Zero déchet, en route vers un nouveau mode de vie!

Comment l’homo-consommatus est devenu un être fractionné

La segmentation est une technique marketing bien connue… et très aliénante. On ne va pas vendre du vernis à ongle à une mécanicienne sur auto (quoique…!) ou un anti-histaminique à quelqu’un en pleine forme. Pour vendre, il est nécessaire d’adapter son discours à son public, pour mieux l’atteindre. Le principe est simple à comprendre. Là où le bât blesse, c’est quand la segmentation conduit à la fragmentation de tout et de tous, à l’infini. A contrario, le mode de vie qui vise à réduire ses déchets passe automatiquement par un exercice permanent de simplification quant à la façon de consommer. En soi, le mode de vie Zero Waste s’oppose à la fragmentation et engendre une réunification de l’homo/femina consommatus (ou homo-femina-economicus).

La segmentation du marché, cela s’applique à deux concepts: diviser le marché et ses consommateurs en segments, afin de mieux définir le public auquel on destine un produit et ainsi, affiner sa façon de s’adresser à lui afin qu’il se sente concerné… et achète le produit en question. Le second concept consiste à diviser une catégorie de produits (prenons l’exemple d’une crème cosmétique pour la peau) en sous-groupes spécifiques (crème pour les mains, crème pour le corps, etc.).

L’une comme l’autre sont problématiques. Voyons pourquoi.

Pour le commerce, je fais partie – en tant que consommatrice lambda – du même segment que d’autres consommateurs qui présentent les mêmes caractéristiques que moi en termes d’âge, de situation familiale, de région, de préférences, etc. Le résultat est que ne me seront adressées que des publicités qui vont éveiller mon attention et… titiller mon pouvoir d’achat.

C’est aussi ainsi que fonctionne internet via les réseaux sociaux (sur lesquels nous donnons quantité d’informations sur nous-mêmes sans nous en rendre compte), les sujets qu’on soumet aux moteurs de recherche, les achats que l’on effectue, les voyages que l’on réserve, voire même via les courriels que l’on adresse.

Or, faire partie d’un segment de consommateurs (dans la vraie vie ou virtuels) agit à terme comme une prison: sous prétexte de mieux répondre à nos besoins, cette segmentation nous enferme dans une bulle. Ce sont toujours les mêmes sujets, les mêmes produits que nous voyons en premier et cela demande un réel effort de dépasser les limites de cette bulle.

Au temps des cavernes, un seul produit pour tout et tous

La segmentation des produits n’est pas meilleure car elle vise à multiplier nos besoins à l’infini. Pire, elle en crée de nouveaux. L’exemple de la crème cosmétique est emblématique sur ce sujet. Au siècle dernier, une publicité pour la crème à la boîte bleue disait “on a tous une bonne raison d’utiliser la crème …”. Et on voyait un sportif se tartiner le bras, une femme se passer la pommade sur la jambe, une skieuse s’enduire, un enfant être crèmé avant de sortir, etc. Un seul produit pour tout et tous. C’était simple. Et sans doute pas assez vendeur.

Depuis ce temps des cavernes, le site actuel de la même marque affiche… 43 références au seul chapitre “crème pour le visage”. A-t-on vraiment autant de besoins différents pour regraisser un peu sa peau après le nettoyage ? Il n’y a que l’embarras du choix de ce que l’on “cherche”: anti-ride, énergisant (!), nourrissant, raffermissant, rafraîchissant, protection… Notre peau est désormais segmentée en catégories: sèche, grasse, mixte, mature, normale, sensible, sujette aux impuretés, terne, fatiguée… Notre visage est fragmenté en zones qu’il s’agit de traiter de manière idoine avec un produit spécifique (yeux, cernes, rides, cou, joues, front qui brille, lèvres, etc.

C’est tout de même hallucinant de voir comment l’industrie créée sans cesse de nouveaux produits, pour répondre à de soi-disant nouveaux besoins. Le discours publicitaire qui les emballe mériterait qu’une thèse de linguistique le décortique et le décode. Concrètement, faites donc un tour dans votre armoire à produits ménagers. Qu’y trouvez-vous? Du produit liquide pour nettoyer les WC, mais peut-être aussi des pastilles de gel qu’on colle directement à la porcelaine, un stick odorant (en 3, 4, 5, 7 parties ?) qui pend au rebord, quand ce n’est pas une tablette qui va colorer l’eau en bleu. Tous ces produits visent à dissoudre le calcaire, rincer la saleté et combattre les mauvaises odeurs.

