Les leçons économiques du Covid-19

La pandémie du Covid-19 a modifié de manière importante la vie d’un très grand nombre de personnes, de différentes manières et dans bien des domaines. Il suffit de penser, par exemple, au port du masque et à la «distance sociale», ainsi qu’au télétravail et au confinement (ou à la quarantaine), qui ont eu un très grand impact sur le système économique dans son ensemble – au sein duquel le secteur public joue un rôle important, pas seulement durant une pandémie ou une crise financière comme celle éclatée en 2008 au plan global.

Sur ce plan, il faut tirer des leçons afin que les activités économiques contribuent au bien commun pour l’ensemble de la population mondiale. Avant la pandémie, en effet, le système économique était déjà «malade», c’est-à-dire que son fonctionnement était désordonné et ne satisfaisait pas l’intérêt général de l’ensemble des sujets économiques. Il suffit de penser aux choix de bien des entreprises, orientés vers la maximisation de leurs profits à très court terme, au détriment des changements climatiques ou de la qualité de vie de leurs collaborateurs – souvent placés dans des situations précaires tant sur le plan économique que professionnel. Aussi, les politiques économiques avant l’éclatement de la pandémie étaient focalisées sur l’équilibre des finances publiques, à atteindre par une réduction de la charge fiscale des riches contribuables, au lieu de leur faire payer des impôts suffisants pour financer les services publics dont toute la population a besoin pour mener une vie digne. Même la politique monétaire a contribué à exacerber les inégalités dans la répartition du revenu et de la richesse, étant donné que les taux d’intérêt proches de zéro (voire négatifs) ont largement poussé les prix des actifs financiers ainsi que des immeubles à la hausse, au point de rendre impossible aux personnes de la classe moyenne de devenir propriétaires de leur propre logement, alors que les riches ont continué à s’enrichir grâce à l’augmentation tendancielle des prix des titres qu’ils possèdent.

Les leçons de la pandémie du Covid-19 pour le système économique sont donc nombreuses. Cette pandémie a notamment montré que l’État joue un rôle incontournable pour le fonctionnement ordonné de l’ensemble de l’économie. Contrairement aux enseignements de la pensée dominante, l’augmentation des dépenses publiques permet aux entreprises d’accroître leurs profits, vu que la dépense de l’État leur permet de vendre davantage de biens et services. Les choix de politique monétaire ont aussi un impact sur l’économie réelle et pas seulement sur les prix à la consommation comme on le pense en général. Les taux d’intérêt décidés par les banques centrales affectent la répartition du revenu et de la richesse et, dès lors, devraient être établis considérant aussi ces effets dans l’ensemble du système économique.

Si le Covid-19 induira un changement de paradigme dans la politique économique, la pandémie aura alors eu un effet positif dans le monde contemporain.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.

32 réponses à “Les leçons économiques du Covid-19

  1. Matière à penser, qui décille les yeux et donne des pistes de solutions =>

    1) “Nous savons, mais nous ne croyons pas ce que nous savons.”

    https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/fin-du-monde-il-est-moins-cinq_1433774.html

    2) « Autre grande difficulté amenée par le rapport : la reprise post Covid-19. Alors que l’on ne s’imaginait pas encore penser au virus en 2040, ce dernier compte bien nous poursuivre encore un temps. Même dans vingt ans, notre économie ne sera pas tout à fait remise de cette crise qui est le bouleversement le plus significatif que nous avons pu vivre depuis la Seconde Guerre mondiale selon la CIA. La conséquence directe de cette crise est bien entendu économique avec un grand nombre de dettes lourdes à porter et rembourser mais aussi sociale avec une grande difficulté à trouver un emploi, notamment pour les jeunes générations. La crise devrait également accentuer la baisse de confiance du peuple envers le politique. Et oui, les Gilets jaunes pourraient bien être de retour en 2040 et ce dans le monde entier. Au point de faire craindre la CIA pour l’avenir des démocraties. Alors que le décalage entre les gouvernements et les peuples se creuse de plus en plus, une rupture pourrait amener dans le pire des scénarios possibles à un soulèvement massif et sans précédent. »

    http://www.vice.com/fr/article/dyvvky/on-a-vraiment-lu-le-rapport-de-la-cia-sur-letat-du-monde-en-2040

    3) L’ÈRE DES SOULÈVEMENTS

    « De l’éruption des gilets jaunes devenus un phénomène international à la contestation globale de la gestion de la pandémie, des grèves émeutières pour contrecarrer le libéralisme mondialisé à la vague d’émotion planétaire suscitée par l’incendie de Notre-Dame, le sociologue du quotidien et de l’imaginaire traque, de son oeil inégalé, le changement de paradigme que nous vivons. Le règne de la rationalité, de la technicité et de l’individualité agonise convulsivement sous nos yeux. Pour le meilleur et pour le pire, l’ère des révoltes a commencé et ne cessera pas avant longtemps. Cet essai flamboyant dit pourquoi et comment le peuple a raison de se rebeller »

    4) “Toutes les études menées à travers le monde sur ce type de conférences aboutissent à des conclusions frappantes. Ce sont des gens tirés au sort, aux profils variés, de milieux, d’âges, de sexes, de professions différents, et ils finissent par se sentir investis d’une mission pourvu qu’ils aient la certitude que leur avis soit pris en compte politiquement. On observe que, d’une part, c’est très intelligent, on trouve plein d’idées nouvelles que les experts et les politiques n’avaient pas eues et que, d’autre part, ce sont des idées généreuses et altruistes, qui prennent en compte le tiers-monde, les générations futures, etc. Ils pensent plus loin. Il y a une sorte de mutation temporaire et positive de l’humain quand on le met dans ces conditions. Il se passe une sorte d’alchimie, un mélange d’intelligence collective et d’empathie.”

    http://www.liberation.fr/debats/2018/08/16/jacques-testart-le-transhumanisme-est-une-ideologie-infantile_1672976

  2. “Contrairement aux enseignements de la pensée dominante, l’augmentation des dépenses publiques permet aux entreprises d’accroître leurs profits, vu que la dépense de l’État leur permet de vendre davantage de biens et services.”
    C’est justement cela la dérive et perversion néolibérale de l’Etat – que personne ne remet plus en cause.
    Le but de l’Etat n’est pas d’augmenter les profits des entreprises, mais d’améliorer la vie des citoyens et de fournir un cadre sain à l’économie et la vie en général.
    Actuellement, c’est un cadre malsain, avec beaucoup de conflits d’intérêts.
    De ce point de vue, ce n’est pas en augmentant les dépense de l’Etat que l’on corrigera la situation boiteuse, mais en repensant les dépenses vers les buts visés – et notamment en fixant des priorités vis-à-vis de la population.
    Si le but de l’Etat est de stimuler l’économie, on va droit dans le mur. Car l’économie actuelle ne profite plus vraiment à la population.

  3. En ce jour de la Saint-Valentin marquant l’année 2022 – et en puisant dans mon hémérothèque quelques-uns de mes posts datés de 2018 – je ne suis pas surpris de constater (une énième fois) à quel point la démocratie libérale s’est imposée dans la vie politique en “triant ce qui est ou non acceptable pour les institutions internationales de la finance et du commerce en désavouant les souverainetés populaires et nationales”, pour paraphraser le psychanalyste français, Roland Gori, professeur émérite de psychologie et de psychopathologie clinique à l’Université Aix-Marseille. Il y aura bientôt quatre ans que ce dernier posait son diagnostic: “Quand la police des pensées et des comportements est assurée par les nouvelles formes sociales de l’évaluation qui réduisent la notion de valeur à la conformité et au calcul”; quand “la concurrence économique n’est qu’une manière de poursuivre la guerre par d’autres moyens” … “on retrouve les trois caractéristiques principales du fascisme: parti unique, un contrôle social sévère et un expansionnisme guerrier”.

    Karl Popper (La Leçon de ce siècle, 1993) n’estimait-il pas que “la Démocratie n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité”? Quant à Jean-Jacques Rousseau (Le Contrat social), lui, distinguait la Démocratie de l’Ochlocratie, en ce sens qu’il préjugait que la Démocratie dégénère suite à une dénaturation de la “volonté générale” qui cesse d’être générale dès qu’elle commence à incarner les intérêts de certains, d’une partie seulement de la population. Cette différence est de taille puisque les thèses de Karl Popper, tout comme celles de Friedman (père fondateur de l’École de Chicago) ou Hayek, ont non seulement bouleversé le domaine de l’économie politique, mais également modifié la perception de la Démocratie par le plus grand nombre. Et l’aléa sanitaire Covid-19 nous l’a aussi rappelé. En ce sens, “le crime paie toujours autant” et nous sommes encore bien loin des leçons enseignées (et surtout retenues dans le temps) post krach 1929; cet aléa financier survenu entre le 24 et 29 octobre à la bourse de New York. Marquant ainsi le début de la Grande Dépression. Elle même, caractérisée par des plans massifs de relance via la dépense publique (réf. J.-M. Keynes) pour s’extirper du marasme et, comme l’a très justement rappelé Erik Brynjolfsson – professeur d’économie au MIT – à son auditoire ébahis lors du forum de Davos de 2019 (réf. D.D. Eisenhower): “Des années 30 aux années 60 environ, le taux moyen d’imposition approchait 70%. À un moment donné, c’est même monté jusqu’à 95%. Et c’était plutôt une bonne période pour la croissance économique”.

