“Avant, à Genève, il régnait une effervescence certaine. Les gens dépensaient de l’argent, certes pas forcément déclaré. Aujourd’hui, ce temps est fini et on ne voit pas vraiment ce qui pourrait extraire la ville et sa place financière de cette stagnation”. Exprimé en privé voici quelques jours par un professionnel de la finance de la cité de Calvin, ce constat rejoint celui de beaucoup, beaucoup d’autres gens ayant connu l’”avant” et qui désespèrent du “maintenant”.
La rue du Rhône et le Quartier des banques se sont fondus dans la grisaille et ne parviennent pas à en sortir. Certes, la majorité d’entre elles demeurent bénéficiaires, ou sont parvenues à revenir dans le vert. Mais c’est l’enthousiasme, la dynamique, l’idée neuve qui fait encore défaut. Un manque de punch relevé, comme chaque semestre par l’Indice global des places financières (GFCI). Son rapport de septembre relève certes Genève de quelques rangs (15e place au lieu de 23e), mais lui fait perdre des points, comme Zurich, comme Luxembourg. Clairement, la place financière genevoise n’est pas perçue comme une potentielle gagnante du Brexit, en dépit de ses liens étroits avec la City, au contraire de centres de taille comparable comme Amsterdam, Stockholm et Vienne.
Les banques et les autres acteurs de la place n’ont pas fini de s’extraire de l’avalanche réglementaire qui les a ensevelis, et dont l’adoption de LSFin et de LEFin par les Chambres cette session en principe, marque l’aboutissement. Elles n’ont pas pu adopter des stratégies véritablement offensives pour l’ère post-secret bancaire. Elles n’ont pas encore réussi à transformer leurs armées de petits soldats obéissants en foudres due guerre, autonomes et entreprenants, qu’exige l’économie du big data et de la transparence. Elles auront encore besoin de nombreuses années avant que les jeunes habités de ces idées nouvelles parviennent à s’imposer à leurs hiérarchies vieillissantes et dépassées et apportent la révolution.
D’ici là, la place financière de Genève va végéter encore longtemps dans la grisaille des échelons intermédiaires des classements internationaux, et manquer les chances offertes par un monde neuf.
Je ne crois pas Monsieur. Votre vision est trop restrictive. Il reste de belles forces en nous et de l’énergie pour être au devant d’une gestion, certes classique , mais pas dépassée du tout et innovante au contraire.
Je crois simplement que le tour de vis pratiqué par les banques et la politique cross-border de celles-ci nous empêchent pour l’instant d’avancer, mais les temps ne sont pas loins pour que nous puissions de nouveau faire notre métier et croître.
Cordialement,
Benoît Urfer Portfolio manager
Vous rêvez. La place financière suisse est foutue.
Nos ennemis ont gagné avec l’aide des journalistes collabos et des politiciens euroturbos. La Suisse pourra peut-être se positioner dans un tout autre domaine : par exemple le corporate finance. C’est à dire complètement un autre métier. Mais dans le métier de la gestion de capitaux privés c’est fini. Elle se fera et se fait déjà dans les pays qui savent que l’argent n’a pas d’odeur et qui ont usé de moyens sans scrupules pour abattre le concurrent qu’était la Suisse. Car eux, au moins, ne sont pas des naïfs. Aux Etats-Unis le blanchiment d’argent est encouragé, et on ne parle pas de lutter contre l’évasion fiscale, sauf celle des Américains bien sur. Le nouveau refuge pour l’évasion fiscale ce sont les Etats-Unis. En Suisse on impose aux banques de perdre leur temps et leur argent dans des activités qui coûtent très cher et ne rapportent rien-comme la compliance. C’est simple, il est devenu IMPOSSIBLE de gagner de l’argent pour les banques suisses. C’est comme si l’Amérique était un boxeur qui entre sur le ring après avoir lui même dicté les nouvelles règles du match, des règles qui imposent à ses adversaires de se battre avec les mains ligotées dans le dos. Alors que lui, bien entendu il garde les mains libres et pour lui tous les coups sont permis.
La seule chose de juste dans cet article c’est que la défaite de notre pays dans la guerre économique qui a été lancée contre lui (je le répète avec la complicité des médias et des politiciens) a pour conséquence, non seulement que les banques sont dans la m…, mais aussi les commerces de luxe, la bijouterie et tout ce qui va avec. Mais ça on le savait avant. On savait qu’on perdrait tout ce qui va avec, si on perdait le secret bancaire.
