La Suisse, champ de bataille des cryptomonnaies

C’est un combat qui se se perçoit pas au premier coup d’oeil, et c’est sans doute pour cela qu’il n’a guère retenu l’attention jusqu’ici. Un combat aux enjeux potentiellement énormes, d’une très grande importance stratégique pour la suisse. Mais aussi un combat qui dépasse de très loin les frontières nationales.

A ma gauche, le bitcoin, le ripple, l’ether et la myriade d’autres cryptomonnaies, qu’elles soient simple agents de paiement ou qu’elles se présentent sous l’une des deux formes de jeton (token) résultant des mises en bourse de jeunes entreprises actives dans les technologies innovantes, particulièrement la chaîne de blocs (blockchain).

Que cela plaise ou non, les activités issues de ces noms bizarres sont en train de fleurir à toute vitesse, notamment en Suisse. A tel point que notre pays s’est hissé en deuxième place mondiale, juste derrière les Etats-Unis, comme lieu où ces entreprises lèvent avec succès des capitaux (ICO) en monnaies bien réelles (francs, euros, dollars, etc.) contre des jetons dont la valeur repose sur les hypothétiques succès de leurs plans d’affaires. Et que cette explosion, qui n’a que quelques mois, va prendre très rapidement de l’ampleur, vu que les jeunes entreprises se bousculent pour demander à leur tour à la Finma (qui favorise ce mouvement grâce à sa politique libérale en la matière) l’autorisation de procéder à de telles levées de capitaux.

A ma droite, les gendarmes financiers internationaux (comme la BRI), les banques centrales, certaines grandes banques d’affaires comme JP Morgan et une bonne part de l’establishment financier, qui dénonce dans les ICO un grand nombre de fraudes (bien réelles), qui voit dans les cryptomonnaies un agent de spéculation effrénée (elles n’ont pas tort) et cherchent à en décourager l’usage quant elles ne visent pas tout simplement à l’interdire (comme la Corée du Sud vient de le faire).

Ce combat, de portée mondiale, trouve ses tenants et aboutissants… en Suisse. D’une part au vu de l’importance soudaine de la place financière helvétique dans ce Far West de la finance. D’autre part, au vu de la localisation géographique des grands gendarmes internationaux à Bâle.

On peut penser ce que l’on veut des cryptomonnaies, de leurs variations de cours absolument dingues, des risques énormes qu’elles font courir aux investisseurs et aux spéculateurs… finalement, à chacun de savoir ce qu’il fait en connaissance de cause. Mais il y a un public très bien informé pour intervenir sur ce marché. Et un jour, ce Far West va se policer grâce à une meilleure compréhension de ses mécanismes et de ses règles, les comportements seront mieux encadrés. Et ce jour-là, la place financière qui aura réussi à le capturer aura gagné une solide longueur d’avance sur ses concurrentes. Pour la Suisse, il y a une vraie carte à jouer.

No Billag, Monnaie Pleine, deux votes sur des problèmes de riches

Ce sont deux sujets de votations dont la Suisse aura à traiter, deux sujets apparemment sans lien l’un avec l’autre mais reliés par une conséquence: que l’un ou l’autre sujet soit accepté, et l’activité qu’ils visent en sera profondément bouleversée, avec des conséquences incalculables sur le pays, sa cohésion, sa prospérité. Il n’y a que dans un pays où tout semble aller pour le mieux que le débat public ose se porter sur ce genre de question qui tue.

La première question qui sera posée le 4 mars prochain est No Billag, l’initiative qui entend interdire à la Confédération d’interdire tout subventionnement à un média électronique quelconque. Signifiant la mort du modèle de financement du service public par le système de la redevance, elle annonce la fin de la SSR telle que nous la connaissons, avec d’immenses conséquences sur la diversité de l’information, son indépendance face aux groupes d’intérêt, et la diversité de l’offre dans toutes les régions du pays. Ses partisans soutiennent qu’un modèle alternatif pourra être mis en place durant le délai de quelques mois accordé par l’initiative, mais ne s’étendent pas sur les modalité. Ce qui est pour le moins léger dans un pays où l’on apprécie tout particulièrement préparer les changements dans leurs moindres détails!