    Nous sommes tout aussi éloignés de ce 14 février 1929, journée noire de la Saint-Valentin où deux puissantes mafias criminelles de la ville de Chicago, celle de South Side de A. Capone et celle de North Side menée par B. Moran, allaient marquer un tournant majeur dans le crime organisé. En effet, le mode opératoire de ce sanglant règlement de compte contribua à discréditer l’empereur de Chicago auprès du public et de ses alliés. Ceci fût le déclin de Capone comme parrain de la mafia de Chicago. Alors qu’aujourd’hui, la justice – ou plutôt les déficiences de la justice – sont plus enclines à déstabiliser le système économique et financier! N’avez-vous pas remarqué comment les responsables des petites entreprises sont impitoyablement poursuivis pendant que la justice pénale peine à trouver des justifications et des motifs légaux dès lors qu’elle doit traiter le cas des “caïds intouchables”, ces grosses têtes des fonds d’investissement, alternatifs (…) ou des établissements toujours “too big to fail”? Ce n’est pourtant pas les qualifications requises par nos juristes, analystes et autres experts qui font défaut. L’Autorité des marchés financiers et les spécialistes du Code monétaire et financier, en Suisse, en France et ailleurs, comme le “United States Attorney’s Office” aux USA ont en effet souvent décortiqué, démêlé et enquêté avec succès nombre d’affaires complexes dès lors qu’il s’agissait de crucifier le “menu fretin”.

    Autant de comportements qui ont toujours de quoi décourager les futurs créateurs d’entreprises et autres petits investisseurs, car un système juridique partial – voire arbitraire – nuit fondamentalement à l’économie. Ciment de notre société, l’égalité face à la loi représente aussi le préalable indispensable à un contexte économique et financier sain et équilibré.

    Non seulement, les leçons du passé ne sont plus apprises, les erreurs répétées dans un mouvement perpétuel, mais les fondations mêmes de nos sociétés démocratiques se sont fissurées avec le Covid-19.

    La crise de trop après cinquante ans de schizophrénie et d’autisme caractérisé!

    1. Bis repetita:

      “…Alors qu’aujourd’hui, la justice – ou plutôt les déficiences de la justice – sont plus enclines à déstabiliser le système économique et financier! N’avez-vous pas remarqué comment les responsables des petites entreprises sont impitoyablement poursuivis pendant que la justice pénale peine à trouver des justifications et des motifs légaux dès lors qu’elle doit traiter le cas des “caïds intouchables”, ces grosses têtes des fonds d’investissement, alternatifs (…) ou des établissements toujours “too big to fail”?…”

      https://www.occrp.org/en/suisse-secrets/

      L’homo-politicus? 🙈🙉🙊

  4. Comme je le soulignais, il y a quelques années, “il semble désormais évident que les détracteurs de la relance budgétaire – par le déficit public – s’enferment dans un obscurantisme intellectuel afin de pérenniser leurs privilèges fiscaux (et par analogie leur richesse). Quitte à diaboliser l’instrument de la dette dont le creusement leur est pourtant et en bonne partie imputable”.

    L’impôt est le prix à payer pour une société civilisée, disait Franklin Delano Roosevelt; alors quelle leçon échappa à l’homo-politicus moderne? L’économiste Gabriel Zucman, professeur à l’université de Californie à Berkeley, nous le fait savoir:

    “Si l’on regarde les taux d’imposition aux États-Unis – terreau fertile du Capitalisme et des Libertés (par analogie au titre de l’ouvrage biblique de Milton Friedman, “Capitalism and Freedom”, publié en 1962) – tous les groupes sociaux paient environ 28% de leurs revenus en impôts, sauf les milliardaires, dont l’imposition tombe à 23%, donc moins que les classes populaires et moyennes. C’est la première fois depuis au moins cent ans que l’impôt est si régressif. Il s’agit d’une rupture considérable au regard de l’histoire de progressivité fiscale du pays. Beaucoup de gens l’ont oublié, y compris la plupart des Américains, mais les États-Unis sont allés très loin dans l’utilisation de l’impôt pour réguler les inégalités et l’économie de marché, avec un taux marginal d’imposition de 80% en moyenne de 1930 à 1980. Les droits de succession s’établissaient également à 80% et les taux d’impôt sur les sociétés à 50%. Devant le Congrès, en 1942, Roosevelt affirme clairement sa volonté d’instaurer un revenu maximal légal à hauteur de 25 000 dollars, l’équivalent de 1 million de dollars aujourd’hui. Il voulait alors créer un taux de 100% au-delà de cette somme. Après avoir hésité, les parlementaires ont finalement voté un taux de 93%, qui a été effectif pendant des décennies, à la fois sous des administrations démocrate et républicaine, ce qui reflétait un consensus. C’est évidemment à mettre en relation avec le contexte économique de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, l’âge doré. Les similitudes sont pourtant frappantes avec notre époque. Les inégalités augmentent dans un contexte de changements techniques, la constitution de grands monopoles par les “robber barons”, les barons voleurs (Astor, Carnegie, Rockefeller). Ces derniers ne payaient aucun impôt. Le seul impôt qui existait avant 1913 était un tarif douanier. Face à cela, un mouvement progressiste se développe en s’appuyant sur l’argument qu’il ne fallait pas devenir aussi inégalitaire que l’Europe, perçue comme un antimodèle. C’est donc aux États-Unis que l’impôt sur le revenu – qui existait déjà en Allemagne, au Royaume-Uni ou au Japon – devient très progressif. C’est l’innovation américaine. Dès 1917, le taux marginal s’établit à 67%, soit le plus haut taux alors jamais appliqué dans le monde.

    Avec la révolution reaganienne multidimensionnelle, non seulement la dérégulation de la finance, du marché du travail, la baisse du salaire minimum y ont vu le jour, alors que les États-Unis ont pourtant créé un salaire minimum très élevé en 1938, et qui y restera jusque dans les années 1970. Un employé au salaire minimum gagnait alors 50% du salaire moyen. Aujourd’hui, il en perçoit 10% à 15%”.

    Or, l’analyse empirique nous a aussi démontré que les changements fiscaux ont non seulement joué un rôle important concernant l’explosion des très hautes rémunérations, avec cette course effrénée aux profits sans foi ni loi, mais ont eu un rôle déterminant avec l’exposition à la prise de risque par rapport au bénéfice attendu (balance bénéfice/risque): “Quand le taux d’imposition est à 93%, personne ne cherche vraiment à gagner plus de 5 millions, par exemple, ce qui mécaniquement freine la spéculation et décourage la quête absolue d’un profit à très court terme avec ses nombreux dérapages. Par contre, quand le taux passe à 28%, comme ce fut le cas sous Reagan dès 1986, là, ça devient rentable pour la financiarisation. Donc générateur d’instabilité, d’exubérance-irrationnelle, de crises successives où même la R&D s’en trouve lésée.

    1. L’impôt plus juste, oui – à tous les niveaux – et qui s’y opposerait au fond?
      La relance par la dette, je ne crois pas qu’elle résoudrait les problèmes actuels.
      L’augmentation de la dette ne favorise que les plus riches et les banques, qui ont les moyens de placer leur épargne dans des actions, des titres, des cryptos, l’immobilier – bref, à l’abri de l’inflation. Tout comme le droit d’emprunter à des taux très avantageux et à long terme.
      Alors que les citoyens modestes et les classes moyennes perdent au fur et à mesure leurs petites économies avec l’inflation – et deviennent toujours plus dépendants des aides de l’Etat, ce qui n’est pas non plus la panacée.
      Ce qui favoriserait une meilleure équité, c’est de taxer toutes les transactions financières – ce qui permettrait de renouer avec des finances publiques équilibrée et aussi de revaloriser les petits métiers, qui devraient être eux moins taxés sur leur travail.
      Mais pour y arriver, il faudrait un vrai changement de paradigme et pas une relance des dépenses (qui est une fuite en avant).
      Visiblement, personne ne souhaite sortir du paradigme de la dette. Pourtant ce paradigme produit la situation actuelle, avec l’accumulation de dettes chez les uns et de richesses chez les autres, et toute la logique de pouvoir des uns sur les autres.

