Quels administrateurs pour les entreprises publiques de la Confédération ?

COnfédération suisse

 

Près de vingt entreprises et institutions suisses dépendent de la Confédération

 

Près d’une vingtaine d’entreprises et établissements de la Confédération sont – au final – pilotés par le Conseil fédéral. Celui-ci a fixé des principes de gouvernance d’entreprises pour gérer et/ou superviser ces institutions ou participations. Cette liste comporte les sociétés anonymes de droit publiques fournissant des prestations sur le marché comme Poste Suisse SA (100%), les CFF SA (100%), RUAG (100 %), Skyguide SA (99,94%) et Swisscom SA (51,22%).Mais il y a d’autres établissements à caractère monopolistique, tels que le domaine des EPF et ses six institutions, l’Assurance suisse contre les risques à l’exportation (ASRE), etc., ainsi que des entités assumant des tâches de surveillance de l’économie et de la sécurité, comme la FINMA ou l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN).

Un processus de renouvellement qui prend du temps

 L’atteinte d’une limite d’âge (généralement fixée à 70 ans), ou d’une limite de durée de mandats (généralement fixée à 12 ans), des conflits d’intérêts potentiels ou réels mais aussi des démissions en cours de mandat sont les principales raisons de changement dans la composition des conseil d’administration. Le renouvellement d’un membre du Conseil, et plus particulièrement du président est donc en principe calculable et prévisible. Toutefois le processus de recrutement reste complexe. En effet, c’est rarement le conseil d’administration qui recherche le bon profil mais plutôt le département concerné de la Confédération. Les exigences de compétences, d’expériences et de professionnalisme sont prises en compte mais les aspects politiques restent importants, surtout pour la présidence. La personne retenue devra être acceptée par le Conseil fédéral in corpore puis officiellement être élue par l’assemblée générale de l’entreprise. Une formalité peut-être, mais qui doit être respectée.

Des changements de présidents à La Poste Suisse et chez Compenswiss

Trouver les bons candidats reste un exercice difficile, soumis à de nombreuses contraintes et règles d’incompatibilité. 2016 sera une année de transition importante dont voici quelques exemples :

petit logo PosteLe 26 avril, le Fribourgeois Urs Schwaller devrait remplacer Peter Hasler, atteint par la limite d’âge, à la président de la Poste Suisse. Conseiller d’Etat expérimenté, conseiller aux Etats pendant trois législatures, avocat et administrateur de sociétés, il devrait assumer cette tâche avec brio.

Pour Compenswiss, le Conseil fédéral est sorti du cadre politique pour aller chercher Manuel Leuthold, un fin connaisseur des marchés financiers et le nommer à la présidence.

CFF: une succession à la présidence avec un candidat interne ou externe aux CFF?petit logo CFF

Aux CFF, le président Ulrich Gygi atteindra aussi ses 70 ans en 2016. L’entreprise vient d’annoncer que la vice-présidente Monika Ribar prendra sa succession. Ceci n’était pas acquis par avance, si l’on considère les deux exemples suivants. Chez Skyguide, c’est une personne externe au Conseil, Walter T. Vogel, qui a pris la présidence en mai 2015. Ce fut l’inverse chez Ruag, où le vice-président Hans-Peter Schwald est devenu président le 15 mai 2014.

A la recherche de candidates femmespetit logo Swisscom

  Hansueli Loosli est le président expérimenté de Swisscom depuis 2009. Avec ses 61 ans il peut exercer sa fonction encore quelques années. Par contre deux membres du Conseil seront atteints par la durée maximale du mandat. Il est fort à parier qu’en tout cas une femme sera élue afin d’atteindre le quota de 30 % de femmes exigé par le Conseil fédéral.

Cela reste un défi pour d’autres sociétés comme RUAG qui compte une seule femme parmi ses 7 membres. D’autres sont déjà conforme comme la Poste suisse avec 3 femmes sur 9 membres et Compenswiss avec 6 femmes sur 14 membres !