La seconde est l’initiative Monnaie Pleine, qui vise à conférer à la Banque nationale le monopole du crédit en plus de celui de l’émission de monnaie. Le secteur bancaire privé se verrait ainsi privé de sa capacité à octroyer des prêts sur la base de l’épargne qu’il a collectée, et se verrait ainsi privé du profit qu’il retire de sa participation à la création de monnaie. L’idée de base des initiants est d’empêcher le secteur financier privé de répéter les excès qui ont conduit aux crises financières passées (1989 en Suisse, 2008 à l’échelle mondiale). Le problème de cette proposition, c’est qu’elle tue le secteur bancaire, en particulier celui qui accorde les prêts hypothécaires et aux entreprises mais ne touche pas vraiment les banques qui structurent des opérations de financement telles que les émissions de titres. Donc, elle se trompe de cible.

Le génie de la démocratie directe, c’est la capacité conférée à chaque citoyen de pouvoir remettre en cause en tout temps les fondements mêmes de son existence. Mais ce pouvoir ne peut s’exercer efficacement qu’avec responsabilité. Or, tant No Billag que Monnaie Pleine ne vont pas jusqu’au bout de leur démarche. Leurs questions sont fondamentales, mais leurs réponses totalement évanescentes. Accepter ces deux textes sans réfléchir à leurs conséquences à long terme, c’est prendre le risque, immense, de détruire les bases de la prospérité suisse.

Bitcoin, la fascination d’un mythe extrême

C’est la question à 10’000 francs, ou un bitcoin : La hausse actuelle de la monnaie virtuelle va-t-elle se poursuivre ? Correspond-elle à une réalité économique ou n’est-elle que de la poudre aux yeux des spéculateurs naïfs qui ne veulent pas voir la bulle dont l’explosion serait imminente ? Soyons francs, si l’auteur de ces lignes le savait, il se garderait bien de livrer la recette…

Mais il constate une chose : le bitcoin, tout virtuel soit-il, a acquis une existence bien réelle dans les circuits financiers. Même s’il n’est que peu utilisé dans le commerce de détail (essayez donc à la caisse de votre supérette favorite !), il est déjà largement accepté dans le commerce en ligne. Pour de petites transactions, comme l’achat d’un programme informatique, ou de grosses, comme les financements d’entreprises. Les ICO (initial coins offerings), ou mises en bourse de sociétés payables en bitcoins plutôt qu’en francs ou en euros, deviennent réalité.

C’est avant tout une monnaie qui s’est glissée dans les interstices du système et qui a su répondre à une demande des agents économiques. Certains le considèrent même comme une alternative à l’or, une valeur de conservation échappant aux manipulations bancaires. Sa formule a été de jouer sur une formidable ambiguïté. D’abord, celle de son statut de monnaie para-légale, qui ne doit rien à aucune autorité publique (elle n’est émise par aucune banque centrale et n’est reconnue comme moyen de paiement légal par aucun gouvernement) et repose par conséquent sur la confiance que lui accordent ses détenteurs.

Ensuite, sa crédibilité, qui défie toutes les lois de la finance. La bulle actuelle a débuté l’été dernier, lorsque la communauté des « mineurs », les émetteurs de bitcoins, s’est divisée entre ceux qui voulaient émettre autant de monnaie supplémentaire que le marché en demanderait, et les fidèles du dogme des origines, qui entend plafonner le nombre de bitcoins à 24 millions. Quelle monnaie classique aurait résisté à tel tremblement de terre ?

Pour comprendre la force de cette monnaie, d’autres explications que celles de l’économie et de la finance doivent être convoquées. Tournons-nous vers la psychologie et la fascination pour toute une génération des attitudes de transgression envers les règles établies et les autorités qui les font respecter. Le Bitcoin est né d’un mythe, celui d’une monnaie échappant au système financier traditionnel, et donc de ses dérapages, créée en 2008 par l’informaticien génial Satochi Nakamoto, que personne n’a jusqu’ici formellement identifié. Il repose sur une fascination technologique, celle de la blockchain (ou chaine de blocs), qui représente une authentique avancée en matière de sécurisation et de désintermédiation des transactions.