      1. Bonjour Samy,
        Merci pour votre intervention pertinente. Ma réponse est en attente de modération (à cause des links). En attendant – pour mieux appréhender les fondamentaux – voici un extrait de texte publié dans l’ouvrage co-rédigé avec un ancien conseiller de banque centrale qui s’est autorisé le luxe à m’évincer juste avant sa publication. Ceci dit, l’Argent est de la Dette et sans Dette plus d’Argent et vice-versa. L’allocation dédiée aux deux faces de cette même pièce reste fondamentale. À tous points de vues, et pourtant!

        “C’est une histoire condamnée à se répéter indéfiniment car, depuis la nuit des temps, l’enrichissement des uns s’est toujours pratiqué au détriment des autres. Les inégalités sont souvent décrites par la classe aisée comme un effet collatéral inévitable, quasi-mécanique, de la prospérité et des innovations censées pourtant profiter à l’ensemble de la communauté. En réalité, ces progrès se matérialisent en comprimant mécaniquement les plus fragilisés de la société bien en-dessous du seuil de pauvreté. De tous les leviers abondamment mis en œuvre ayant permis de gonfler à travers les âges la fortune de quelques uns, la dette bénéficie d’une place de choix au palmarès, car l’incapacité des débiteurs à pouvoir l’assumer fut effectivement – depuis l’Antiquité – prétexte à saisir leurs biens, leur habitation, leurs champs, et en finalité leur liberté ! David Graeber dans “Dette, 5000 ans d’histoire” ne rappelle-t-il pas que le terme de “liberté” fut d’abord “amargi” en sumérien, signifiant libéré de la dette ?
        La mise sous tutelle – voire sous esclavage pur et simple – de celles et ceux qui, tout au long de l’Histoire humaine, se sont avérés défaillants dans le remboursement de leur dette fut donc un des plus sûrs moyens pour d’autres de construire au long cours leurs richesses et de consolider leur pouvoir. Les Etats eux-mêmes durent régulièrement s’incliner – et pas que dans l’Histoire médiévale ! – face à ces créanciers ne voulant rien savoir qui ont donc forcé nombre de nations à privatiser leurs biens publics, à étouffer leurs citoyens sous la chape de plomb de l’austérité dont les effets combinés ont permis l’émergence de fortunes, de richesses et de pouvoirs privés sans commune mesure avec ce qui existait jusque-là. La masse de ces endettements conférant à quelques heureux élus pouvoir et richesse absolus atteint, aujourd’hui, des niveaux aberrants car la dette, dans son ensemble, croît bien plus rapidement que nos économies !

        Il est donc temps de réintroduire une notion qui terrorise nos sociétés modernes car elle leur est intellectuellement insupportable. A cet égard et une fois de plus, l’Histoire des civilisations babylonienne, sumérienne, grecque, romaine et d’autres nous offre la solution: qui est que toutes les dettes ne seront pas payées. Des quatre annulations générales de dette sous le règne d’Hammourabi (1792, 1780, 1771 et 1762 av. J.-C.). De celles ayant même eu lieu six siècles avant Hammourabi dans la cité de Lagash (Sumer), de la trentaine d’annulations générales de dette en Mésopotamie entre 2400 et 1400 av. A la Pierre de Rosette elle-même découverte le 15 juillet 1799 à el-Rashid (Rosette) par un soldat de Napoléon lors de la campagne d’Egypte, qui comporte le même texte écrit en hiéroglyphes, en démotique (écriture cursive de l’égyptien) et en grec, ayant permis à Champollion de déchiffrer un décret du 27 mars 196 av. J.-C. du pharaon Ptolémée V annonçant une amnistie pour les débiteurs et les prisonniers. Au leitmotiv de justice sociale, particulièrement sous la forme de la remise des dettes qui enchaînent les pauvres aux riches, revenant toujours dans l’Histoire du judaïsme, proclamant l’annulation des dettes des Juifs endettés à l’égard de leurs riches compatriotes. Ainsi, peut-on lire dans le Deutéronome, alinéa 15 : “Tous les sept ans, tu feras relâche. Et voici comment s’observera le relâche. Quand on aura publié le relâche en l’honneur de l’Eternel, tout créancier qui aura fait un prêt à son prochain se relâchera de son droit, il ne pressera pas son prochain et son frère pour le paiement de sa dette.… “.

        Ces proclamations et jubilés permirent de soulager des populations, tout en autorisant les princes régnants à raffermir leur position face aux oligarques créanciers de l’époque qui s’opposaient par tous les moyens à l’effacement périodique des dettes les empêchant de s’enrichir davantage. L’Evangile de Luc décrit bien Jésus revenant à Nazareth ouvrant le Grand Rouleau d’Isaïe au verset 61 et annonçant un nouveau Jubilé en faveur des pauvres, au grand dam des Pharisiens détenteurs du pouvoir financier à l’époque. Comment se fait-il que la plupart des paraboles de Jésus qui concernaient les dettes ne soient plus enseignées aujourd’hui, quand elles n’ont pas purement et simplement été supprimées ! Comme la très importante prière du Notre père elle-même expurgée du terme de «dette» remplacé par “péché”.

        Dans notre contexte actuel où la quasi-totalité des dettes est due à moins de 1% de la population mondiale, il n’est effectivement pas étonnant que les épisodes cruciaux d’effacement des dettes ayant jalonné l’histoire humaine soient évacués, reniés, volontairement zapés, car il n’est évidemment pas dans l’intérêt des oligarques de supprimer les dettes des étudiants, d’alléger les faillites personnelles, d’admettre la restructuration de certaines dettes souveraines…Le capitalisme, c’est entendu, ne peut prospérer sans appât du gain. Il va cependant droit vers son auto-destruction et vers son implosion s’il exige 99% de la société comme victimes sacrificielles.

        1. Merci pour votre réponse.
          Oui, annuler la dette, pourquoi pas?
          C’est une idée que je trouve intéressante et pour le coup vraiment porteuse de sens, bien plus que l’augmentation des déficits ou de la masse monétaire.
          Le fond de ma pensée, c’est de remettre en cause la prédominance de l’argent dans tous les aspects de la vie humaine, telle que nous le vivons depuis 30 ans (même si c’est un long développement qui nous y a amené, avec aussi son lot de progrès).
          L’argent est intéressant comme moyen s’il favorise la création de liens sociaux entre les gens, ce qui participe aux échanges, à la fluidité de la vie, au partage des compétences, au développement de l’humanité dans toute sa diversité (de métiers, de paysages, etc.). Bref à tout ce qui constitue les interactions positives et vitales entre les gens.
          Mais si l’argent devient la cause de la destruction des liens entre les personnes ou des seuls liens de dépendance (ligotage des uns par les autres), de réduction des échanges au seul bénéfice ingrat, du pillage de ressources limitées, voire d’une forme d’esclavage par la dette, alors cela signifie que l’argent est devenue une prison pour la pensée et la vie humaine. Notre prison contemporaine.
          Comment en ressortir?
          Telle est la question.
          Je ne crois pas que la réponse soit dans la stratégie plus ou moins orthodoxe des banques centrales. Ces banques ont pris un rôle politique malsain, trop important dans la vie humaine.
          Par ailleurs, la fin de l’énergie bon marché nous force à retrouver d’autres formes de pensées, plus modestes – mais créatrices de liens. C’est peut-être une bonne chose finalement, sinon nous aurions sans doute continuer de jouer à ce jeu encore longtemps, vous ne pensez pas?

  5. Bonjour Samy,

    Oui, bien évidemment qu’il faut taxer les flux financiers par un micro-impôt. Ça tombe sous le sens et pourtant! Oui, il faudrait une politique de relance budgétaire orientée sur la demande (et non systématiquement sur l’offre), et pourtant! Oui, le Revenu de Base Inconditionnel (RBI) est une nécessité et est tout à fait finançable (par réappropriation des richesses, par ex.) et pourtant! Oui, il faut plus de justice fiscale pour taxer correctement les multinationales, et pourtant!…

    Pour vous répondre sur la dette. L’introduction de mon post fait état de ceci : “Comme je le soulignais, il y a quelques années, il semble désormais évident que les détracteurs de la relance budgétaire – par le déficit public – s’enferment dans un obscurantisme intellectuel afin de pérenniser leurs privilèges fiscaux (et par analogie leur richesse). Quitte à diaboliser l’instrument de la dette dont le creusement leur est pourtant et en bonne partie imputable”.

    Je m’explique succinctement, déjà: Dès les années 1970 – changement de paradigme – la politique de l’offre a suppléé la politique de la demande, la financiarisation au travers des marchés financiers s’est imposée comme un mantra, la déliquescence des taux d’imposition fut un leitmotiv à la politique de l’offre en reprenant cet autre mantra comme une vérité absolue, celle postulant que le “trop d’impôt tue l’impôt”. N’est-ce pas cette “courbe de Laffer” écrite sur le coin d’une nappe de bistrot (par Arthur Betz Laffer, économiste américain chef de file de l’école de l’offre) qui alla servir de facilitateur au transfert des richesses au travers de la dette? Déshabiller Pierre pour habiller Paul!