Une situation plus complexe au Conseil de la SSR-SRGpetit logo SRG SSR

Des 9 membres du Conseil de la SRG-SSR, le Conseil fédéral n’en nomme que deux et c’est l’assemblée des délégués, soit environ quarante personnes qui nomme le président. En juin 2015, Raymond Loretan a quitté la présidence pour éviter tout malentendu avec sa candidature PDC à Genève pour le Conseil des Etats (il n’a pas été élu). L’intérim est assuré jusqu’en 2017 par le vice-président actuel, Viktor Baumeler car le recrutement de la personne idéale semble plus complexe que prévu.

Des principes de gouvernance sains

La recherche d’administrateurs pour les grandes entreprises publiques reste un défi. Saluons la volonté du Conseil fédéral de privilégier de plus en plus les compétences et l’expérience comme administrateur, au lieu de critères purement relationnels ou politiques. C’est nécessaire au vu de la taille et des défis que doivent relever toutes ces entreprises publiques.

Des quotas de femmes dans les directions d’entreprise ?

Le Conseil fédéral veut des quotas de femmes au sein des conseils d’administration et des directions

Le dernier projet de révision du droit des sociétés anonymes a été publié le 4 décembre 2015. Sans surprise, Mme Simonetta Sommaruga, cheffe du DFJP, maintient l’exigence d’une représentation d’au minimum 30 % de femmes ou d’hommes dans les conseils d’administration des grandes sociétés cotées. Pour les directions générales, contrairement à ce qui était prévu dans l’avant-projet, ce pourcentage est abaissé à 20 %. Le Conseil fédéral explique que « les membres de la direction doivent posséder des connaissances plus spécialisées. En cas de non-respect des seuils, les entreprises devront expliquer pourquoi ceux-ci n’ont pas été atteints et indiquer les mesures déjà mises en œuvre ou prévues pour y remédier. ».

Quota de femmes

 

Quinze ans de travaux préparatoires…

Depuis 2001, la révision du droit des sociétés anonymes est un thème politique en chantier, dont le processus a été fortement perturbé par l’acceptation de l’initiative Minder en 2013 (devenue depuis l’article 95 alinéa 3 de la Constitution fédérale). Après une large procédure de consultation, le Conseil fédéral a publié le 4 décembre 2015 les grandes lignes d’un nouveau projet dans lequel il prend acte des résultats de la consultation et des importantes critiques qui lui étaient adressées.

Les quotas légaux de femmes, pas avant 2031 ?

Le Conseil fédéral espère terminer la rédaction de son projet de révision à la fin de l’année 2016. Il sera ensuite présenté pour discussion et adoption par les Chambres fédérales. Passé le délai référendaire, il s’agira encore de procéder à l’adaptation de plusieurs ordonnances, notamment celle sur le registre du commerce (ORC). Dans une perspective optimiste, la révision pourrait entrer en vigueur en 2021. L’atteinte des seuils de représentation des sexes fait l’objet d’un délai de cinq ans pour les conseils d’administration et de dix ans pour les directions générales, soit 2031 !

D’ici 2031, ces quotas ne seront plus nécessaires

Le principe d’une plus grande diversité au sein des Conseils d’administration et des directions est accepté depuis plus d’une décennie. Comprenons bien que la diversité concerne le sexe, mais aussi l’âge, des aspects socio-culturels, etc. Des quotas ont déjà été introduites en Suisse. Depuis novembre 2013, le Conseil fédéral s’est fixé  des “quotas-cibles” de 30 % de femmes dans les conseils d’administration des sociétés dont il est actionnaire, un seuil qui doit être atteint graduellement d’ici fin 2020. Le Canton de Bâle Ville a fait de même, en imposant la présence d’au moins un tiers de représentants de chaque sexe dans les entreprise publiques contrôlées par le canton (article 24 de la loi d’exécution de la loi fédérale sur l’égalité, votée le 9 février 2014).

Guido Schilling, dans son schillingreport 2015, constate que « un tiers des nouveaux membres des conseils d’administration des 100 plus grandes entreprises suisses sont des femmes ». Le pourcentage de femmes a, de ce fait, atteint la barre des 15% dans les conseils d’administration et devrait dépasser les 20 % en 2020. « 73% des entreprises sondées comptent aujourd’hui au moins une femme dans leur conseil d’administration ».

