Le vrai prix de l’info

La première grève en plus d’un siècle d’histoire de l’Agence télégraphique suisse (ATS) a pu donner une idée de l’effet que peut exercer sur une société très complexe le soudain manque d’information. Les espaces blancs laissés (intentionnellement) dans les journaux à la place des usuelles dépêches, les lignes manquantes sur les sites d’information continue comme ceux de la RTS, Tamedia ou Romandie ont soudain mis en lumière le vide que provoque le manque d’information.

Celle-ci a un coût. Que plus personne ne veut payer, puisque paraît-il, elle est gratuite. Et pourtant, tout le monde juge l’information indispensable. Cherchez l’erreur.

Dans une économie de marché, lorsqu’un conflit survient sur la fixation du prix d’un bien ou d’un service, c’est généralement la raison du plus fort, ou du plus malin, ou de celui qui sait le mieux faire valoir son point de vue, qui l’emporte. En l’occurrence, ce rapport de force a conduit à l’inouï, la grève.

Il y a pourtant des domaines où la fixation du prix de l’information s’est faite plus harmonieusement. Dans la finance, par exemple, les acquéreurs d’information que sont les banques payent des sommes conséquentes pour assurer leurs abonnements aux fils d’information spécialisés comme ceux des agences Reuters et Bloomberg. Pour plusieurs milliers de francs, ou plusieurs dizaines de milliers de francs, ces organisations de taille mondiale fournissent des  informations en continu, avec souvent une réactivité impressionnante, sur tout ce qui peut intéresser de près ou de loin les professionnels de la finance, données et statistiques incluses. Les journalistes financiers font partie de leurs récipiendaires. Ils en font bénéficier leurs lecteurs.

Là où l’information fait indiscutablement gagner de l’argent – ou évite d’en perdre – son prix n’est donc pas discuté. Il est très élevé.

En revanche, cette disponibilité à payer des fortunes disparaît là où l’information paraît banale, sans conséquences sur la bonne marche des affaires. Il est vrai que les éditeurs – pourtant actionnaires des agences de presse dont l’ATS – n’ont pas hésité longtemps à mettre les dépêches gratuitement à disposition, contribuant à déprécier le prix de l’information dite de base auprès du public. La grève de l’ATS débouchera peut-être sur une prise de conscience, que l’information dite de base coûte quelque chose.

Mais qui paiera? Telle est la contradiction finale à résoudre. Les éditeurs? Exclu, ils restent dans leur logique de rentabilité et c’est leur droit. L’Etat? Certains élus parlent beaucoup mais on peine à identifier leur action. Le vote sur l’initiative No Billag le 4 mars donnera une direction générale. Quant au public, peut-être que cette grève contribuera à lui faire prendre conscience que la gratuité totale de l’info conduit une société complexe et démocratique à toutes les manipulations, et donc à l’échec.

Yves Genier

Journaliste économique depuis le milieu des années 1990, historien de formation, je suis particulièrement intéressé aux questions bancaires, financières, fiscales et, naturellement, macroéconomiques et leurs conséquences politiques et sociales.