    Point de bascule de la dette (exemple US) correspondant au changement de paradigme (1970…)

    https://i0.wp.com/michelsanti.fr/wp-content/uploads/2020/04/dette-US.jpg?w=600&ssl=1

    Mes réactions datées (micro-impôt sur les flux financiers)

    https://blogs.letemps.ch/sergio-rossi/2020/02/03/trois-reformes-pour-leconomie-et-la-societe/#comments

    Bien à vous

    1. Je suis contre le RBI – car l’être humain n’a pas à être mesuré par l’argent de manière universelle. La personne humaine est un absolu, comme le prévoient les droits humain fondamentaux depuis 1945 (même si souvent la pratique a mal réalisé cet absolu, poser cet absolu est un acte fondamental).
      C’est l’argent qui doit être limité par l’être humain à ce qui est utile pour l’humanité, de manière à préserver l’humain d’un utilitarisme abject.
      La question est philosophique. Partager oui (droit au logement, droit à l’accès à l’eau, à l’alimentation, à un travail digne, etc.), il faut le faire absolument.
      Mais pas en quantifiant ce qu’un humain vaut. En limitant la finance à ce qu’elle amène à l’humain. Pas en évaluant ce que vaut un humain du point de vue financier.
      Il faut définanciariser le monde. Ce sera un processus abcolument nécessaire, qui commencera après la prochaine crise financière, qui sera terrible.

      1. Votre aversion pour le RBI reste votre choix et votre point de vue, Samy. Toutefois, si vous le voulez bien, je ne vois pas en quoi le versement inconditionnel d’une “rente prélevée sur le Capital issu de la financiarisation” donnerait une valeur à l’être humain, si ce n’est l’usage qu’il pourrait en faire par humanisme. La réduction du temps de travail permettrait à chacun de saisir des opportunités, par exemple en aidant son prochain (soutien envers nos aînés; formation pour nos jeunes; force vive pour les associations humanitaires et climatiques,… etc) sans contrepartie rémunérée. Cette “rente prélevée sur le Capital issu de la financiarisation” pourrait tout aussi bien s’additionner à la rémunération d’un travail existant et mal rémunéré pour un temps consacré à 100 %, par exemple, ce qui mécaniquement offrirait plus de dignité à ce personnel corvéable. Puis un meilleur pouvoir d’achat pour le locataire au coût de son loyer prohibitif. Etc, etc. Même l’Alaskien perçevant pourtant un faible dividende permanent du “Alaska Permanent Fund” – assimilé à un RBI – ne pourrait s’en passer aujourd’hui, ne serait-ce pour compenser le coût de quelques besoins vitaux.

        Question d’humanisme, Samy, croyez-vous vraiment que nous (les pays riches) nous sommes suffisamment donnés les moyens de progresser depuis 1978? Le progrès reste relatif!

        Extrait:
        “…Si le monde ne touche pas à sa fin, il a atteint une étape décisive dans son histoire, semblable en importance au tournant qui a conduit du Moyen-âge à la Renaissance. Cela va requérir de nous un embrasement spirituel. Il nous faudra nous hisser à une nouvelle hauteur de vue, à une nouvelle conception de la vie, où notre nature physique ne sera pas maudite, comme elle a pu l’être au Moyen-âge, mais, ce qui est bien plus important, où notre être spirituel ne sera pas non plus piétiné, comme il le fut à l’ère moderne. Notre ascension nous mène à une nouvelle étape anthropologique. Nous n’avons pas d’autre choix que de monter … toujours plus haut”

        Alexandre Soljénitsyne – Le Déclin du courage – Harvard University, le 8 juin 1978

        1. Cher Raymond,
          Le courage actuel, c’est justement de démonter l’hydre de la finance actuelle, qui nous a poussé là où nous sommes – pas de prélever un misérable RBI, qui nous en rendrait dépendants à jamais – et qui est d’ailleurs poussé par les géants de l’Internet et du capitalisme mondial (comme un anesthésiant pour annihiler toute contestation humaine).
          Le transfert de la taxation vers les transactions financières est la première étape indispensable de ce dégonflage.
          Nul besoin du RBI pour diminuer la charge de travail. C’est la technologie et la technique qui permettent ce gain de productivité en réalité. Pas la finance.
          La technique nous permettrait à tous de vivre décemment si, et seulement si, on partage correctement la charge de la taxation. Pas besoin du RBI, qui donnerait un pouvoir démesuré à l’Etat (pas question de tomber d’un esclavage vers un autre).
          Mais bien sûr, et là, je vous donne raison, il est nécessaire de revenir à des valeurs humaines fondamentales qui nous tirent vers le haut, pour que nous puissions effectuer ce saut qualitatif. Sans volonté humaine en ce sens, tout pourrait d’ailleurs mal se terminer et très vite.
          Or un sursaut est toujours possible, même dans une époque compliquée comme la nôtre.

          1. Vous dîtes à tort : “C’est la technologie et la technique qui permettent ce gain de productivité en réalité. Pas la finance”.

            Eh bien non, mon cher Samy car la financiarisation a déjà contaminé depuis longtemps tous les pans (et sphères) de nos sociétés modernes et surtout la technologie et la technique. Et la santé, puisque nous sommes toujours en période de Covid. Le numérique, l’intelligence artificielle, la robotique (…) détruiront plus d’emplois viables qu’ils n’en créeront, c’est un fait que vous le vouliez ou non. La “destruction-créatrice” Shumpétérienne appartient au passé (pour des emplois viables en comparatif)

            https://i0.wp.com/michelsanti.fr/wp-content/uploads/2018/10/%C3%A9cart-productivit%C3%A9-salaires.png?resize=538%2C305&ssl=1
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            http://iris-recherche.s3.amazonaws.com/uploads/attachment/file/Untitled12.png
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            Depuis plus d’un lustre que je réagis sur ce blog, j’ai du poster ces graph’s une bonne dizaine de fois.

        2. Pour mon point de vue:
          A dire la vérité, je considère même le RBI comme le dernier élément de la financiarisation totale de la société. A savoir que tout serait universellement financiarisé. La personne humaine serait elle-même financiarisée, de sa naissance à sa mort.
          Cela n’est pas une solution, c’est une catastrophe ontologique à mes yeux. Une dystopie.
          Vous citez Soljénitsyne… ce qu’il nous dit, c’est que les problèmes de l’être humains sont complexes, inscrits dans son cœur.
          Or la finance est incapable de les régler. Et si on lui donnait ce pouvoir, elle ne pourrait que les aplatir en des schémas et des chiffres, ce qui défigurerait complètement l’humanité.
          Que du cœur humain sorte ce sursaut: nous avons besoin de revenir vers la simplicité de la vie. Moins d’artifices. Plus de relation et de vérité entre nous. Faire ce premier pas.
          La vie est faite d’équilibres. Actuellement, nous courrons vers des déséquilibres toujours plus grands. La financiarisation du monde est partie de ce déséquilibre ontologique.

          1. Vous dîtes, Samy : “Or la finance est incapable de les régler. Et si on lui donnait ce pouvoir, elle ne pourrait que les aplatir en des schémas et des chiffres, ce qui défigurerait complètement l’humanité”

            La finance n’est plus au service de l’économie depuis plusieurs décennies, Samy, au contraire de ce qu’elle fut en son temps. Sauf votre respect, avec ce “pouvoir enchanteur des mathématiques”, né des nouveaux dogmes des années 1970, c’est justement par la candeur de leurs prêches que les apôtres du changement de paradigme (les économistes orthodoxes) ont offert un levier dévastateur à cette financiarisation débridée. Ce que dénoncent les économistes hétérodoxes depuis plusieurs décennies. La philosophie reste louable car elle nourrit l’âme mais ne remplit pas les estomacs vides. Sur certains sujets, vous avez juste une guerre de retard datée de 50ans, Samy.

            https://michelsanti.fr/neoliberalisme/economie-le-pouvoir-enchanteur-des-mathematiques

