L’économie ne mérite pas de Prix Nobel

Le mois passé, l’Académie royale des sciences de Suède a attribué les Prix Nobel 2021 pour la médecine, la chimie, la physique, la littérature et la paix. Au-delà de ces cinq Prix Nobel, chaque année la Banque centrale de Suède attribue un Prix en mémoire d’Alfred Nobel qui, de manière erronée, est considéré un Prix Nobel de même rang que les autres. En fait, Alfred Nobel ne considérait pas l’économie comme une discipline scientifique méritant un Prix parmi ceux qu’il institua par son testament de 1895. Ce fut seulement en 1968 que la Banque centrale suédoise décida d’instituer un Prix annuel en mémoire d’Alfred Nobel, lors du 300ème anniversaire de cette autorité monétaire.

Si initialement plusieurs économistes de taille furent récompensés par le Prix de la Banque centrale suédoise, à partir de la fin des années 1980 on constate une baisse considérable du niveau scientifique des travaux récompensés par ce soi-disant Prix Nobel. Cette année, par exemple, ce Prix a été attribué à un économiste qui a découvert l’eau chaude (pour utiliser un euphémisme) et à deux autres chercheurs qui considèrent l’économie comme une science exacte à l’instar de la physique ou des mathématiques.

Il est désormais une «évidence empirique» équivalente à une lapalissade que l’institution d’un salaire minimum ne réduit pas le niveau d’emploi dans l’ensemble de l’économie nationale. Bien au contraire, il est fort probable que l’introduction d’un salaire minimum augmente le niveau d’emploi, étant donné que les consommateurs disposent ainsi d’une plus grande capacité d’achat et, qui plus est, pourraient avoir une plus forte propension à consommer, vu qu’ils savent qu’ils reçoivent un salaire plus élevé que celui qu’ils recevaient avant l’adoption d’un salaire minimum.

En ce qui concerne, en revanche, l’assimilation de l’analyse économique à une science pure et dure comme la physique – qui a des lois immuables dans le temps et dans l’espace –, il s’agit d’une faute méthodologique très grave, parce qu’elle dénature l’approche qu’il faut utiliser et conduit à des choix de politique économique fondamentalement erronés, qui dès lors ne peuvent aucunement résoudre les problèmes économiques du monde réel, bien plus complexe que ce que les modèles mathématiques les plus sophistiqués peuvent représenter.

Ce n’est certainement pas à travers la récolte de données suite à des sondages auprès d’un échantillon (bien que «représentatif») de la population qu’il est logiquement possible d’arriver à des conclusions d’ordre macroéconomique, entendez qui concernent l’ensemble des agents au sein du système économique considéré.

Or, la «science économique» contemporaine est établie sur la base des données qui, suivant des méthodologies parascientifiques, sont récoltées sur le terrain, avec la prétention que les données ne mentent jamais. En réalité, bien des économistes académiciens partent des conclusions qu’ils veulent obtenir, afin de définir le périmètre des données à récolter et la méthodologie à utiliser pour «démontrer» leurs propres hypothèses, ne serait-ce que pour obtenir un soi-disant Prix Nobel.

Alfred Nobel est sans doute en train de se retourner dans sa tombe!

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.

38 réponses à “L’économie ne mérite pas de Prix Nobel

  1. Un grand Merci au professeur Sergio Rossi pour replacer l’église au milieu du village. Autant dire que je soutiens pleinement ce billet.

    Extrait(s) de mon intervention adressée par le passé à un ancien conseiller de banques centrales: Si, en effet, les mathématiques constituaient un outil pour démontrer des régularités, tout en gardant à l’esprit qu’elles sont contingentes et historiquement déterminées, l’économiste hétérodoxe John Maynard Keynes restera néanmoins un critique avisé de la société d’économétrie en précisant que “la vérité n’est pas obtenue comme résultat d’une sophistication formelle, elle tient pour l’essentiel à la capacité de générer une efficacité pratique des énoncés”. En ce sens, l’utilisation extrême des mathématiques (comme science dure) tombera toutefois dans le giron des idéologues qui auront une fâcheuse tendance, à l’instar des économistes orthodoxes (mainstream), à se réfugier durant des décennies derrière l’outil mathématique et à tirer argument de l’usage de cette science dure pour affirmer à la fois la scientificité de leur discours, suggérer son exactitude et donc le caractère intangible des lois qu’ils révèlent au prisme de leurs théories économiques. Comme l’écrira du reste Keynes dans sa Théorie générale, comme autant de prémonition avant la domination de la “science économique” – en tant que science molle et discipline des sciences humaines et sociale – par les pères du monétarisme et de l’idéologie néo-libérale ; “une beaucoup trop grande part de travaux récents d’économie mathématique consiste en des élucubrations aussi imprécises que les hypothèses de base sur lesquelles ces travaux reposent, qui permettent à l’auteur de perdre de vue les complexités et les interdépendances du monde réel, en s’enfonçant dans un dédale de symboles prétentieux et inutiles”.