Cette fascination a même frappé les autorités censées l’encadrer, voire le combattre. Elles en perdent le Nord. Pour commencer, elles n’ont pas eu de réponse unanime quant au traitement à lui réserver : interdire le bitcoin, ou pas ? Chacun a répondu selon ses coutumes : la Chine et le Maroc veulent le bannir, la France et d’autres pays ont pensé, ou pensent, le restreindre, la Suisse a surtout voulu ne rien faire. Aujourd’hui, les Etats hésitent entre freiner les ICO et les encadrer. Simultanément, les banques centrales, en tant que garantes de la stabilité financière, lancent des avertissements sur le caractère spéculatif de la monnaie virtuelle. Mais leurs avis sont d’emblée démonétisés vu qu’elles sont soupçonnées de vouloir la disparition d’une monnaie qui remet en cause leur monopole d’émission.

Face à des réponses si dispersées, le bitcoin reste livré à lui-même, ouvert à tous les vents, à toutes les croyances, à toutes les convictions. Son avenir reste tout sauf certain. Mais il a remporté une première victoire, celle de semer la confusion. Qui permet aux plus audacieux, au plus chanceux, de remporter la mise, et aux autres, de pleurer. Bienvenue au pays de la spéculation la plus sauvage. Un aboutissement aux antipodes de la vocation initiale de cette monnaie, censée, à ses débuts, mettre ses utilisateurs à l’abri des folies financières.

La guerre contre les règles financières a traversé l’Atlantique

Dès avant son élection il y a un peu plus d’un an, Donald Trump avait clairement expliqué la couleur: la finance étouffe sous les règles. Son élection avait par conséquent été comprise comme le basculement d’une nouvelle ère, aux Etats-Unis, celle d’un allégement des normes. Il est vrai que celles-ci ne cessent de se resserrer depuis la crise de 2007, au point de compter plusieurs dizaines de milliers de pages.

Comme l’on pouvait s’en douter, l’idée a immédiatement trouvé des adeptes de ce côté-ci de l’Atlantique où le renforcement constant des règles ne fait pas que des amis dans le monde de la banque et de la finance. Il est vrai que le Comité de Bâle, l’instance internationale suprême en la matière, édicte constamment de nouvelles normes; que les Etats les adoptent (la Confédération vient juste d’introduire un nouveau durcissement concernant les banques, après des années de discussions); que certaines directives de l’Union européenne sont parfois si touffues que même les assujettis les mieux disposés ne parviennent pas toujours à les appliquer dès le premier jour. Aussi, certains grands patrons de banque, notamment Sergio Ermotti, directeur général d’UBS font entendre leur voix.

L’offensive s’est renforcée cet automne en progressant d’un échelon, celui d’anciens responsables de la réglementation passés désormais de l’autre côté. C’est le cas de Lorenzo Bini Smaghi, membre jusqu’en 2011 du directoire de la BCE devenu président de la filiale italienne de Société Générale, une grande banque commerciale française.

Son propos, développé mardi 21 novembre lors d’une conférence au Centre international d’études monétaires et bancaires à Genève (et lors d’une interview parue quelques jours plus tôt), se résume ainsi: lâchez la bride aux banques commerciales afin qu’elles puissent prêter davantage aux entreprises, relançant ainsi la croissance économique de la zone euro. La BCE a fait de grands efforts, mais sa marge de manoeuvre se rétrécit de jour en jour. Elle ne pourra donc plus très longtemps soutenir à elle seule la reprise de la conjoncture comme elle le fait au moyen d’injections massives de liquidités. Mais pour que les banques privées puissent prendre le relai, la réglementation doit être allégée.