            Ceci étant précisé, dès le début des années 1980, la finance a connu une authentique transfiguration grâce notamment au concours des plus hauts responsables politiques de l’époque, comme Margaret Thatcher (Big Bang) et comme Ronald Reagan qui devait même affirmer dans son discours d’investiture, le 20 janvier 1981 : “l’Etat n’est pas la solution à notre problème, l’Etat est notre problème” ! Le vide ainsi laissé par l’État fut tout naturellement comblé par le développement hyperbolique d’un secteur financier dès lors qualifié d’ “efficient”, voire de “parfait” (car secondé par les sciences dures, c-à-d les mathématiques). Cette finance était en effet appelée à rendre tous les services à l’économie (sans tenir compte de nos “Esprits animaux”). Les marchés seraient une sorte de juge de paix qui remettrait de l’ordre dans les finances des entreprises et des ménages en imprimant tous les pans de l’économie de sa “bienveillante efficience”. Même aujourd’hui où l’on mesure la grandeur des désordres et des errements, l’homo-politicus continue toujours à succomber aux sirènes – à l’encontre de l’Intérêt général et du Bien commun – pourtant, notre salut (paradoxalement et dieu sait que je suis extrêmement critique à son égard) ne pourra venir que de l’État sous sa forme courageuse, et non à son déclinisme. Vous voyez bien que le RBI doit être assimilé à une “taxe (ou une rente) prélevée sur la financiarisation éhontée” et non perçue comme un assistanat voulu par l’État. L’État n’est que le représentant du peuple, faut-il le rappeler? La servitude volontaire, cet amour pour elle, n’est finalement que nourrie au travers de cette haine mal dirigée par ignorance des fondamentaux ayant façonné notre monde post 1970. CQFD

          2. Je trouve que vous opposez de manière trop nette l’état vertueux et la finance néfaste. L’état et la finance travaillent souvent ensemble. C’est vrai en Chine, comme en Russie, comme aux USA, comme dans la Commission européenne, comme dans le Parlement suisse, et la liste pourrait être étendue.
            L’état n’est pas plus faible maintenant. Il est simplement de moins en moins représentatif et de plus en plus éloigné des gens simples et de leurs soucis, tout comme la finance. L’état nation a été progressivement remplacé par des superstructures toujours plus grandes et abstraites comme l’UE, qui sont toujours plus proches des multinationales. Autrefois l’Etat nation était toutefois très proches des grandes entreprises nationales.
            C’est la solidarité, les libertés fondamentales des personnes, l’équilibre des contre-pouvoirs qui sont en danger – pas l’état.
            D’ailleurs la Chine, superpuissance actuelle, montre l’exemple. En Europe, les Macron, Draghi ou Barroso montrent aussi que l’on peut passer de l’état aux grandes banques sans aucun problèmes. Car il y a une forme de convergence.
            Vous ne souhaitez pas qu’il en soit ainsi. Mais c’est ainsi.
            Vous souhaitez que l’économie soit reprise en mains par l’état.
            Je souhaite qu’elle soit au service des gens. Je souhaite aussi que l’état soit modestement au service des gens – ce qui est loin d’être une évidence (et qui ne l’a jamais vraiment été si l’on regarde l’histoire). Quand l’état a-t-il été vraiment proche des petites gens? Quand? Citez-moi un exemple!

          3. Samy, vous écrivez ceci à mon égard : “Je trouve que vous opposez de manière trop nette l’état vertueux et la finance néfaste”

            Mais qu’est-ce que vous me chantez là, Samy? Votre désobligeance est à la hauteur de vos raccourcis réducteurs. Lire est une chose, comprendre en est une autre. Quelques extraits de mes commentaires de 2018.

            https://blogs.letemps.ch/sergio-rossi/2018/10/01/la-promotion-economique-ne-se-fait-pas-avec-des-cadeaux-fiscaux/#comments

          4. @ Raymond:
            Vous écrivez:
            “Notre salut (paradoxalement et dieu sait que je suis extrêmement critique à son égard) ne pourra venir que de l’État sous sa forme courageuse, et non à son déclinisme.”
            et
            “L’État n’est que le représentant du peuple, faut-il le rappeler?”
            Ce genre d’affirmation n’est pas très convaincante.
            L’Etat prétend représenter le peuple, c’est un jeu plus qu’une réalité. L’Etat défend aussi ses propres intérêts et il flirte avec tout ce qui est puissant. Depuis très longtemps.
            Bien entendu, il amène aussi certains conforts, sécurités et services, ce qui lui assure une réelle légitimité aux yeux des gens.
            Et je ne dis pas qu’il faut tout jetter. Simplement je ne crois aucunement que le salut viendra de l’Etat.
            Quant à l’association du mot “Etat” et “courage”, c’est un oxymore. L’Etat n’est pas courageux, c’est même l’antithèses de ses valeurs – qui sont d’assurer toujours ses arrières et de préserver sa réputation.
            Le salut viendra des gens. Ou ne viendra pas.

          5. Samy, arrêtez avec vos théories sans avoir lu et bien compris mes posts et liens. L’État – comme concept – a pris un virage à 180° dans les années 70 et j’ai suffisamment évoqué sur ce blog la “Public Choice Theory”: Extrait Wiki pour faire très simple. “Apparu dans les années 1960, elle fait originellement référence à ce programme de recherche dont le texte fondateur est The Calculus of Consent publié en 1962 par James M. Buchanan (« Prix Nobel » d’économie 1986) et Gordon Tullock. La politique y est expliquée à l’aide des outils développés par la microéconomie. Les hommes politiques et fonctionnaires se conduisent comme le feraient les consommateurs et producteurs de la théorie économique, dans un contexte institutionnel différent : entre autres différences, l’argent en cause n’est généralement pas le leur (cf. le problème principal-agent). La motivation du personnel politique est de maximiser son propre intérêt, ce qui inclut l’intérêt collectif (du moins, tel qu’ils peuvent le concevoir), mais pas seulement. Ainsi, les hommes politiques souhaitent maximiser leurs chances d’être élus ou réélus, et les fonctionnaires souhaitent maximiser leur utilité (revenu, pouvoir, etc)

            Donc, vous voyez bien que le peuple restera pour longtemps amoureux de sa propre servitude, tant qu’il restera attaché aux dogmes, clivages et préjugés qui lui sont préjudiciables au final.

          6. Je me contente de répondre à vos posts, en rectifiant ce qui me semble incertain – je ne peux pas relire toutes vos publications précédentes!
            Ex:
            “le peuple restera pour longtemps amoureux de sa propre servitude…”
            Le peuple ne sait même pas qu’il est asservi.
            C’est pour cela que seule la conscience des mensonges permettra un vrai saut de qualité. D’une certaine manière, le samizdat a suffit à faire tomber l’URSS, en faisant tomber ses mythes… Nul besoin de l’Etat pour y arriver.
            D’ailleurs, l’Etat est menteur, c’est dans sa nature depuis si longtemps! Il suffit de suivre une campagne politique pour s’en rendre compte.
            Cela ne changera pas.
            Mais les petites gens – peu importe leurs fonctions dans la société – peuvent changer la réalité, en prenant conscience des rouages et en s’adaptant. Ce qui ouvre la porte au boycott des structures toxiques, et à leur dégonflage.
            Cela peut faire boule de neige.

          7. Nous sommes d’accord sur cet élément de conclusion, Samy : “Mais les petites gens – peu importe leurs fonctions dans la société – peuvent changer la réalité, en prenant conscience des rouages et en s’adaptant. Ce qui ouvre la porte au boycott des structures toxiques, et à leur dégonflage.Cela peut faire boule de neige”

            En ce sens, le 11 novembre 2021 à 12 h 52, j’avais conclu un post avec quelques extraits issus de la présentation du dernier ouvrage du professeur Jacques Généreux, enseignant en économie à Sciences Po et membre des Économistes atterrés: “En mobilisant la psychologie sociale et cognitive, il révèle la “banalité de la bêtise” et de sa forme entêtée, la connerie (…) La connerie économique, c’est aussi la maladie d’une société dont toutes les sphères sont contaminées par le virus de la compétition (la politique, l’usine, le bureau, l’école, la recherche, les médias). Un virus qui stimule la bêtise et pervertit la démocratie en piège à cons”.

            Un antidote existe: l’intelligence”

  6. Alors que l’inflation reste toujours significative dans les actifs financiers et immobiliers – durant cette pandémie, mais surtout durant cette dernière décennie; à l’inverse de l’économie réelle qui fut plongée dans la déflation – que la hausse actuelle de l’inflation dans l’économie réelle reste due à la flambée des prix de l’énergie et des perturbations persistantes de la chaîne d’approvisionnement dues à la pandémie Covid-19, il me semble à-propos de revenir sur cette métaphore souvent prêtée à John Maynard Keynes : “pousser sur une ficelle”.

    En baissant les coûts de financement et en facilitant l’accès au crédit, que ce soit par le biais de taux de refinancement plus bas pour les banques ou sur les marchés via des programmes d’achat d’actifs, une Banque Centrale aide les entreprises endettées à rembourser leurs dettes plus aisément, et donc à survivre lors d’une période ou leur capacité d’autofinancement est endommagée. Toutefois, la politique monétaire ne permet pas de lever toutes les incertitudes sur les perspectives de demande future.

    A l’inverse, la courroie de transmission via la relance budgétaire offre par ses engagements précis de la clarté aux entreprises et, apporte aux ménages plus de visibilité sur leurs revenus si tant est que le levier soit activé sur la demande. Ceci favorise la reprise de l’investissement, le rebond de la confiance dans l’activité et les perspectives de travail et donc évidemment sur la consommation.