    Et ce n’est pas l’économiste Paul Samuelson qui le démentira post-mortem, lorsqu’on se souvient de son expression faisant déjà état que la science économique “tombera dans le trou noir des mathématiques”. Ni l’économiste Richard H. Thaler, qui, après quarante ans de recherches en “économie comportementale” et de combat contre la doxa régissant les prestigieuses universités américaines – mais pas que – nous offre au sein de son récent ouvrage “Misbehaving”, après celui des économistes George Akerlof et Robert Shiller, qui, lui, reprend à son compte “Les esprits animaux”, une formule choc que Keynes utilisa dans le très fameux chapitre XII de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie paru en 1936; une meilleure compréhension de nos modes de raisonnement réels, certes déviants de la rationalité économique, mais qui font de nous des humains, et non pas ces extraterrestres qui peuplent les manuels d’économie moderne.

    Dès lors, comment faire l’impasse sur l’économiste américain Robert Heilbroner (1919-2005), principalement connu pour “The Worldly Philosophers”? Dans sa première édition de 1953, l’ouvrage annonçait “un voyage à travers l’éthique” et pour cela partait à la découverte d’une poignée d’hommes qui, par leurs idées, donnèrent sens au monde économique moderne. Tous différents – “il y eut parmi eux un philosophe et un illuminé, un pasteur et un agent de change, un révolutionnaire et un gentilhomme, un esthète, un septique et un vagabond” – ils élaborèrent pour cela, intrigue, pièce, drame, scène, pour lever les doutes et les anxiétés que faisait naître un nouveau et vaste monde économique apparemment chaotique et pourtant en constante évolution; leurs récits permettant en définitive aux communautés humaines de comprendre et d’agir en vue d’adapter et de contrôler le capitalisme. L’ambition de ces hommes ne pouvait pas être celle de simples techniciens ou experts: leurs imaginations, nourries par ce large éventail de biographies singulières, leur donnaient l’audace d’embrasser l’ensemble de ce processus dans ses dimensions économiques, mais tout autant politique, sociale, culturelle, que paraissait rythmer l’accumulation progressive de richesses. Cet économiste américain, Robert Heilbroner, au fil de son épopée, posera un énième constat: “les mathématiques avaient insufflé une rigueur à la science économique avant de la tuer!”.

  2. Merci pour ce rappel! Votre texte me fait penser au “Nobel” d’économie décerné en 2018 à W.D. Nordhaus et P. Romer pour leurs travaux qui intègrent le changement climatique à l’économie. Leur approche, basée sur des fonctions de dommage, est très discutable. Certains chercheurs ont fait, en utilisant ces fonctions, des simulations de réchauffement. Par exemple, un réchauffement de 5 degrés génère des dommages que l’on peut considérer comme anecdotiques selon ces simulations. Personne ne sait ce que serait un monde à +5 degrés, mais, en lisant les conclusions des rapports du GIEC, on a plutôt l’impression que ce n’est pas souhaitable. Par contre, on sait ce qu’est un monde avec 5 degrés de moins: c’était il y a 20’000 ans: le niveau de la mer était 100 mètres plus bas et le plateau suisse se trouvait sous plusieurs centaines de mètres de glace. Anecdotique non?

    1. Bonjour Sébastien Levrat,

      Merci pour ce partage que je saisis pour rebondir sur Nordhaus tout en soulignant qu’il faut le dissocier de Romer.

      Le controversé Nordhaus, celui là même qui avait réagit – en 1973 – au rapport du Club de Rome commandé à des scientifiques du MIT réunis autour de Dennis Meadows et publié en 1972. Toujours le même qui reste ancré au dogme (pourtant déjà) déboulonné de “l’homo oeconomicus”?

      Extrait(s) de mon commentaire de février 2021: Sous l’angle de la “Théorie des choix publics”, on peut dire qu’il n’est de pire aveugle que celui qui s’obstine à ne pas voir, comme ce fut le cas en 2004, notamment, après trois décennies de croissance économique et démographique exponentielle, les auteurs d’une nouvelle édition du rapport Meadows – dont la version initiale parue en 1972 à la demande du Club de Rome, de jeunes chercheurs américains rédigent un rapport, “The Limits to Growth” qui crée le scandale : nous sommes à la veille du premier choc pétrolier et pour beaucoup le credo de la croissance économique ne saurait être remis en question – confirment leur premier diagnostic et alertent les acteurs politiques et économiques en proposant différents scénarios de transition vers un développement “soutenable”. Désormais le concept même de “développement durable” paraît complètement obsolète pour Dennis Meadows : “C’est trop tard” répétera-t-il à Paris en 2012, avec un grand sourire un peu désabusé, “nous avons dépassé les limites depuis déjà longtemps”. Ce phénomène met aussi à néant la notion de “l’homo œconomicus” (John Stuart Mill) qui n’a dans les faits rien de rationnel.

      Pourtant, rien de nouveau sous le soleil avec cette malhonnêteté intellectuelle laissant croire à une croissance économique “ad vitam aeternam” et faisant fi des effets secondaires. Pour la survie de notre espèce, en tirant des leçons de l’histoire, il est fondamental d’aborder la vision de notre monde réel sous un angle plus global et non par le truchement d’un prisme dont les particularités auront pour conséquences à dévier et décomposer l’éclairage que l’on s’en fait avec quelques longueurs de mandats idéologiques.

