec une dimension souvent nocturne.

Cela dit, ce constat est valable également pour les pères qui travaillent dans ce milieu ; ils ont aussi à négocier leur droit d’être père et d’exercer un métier palpitant en parallèle.

Une meilleure représentation des femmes sur les scènes, dans les métiers artistiques et culturels et une meilleure compréhension des enjeux professionnels et personnels, ne serait-ce pas la sainte trinité de l’égalité ?

Le jour où des manageuses, des programmatrices, des agentes comprendront ces choix- les ayant sans doute elles-mêmes vécus- ne seront pas outrées par le refus d’une date en raison d’un congé maternité ou parental ou que la notion de carrière intégrera également le développement en parallèle d’une vie privée. Le jour où cet arbitrage entre vie de famille et vie professionnelle ne se posera plus comme une douleur mais comme une simple planification, alors les femmes et les hommes, seront mieux intégré-e-s dans l’ensemble du secteur de la musique ; c’est donc en premier lieu à la profession de changer de visage.

 

Quel quota posé par qui ?

Alors ce quota on en revient. Qui peut poser ce quota et surtout qui va évaluer la nature des programmes ? des équipes ?

Si j’ai de la peine à m’affirmer en faveur d’un quota en ce qui concerne les programmes, je pense par contre, qu’il est important aujourd’hui de nommer des jurys paritaires, d’avoir cette ambition lors des nominations de direction. Il me paraît essentiel de se poser partout la question, de fixer des objectifs à atteindre et construire des équipes paritaires.

La parité dans les programmes arrivera le jour où la parité dans les équipes, dans les jurys, dans les comités, les conseils de fondations, les membres des administrations sera réelle ; le jour où les femmes seront considérées au même titre que les hommes comme des expertes.

On pourrait alors se dire que c’est le rôle du secteur public de porter ces changements; je ne pense pas. La profession dans son ensemble doit fixer ces objectifs.Ces changements dans les milieux de la musique ne se construisent pas en silos.

Des enquêtes menées au sein de grandes entreprises différents secteurs confondus ont bien prouvé que des conseils d’administration ayant opté pour une plus grande mixité enrichissent leur palette d’actions, répondent de manière optimale à des enjeux et des perceptions de leur cible, grâce à ce mélange de sensibilités différentes à leur tête.

Cette ambition devrait donc se refléter à tous les niveaux et toutes les tâches et métiers gravitant autour de l’artistique : à la direction des clubs et des festivals (qu’elle soit individuelle ou collective), dans les métiers techniques, dans les agences et les labels, et pas seulement dans les petites et moyennes structures. Dans les grandes structures également.

Il s’agit d’analyser l’entièreté du système et de le redessiner sous des traits plus justes, diversifiés et réalistes au regard du public, des auditrices et auditeurs de musique.

Si les femmes ne sont pas suffisamment représentées sur les scènes, elles consomment du moins de la musique. Alors pourquoi, dans une logique purement commerciale, la nature des structures de l’industrie musicale ne reflète pas la nature des publics ?

En 2019, la parité présente-t-elle un risque ?

Pour aller plus loin sur les questions d’égalité et d’accessibilité des lieux de musique, je vous invite à lire la “Diversity Roadmap” rédigée par PETZI, HelvetiaRockt et We Can Dance iT.

Albane Schlechten

Militante pour la scène alternative au sein de l'Usine, Albane Schlechten monte le club la Gravière en 2011 et le quitte fin 2016 pour rejoindre la faîtière suisse des clubs et des festivals, PETZI. Depuis le début de l'année 2019 elle a repris la direction de la Fondation pour la chanson et les musiques actuelles. Elle est également élue au Conseil municipal de la Ville de Genève depuis 2015.