    La première utilisation de “pousser sur une ficelle” dans un contexte de politique monétaire semble avoir eu lieu lors d’audiences devant le Comité de la Chambre sur les banques et la monnaie le 18 mars 1935, concernant le projet de loi bancaire de 1935 (Banking Act 1935). Marrin Eccles, qui a été nommé président de la Fed en 1934 et a siégé au conseil des gouverneurs jusqu’en 1951, répondait aux questions du représentant Thomas Alan Goldsborough (D-MD) et Prentiss M. Brown (D-MI). Durant l’échange pertinent (à la page 377 des audiences du Banking Act of 1935; session H.R 5357 comptant 897 pages) lors d’une discussion sur ce que la Fed pourrait faire pour mettre fin à la déflation.

    Le gouverneur Eccles: “Dans les circonstances actuelles, il n’y a pas grand-chose à faire, voire rien.

    M. Goldsborough : “Vous voulez dire que vous ne pouvez pas pousser une ficelle.”

    Le gouverneur Eccles: “C’est une bonne façon de le dire, on ne peut pas pousser une ficelle. Nous sommes au plus profond d’une dépression et, comme je l’ai dit à plusieurs reprises devant cette commission, au-delà de la création d’une situation d’argent facile par la réduction des taux d’escompte et par la création de réserves excédentaires, il y a très peu, voire rien que l’organisation des réserves peut faire pour amener le rétablissement. Je crois que dans une situation de grande activité commerciale qui se développe à un point d’inflation du crédit, une action monétaire peut très efficacement freiner une expansion indue.”

    M. Brown: “C’est un cas de tirer la ficelle.”

    Le Gouverneur Eccles: “Oui. En réduisant les taux d’escompte, en faisant de l’argent bon marché et en créant des réserves excédentaires, il existe également une possibilité d’arrêter la déflation, en particulier si ce pouvoir est utilisé en combinaison avec cet élargissement des conditions d’éligibilité.”

    1. Au début de la Grande Dépression, Keynes s’inscrit encore dans la tradition économique classique, mais saisit parfaitement la nouveauté et la gravité de cette crise . En 1931, il exhorte les ménagères “patriotes” à dépenser plus pour relancer la demande et applaudit à la dévaluation de la livre. Enthousiasmé par l’élection de Franklin D. Roosevelt et les perspectives du New Deal, il se rend aux Etats-Unis pour rencontrer le président, mais ne réussit pas – dans un premier temps – à le convaincre de se lancer dans une véritable politique de grands travaux et d’investissements. Ces deux thèmes sont en effet devenus les marottes de Keynes. Epaulé par Richard Kahn, un de ses proches collaborateurs, il démontre “l’effet multiplicateur” des dépenses publiques sur l’emploi.

      Toutefois, c’est en 1936 que Keynes frappe un grand coup avec la publication de la “Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie” (qui connaît de multiples éditions, traductions et commentaires souvent hostiles). Mais cette somme fait de lui l’économiste britannique le plus influent du siècle dernier. La suite on la connaît! (Ou du moins l’homo-politicus le devrait)

      Voilà pour la petite leçon succincte (“pousser sur une ficelle”) qui manifestement ne s’apparenterait pas à Keynes. Encore une leçon de plus que l’homo-politicus doit sans doute ignorer!

  7. Alors qu’il va falloir rembourser la “dette Covid” d’une manière ou d’une autre, aujourd’hui, le “crime paie”. Et la banque Credit Suisse vient de nous offrir (encore une fois de plus) une leçon qu’elle même n’a pas retenue. Le rouleau compresseur des escroqueries, fraudes et malversations en tous genres porte un nom, la dynamique de “Gresham”, qui fut décrite par George Akerlof, né en 1940 et Nobel d’économie 2001: “Les transactions malhonnêtes tendent à faire disparaître du marché les transactions honnêtes. Voilà pourquoi le coût lié à la malhonnêteté est supérieur au montant de la tricherie”. Avec elle, la finance honnête disparaît. Si la fortune de la Suisse doit beaucoup à l’article 47 de sa loi bancaire (1934), cette disposition a érigé le secret bancaire comme une institution inviolable. Et l’homo-politicus helvétique – bien après les tsunamis de magouilles en tous genres des banques internationales (y compris nos banques “too big to fail”) qui se sont abattus dans la continuité de la crise 2007/2008 – s’est empressé d’élargir la muselière (l’article 47) à d’autres acteurs qu’aux banquiers, menaçant ainsi les lanceurs d’alerte et les journalistes.

    Alors, comment un pays civilisé qui se veut un modèle à suivre en occident peut-il toujours trouver grâce (sans usiter du terme réducteur de “tous pourris”?) en soutenant cette dynamique de “Gresham” – devenue aujourd’hui une dominante dans les marchés financiers et qui a pour conséquence une volatilisation de l’éthique au profit de la fraude et du crime organisé qui deviennent dès lors endémiques? Ce concept, conforté par un système juridique partial – voire arbitraire – nuit fondamentalement à l’économie et au bon équilibre de nos démocraties. Ciment de nos sociétés, la légalité face à la loi représente aussi le préalable indispensable à un contexte économique et financier sain et équilibré. Ou faut-il envier les Républiques bananières?

    En conséquence, alors même que les dispositions légales régissant les marchés financiers exigent que les organes les plus importants d’un assujetti présentent toutes les garanties d’une activité irréprochable, il est particulièrement détonnant que l’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) laisse quasi systématiquement les gros poissons passer au travers du filet. Pourtant, l’exigence de ces garanties doit en particulier permettre d’assurer la confiance du public dans les assujettis ainsi que la réputation de la place financière suisse. Les garanties d’une activité irréprochable englobent toutes les caractéristiques personnelles et professionnelles qui permettent à une personne de diriger correctement une entreprise assujettie. En son temps, Dick Marty, ancien procureur général du Tessin, dans une interview de longue date et après s’être souvent cassé les dents en s’attaquant à ce sujet sensible, ne faisait-il pas ce triste constat: “L’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) ne voit pas passer un éléphant quand il s’agit d’une tricherie énorme. Par contre, elle pinaille volontiers quand il s’agit de petits dysfonctionnements”.

    Nous voyons bien que depuis plusieurs décennies, ceux qui respectent la loi et la morale sont appelés à disparaître alors que leurs rivaux peu scrupuleux se maintiennent grâce à des artifices et à des manipulations qui compriment leurs coûts, ou qui gonflent leurs bénéfices. En d’autres termes, aujourd’hui, il devient “trop cher” d’être honnête, tel est ce signal envoyé par la banque universelle Credit Suisse. Et n’en déplaise au “club des p’tits copains d’abord” qui forme l’élite de l’homo-politicus en Suisse, l’éthique doit faire son retour au sein de la banque et de la finance, car une crise morale reste le préalable à des crises à répétition.

    Dire que le Nobel d’économie de 1998, Amartya Sen, né en 1933, se posait cette question: “Comment est-il possible qu’une activité aussi utile, comme la finance, soit devenue si immorale”?

    1. Rappel!!!

      RAYMOND
      3 octobre 2021 à 19 h 38 min
      À l’heure où le consortium de journalistes d’investigation (ICIJ) a divulgué les “Pandora Papers”, après les Offshore Leaks, LuxLeaks, SwissLeaks, Panama Papers, Paradise Papers, Implant Files et FinCEN Files à partir de 2013, l’histoire n’a pourtant de cesse à se répéter depuis des siècles.

      Inutile de dire que les capitaux transférés dans des structures privilégiées – comme les trusts – sont autant de ressources qui n’alimentent pas les économies nationales, obligeant les États à accroître leur endettement public ou leurs impôts, afin de maintenir leur niveau de dépenses publiques. Ou plus terrible encore, en tirant le frein à main de l’endettement public via l’orthodoxie budgétaire, même si cela impacte directement le bien commun, c-à-d la santé publique. Sur le plan social, les ménages à hauts revenus qui la pratiquent réduisent ainsi leur part dans le financement des biens collectifs. Sur le plan économique, les entreprises qui n’utilisent pas l’évasion fiscale souffrent d’une distorsion de concurrence et d’un déficit de compétitivité. Puis, sur le plan politique, les faibles résultats de l’action de certains États pour contrer l’évasion fiscale peuvent accroître le sentiment de défiance envers l’autorité publique. Une logique? Certes, mais toujours moyenâgeuse puisque certaines structures démocratisées de nos jours à l’instar des Trusts, par exemple, trouvent déjà leurs origines à partir du règne de Guillaume le Conquérant (1066 – 1087).