Même les journalistes qui perdent leur travail, comme ce sera bientôt le cas de ceux du Temps, sont des victimes collatérales de la perte du secret bancaire. Car il est bien évident que la santé financière de la presse dépendait aussi de celle de la place financière, exactement comme celle des commerces de la rue du Rhône. ll faudra vous en souvenir Mr Genier si un jour vous devez aller pointer au chômage.
Et qu’on ne vienne pas nous parler des fintech, ou de la qualité du service. Tout ça n’a rien à voir avec ce que Mr Urfer appelle “notre métier”. C’est comme si vous interdisiez la consommation du vin et ensuite vous alliez dire aux vignerons de Lavaux ou de Satigny: mais voyons, soyez dynamiques, réinventez-vous, faites du jus de raisin, des tables d’hôtes etc. C’est ridicule. On ne parle pas de la même chose.
LA VÉRITÉ EST COMME JE VOUS LE DIS. M. Genier, Mr Urfer vous êtes des rigolos. Vous vivez dans un monde irréel. Pffff !
“Les chances offertes par un monde neuf…” c’est sidérant des réflexions comme ça.
C’est évident qu’il y a aura des nouvelles chances. Il y a toujours des nouvelles chances, dans la vie. Mais il ne s’agit pas de ça. Il s’agit de savoir si la Suisse peut encore exister dans un certain marché, celui qui consiste à être attractif pour les capitaux trans nationaux dont elle gérait mondialement le tiers. C’est cela la question. Pas une autre.
La réponse est non. C’est impossible. La Suisse a perdu ce marché, comme la France a perdu l’Algérie. Il n’est pas possible de se réinventer pour récupérer ce marché. CE MARCHÉ, PAR DEFINITION, APPARTIENT AUX PAYS QUI PROTÈGENT LE SECRET DE LEURS CLIENTS. Je le répète. C’est exactement comme si demain on imposait des lois internationals interdisant aux viticulteurs suisses de produire et vendre du vin. Evidemment ces viticulteurs seraient bien obligés de se reconvertir dans autre chose. Il y aurait des journalistes pour leur prêcher de saisir “les chances d’un monde nouveau”. Mais il n’en resterait pas moins que la viticulture suisse serait morte. C’est tout.
Monsieur Genier, votre façon de placer la discussion sur une sorte de terrain vaguement moral, en blâmant la tendance de certains à manquer de dynamisme pour s’adapter, ce language est INSUPPORTABLE.
On peut regretter l’ancien monde, celui où le secret bancaire assurait une rente de situation. Qu’on le veuille ou non, ce monde-là a disparu, en Suisse comme ailleurs. Celui qui émerge est fort différent, fait de règles contraignantes, de transparence, de big data. Il exige des capacités analytiques énormes et une très forte adaptabilité aux technologies de l’information et de la communication. En termes économiques, l’on appelle cela une révolution technologique, ainsi que l’avait théorisée voici près de cent ans l’économiste autrichien Schumpeter. On peut protester avec la dernière énergie contre ces changements, accuser les Américains ou d’autres de malhonnêteté, cela ne changera rien. La banque doit s’adapter comme la presse est contrainte de le faire. Ce n’est pas en accusant (derrière un pseudonyme) le journaliste de faire de la morale que l’on renversera le cours de l’Histoire.
Transparence et big data… ces expressions dans le monde de la banque privée, c’est quand même un comble. Moi je vous dis, derrière un pseudonyme certes (ce qui est mon droit et d’ailleurs n’assure pas vraiment mon anonymat) que ces expressions transparence et big data font partie d’un univers mental antinomique de celui de la banque privée dont le principe est le secret et la protection du secret des clients.
Vous semblez considérer que ces notions de secret et de discrétion appartiennent à un monde révolu, que d’ailleurs vous blâmez implicitement au nom d’un certain moralisme que je juge mal placé. ll semblerait que le reproche adressé par vous soit l’existence de rentes de situations. Peut-être ces notions sont-elles révolues en Suisse, pays qui a commis le plus spectaculaire hara kiri économique des temps modernes, mais sont plus demandées que jamais de par le monde. Simplement la Suisse, qui dominait ce secteur économique, en a été privée au profit de ses concurrents.
