Lutte pour l’égalité raciale dans le monde, le mouvement Black Lives Matter fait bouger les lignes

Depuis la mort de Georges Floyd le 25 mai dernier à Minneapolis, les manifestations de Black Lives Matter se sont généralisées dans le monde entier au point de briser les chaînes du silence aux 4 coins du monde. En Afrique, non seulement les populations se sont très largement mobilisées, mais certains chefs d’état ont fait également entendre leurs voix sur la question de l’égalité raciale. Les Afro-descendants des Amériques, d’Europe et d’ailleurs ont lancé des projets de revendication mémorielle de la communauté noire et de dénonciation de l’esclavage économique.

Aux USA, le racisme systémique continue de faire l’objet d’une forte dénonciation de la part de la communauté afro-américaine qui entend saisir l’opportunité offerte par l’extraordinaire médiatisation de la mort de Georges Floyd pour revendiquer pleinement ses droits. Sur le plan culturel, le président Obama avait inauguré, en septembre 2016, le Musée d’histoire et de culture afro-américaine pour précisément favoriser une revendication mémorielle de la communauté noire. Ce Musée, situé en plein cœur de la capitale américaine, a pour objectif d’expliquer aux jeunes générations l’histoire de la communauté afro-américaine qui reste encore très méconnue. Avec la création de ce National Museum of African American History and Culture (NMAAHC), le président Obama est entré dans les annales de l’histoire afro-américaine en donnant à celle-ci une nouvelle dimension jamais atteinte jusqu’à présent. Il existe bien environ  200 musées consacrés à l’histoire afro-américaine aux États-Unis, mais aucun d’entre eux n’a attiré autant de monde que le NMAAHC qui a enregistré des records de fréquentation, depuis son inauguration. On parle de plusieurs millions de visiteurs, toutes origines confondues. De quoi rendre fier le président qui déclarait que le Musée était destiné à « raconter une part essentielle de notre histoire américaine, une part qui a souvent été négligée ».

Mais la création de ce Musée aux allures gigantesques ne s’est pas faite sans laisser sceptiques certains spécialistes de l’histoire américaine qui pensent qu’il faudrait s’entendre sur l’identité noire américaine elle-même. Une chose est certaine, l’histoire des Afro-Américains est intimement liée à celle de la déportation, de l’esclavage et donc de l’Afrique. Il Il y a 42 millions d’Afro-Américains dans le monde qui sont le fruit direct de cette triste page de l’histoire. Beaucoup d’entre eux sont très fiers de leurs racines africaines et ont lancé des initiatives à vocation pédagogique qui servent aujourd’hui de référence. A l’instar des Afro-Américains, les Afro-Européens également se distinguent également dans ce domaine. L’Anglo-Ghanéenne Sylvia Arthur met en avant la littérature africaine à travers une impressionnante collection de livres. Sa bibliothèque située à Accra, et non à Londres, capitale de son autre pays, démontre sa volonté de revenir aux sources pour mieux expliquer l’histoire noire.

Fondatrice de la Bibliothèque de l’Afrique et de la diaspora africaine (LOATAD), elle qui est partie de presque rien, peut se targuer aujourd’hui de compter 4000 ouvrages à son actif. Ce qui devrait permettre d’avoir des archives sur l’histoire qui est jusqu’ici « mal expliquée » Elle salue le rôle joué par le mouvement Black Lives Matter qui a donné encore plus de sens à son projet. Sa prochaine préoccupation est de mettre en place des discussions et des débats autour de l’histoire de la diaspora africaine et du racisme qu’elle subit où qu’elle se trouve. Elle ajoute : “Je crois vraiment que nous avons besoin d’une initiative comme celle du mouvement Black Lives Matter. Cela montre que notre peuple est intelligent, sophistiqué et doué pour les arts… le contraire de tout ce que l’on nous enseigne à l’école”.