Décidément, ces voix portent loin: ce même 21 novembre, plusieurs très grandes banques se sont vu rétrogradées dans des catégories moins risquées par le Conseil de la stabilité financière, qui regroupe les principales autorités mondiales  de surveillance des marchés financiers. Et qui trouve-t-on dans ces banques jugées moins dangereuses pour la stabilité financière mondiale? Deux géants français, BNP Paribas et Société Générale. Les gendarmes financiers mondiaux peuvent continuer de tricoter un tissu réglementaire toujours plus dense. Ils savent que le vent de l’Histoire est désormais contre eux. Jusqu’à la prochaine crise.

“Je sens la crise arriver telle la peste”

Une lectrice m’écrit:

Pensez vous que les taux hypothécaires vont augmenter et mettre en difficultés les ménages de manière parfois dramatique ? De manière intuitive hélas, je le sens comme j’ai senti en 2003 la crise arriver sur la France, sur l’Europe telle la peste… je voyais les changements sur le comportement des personnes, des familles, à l’école. J’ai 55 ans, j’ai bien vu que trop de choses changeaient dans la vie des gens. Aujourd’hui, je les sens encore très différents, déconnectés inconscients, que ce soit les jeunes, les adultes … Que se passe-t-il?

Chère Madame,

Vous avez parfaitement bien senti l’atmosphère du moment. Les taux d’intérêt, notamment hypothécaires, vont remonter. Tous les spécialistes s’accordent là-dessus.

Cependant, ce n’est pas pour demain! Et cela ne va pas nécessairement déclencher une crise comme celle de 2001-2003 dont vous parlez, ni comme celle de 2008-2013, dont nous ne nous extrayons que lentement.

Les raisons sont les suivantes: avec la fin de la crise financière, l’inflation, qui était à zéro voire négative à certains moments, est en train de revenir. Mais c’est un mouvement très lent!

Les banques centrales, qui avaient abaissé leurs taux d’intérêt à zéro et créé énormément de monnaie pour empêcher un effondrement de l’économie, cherchent désormais à les relever un peu. Mais elles ne le feront que pour contenir la hausse des prix, laquelle est très lente!

Toute hausse des taux d’intérêt fait ralentir l’économie: l’argent coûtant plus cher, les gens dépensent moins, les entreprises investissent moins et créent donc moins d’emplois. C’est le but recherché par les banques centrales. Cela dit, comme on est encore très loin aujourd’hui de cette situation dite de “surchauffe”, ce n’est pas demain que les banques centrales tenteront de freiner la reprise. Elles sont déjà bien contentes que la conjoncture économique se redresse!

Néanmoins, la France pourrait payer plus cher un relèvement des taux d’intérêt que les autres pays: cela ne fait que quelques mois que son économie se redresse alors que la plupart des autres pays européens vont beaucoup mieux. La Banque Centrale Européenne, qui pilote la politique monétaire de la zone euro et fixe par conséquent les  taux d’intérêt de référence, décidera d’un relèvement de ses taux sur la base de la situation dans l’ensemble de la zone et pas seulement en fonction de la situation française. Tout dépendra de la vigueur de la reprise en France, notamment de la capacité de ses entreprises de rattraper leur retard sur celles des autres pays. Les réformes entreprises par Macron peuvent aider, au moins sur le plan psychologique, en attendant qu’elles exercent des effets concrets.

Je vous prie d’agréer, Chère Madame, mes salutations distinguées.

Les visages masqués de la dette

Devenue ennemi public numéro un de l’économie mondiale depuis la crise de 2008, la dette ne s’est jamais aussi bien portée: plus de 152’000 milliards de dollars selon le FMI, le double du PIB mondial! Alors que les gendarmes financiers consacrent des efforts gigantesques pour la traquer, l’identifier et juger le risque, elle apparaît au détour d’enquêtes multiples et variées sous des aspects parfois inattendus.

C’est ainsi que la Banque des Règlements Internationaux a levé un lièvre en un lieu inattendu, les marchés des changes. dans un article paru sur son site (www.bis.org) à la mi-septembre, la “banque centrale des banques centrales” s’alarme de l’existence d’engagements de 10’700 milliards de dollars pris par les banques commerciales sans que ce montant, qui équivaut à la moitié du PIB des Etats-Unis ou trois fois celui de l’Allemagne, n’apparaisse sur les bilans.