      Au fil des évolutions de ce type de mécanisme, l’histoire nous enseigne que “les chevaliers devant aller se battre en Terre Sainte étaient contraints de laisser leur fief à leurs enfants ou, si ceux-ci étaient mineurs, à des gardiens. Mais alors, comment être sûr que les héritiers ne se feraient pas spolier par les gardiens du fief ? C’est ainsi qu’apparaît un procédé juridique, ancêtre du trust, appelé use. Le chevalier dispose d’un droit sur le fief, on l’appelle le feofor. Il confie son fief à un ou plusieurs amis, dits feofees, avec pour consigne de l’entretenir et de le transmettre à l’héritier majeur, appelé le “cestui que use”. L’habitude se prend alors d’employer ce procédé afin d’effectuer des donations et ce faisant contourner l’imposition. Le manque à gagner étant important pour le trésor royal, Henri VIII finit par interdire les uses en 1535. Les juristes anglais échafaudent alors un mécanisme similaire dénommé Trust. Dans ce système, un settlor cède ses droits à des trustees au bénéfice d’un beneficiary. Au XVIIe siècle les Rules of Perpetuity exigent que les beneficiaries soient des personnes vivantes ou susceptibles de naître rapidement et fixent la durée d’un trust à deux générations maximum. Cette limite est supprimée en 1601 par la reine Élisabeth Ière pour les trusts charitables, comme par exemple le National Trust, équivalent britannique des Monuments nationaux.”

      “Plus récemment, le glissement sémantique du trust, de mécanisme juridique à celui de montage économique et financier est dû à John D. Rockfeller. L’idée du fondateur de la Standard Oil Company fut de s’adresser directement aux petits actionnaires des sociétés concurrentes, en leur proposant de lui céder leur droit de vote. En tant que bénéficiaires, ils continuaient de toucher les dividendes ; et en tant que trustee, c’est Rockfeller qui en assurait la gestion. Dès lors, le trust est devenu synonyme de regroupement de sociétés. Dans le but de lutter contre les pratiques nuisant à la libre concurrence, le Congrès vote en 1890 le Sherman Anti-Trust Act, interdisant notamment les monopoles. Une importante campagne de presse est montée par des exploitants ruinés pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur la situation de la Standard Oil, enregistrant alors un chiffre d’affaire annuel de plus de 1 000 milliards de dollars au cours actuel. Le Département d’État engage en 1911 des poursuites contre la société de Rockfeller”. Au 21ème siècle, sommes-nous devenus à ce point débile pour laisser ces pratiques primitives essaimer leur fléau au travers de la dette?Regardons du côté des économies avancées, comme les États-Unis, confrontés au “fiscal cliff”, où la Fed analyse l’idée farfelue, mais néanmoins réaliste, de frapper une pièce en platine de mille milliards de dollars (1 000 000 000 000 $) comme solution à sa énième crise du plafond de la dette. Un pays bien loin d’être un exemple en matière de protection sociale mais qui dispose d’une devise hégémonique.

      Enfin, selon le dernier comptage de l’université américaine Johns-Hopkins, les Etats-Unis ont franchi vendredi le cap des 700 000 morts du Covid-19. Si on cherche une comparaison, c’est l’équivalent de la population de Washington, la capitale fédérale, qui a succombé au virus depuis décembre 2019. Parallèlement, avant la divulgation des “Pandora Papers”, les analyses portant sur des gouvernements, pour la santé, en 2013 et dans 100 pays, la chercheuse Bernadette Ann-Marie O’Hare démontrera que les revenus perdus à cause de l’évasion fiscale des entreprises sont supérieurs aux dépenses de santé des gouvernements. Et si ces revenus étaient alloués au secteur de la santé, “les dépenses annuelles de santé des gouvernements pourraient passer de 8 dollars à 24 dollars par personne dans les pays à faibles revenus et de 54 dollars à 91 dollars dans les pays à revenus faibles intermédiaires, sans impacter le trésor public”.

      Toujours avant les chiffres analysés après la divulgation des “Pandora Papers”, le salaire annuel de 34 millions d’infirmiers, c’est ce que coûte chaque année aux Etats l’évasion fiscale au niveau mondial, soit 427 milliards de dollars. À méditer, puisque l’évasion se compte également en chaire humaine!

  8. Alors qu’un nombre non négligeable d’États sur la planète ont dû mobiliser des ressources financières considérables pour pallier aux conséquences humaines et économiques des effets de la pandémie Covid-19, que ces coûts exorbitants seront au cœur de prochaines réformes impopulaires visant à amortir ces dépenses extraordinaires, voire à rembourser la “dette-Covid”, il est toujours effarant de constater à quel point certains acteurs de la place helvétique agissent contre l’Intérêt général et le Bien commun sans aucun scrupule. Et si l’on pouvait encore tolérer que la Démocratie fut un temps mise entre parenthèses par des mesures d’urgence de santé publique, dès lors, il reste plus difficile à digérer que l’affaire “Suisse Secrets” balance le “quatrième pouvoir” aux oubliettes. Car, sans surprise – pour les raisons évoquées précédemment – aucun média suisse n’a participé à l’enquête internationale sur Credit Suisse, de peur des répercussions judiciaires. La loi bancaire (1934) élargie (art. 47) menace effectivement les journalistes de cinq ans de prison.

    Lors du scandale des Pandora Papers et selon le consortium d’investigation (ICIJ) les fuites de données révélaient déjà qu’en plus des conseillers en patrimoine suisses qui protègent des suspects dans le monde entier, “des dossiers secrets ont montré qu’une vaste industrie d’intermédiaires exploite les failles des lois anti-blanchiment”. Selon le rapport de l’ICIJ, “les documents divulgués contiennent des informations sur plus de 90 conseillers suisses, divers cabinets d’avocats, de notaires et de consultants”. Pourtant, certains parlementaires suisses avaient tenté d’introduire des règles plus strictes pour ces conseillers, mais la proposition fut rejetée. Les opposants ayant fait valoir que les lois existantes étaient suffisantes pour lutter contre le blanchiment d’argent. Alors que selon l’opinion du professeur de droit pénal à Bâle, Mark Pieth, “la Suisse est un paradis pour les pirates” et “ils trouvent tout ce dont ils ont besoin pour cacher de l’argent.”

    Quand à la liberté de la presse – comme quatrième pouvoir – autant dire qu’elle n’est plus qu’un vulgaire concept en déperdition. Et, par ailleurs, ce n’est pas l’outil de droit civil particulièrement puissant en Suisse – les mesures superprovisionnelles – pour obtenir la censure d’article de presse, avant même leur parution, qui facilitera la divulgation d’informations jugées d’intérêt public.

    https://gothamcity.ch/2021/06/11/un-magnat-indonesien-a-fait-censurer-gotham-city-avant-le-vote-du-7-mars/

    Il faut que je l’avoue, depuis de nombreuses années, je crains que la balance des intérêts recherchés par quelques politiciens adeptent de la doxa néolibérale (référence à la Public Choice Theory) penche plus du côté des vieux apparatchiks de l’ex-URSS que des “Libéraux selon l’idéologie poursuivie par les pères fondateurs et, ce, au détriment de notre pays!”

    La démocratie helvétique mérite mieux que des leçons obsolètes. Le monde change, encore faut-il savoir s’adapter à temps!!!

  9. Selon certains promoteurs de la pensée, démocratie et néolibéralisme se soutiennent l’un et l’autre. Or, dans la réalité des faits, l’imposition des politiques néolibérales ne s’est jamais produite sans un choc violent, c’est-à-dire un coup d’État, une élimination de l’opposition (dont on peut y inclure le peuple via le phénomène de la guerre des classes) ou l’imposition de la “politique vaudou” et, aujourd’hui, avec la fracturation d’une partie des populations placée sous le choc de l’aléa pandémique qui fut encouragée à s’étriller entre pro vaccination Covid-19 vs anti vaccination Covid-19, ou se diviser entre pro pass vs anti pass. Au-delà des firmes privées (comme autant de cabinets de conseils rémunérés à prix d’or par les deniers publics et noyées sous divers conflits d’intérêts) engagées par l’homo-politicus pour “garantir” le Bien commun et l’Intérêt général, mais dont l’antithèse même ne choque quasi plus personne. Quel paradoxe! Sommes-nous devenus à ce point aussi bête (ou débile) comme le postulait en son temps le philosophe Ralph Waldo Emerson? Si vous ne les éduquez pas, ce qu’on appelle l’”éducation” (par analogie à l’éducation de masse), ils vont prendre le contrôle – “ils” étant ce qu’Alexander Hamilton appelait la “grande Bête”, c’est-à-dire le peuple. Et à juste titre selon les Élites (et cet homo-politicus) puisque plus la société devient libre, plus dangereuse devient la “grande bête” et plus vous devez faire attention pour la mettre en cage d’une manière ou d’une autre. D’où la fabrique du consentement (Walter Lippmann). Certes, la “représentation du monde” n’est point la vision du monde au sens philosophique.