      Prenons par exemple la pandémie mondiale que certains qualifient de “cygne noir”, pour reprendre le titre de l’ouvrage de l’ancien trader et professeur à l’Université de New York, Nassim Nicholas Taleb, auteur de “The Black Swan: The Impact of the Highly Improbable”. Dans les faits et fondamentalement, l’imprévisible n’en est rien puisque à proprement parler cet événement majeur (Pandémie Covid-19) était quelque chose de l’ordre du prévisible, pour peu que “l’on ait regardé complètement les conséquences de la mondialisation”. Pour ce philosophe et statisticien américano-libanais (théoricien des risques): “le problème, c’est que les gens regardent les choses sans les effets secondaires, et ce virus, c’est l’effet secondaire de la globalisation”.

      Bien à vous

  3. Au Moyen Âge, le but de l’alchimie a pour objectif la réalisation de la pierre philosophale. Aujourd’hui, avec “l’Économie Coca Zéro”, les sociopathes (les économistes orthodoxes) y sont (presque) parvenus:

    [(…) Les beaux chiffres masquant des réalités économiques plus sombres requièrent des recherches plus poussées de la part des observateurs. Signe des temps, les rapports annuels des entreprises se sont eux aussi mués, au fil des années, en vecteurs de marketing autant que de reporting. Les illustrations prennent toujours plus de place, le texte fait la part belle aux réussites, et les tableaux de chiffres viennent ensuite. Les exigences de divulgation financière se sont certes accrues, mais au même moment, leur poids dans les rapport est devenu très relatif. Tout comme les sodas diététiques et leurs sucres artificiels, une économie aux chiffres édulcorés oblitère nombre de risques et ne permet pas de prendre des décisions de politique économique correctement informées (…)]

    Source 2017 :
    https://www.bilan.ch/opinions/myret-zaki/l_economie_coca_zero

  4. Dilemme du prisonnier ou mauvais jeu de société?

    De 1969 à 2016, sur 76 lauréats au “prix de la Banque centrale de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel”, 28 furent rattachés à l’École de Chicago, à matrice néolibérale (les orthodoxes; monétaristes).

    Parmi les 86 personnes récompensées entre 1969 et 2020, on compte une écrasante majorité d’Américains (67), seulement deux femmes, et encore beaucoup de représentants de l’économie néolibérale.

    La démonétisation devrait, en théorie, renforcer l’efficacité de la politique monétaire, notamment dans un contexte de taux d’intérêt négatifs, mais ceci reste corrélé avec le phénomène dit de “répression financière” – dans le cas d’un aléa financier majeur – qui limitera la casse via un “bail in” et annihilera l’autre phénomène dit de “bank run”. La Suède est en passe de devenir la première économie mondiale à se passer de l’argent liquide. Le montant de cash en circulation y a diminué de 50% de 2007 à 2019, alors que plus de 36% des Suédois n’utilisent désormais plus de billets ou de pièces au quotidien.

    Les banques centrales et les récentes méthodes de leurs hauts responsables pour s’enrichir en compte propre. Le cas de la Suède et des États-Unis…:
    https://fr.beincrypto.com/marches/49276/banques-centrales-methodes-enrichir-suede-etats-unis/

    1. La Suède a reculé sur l’idée de dématérialiser à 100% la monnaie ! au nom de la liberté. Même combat que les suisses mènent actuellement contre la vaccination obligatoire déguisée. Liberté chérie !!!

      1. “Reculer pour mieux sauter”, MANGO!

        Une dématérialisation à 100% est effectivement irréaliste pour des raisons évidentes. Ce qui n’empêchera pour autant l’inévitable disparition progressive du cash dans une proportion qui fera la différence dans les échanges, à l’avenir. Votre conception de la Liberté est une utopie en 2021, nous en avons déjà tous perdu des pans entiers ces cinquante dernières années.

  5. Vous écrivez: “les consommateurs disposent ainsi d’une plus grande capacité d’achat”, ce qui suppose une injection monétaire dans l’économie. L’analyste économique Marc Faber (d’origine suisse) a commenté le chèque de 600 dollars que l’Administration Biden veut distribuer aux ménages américains; “si vous les dépensez chez Walmart, une partie partira en Chine, si vous achetez un ordinateur, l’argent ira en Inde, si vous achetez une bonne voiture c’est le Japon et l’Allemagne qui encaisseront l’argent, etc. et de conclure qu’il serait mieux de les dépenser en buvant de bières et dans les bordels (dépenses locales)……..Article après article vous préconisez Professeur ” l’oisiveté à peine cachée ” comme modèle basique pour l’économie, ça n’a jamais marché auparavant et ça ne fonctionnera jamais (modèle communiste). Pour lutter contre le crime et le suicide par petite dose (alcool & drogues), le seul moyen à disposition est de donner DU TRAVAIL à tout le monde et rendre le chômage interdit par la loi (l’Etat emploierait les chômeurs quitte à faire concurrence aux entreprises privées) comme le regretté Bernard Tapie avait suggéré pour les jeunes français dans les banlieues, ainsi le revenu de base sera assuré dans la plus grande dignité. Votre idée n’a d’avenir que dans un marché de travail fermé. S’agissant du Nobel de la banque centrale; même si parfois le lauréat n’attire par une unanimité autour d’elle/de lui, cela donne toujours matière supplémentaire à la confrontation des idées.

    1. Bonjour MANGO,

      Prendre avis sur le “RBI” auprès d’un financier suisse vivant en Asie du Sud-est et ayant bâtit sa fortune au temps des vaches grasses procuré par l’émergence de la financiarisation, là, il fallait oser!