Le procédé est simple dans sa complexité: lorsqu’elles s’échangent des devises, les banques commerciales font un usage intense de produits dérivés aux noms plus ou moins exotiques et/ou barbares (swaps, forwards, etc.) leur permettant de différer les paiements, ou les risques, ou les deux, contre des avantages immédiats ou, plus simplement, pour mitiger le risque. En faisant cela, elles contractent des engagements vis-à-vis de tiers qui n’apparaissent, comme le souligne l’institution bâloise, “que dans les notes de bas de page”.

Un autre lièvre est apparu fin août à l’occasion d’une procédure judiciaire lancée aux Etats-Unis contre UBS, Credit Suisse et quelques autres banques d’affaires internationales par des investisseurs institutionnels américains: celui des titres financiers (généralement des actions) empruntées par ces mêmes institutionnels afin de les vendre à découvert, pour les racheter par la suite en réalisant un bénéfice sur la différence de valeurs entre le moment de la vente et celui du rachat. Ces opérations représentent un pactole moyen de 1710 milliards de dollars, un montant alors totalement masqué aux yeux du public (on espère que les régulateurs le connaissaient) jusqu’alors.

Les chiffres les plus effrayants sont peut-être ceux que l’on ne veut pas voir même s’ils nous sautent à la figure: par exemple l’endettement total de la Suisse. Celui-ci est l’un des plus élevés au monde, largement supérieur à 200% du PIB. Vous dites que les finances publiques sont ultra-saines, avec un taux d’endettement à peine voisin de 35%? C’est vrai. Mais c’est oublier le taux des entreprises (plus de 75%), et surtout… des ménages, dont les dettes sont supérieures à 125% du PIB suisse! A ce niveau, notre pays est nettement plus endetté que l’Allemagne et se compare… avec l’Italie.

Bien sûr, cette dette est gagée sur des actifs tangibles, à commencer par l’immobilier. Mais la seule proportion de cette dette devrait alarmer les investisseurs par le risque systémique qu’elle fait peser en cas de hausse de l’insolvabilité des débiteurs, notamment en cas de hausse des taux d’intérêt. Le franc suisse n’est peut-être pas la valeur sûre que l’on croit.

Monnaies, le miroir déformant

Dix ans. Dix ans pour amorcer un retour à la normale au plan des politiques monétaires, pour commencer effectivement à mettre fin aux “mesures exceptionnelles” et “assouplissements quantitatifs”. Dix ans après l’éclatement de la crise financière en août 2007 et son premier cortège d’injections massives de liquidités par les banques centrales.

En annonçant mercredi 20 septembre que la Fed allait réduire son massif bilan au rythme de 10 à 50 milliards de dollars par mois, sa gouverneure Janet Yellen n’a pas fait que confirmer ce que son prédécesseur Ben Bernanke promettait de faire depuis 2013. Elle passe aux actes. La banque centrale américaine, qui a constitué des réserves de 4500 milliards de dollars – 25% du PIB des Etats-Unis – comme prix du redressement économique du pays, s’engage donc à les réduire de manière ordonnée. La BCE et la BNS, deux autres institutions qui ont constitué, et constituent encore, des bas de laine conséquents pour éviter à leurs économies de replonger dans le chaos, en sont encore fort éloignées. Mais elles devraient prendre le même chemin.

Mais pour quel effet? Les adversaires des assouplissements quantitatifs, notamment aux Etats-Unis et en Allemagne, redoutent depuis des années la résurgence de l’hyperinflation dans un monde noyé de liquidités. Or, celle-ci ne s’est pas produite, provoquant même un certain désarroi des banquiers centraux eux-mêmes qui avaient pourtant chercher à provoquer une certaine  hausse des prix, qui leur aurait permis de relever quelque peu les taux d’intérêt. Cet absence, couplée à la reprise économique qui s’affirme à peu près partout dans le monde, les plonge dans un abîme de perplexité. Et prive du levier nécessaire pour quitter la zone dangereuse des taux zéro, voire négatifs.