La déportation et l’esclavage n’ont pas eu que des conséquences culturelles néfastes sur les Afro-descendants. Les dégâts économiques sont aussi désastreux pour la grande majorité du milliard et 200 millions d’Africains qui vivent dans une grande précarité. Les peuples africains ont certes survécu à l’esclavage et au colonialisme, mais un autre grand défi reste également à surmonter, en l’occurrence l’esclavage économique dont ils souffrent. Le mouvement Black Lives Matter a permis de mettre le doigt sur cette réalité, un peu reléguée au second plan à un moment donné, à cause des violences policières dont sont victimes les Afro-Américains aux USA. À travers la mobilisation mondiale que le mouvement a suscité, il est devenu évident qu’il est impossible de créer une justice raciale sur la base d’une injustice économique. Que l’on soit noir aux USA, en Europe ou en Afrique. La vie des Noirs compte partout.

Il existe un peu partout en Afrique des initiatives visant à promouvoir une certaine justice économique. Cependant, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer la duplicité de certains dirigeants africains qui copinent avec des puissances étrangères au détriment de leurs populations, participant ce faisant grandement à la perpétuation des inégalités économiques en Afrique, où existe aujourd’hui  une grande prévalence de l’esclavage moderne qui coûte très cher à l’Afrique en termes de pertes en vies humaines, en plus bien sûr de prospérité économique.

Historiquement, il est prouvé que la dette africaine a été utilisée comme arme par les pays et organisations occidentales les plus riches pour rançonner les pays africains. C’est dans ce contexte que de plus en plus de leaders africains demandent l’annulation pure et simple de la dette africaine pour permettre à l’Afrique de repartir du bon pied et de ne plus dépendre de l’Occident.

À la faveur de la mobilisation mondiale provoquée par la mort de Georges Floyd, on est en droit de penser que le Mouvement Black Lives Matter a, à n’en pas douter, réussi son pari d’attirer l’attention de la communauté internationale sur ce qu’il a appelé le racisme systémique aux USA dans un premier temps. Le débat s’est aussi imposé en France, où le traitement de l’affaire Adama Traoré et le passé colonial français ont été largement critiqués. La Suisse n’est pas en reste, en effet de nombreuses associations ont également pointé du doigt le rôle de commerçants suisses  dans les déportations de 50 000 Africains vers les Amériques entre 1773 et 1830.

Comme on le constate, partout maintenant, les langues se délient, de grandes manifestations ont été organisées à Paris, Londres, Zurich et bien sûr en Afrique. Plus que ces démonstrations de force, ce sont surtout les remises en question de symboles historiques, tels que des statues glorifiant des esclavagistes, des livres d’histoire occultant certains faits liés à l’histoire coloniale et à l’esclavage, sans parler évidemment du pillage des ressources économiques de l’Afrique, souvent au détriment de leurs citoyens. Sans aucun doute, le mouvement Black Lives Matter a fait bouger les lignes dans bien des pays. Pourvu qu’il n’y ait pas de phénomène d’essouflement ni de récupération politicienne de groupuscules passés maîtres dans l’art de tirer avantage des succès de mouvements aux moyens limités.

(Photo : Alan Karchmer)

Tidiane Diouwara

Tidiane Diouwara est journaliste RP et spécialiste des sciences de l’information. Il est titulaire d’une maîtrise universitaire en linguistique, d’un doctorat 3 ème cycle en sciences de l’information. Il est Directeur du CIPINA (www.cipina.org), une association spécialisée dans la promotion de l'image de l'Afrique. Il est également Conseiller diplomatique et expert des Droits de l'Homme.

2 réponses à “Lutte pour l’égalité raciale dans le monde, le mouvement Black Lives Matter fait bouger les lignes

  1. autrement dit Albert Einstein : ” le monde est dangereux oas à cause de ceux qui font du mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire ”
    mille mercis pour ce combat noble et légitime que vous menez

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