      Celui qui connu avec son temps la “criée” autour de la corbeille, une pratique remontant au début du XIXème siècle où les agents de change accrédités se réunissaient chaque jour le midi pour déterminer le prix des actions inscrits à la cote. Il n’y avait qu’un seul prix de référence journalier pour chaque entreprise cotée en bourse à cette époque, mais cette période est désormais révolue depuis la fin des années 80; les transactions ayant été dématérialisées. Seule la bourse de NY fera preuve de résistance quelques années pour des transactions marginales. Première érosion d’une profession et de tous ses “satellites à deux bras” gravitant autour d’elle. En suivant cette logique, il va sans dire que l’évolution technologique “du bandit manchot” aura aussi raison de “l’homo-trader”, lui-même marginalisé à l’aube des “robots-tradeurs” qui sont à même aujourd’hui de transmettre automatiquement et à très grande vitesse – de l’ordre de la nano seconde – des ordres sur les marchés financiers, sans intervention humaine, à l’aide d’algorithmes des plus complexes. Le “High-frequency trading” (HFT) verra ainsi la mort lente et inéluctable d’une autre profession avec son armada de “petites mains”, sans compter que le “HFT” est accusé régulièrement de manipuler le marché via des ordres “flash”. Autant préciser que la “Fintech” n’épargnera aucunement les premiers maillons de la chaîne, à savoir les conseillers bancaires et assurantiels remplacés par l’Intelligence Artificielle (IA). Autant de professions qui viendront grossir le vivier des “Bullshit Jobs”, pour reprendre le titre de l’ouvrage de feu David Graeber, professeur à la London School of Economics.

      Alors oui, venir citer Marc Faber (lequel s’appuye entre les lignes au spectre de “l’économie Robinson Crusoé” pour vendre sa “came”) comme pourfendeur du “RBI”, il fallait oser. Prendre le même, auteur de “The Gloom, Boom & Doom Report” qui reste ancré à la “relique barbare” dans marché hautement spéculatif où l’or physique n’est plus à même de couvrir tout l’or papier – les certificats – en circulation au XXI siècle, est une gageure.

      Enfin et pour conclure: Comme Keynésien, si je prends l’hypothèse que les masses populaires ne sont pas une “grande Bête”, alors je vais presque finir par admettre que Keynes s’est trompé sur un point essentiel car – en 1930 – il identifiait que la lutte pour la subsistance se révélera comme “le problème primordial et le plus pressant de l’espèce humaine”.

      L’amour pour sa propre cervitude dans une illusion de liberté, voilà le paradoxe!

      Bien à vous

      1. C’était une blague de Marc Faber, et sa suite: “même la bière américaine Budweiser a été vendue au brésilien AmBev et les filles de joie envoient leurs argent en Amérique du sud”, pour ainsi dire que donner de l’argent dans un marché ouvert ne sert à rien. Les keynésiens sont supposés être des rigoristes avec les budgets publics et l’argent du contribuable. Pendant les années de vaches grasses Keynes préconisait que les Etats remboursent l’argent emprunté pendant la récession, échec et mat M. Raymond !

    2. Bonjour Mango,

      Votre commentaire m’a inspiré un certain nombre d’intuitions que je souhaite partager avec vous. En économie ouverte, une relance budgétaire financée par un accroissement de la dette publique ou une politique monétaire expansionniste est moins efficace qu’en économie fermée (sans échanges extérieurs). En effet ce résultat élémentaire peut être démontré en comparant les multiplicateurs keynésiens de la dépense publique (ici des transferts sous forme de chèques aux ménages) associés aux deux hypothèses. C’est pourquoi il n’est pas surprenant que la relance budgétaire ait toutes les chances de profiter aussi aux producteurs étrangers via les importations des biens que vous citez dans votre commentaire. Quoiqu’il faille remarquer que cela dépend du degré d’ouverture de l’économie. Aussi paradoxal que cela puisse paraître de prime abord, l’économie américaine est relativement peu ouverte à cause d’un marché intérieur développé, ses principaux partenaires sont le Mexique, le Canada, la Chine et l’UE. Cette donnée empirique suggère que la propension à importer des USA est faible, ce qui tend à relativiser l’impact de ce paramètre sur la taille du multiplicateur keynésien associé à un chèque de 600 dollars pour chaque foyer américain.

      Admettons à présent que l’économie soit très ouverte aux échanges extérieurs, ce qui est le cas souvent d’un petit pays comme la Suisse. Dans un tel contexte, une relance budgétaire via un transfert en faveur des ménages ne produit pleinement ses effets sur le PIB et l’emploi que si les récipiendaires des transferts dépensent dans l’achat des biens et services produits par des secteurs non-exposés à la concurrence internationale; par exemple vous faire couper les cheveux chez votre coiffeur, manger au restaurant, prendre des cours de violon, aller au théâtre ou faire appel à des artisans pour faire des travaux dans votre appartement ou maison, etc. Dans le cas de la Suisse une relance budgétaire de type Biden n’a aucune chance de dégrader la balance commerciale, sans doute en raison d’une bonne spécialisation industrielle, et donc d’une compétitivité hors prix. La preuve en est que l’évolution du franc que la BNS surveille comme le lait sur le feu, ne semblait pas avoir déséquilibré d’une manière irréversible la structure des échanges; notamment lors de la crise des dettes souveraines au sein de la zone euro et l’instauration d’un taux plancher pour le franc vis-à-vis de l’euro. Sachant qu’à l’époque 60% du commerce extérieur de la Suisse se faisait avec l’UE, une fragilité que non seulement le modèle ricardien ignore cruellement, mais aussi les opposants à l’adhésion de la Suisse à l’UE. Je ne suis pas un partisan de l’Europe des bureaucrates de Bruxelles, et je comprends parfaitement l’attitude des citoyens suisses, car l’adhésion de la Suisse implique à coup sûr la mort de sa démocratie directe. A ce sujet, il n’est pas excessif d’affirmer que l’UE a vidé les démocraties représentatives de leur substance en donnant la primauté aux lois européennes sur les lois votées par les parlements nationaux.