Vous avez raison de vous intéresser à des innovations techniques et à de nouvelles activités bancaires. Le seul reproche qu’on pourrait adresser au secret bancaire est peut-être d’avoir découragé les banques de développer dynamiquement des secteurs nouveaux. Mais je me demande quand-même pourquoi on n’aurait pas pu développer ces nouvelles activités, tout en préservant l’acquis existant du secret bancaire. Si l’on prend l’exemple de la manière brillante dont l’horlogerie suisse s’est redressée après une crise terrible, on constate que cette crise était due aux rentes de situations des patrons de la vieille école qui avaient toujours fait de la montre mécanique et ne voulaient rien changer. C’est vrai. Eh bien cette crise a fait disparaître un certain nombre de dinosaures et apparaître un requin intelligent, qui s’appelait Nicolas Hayek. Or qu’a fait Nicolas Hayek? A-t-il abandonné la montre mécanique, et ainsi tiré un trait sur cette production appartenant à un monde révolu? Absolument pas, tout au contraire. ll a certes favorisé le deéveloppement du quartz et de la révolutionnaire montre en plastqie swatch, inventée non par lui, mais par Ernst Thomke. Mais en même temps il a remis à l’honneur la tradition de la montre mécanique automatique comme un produit de luxe, et en a fait le véritable fer de lance de la reconquête. Car dans ce domaine la suisse bénéficiait d’un prestige inattaquable, comme c’est le cas pour la tradition de la banque privée, personnalisée, opaque et confidentielle.
Alors moi je vous dis que pas plus l’horlogerie n’aurait pu renaître en abandonnant son produit traditionnel, la banque suisse ne pourra retrouver son succès sans retrouver une forme de secret bancaire, bien sur rénové, repensé, comme il l’a toujours fait.
ll faudra pour cela des élites dirigeantes qui aient un peu de courage (pas des lavettes comme on a maintenant) et osent affronter une certaine réprobation internationale bien pensante et défendre les intérêts du pays contre l’idéologie inepte de la transparance mondiale. ll faudra savoir aussi intelligemment s’appuyer sur la forte demande existante dans le monde des affaires mondial et le besoin d’une place sure où l’on puisse faire des affaires dans la discrétion. Ce moment viendra, vous verrez. Peut-être dans une vingtaine d’années, après que la gouvernance mondiale se soit cassée la gueule ce qui est fatal.
Ce sera un retour à la normale. Et pendant ce temps, bien entendu, il sera bon – tout à fait d’accord avec ça – que les banques suisses s’approprient de nouveaux métiers et de nouveaux savoir-faires. Il faut les deux. Il ne faut pas opposer les deux choses. Mais si vous croyez que la Suisse pourra redevenir une place mondiale sans une forme nouvelle de secret bancaire, vous rêvez.
Ou alors, peut-être que vous ne rêvez pas. Peut-être que ce ne sera pas possible de retrouver cette vieille tradition suisse. Mais alors dans ce cas, contrairement à ce qui s’est passé dans l’horlogerie, la place financière suisse ne sortira jamais de son marasme actuel.
M. Genier,
Il me semble que ces derniers temps votre journal, ou du moins son attitude, ressemble beaucoup à celle de feu l’Hebdo, jouer sur la peur, ou pire culpabiliser.
Que ne fallait-il pas lire dans l’Hebdo, à quel point tous les pays de l’UE était soi-disant meilleurs que la Suisse (Irlande, Islande, …).
Non seulement vos critiques (si je les partage) ne sont pas constructives, mais oublient un point essentiel du débat à venir.
Vous oubliez que le secret bancaire est avant tout une définition juridique, qui protège la sphère privée.
Votre journal fait constamment la promotion des nouvelles technologies bancaires et financières, mais en oubliant une des conséquences, et pas des moindres : la disparition du cash. Car la révolution est là : cette guerre contre le cash nous priverait des nos libertés privées et aggraverait une des conséquences de la fin du secret bancaire, soit notre rapport à l’état. Nous serons à son service, et non l’inverse. De citoyens, nous deviendrions sujets.
Evidemment la Suisse a une part de responsabilité, politique surtout, n’ayant pas su anticiper les attaques contre sa place financière. Mais vouloir plaire à tout prix, quitte à sacrifier la sphère privée?
Donc oui M. OUIN OUIN utilise des mots forts comme “collabos”, mais il est regrettable de se prétendre libéral et ne pas se révolter contre cette guerre faite au cash. A part un article en 2015 (https://www.letemps.ch/economie/2015/05/25/guerre-contre-cash-immorale), plus grand chose!