    D’ailleurs, le mot “philosophie” a même fini par prendre un sens si vague qu’il n’a plus grand-chose à voir avec ses leçons et significations d’origine. Il ne désigne plus “un savoir réfléchi”, autrement dit une “science” au sens le plus général du mot (Aristote), encore moins “l’examen rationnel de notions obtenues par abstraction” (Bacon) ou “l’étude de la sagesse” (Descartes), voire l’ambitieuse “connaissance la plus complètement unifiée” (Spencer) ou “la recherche des principes de la certitude” (Cournot). Loin de ces références historiques pourtant fondatrices, le terme “philosophie” renvoie désormais à n’importe quel modèle global de “représentation du monde”. Une normalité tout aussi anormal, une banalité.

    Visionnaire, Adam Smith avait saisi un élément clé lorsqu’il soulignait qu’”une fois le problème économique réglé, on pourra s’atteler à l’essentiel de la République philosophique”, qui est la rencontre des questions premières qui se posent à l’humain, à savoir “la question du vivre ensemble”, “la question de l’amour” et “la question du rapport au sens”. Keynes parlait de son côté “de l’au-delà de l’économie” et allait jusqu’à inciter ses collègues à l’humilité en disant: “Si les économistes pouvaient parvenir à ce qu’on les considère comme des gens humbles, compétents, sur le même pied que les dentistes, ce serait merveilleux!”

    Il est donc venu le temps pour les peuples de se réveiller en tirant les bonnes leçons!

  10. Alors que la guerre sévit à présent en Ukraine, sa population se voit freinée en matière de retraits de devises auprès de ses banques domestiques (risque de “bank run” qui nous rappel – dans une autre dimension – les événements grecques et chypriotes en 2013). Le gouverneur de la Banque Centrale Ukrainienne a en effet annoncé que la devise locale est non seulement limitée (10 000 hryvnias/jour, soit un peu plus de 300 frs), mais les retraits de devises étrangères sont tout bonnement interdits. De son côté, la Russie a fait savoir qu’elle envisage de saisir l’épargne des citoyens russes en cas de crise économique. Craignant de sévères sanctions financières (visant notamment à exclure la Russie du réseau SWIFT) de la part de l’Europe et des États-Unis, le gouvernement russe n’hésitera pas à s’approprier les 750 milliards de dollars détenus sur les comptes bancaires de sa population (“financial repression”).Toutefois, si cette manœuvre à toutes les chances d’aboutir, il en va autrement avec “l’arme à destruction massive SWIFT” qui a peut de chance d’aboutir, tant les dégâts économiques collatéraux seront indéniables pour les membres de l’OTAN, entre-autres. D’ailleurs, comme l’explique très justement l’économiste Yamina Tadjeddine-Fourneyron, “depuis que la Russie a pris conscience de la dépendance de ses banques au système SWIFT, elle a développé un système de messagerie alternatif qui s’appelle le SPSF. Il est opérant même si passer par SWIFT reste beaucoup plus facile et moins coûteux. Lors de sa mise en place, on a retrouvé des acteurs qui voulaient échapper au monopole de SWIFT, des banques indiennes, chinoises et même iraniennes. Cela permet donc potentiellement de contourner une exclusion du réseau SWIFT. À partir du moment où une banque serait sur les deux systèmes, un ordre de paiement pourrait partir d’une banque européenne par SWIFT pour aller vers une institution indienne qui l’enverrait enfin à une banque russe par le SPSF”. Quant à la question qui fut posée à l’économiste Paul Jorion depuis 2008, sur la possibilité de mettre fin aux paradis fiscaux après des années de coûteuses crises successives, ce dernier répondra: ” Il faut débrancher les paradis fiscaux du réseau financier SWIFT. Sauf qu’on comprend apparemment fort bien dans les milieux financiers ce que cela veut dire”.

    Oui, la Suisse est neutre et – avant les dernières révélations “Suisse Secrets” – n’est plus considérée comme un paradis fiscal! Sauf que 80% du négoce pour le pétrole et du gaz russe se fait en Suisse et que les banques suisses comptent parmi les favorites des oligarques ayant une part non négligeable de leurs fortunes dans le pays. Donc, des “relations commerciales” déjà ouvertes. D’ailleurs, selon les statistiques de la Banque des règlements internationaux (BRI), les engagements des banques suisses à l’égard de clients russes (“relations”) se montaient à 23 milliards de dollars au troisième trimestre 2021, dont 21,4 milliards sous la forme de dépôts. Souhaitons tout simplement que la place financière helvétique dans son ensemble (et ses avocats d’affaires) face preuve de bon sens – qu’elle ne tire pas le diable par la queue comme le fit son intermédiaire financier, le Credit Suisse, entre 2002 et 2007, en contournant les sanctions américaines contre l’Iran, par exemple. Sans compter le contournement des flux dans le cas de la Crimée où la place financière helvétique se trouva dans le viseur. Ou en jouant au chat et à la souris avec le secret bancaire en bénéficiant de la caution implicite des plus hautes instances du pays, faisant fi des avertissements répétés des autorités américaines depuis l’ère Kennedy (documents diplomatiques 1962-1963). Bien évidemment, inutile de revenir sur les agissements de quelques intermédiaires financiers qui ont balayé d’un revers de main la “Loi sur le blanchiment d’argent” (LBA).

    Cette fois, les enjeux (bien évidemment humains) financiers et économiques sont tout autre, notamment en ce qui concerne les endettements publics faramineux des pays de l’OTAN après les crises successives post 2008; que la pandémie mondiale a exacerbé dès 2020; et que cette guerre (pas encore mondiale) pourrait induire des conséquences encore insoupçonnées.

    1. Alors qu’en mai 2021, j’expliquais l’hérésie du crypto-actif Bitcoin en rappelant que dans le passé, le cours de ce dernier s’est envolé de 900 dollars à plus de 19’000 dollars en l’espace d’une année seulement et, si à ce moment là on avait transposé cette logique au marché des devises (comme un médium d’échange) à l’instar du dollar, ceci aurait eu pour conséquence de paralyser littéralement l’économie car nul n’aurait dépensé son argent en attendant de devenir riche. Une hérésie pourtant tolérée jusque-là, même si l’on transposait ce crypto-actif sur le plan d’un pays, ne serait-il pas le 41ème le plus énergivore de la planète? Et cette “cryptomonnaie” n’autorise toujours que 7 transactions par seconde quand Visa et Master Card en permettent 55’000, mais cela ne semblait intéresser l’homo-politicus (moderne) et les technocrates (autistes), pas plus que l’ascension stratosphériquement spéculative de son prix (puisqu’il n’a de valeur) à 0,000764 dollar en octobre 2009, et multiplié par plus de 54 millions de fois à nos jours. Toutefois, ça en dit déjà long sur l’aspect de cette “e-monnaie”, pour reprendre l’expression du monétariste et prophète de l’École de Chicago, Milton Friedman.

      Durant cette guerre menée contre l’Ukraine, et la question posée à la présidente de la BCE – Christine Lagarde – sur un des rôles décrié des crypto-actifs, en l’état actuel des sanctions menées contre la Russie (notamment sa mise à l’écart du réseau SWIFT), sa réponse est tout de même cocasse, surtout après des années répétées à exiger une réglementation des crypto-actifs. “Il existe toujours des moyens criminels d’essayer de contourner une interdiction, c’est pourquoi il est si important que la règlementation “Markets in crypto-assets” (MiCA)* soit adoptée le plus rapidement possible afin que nous ayons un cadre réglementaire” (dixit Ch.L). – Non sans blague, Mme aurait-elle saisis sa leçon?

      *Proposition de règlement de la Commission européenne pour le marché des crypto-actifs et leurs prestataires de services à l’échelle de l’Union européenne.

      Pour l’anecdote: Le canton suisse de Zoug accepte déjà le paiement des impôts en bitcoins et en ethers, dans la limite d’un montant de 100’000 francs suisses. Une initiative motivée par la conviction des élus que “la technologie blockchain jouera un rôle pour les administrations à l’avenir”.

    2. Décidément, le Credit Suisse se place au-dessus des lois – et des risques qu’il fait peser sur le pays; siège social de cette entité – même si ses ennuis ne font que s’accumuler depuis des années. Selon le Financial Times, en dépit des sanctions opposées à la Russie, la banque a tout simplement demandé à des investisseurs de détruire certains documents. Son but : “Arrêter la fuite d’informations sur une unité de la banque qui a accordé des prêts à des oligarques qui ont ensuite été sanctionnés”, écrit le journal économique britannique. Le FT a mis la main sur une lettre reçue la semaine dernière par des investisseurs leur demandant de détruire les documents relatifs aux prêts adossés à des “jets, yachts, actifs immobiliers et financiers”. Le quotidien financier souligne que ces prêts sont devenus très risqués en raison des sanctions internationales contre les grandes fortunes russes depuis 2014; alors même que l’exode des fortunes des oligarques a contribué à la chute du rouble durant la révolution de Maïdan tout en venant gonfler les actifs domiciliés dans l’ensemble des paradis fiscaux de la planète.

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