      Quant à la manière dont les consommateurs dépensent leur revenu, cela n’a aucune importance: ceux-ci peuvent consommer de l’alcool, du tabac, de la drogue ou de l’amour tarifé. Ce qui compte c’est que tout acte de dépense sous forme de consommation ou d’investissement soutient l’activité et l’emploi en accord avec le message de John Maynard Keynes: une société peut s’enrichir en dépensant. A ce propos, il n’est pas inutile de rappeler “la Fable des Abeilles” de Bernard de Mandeville (1670-1733). Cet auteur a attiré l’attention sur les méfaits de l’esprit d’épargne, vertu individuelle, mais désastre pour la collectivité. Cet argument, qui avait tout pour déplaire à Smith et à ses disciples, devait en revanche attirer plus tard l’attention de Keynes, qui, dans un appendice historique à sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie cite Mandeville de façon élogieuse.

      Enfin, pour éviter les effets pervers d’une relance isolée que vous pointez dans votre commentaire, il serait souhaitable que la relance soit coordonnée au niveau international, ce que va faire l’UE avec son plan de 750 milliards d’euros mais dont le financement, force est de constater, reste flou pour l’instant. En outre, il est peu probable que les pays dits frugaux acceptent une dette et/ou un impôt communs.

      En général, la coordination internationale n’est pas une tâche aisée. Depuis les années 1980 les principaux pays de l’OCDE ont pris conscience que la transmission internationale des effets des politiques nationales soulève la possibilité d’un équilibre sous-optimal en l’absence de coordination internationale des politiques macroéconomiques. Si, par exemple, chaque pays essaie d’amortir individuellement les effets d’un choc commun qui dégrade les balances courantes de manière symétrique, les politiques macroéconomiques prendront une tournure excessivement restrictive qui mènera l’économie mondiale dans le piège de la récession.

      1. Entièrement d’accord avec vous et les USD 600 ruissèlent essentiellement dans l’économie locale. Je suis assez adepte de la théorie du ruissèlement. Les nations européennes étaient/sont riches, rien qu’avec le patrimoine bâti, les infrastructures, sans compter le savoir-faire, les usines, les universités, etc. Mon point de vue est que la dette dévalue tôt ou tard la monnaie, et déprécie les valeurs des patrimoines mobiliers et immobiliers d’une nation ou d’un groupe de nations comme l’UE et les USA. Il y a deux semaines, dans le réseau du plus grand détaillant en Suisse, ils ont exposé à la vente à Carouge des tableaux peints, je pense par des machines, en Asie, et ils ont présenté la vente comme une occasion à bas prix bien que certains objets étaient à CHF 300 la pièce. La Suisse ne souffre pas d’un déficit des comptes courants ni du commerce avec l’étranger. Cependant, est-il nécessaire de faire une telle importation malgré les alertes sur l’environnement? Des milliers de petites mains créatrices sont à l’œuvre partout dans notre pays, mais nous n’achetons pas d’ici, pourquoi? Parce que les intermédiaires ne peuvent pas se gaver à 30% ou 40% de marge. La mondialisation sans bornes a montré depuis plusieurs années sa laideur et nous ne serions qu’au début du déclin en Europe, avec cette apologie de l’endettement à outrance et le revenu de base inconditionnel qui enlève la dignité à l’être humain. Le reste du monde est en train de nous dévorer petit à petit. Keynes voulait empêcher la compétition entre les nations (pour empêcher les guerres) mais ceux qui sont en charge de diriger le monde occidental aujourd’hui sont entourés par des écervelés, des vendus et des groupes de lobbyistes dépourvus de conscience nationale. Comment voulez-vous que nous puissions aller de l’avant avec la montée de la gauche déguisée en “vert”? Il ne nous reste que deux seuls biens de très grandes valeurs en Occident; le USD et l’EUR, préservons-les et repoussons la gauche de la porte du pouvoir. La Suisse ne pourra se maintenir forte au milieu d’une Europe faible.

  6. Sacré MANGO, vous êtes la digne représentation de la “grande Bête”. Je vous explique:

    “Pendant les années de vaches grasses Keynes préconisait que les Etats remboursent l’argent emprunté pendant la récession”, effectivement MONGO. À ceci près, pour votre gouverne, que les monétaristes ont suppléé les théories keynésiennes à l’aube des années 70. Un changement de paradigme qui a bouleversé l’univers des “sciences économiques et sociales”.