La question se pose désormais de l’effet que provoquera le retrait de milliards de liquidités dans le monde. Dans l’immédiat, l’annonce de Janet Yellen a provoqué un rebond du dollar – une marque de confiance, donc, pour la Fed – loin de la secousse qu’avait provoquée l’annonce du “tapering” de Ben Bernanke. On attend un relèvement des rendements des obligations de longue durée, puisque la Fed ne les achètera plus. Voire un coup d’arrêt boursier.

Et si ces effets étaient temporaires? Avec leurs programmes d’assouplissements quantitatifs, les Etats-Unis ont fait progresser leur masse monétaire élargie (M3) de 58% entre 2010 et 2017, selon les données de l’OCDE. C’est à peine supérieur à la moyenne de l’organisation (56%). A peine plus que la Suisse (45,4%), qui s’est pourtant lancée à corps perdu dans une défense acharnée de la stabilité de son taux de change, et certes un peu plus que la zone euro (25%), elle-même en retard dans le cycle. du redressement conjoncturel Mais c’est moins que la monnaie créée dans d’autres économies prospères et nettement moins affectées par la crise financière comme le Canada (66%) ou la Corée (64%), respectivement 10e et 11e économies au monde par la taille de leur PIB.

Ces torrents de liquidités se sont donc assurément orientés vers les marchés d’actions et obligataires. Mais ils se sont vraisemblablement aussi retrouvés investis dans l’appareil productif. En fait, les marchés financiers se sont laissés impressionner par la taille des programmes estimés en dollars (ou en euros), sans forcément considérer ce que faisaient les autres pays ni toujours les mettre en perspective de la circulation effective de la monnaie. Finalement, les banques centrales n’ont peut-être pas si mal géré leurs grandes ouvertures de vannes et, avec pas mal de chances, pourront les refermer sans dommages conséquents pour l’économie.

Place financière, une noyade dans l’anonymat

“Avant, à Genève, il régnait une effervescence certaine. Les gens dépensaient de l’argent, certes pas forcément déclaré. Aujourd’hui, ce temps est fini et on ne voit pas vraiment ce qui pourrait extraire la ville et sa place financière de cette stagnation”. Exprimé en privé voici quelques jours par un professionnel de la finance de la cité de Calvin, ce constat rejoint celui de beaucoup, beaucoup d’autres gens ayant connu l’”avant” et qui désespèrent du “maintenant”.

La rue du Rhône et le Quartier des banques se sont fondus dans la grisaille et ne parviennent pas à en sortir. Certes, la majorité d’entre elles demeurent bénéficiaires, ou sont parvenues à revenir dans le vert. Mais c’est l’enthousiasme, la dynamique, l’idée neuve qui fait encore défaut. Un manque de punch relevé, comme chaque semestre par l’Indice global des places financières (GFCI). Son rapport de septembre relève certes Genève de quelques rangs (15e place au lieu de 23e), mais lui fait perdre des points, comme Zurich, comme Luxembourg. Clairement, la place financière genevoise n’est pas perçue comme une potentielle gagnante du Brexit, en dépit de ses liens étroits avec la City, au contraire de centres de taille comparable comme Amsterdam, Stockholm et Vienne.

Les banques et les autres acteurs de la place n’ont pas fini de s’extraire de l’avalanche réglementaire qui les a ensevelis, et dont l’adoption de LSFin et de LEFin par les Chambres cette session en principe, marque l’aboutissement. Elles n’ont pas pu adopter des stratégies véritablement offensives pour l’ère post-secret bancaire. Elles n’ont pas encore réussi à transformer leurs armées de petits soldats obéissants en foudres due guerre, autonomes et entreprenants, qu’exige l’économie du big data et de la transparence. Elles auront encore besoin de nombreuses années avant que les jeunes habités de ces idées nouvelles parviennent à s’imposer à leurs hiérarchies vieillissantes et dépassées et apportent la révolution.

D’ici là, la place financière de Genève va végéter encore longtemps dans la grisaille des échelons intermédiaires des classements internationaux, et manquer les chances offertes par un monde neuf.