Par contre, le taux de femmes n’est que de 6 % dans les directions d’entreprises des cent plus grandes entreprises suisses. C’est là que se situe le défi le plus important. Mais la nouvelle génération de femmes cadres supérieures est prête. Il y a donc fort à parier qu’une personne sur cinq dans les directions générales sera une femme d’ici à 2031, rendant caduque la proposition de quotas actuellement en discussion.

Quel conseil d’administration pour les entreprises publiques ?

La Confédération s’inspire du code suisse de bonne pratique

La Confédération suisse et les cantons sont les propriétaires de nombreuses entreprises de droit public dans des domaines aussi variés que les finances, les transports publics, la santé, les fournisseurs d’énergie et services industriels, les télécommunications ainsi que de nombreux prestataires de services liés à un monopole.

Pour la gestion des entreprises publiques fédérales, le Conseil fédéral a publié ses 28 principes directeurs dans un Rapport sur le gouvernement d’entreprise du 13 septembre 2006. Il s’inspire fortement des recommandations du Code suisse de bonne pratique publié par economiesuisse. Les grandes entreprises de droit public sur le plan national comme La Poste SA, les CFF, RUAG disposent de conseils de taille inférieure à dix, avec des administrateurs indépendants complémentaires dans leurs compétences et expériences.

La « représentation démocratique » dans les conseils d’administration

Mais, dans certains cantons, la « représentation démocratique » dans les conseils d’administration est très développée. Il s’agit de la volonté politique, exprimée souvent dans une loi, et spécifiant que le Conseil d’administration doit être composé de représentants:

  • des principales parties prenantes, particulièrement le personnel;
  • des principaux actionnaires et usagers, particulièrement cantons et communes;
  • des principaux partis politiques en présence;
  • d’autres intérêts particuliers comme des partenaires ou clients.

Des conseils d’administration de 6 à 40 membres !

Cette représentation a pour conséquence des tailles de conseil allant de 12 à 40 membres. Le conseil d’administration des TL  (transports publics lausannois) rassemble 28 membres, dont la Municipalité de Lausanne in corpore. La Suva, entreprise de droit public s’autogère avec un conseil d’administration comprenant 16 représentants des travailleurs, 16 représentants des employeurs et 8 représentants de la Confédération. La volonté de rester fidèle aux principes du partenariat social induit ainsi la présence de 40 administrateurs ! Pour pouvoir fonctionner, ces conseils sont obligés de créer un bureau du Conseil pour gérer la préparation des réunions, l’ordre du jour et des questions urgentes, ce qui relègue parfois le conseil à un rôle purement formel.

Le prix de la « représentation démocratique »

Les conséquences de la priorité donnée à la dimension politique, plutôt qu’à l’efficacité de la gouvernance, dans les entreprises publiques sont nombreuses :

  • Les séances sont plus longues.
  • Les administrateurs se sentent moins responsabilisés et sont parfois moins présents.
  • Les intérêts supérieurs de l’entreprise à long terme sont parfois mal pris en compte.
  • Le débat politique remplace le débat sur les enjeux véritables de l’entreprise
  • Des changements parmi les administrateurs sont plus fréquents, car ils sont souvent élus « ès fonctions » et non « ad personam ».

Politicien et administrateur : s’effacer au profit de la bonne gouvernance

La gouvernance est un métier différent que celui du politicien. Elle exige aussi une posture très différente, une manière de fonctionner en retrait, hors de l’ego et des tumultes des médias. Il est donc temps de renoncer à la représentation dite “démocratique” partout où elle n’est pas indispensable. Les conseils d’entreprise publique pourront fonctionner avec plus d’efficacité en disposant d’un petit nombre d’administrateurs compétentes et motivés et bénéficier de leurs expériences complémentaires.

Dominique Freymond est co-animateur de l’ACAD (Académie des administrateurs), vice-président de l’ISADE (Institut suisses des administrateurs) et co-fondateur de Triple A Associés.