    Dès lors, dans cette illusion de richesse procurée par l’économie de l’offre, chère aux néolibéraux (les crédits des uns ont eu pour pendant l’enrichissement des autres) et les masses populaires semblent toujours ignorer ce phénomène – préférant s’attacher aveuglément au poussiéreux mantra de 1962 – “Capitalism and Freedom” – du fondateur de l’École de Chicago. Pourtant, n’y a t-il pas meilleur paradoxe que celui relevé par David Graeber (1961 – 2020) – professeur à la London School of Economics – dans son ouvrage: “Dette, 5000 ans d’histoire” où rappelle-t-il que le terme de “liberté” fut d’abord “amargi” en sumérien, signifiant libéré de la dette. Ainsi, bien avant cette guerre menée contre l’Intérêt général et le bien commun qui touche nos sociétés “modernes”, John Adams (1735 – 1826) – deuxième président des États-Unis – avait bien saisis les deux manières d’asservir une nation: “l’une par l’épée tandis que l’autre par la dette”.

    Comme quoi on ne réinvente pas la roue, suffit-il de connaitre l’histoire avant de faire le jeu de vos maîtres et donner des leçons à deux francs six sous.

    1. J’ai l’impression que vous lisez beaucoup et vous ne prenez que ce qui vous plaît des écrits des uns et des autres. La dette ne fait sens que dans un environnement de grande inflation. Emprunter 100 pour acheter à 100 et l’année d’après payer les intérêts à 5% et la valeur de l’objet acheté augmente de 10%. Ce schéma n’existe plus depuis une vingtaine d’années en Occident. A présent l’inflation qui frappe les matières premières et l’énergie est un vrai danger. Aujourd’hui le service des dettes souveraines de l’Allemagne et de la France cumulées (environ 6 trilliards) ne coûte que 30 ou 40 milliards par an. Imaginons que les taux d’intérêt augmentent à 5%, d’où est-ce ils vont trouver 300 milliards chaque année pour payer les intérêts? Du coup vous n’êtes plus keynésien? Pourquoi vous n’écriviez pas un livre qui résume les milliers d’ouvrages que vous avez lu, intitulé “l’économie pour les nuls”?

      1. Vous vivez dans un monde qui n’existe plus, MANGO.

        Cet enchaînement de “chart” permet de se faire une petite idée du phénomène de transfert des richesses de la base de la pyramide vers son sommet. Donc l’antithèse de la “Trickle down theory” (théorie du ruissellement devenue un mythe) chère aux néolibéraux.

        Début du transfert des richesses du bas vers le haut à partir des années 1970. Emprise des monétaristes sur nos économies réelles…

        https://i0.wp.com/michelsanti.fr/wp-content/uploads/2018/10/%C3%A9cart-productivit%C3%A9-salaires.png?resize=538%2C305&ssl=1

        Parallèlement, le phénomène de financiarisation s’est aussi exacerbé à partir des années 1970, comme celui des richesses déconnectées de l’économie réelle…

        http://iris-recherche.s3.amazonaws.com/uploads/attachment/file/Untitled12.png

        Les crises financières se sont donc naturellement succédées dans une exubérance totalement irrationnelle (fin du Banking Act de 1930) – par des marchés financiers dit “efficients” et censés s’autoréguler – et les endettements publics se sont creusés par autant de plans de sauvetage et de relance financés sur le dos des masses populaires, cette “grande Bête”. Inutile de préciser aussi le fait communément admis, à savoir que l’orthodoxie budgétaire – en cycle récessif couplé à une demande atone – a aggravé la sortie de crise(s) avant la pandémie. Ce dernier aléa ne pouvait donc que s’entrechoquer à des économies réelles déjà fragilisées par des décisions schizophréniques. Tant sur le plan des politiques monétaires non conventionnelles des banques centrales qui n’ont trouvé leur courroie de transmission au travers des politiques de relance budgétaire (favorisant ainsi les nombreuses bulles actuelles). Pire encore, puisque lorsque les politiques de relance budgétaire se sont mises en place, elles furent axées sur l’offre au lieu de la demande agrégée. Les monétaristes restent ainsi englués à leurs certitudes dominantes mais néanmoins destructrices en laissant les dettes pour un océan de serfs…

        https://demonocracy.info/

        et l’extrême richesse pour une infime minorité…

        https://www.bloomberg.com/billionaires/

      2. Je reconnais bien là les propos d’un monétariste convaincu. Vous n’allez pas vous plaindre maintenant. Avant de lire une infographie vous étant destinée et en cours de validation, veuillez trouvez mon intervention datée sur ce blog. Ceci dit, une telle inversion de la courbe des taux est totalement irréaliste dans le nouveau monde d’aujourd’hui, et pour cause.
        —-
        RAYMOND
        14 mai 2018 à 18 h 56 min
        Que de souvenirs !

