Monnaies, le miroir déformant

Dix ans. Dix ans pour amorcer un retour à la normale au plan des politiques monétaires, pour commencer effectivement à mettre fin aux “mesures exceptionnelles” et “assouplissements quantitatifs”. Dix ans après l’éclatement de la crise financière en août 2007 et son premier cortège d’injections massives de liquidités par les banques centrales.

En annonçant mercredi 20 septembre que la Fed allait réduire son massif bilan au rythme de 10 à 50 milliards de dollars par mois, sa gouverneure Janet Yellen n’a pas fait que confirmer ce que son prédécesseur Ben Bernanke promettait de faire depuis 2013. Elle passe aux actes. La banque centrale américaine, qui a constitué des réserves de 4500 milliards de dollars – 25% du PIB des Etats-Unis – comme prix du redressement économique du pays, s’engage donc à les réduire de manière ordonnée. La BCE et la BNS, deux autres institutions qui ont constitué, et constituent encore, des bas de laine conséquents pour éviter à leurs économies de replonger dans le chaos, en sont encore fort éloignées. Mais elles devraient prendre le même chemin.

Mais pour quel effet? Les adversaires des assouplissements quantitatifs, notamment aux Etats-Unis et en Allemagne, redoutent depuis des années la résurgence de l’hyperinflation dans un monde noyé de liquidités. Or, celle-ci ne s’est pas produite, provoquant même un certain désarroi des banquiers centraux eux-mêmes qui avaient pourtant chercher à provoquer une certaine  hausse des prix, qui leur aurait permis de relever quelque peu les taux d’intérêt. Cet absence, couplée à la reprise économique qui s’affirme à peu près partout dans le monde, les plonge dans un abîme de perplexité. Et prive du levier nécessaire pour quitter la zone dangereuse des taux zéro, voire négatifs.

La question se pose désormais de l’effet que provoquera le retrait de milliards de liquidités dans le monde. Dans l’immédiat, l’annonce de Janet Yellen a provoqué un rebond du dollar – une marque de confiance, donc, pour la Fed – loin de la secousse qu’avait provoquée l’annonce du “tapering” de Ben Bernanke. On attend un relèvement des rendements des obligations de longue durée, puisque la Fed ne les achètera plus. Voire un coup d’arrêt boursier.

Et si ces effets étaient temporaires? Avec leurs programmes d’assouplissements quantitatifs, les Etats-Unis ont fait progresser leur masse monétaire élargie (M3) de 58% entre 2010 et 2017, selon les données de l’OCDE. C’est à peine supérieur à la moyenne de l’organisation (56%). A peine plus que la Suisse (45,4%), qui s’est pourtant lancée à corps perdu dans une défense acharnée de la stabilité de son taux de change, et certes un peu plus que la zone euro (25%), elle-même en retard dans le cycle. du redressement conjoncturel Mais c’est moins que la monnaie créée dans d’autres économies prospères et nettement moins affectées par la crise financière comme le Canada (66%) ou la Corée (64%), respectivement 10e et 11e économies au monde par la taille de leur PIB.

Ces torrents de liquidités se sont donc assurément orientés vers les marchés d’actions et obligataires. Mais ils se sont vraisemblablement aussi retrouvés investis dans l’appareil productif. En fait, les marchés financiers se sont laissés impressionner par la taille des programmes estimés en dollars (ou en euros), sans forcément considérer ce que faisaient les autres pays ni toujours les mettre en perspective de la circulation effective de la monnaie. Finalement, les banques centrales n’ont peut-être pas si mal géré leurs grandes ouvertures de vannes et, avec pas mal de chances, pourront les refermer sans dommages conséquents pour l’économie.

Yves Genier

Journaliste économique depuis le milieu des années 1990, historien de formation, je suis particulièrement intéressé aux questions bancaires, financières, fiscales et, naturellement, macroéconomiques et leurs conséquences politiques et sociales.

2 réponses à “Monnaies, le miroir déformant

  1. De toute évidence l’assouplissement quantitatif et les taux d’intérêt négatifs constituent une situation inédite en matière de politique monétaire. Même si cette pratique est la réponse appropriée à la violence de la crise financière de 2008 et ses conséquences, elle n’a pas vocation à perdurer éternellement. En effet, les banques centrales devraient revenir à une situation normale. Cependant, ce retour à la normalité ne devrait pas s’effectuer à la même vitesse et en même temps du fait que les cycles économiques ne sont pas les mêmes, par exemple entre les Etats-Unis et la zone euro. En effet, le chômage reste élevé dans certains pays de la zone euro, alors que les USA sont quasiment en situation de plein-emploi sans pour autant que les tensions sur le marché de l’emploi se traduisent par une inflation salariale. Si l’assouplissement quantitatif ne s’est pas traduit par une forte inflation comme le prédisaient certains économistes souvent d’ailleurs d’obédience monétariste, c’est précisément cette mesure non conventionnelle a envoyé un message pessimiste aux agents privés. Il est fort probable que ceux-ci n’étaient pas incités à investir davantage. D’où un contexte déflationniste qui n’a pas permis aux salaires de jouer le rôle qui lui est dévolu traditionnellement, en l’occurrence nourrir le processus inflationniste. C’est une explication possible parmi tant d’autres comme par exemple le caractère concurrentiel en raison de l’ouverture des économies, le progrès technique, le fait que l’économie génère des emplois instables et donc de mauvaise qualité si bien que la baisse du chômage ne se traduit pas forcément par des tensions sur le marché du travail et donc une inflation par les coûts salariaux.
    En ce qui concerne la situation helvétique, il va sans dire que l’amélioration de la conjoncture pourrait s’accompagner des difficultés temporaires certes, mais tout de même nuisibles à la reprise aux autorités monétaires un répit, mais elle ne met nullement à l’abri la BNS des soubresauts spécifiques à la zone euro du fait de la dépendance structurelle de la Suisse vis-à-vis de celle-ci. Enfin on est enclin à penser que les mesures monétaires non -conventionnelles ont modifié en profondeur les comportements des acteurs privés, si bien que le retour à la normale de la politique monétaire pourrait économique qu’on lit dans les statistiques macroéconomiques.

  2. Le moment Minsky d’un système dynamique n’est pas “repoussable” à l’infini, mais d’après la réalité observable depuis le début des QE, le moment Minsky semble fractionnable et/ou ajsutable….La réduction artificielle de l’incertitude globale ne mène jamais à la certitude locale mais à un(s) cygne(s) noir(s) dans le monde réel qui n’en a rien à foutre des théories-dogmes-thèses.
    Les QE n’ont pas eu d’effet sur les monnaies fiduciaires mais sur le temps (la temporalité dans la tête des agents détenteurs de monnaie). Une monnaie n’existe que par la croyance des usagers, les followers.

    Le problème c’est que aucun leadership ne pense à la co-évolution leader-follower…Le vrai boss sont les followers, pas les leaders (depuis toujours, dans tous les pays-époques-empires). Bonne chance à tous.

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