A-t-on besoin de tous ces produits, vraiment? Car des toilettes propres, régulièrement récurées, ne sentent pas mauvais.

Pour nettoyer la cuisine, vous avez sans doute du produit pour nettoyer la vaisselle et de la poudre pour le lave-vaisselle (si vous en avez un), mais peut-être aussi – si vous êtes un tant soi peu branché-e sur les nouveautés – un produit pour décrasser le four (mousse, spray, poudre?), un spécial pour faire briller le vitrocéram (crème, spray?), un spray pour les vitres, un dégraissant pour la hotte d’aspiration, une crème pour nettoyer les faces des meubles, un autre pour détacher les fonds de tiroirs, un indispensable pour désinfecter aussi efficacement que dans une salle d’opération, un produit à polir le métal, un autre pour nettoyer le lave-vaisselle (!), etc. Tous ont un seul et même but: nettoyer.

A chaque fois, c’est un produit spécifique, dans un emballage non recyclable à l’infini (en plastique) qui va grossir votre sac poubelle et terminer à l’incinération. Et dire qu’avec trois ou quatre produits de base (bicarbonate de soude, cristaux de soude, savon noir…), on obtient le même résultat pour moins cher et sans générer de déchets…!

Plaidoyer pour la simplicité réunificatrice

En adoptant le mode de vie zéro déchet, on apprend assez vite qu’il est possible, facile et économique de fabriquer ses produits de nettoyage ou sa propre crème hydratante. Car après tout, la peau nettoyée chaque soir pour éliminer le sébum et la saleté qui s’y colle durant la journée a besoin de très peu de choses: un peu d’hydratation et un peu de matière grasse, afin qu’elle restaure au plus vite sa protection naturelle, c’est-à-dire son film hydro-lipidique.

Petit truc en passant: la version la plus simple d’une émulsion pour le visage est de la réaliser à la minute en mélangeant au creux de la main un peu de gel d’aloe vera (qu’on trouve en vrac) et un peu d’huile végétale (l’huile de jojoba est bonne pour tous et tout).

www.clairebretecher.com

Le mode de vie zéro déchet simplifie de manière radicale la variété de nos besoins. Une seule crème un peu épaisse suffit pour les jambes, les mains, les pieds et la peau très sèche. Du coup, avec le temps et l’épure de mes besoins, je suis devenue assez imperméable aux discours de la publicité. Je dois même avouer que les trésors d’ingéniosité langagière et visuelle qu’elle déploie est source de grande rigolade… Un peu comme quand Claire Bretecher, fameuse auteure de BD – les Frustrés, Agrippine… – racontait sans rire qu’après avoir accidentellement versé une goutte d’un sérum anti-rides très cher sur son oreiller, celui-ci s’en fut d’un coup… tout repassé!

Simplifier. Voilà ce que propose le mode de vie Zéro Déchet.

Pour aider tout un chacun-e à y parvenir, j’ai rédigé plusieurs guides pour l’association Zero Waste Switzerland. Ces guides sont disponibles gratuitement sur le site de l’association. Le tout dernier passe en revue l’essentiel pour prendre soin de soi (déodorant, dentifrice, démaquillant, savon, etc.).

Simplifier et retrouver son unité. Ne plus donner prise aux fragmenteurs. Comprendre enfin que peu, c’est nettement mieux.

Réunifier nos êtres divisés, c’est ce que plaide Michel Maxime Egger, ce sociologue et écothéologien suisse, auteur de “La Terre comme soi-même”. Ses mots s’appliquent parfaitement au mode de vie Zéro Déchet:

“L’accumulation, qui nous empêche d’être simples, est sans doute une façon de se rassurer, de refuser notre finitude et de lutter contre la peur de la mort. Opter pour la simplicité volontaire, c’est sortir d’une mentalité de pénurie pour entrer dans l’abondance de l’être. (…) Quitter l’horizontale du trop-plein et du trop faire pour entrer dans la verticale de la joie.” (extrait des propos recueillis en 2013 pour le site lavie.fr)

Simplifier. Pour soi, pour son porte-monnaie, son emploi du temps, pour l’environnement, pour la planète (ou dans l’ordre que vous voudrez!).

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