        A la nouvelle lecture d’une de mes réactions parue le 06 mai 2013 – sur un autre blog d’experts – j’y retrouve bien évidemment mon entrée en matière : « …Les faucons craignent que le risque inflationniste (+ de 2%) ne vienne impacter l’économie réelle, alors que l’inflation galopante (et présente) frappe déjà lourdement les actifs financiers (générant de dangereuses bulles). Et ceci ne les atteint pas le moins du monde ? Quel paradoxe ». Mais le véritable paradoxe n’est-il pas de se souvenir de l’affirmation décrétée par le gourou des monétaristes qui postula que «l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire, en ce sens qu’elle est et qu’elle ne peut être générée que par une augmentation de la quantité de monnaie plus rapide que celle de la production» (Milton Friedman (1912-2006) ? Durant la guerre des deux principales chapelles qui oppose toujours Friedmaniens vs Keynésiens, le père du monétarisme n’a-t-il pas « démontré » que plus ou moins de monnaie en circulation n’avait d’impact que sur l’inflation et aucun sur « l’économie réelle » ou « la réalité des échanges », et établi qu’il convenait de lutter contre l’inflation en confiant cette tâche à des organismes indépendants du pouvoir, c’est-à-dire aux banques centrales. Pourtant, même s’il est exact que la vitesse de circulation de la monnaie n’est pas une constante, il est faux de prétendre que la quantité de monnaie émise n’a jamais aucun impact sur la réalité des échanges. Et, si Keynes ne s’est pas totalement trompé, il est insensé d’avoir établi notre système monétaire international sur la base des travaux de Friedman. Par ailleurs, comment les tenants de la pensée dominante peuvent-ils encore, honnêtement, passer sur la situation économique de nos économies modernes « comme chat sur braise », alors qu’il ressort que ces dernières subissent la « déflation » (ou à tout le moins une inflation insuffisante) et une inflation significative sur le plan des actifs financiers. En effet, comme le souligne aussi le professeur Bruno Colmant, Docteur en Economie Appliquée (Solvay, ULB, Belgique), « l’économie réelle traverse une déflation de flux, caractérisée par des prix qui stagnent, reflétant eux-mêmes un tassement de l’économie, une sous-utilisation des capacités de production et une faible demande intérieure. Mais cette déflation se traduit dans des taux d’intérêt très bas (entre-autres) qui inflatent le prix des actifs, tels l’immobilier, les marchés boursiers d’actions et les obligations ». Ce même professeur pose, lui aussi, son « anamnèse » : Après les dérives des années 1970, «la grande modération»: Les banques centrales et la rigueur ont pris le pouvoir – Le vieillissement de la population induit une remontée de l’épargne – La révolution numérique et l’intelligence artificielle détruisent les emplois – Le monde est entré dans une «stagnation séculaire» de faible croissance – La «grande récession» de 2008-2009 a durablement précarisé les emplois – Les inégalités sociales exacerbent les comportements de thésaurisation – La dette publique en zone euro oblige les épargnants à anticiper des hausses d’impôts – Dans la zone euro, la gestion des crises s’est faite au détriment de l’emploi – Les sociétés multinationales n’ont plus de dettes et sont prêteuses net (Apple) – Le commerce en ligne et Amazon intensifient la concurrence sur les prix ».
        Enfin et pour terminer, avec une prime de risque ayant fondu comme neige au soleil ces derniers lustres, en terme d’inflation des actifs financiers, les détracteurs de « la révolution bancaire » savent-ils seulement que depuis 2009, quatre-vingt pour cent de la hausse des marchés boursiers est redevable aux baisses de taux quantitatives des banques centrales ? Entre mythe ou réalité…Icare prend soin de toi !

        1. Avec la reprise de l’après confinement, l’inflation s’est installée et les banques centrales ne peuvent pas utiliser le seul outil valable pour la combattre, qui est la hausse des taux d’intérêt, pour ne pas écrouler la bourse et aggraver les déficits budgétaires des Etats occidentaux. Donc, il serait permis de croire que les problèmes sérieux ont commencé, et de préconiser plus d’endettement relève de la folie. Giscard a quitté le pouvoir en France avec 26% de dette/PIB malgré le choc pétrolier. Nous en sommes aujourd’hui à 30-32% en Suisse. Que l’Etat emprunte de l’argent pour permettre à la population de rester sans activité devant la télé ne tient pas la route même de la perspective des syndicats naturellement à gauche.

          1. Oui MANGO, la situation est on ne peut plus alarmante et ce bien avant la pandémie, déjà. Cette fuite en avant caractérisée et l’absence de “remise en question des dogmes” vont au-delà de l’imaginaire collectif. Oui MANGO, le RBI ne doit absolument pas être financé en creusant la dette, d’ailleurs les sources de financement du RBI sont ailleurs et largement développées durant les dernières chroniques. Oui MANGO, je suis extrêmement négatif pour le futur, désolé, comme je l’étais en 2006/2007 dans le milieu financier (un extraterrestre pour certains). 2008 me donnera raison!

            Voyez-vous, comme ex-spécialiste des marchés financiers et ex-enseignant manager en finance/économie pour des cadres, complétement désabusé par un système devenu fou, j’ai moi-même (comme privilégié) choisi de prendre (financer) ma propre pré-retraite à 54 ans et financer celle de mon épouse de 2 ans ma cadette. Sans soucis financiers et sans dette, propriétaire immobilier, je peux maintenant consacrer mon temps à la défense de l’Intérêt général. Sans compter que je donne de ma personne à des œuvres d’utilités publiques (c’est-à-dire sans perçevoir de revenus). Je voyage (en suspens avec la pandémie) et ne m’ennuie aucunement. Donc, à titre purement personnel, je n’éprouve aucun besoin dans le RBI mais je le soutiens pleinement dans l’Intérêt des peuples.

