La crise grecque n’a pas eu lieu

La Grèce est un pays insaisissable, deux faces toujours en contradiction semblent s’y opposer, ce blog n’a cessé de le souligner. Le plus désarçonnant tient à la manière dont, avec aplomb, un même phénomène y est tantôt nié, tantôt considéré comme un fait indiscutable. Au plus fort de la crise, aux alentours de 2012, ce sont, en plus des personnes migrantes, les près de 3 millions de citoyens restés sans emploi, et donc sans assurance médicale, qui ont été à l’origine des dispensaires solidaires de santé ayant essaimé un peu partout dans le pays, surtout autour d’Athènes. L’ampleur du phénomène a été balayé d’un revers de main par certains de mes interlocuteurs : c’est un mythe, m’a-t-on dit ici ou là.

Pour les uns, la solidarité a été la réponse digne d’une population qui a su se mobiliser et montrer sa résilience. Pour les autres, il s’agirait d’un leurre qui masque mal les mécanismes qui minent la société – l’emprise de la famille et d’un système fondé sur la collusion. Lorsqu’en chercheur, vous essayez de questionner les positions des uns et des autres, le conflit qui oppose les deux camps tourne en boucle : gentilles ou franches invectives, mais aussi accusations de « subversion ». C’est la même logique qui a conduit au cas Georgiou, une aberration judiciaire du nom du directeur de l’agence statistique grecque entre 2010 et 2015, accusé d’être de « mèche » avec le FMI et d’avoir gonflé les chiffres du déficit de 2010, acquitté à deux reprises, mais toujours reconduit devant la justice après une succession d’appels du ministère public.  Drôle de procédé qui soumet toujours le réel, en dépit de ses résistances, à un parti-pris. Mais la Grèce en a-t-elle l’exclusivité ?

La fin de la crise ?

C’est un Pierre Moscovici grandiloquent qui a annoncé vendredi 22 juin la fin de la crise grecque. L’ancien ministre, que son propre camp ne voulait plus dans son gouvernement – comme tant d’autres commissaires européens en disgrâce dans leur pays envoyés à Bruxelles – est même allé plus loin qualifiant le moment d’« historique ». A quelle histoire songe-t-il exactement ? A celle qui aura permis aux banques allemandes et françaises de lever des intérêts par milliards ? A celle qui fait fuir les cerveaux ? A celle qui n’aura pas permis d’épaissir d’un millimètre le tissu économique local, mais aura contribué à le détricoter ? A celle qui ne sera pas parvenue à mettre un terme aux dessous-de-table ? A celle qui aura fait manger sa cravate à Alexi Tsipras ? A celle qui aura fait payer un lourd tribut (pour reprendre les termes de Rémi Bourgeot) aux jeunes générations dont beaucoup de représentant·e·s, à plus de trente ans, n’ont jamais eu d’emplois stables, alors que de nombreux retraités sont contraints de travailler… au noir ? A celle qui laisse penser que le poids de la dette a été allégé alors qu’elle n’a été que rééchelonnée ?

Je doute que le qualificatif « historique » fasse référence à ces réalités pourtant bien établies. Je rétorquerai alors à M. le Commissaire que « sa » crise grecque n’est pas finie, elle n’a pas eu lieu.

Photo de titre Théophile Bloudanis

Yannis Papadaniel

Yannis Papadaniel est anthropologue, titulaire d'un doctorat obtenu à l'Université de Lausanne et à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris. Il est spécialiste de questions liées à la santé et à la médecine. (Photo: Olivier Maire) Il est responsable santé à la Fédération romande des consommateurs (les opinions exprimées ici ne l'engagent toutefois que lui)