            Maintenant, que l’on prenne ou jette ce que je commente est une chose, que l’on m’impose des réactions dogmatiques en est une autre. J’ai trop vu les dégâts qu’ils procurent: dans la finance, l’économie, et l’enseignement.

          2. Vous parlez de Valéry Giscard d’Estaing et la France, MANGO? Alors voici l’analyse d’un ancien ami, ex-conseiller de banques centrales (MS)
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            [C’est en France que la néo-libéralisme des années 80 a pris ses sources. La France n’est pas que la patrie des droits de l’Homme. Son rôle fut également crucial dans l’instauration de la pensée néolibérale qui affame aujourd’hui les peuples d’Europe. Sa responsabilité est immense dans la mise en place de cette tyrannie rigoriste et moralisatrice qui stérilise de nos jours toutes les forces vives de notre continent.

            C’est en effet la France qui, faisant une fois de plus office de précurseur, devait franchir en 1973 une étape historique sur le chemin de la libéralisation financière internationale, en s’interdisant de recourir à la planche à billets de sa banque centrale. C’est à cette aune qu’il faut interpréter les nouveaux statuts de la Banque de France, adoptés le 3 janvier 1973 -et particulièrement leur article 25- indiquant que «le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France».

            Mettant ainsi définitivement les États à la merci du système bancaire, puisque leur Trésorerie n’était de facto plus en droit d’emprunter auprès de sa banque centrale. Tournant crucial dans la gestion des finances publiques des nations occidentales (et même mondiales!) qui emboîtèrent dès lors le pas à la France, ne devant du reste rien au hasard à une époque où elle était présidée par un ancien banquier, Georges Pompidou. Peu importe, après tout, si la dette publique française, de 20% du PIB en 1970, devait dès lors connaître une descente aux enfers ininterrompue.

            Raymond Barre, à la tête du premier gouvernement néo-libéral
            Pour autant, cet épisode ne fut guère que le tout premier jalon d’une emprise monétariste coulée dans les institutions dès 1976 par Raymond Barre, «meilleur économiste de France», -Premier Ministre de VGE- qui devait présider aux destinées du premier gouvernement authentiquement néolibéral d’Europe. Bien avant l’arrivée au pouvoir de Thatcher en 1979 en Grande Bretagne et de Reagan en 1981 aux Etats-Unis, c’est donc la France qui fut la première à mener la charge contre les dépenses publiques et pour la réduction des aides sociales. En réalité, sans Barre et sans ses fameux plans, pas de Zone Euro à la fin des années 1980 car c’est sous son haut patronage que l’Europe prit le tournant mercantile qui en fait fièrement aujourd’hui sa marque de fabrique.

            L’uniformisation du débat
            Ce n’est donc pas tant l’axe franco-allemand qui devait modeler l’Europe que l’uniformisation et l’assèchement progressifs du débat économique et financier à travers l’Europe «de l’Ouest». C’est cette union sacrée contre les dépenses et contre les déficits dans un premier temps, puis pour le marché libre et pour l’auto régulation des acteurs de la finance (sous Beregovoy le socialiste à la fin des années 1980) qui devaient creuser le sillon -et aujourd’hui la tombe- de l’Union européenne. C’est donc la France qui, la première, a défini et posé les fondations de la sacrosaint intégration européenne qui, par rigueur budgétaire interposée, devait dès lors tétaniser et monopoliser tout le débat macroéconomique continental. Infection monétariste qui devait donner l’impulsion décisive à une aggravation irrémédiable des taux du chômage qui ne retrouvèrent plus jamais leurs niveaux des années 1970, car l’emploi ne figurait dès lors plus aux priorités gouvernementales.

            C’est à Raymond Barre que l’on doit ainsi la mise au placard définitive de l’idéal keynésien gaulliste. Comme c’est à partir de son règne que l’emploi ne fut plus considéré que comme une simple variable au service de la stabilité financière. C’est donc de 1976 (avènement de Barre et de ses plans) qu’il est possible de dater l’an zéro de l’infâme austérité, ainsi que le degré zéro de l’humanité]

            “L’économie pour les nuls” comme vous l’avez écrit?

  7. Bonjour Raymond,

    Un grand merci pour cette excellente analyse concernant le glissement de la France vers le libéralisme financier et l’austérité salariale incarnée par le père de la rigueur Raymond Barre. Je me souviens parfaitement du contexte que vous dépeignez avec moult détails et un oeil critique averti; car je l’ai vécu comme citoyen lambda. A l’époque la France et le monde entier étaient confrontés à ce qu’il est convenu d’appeler les chocs d’offre avec leurs conséquences inflationnistes dont la cause était imputée par bon nombre d’économistes “sérieux” au monde du travail et bien sûr aux Cheiks arabes dominants au sein de l’OPEP. Pourquoi le monde du travail? Parce qu’à l’époque les salaires étaient indexés sur l’indice des prix à la consommation afin de préserver le pouvoir d’achat des rémunérations salariales nominales. Bref, la perversité de la boucle prix-salaires a été montrée du doigt dans de nombreux articles académiques et de journaux spécialisés dans l’information économique s’adressant à un public averti. La plupart des travaux académiques, des discours politiques et des milieux économisues et financiers prônaient l’abandon des procédures d’indexation des contrats salariaux. Autrement dit, infléchir le partage de la valeur ajoutée en faveur des profits afin, disait-on, de permettre aux entreprises de reconstituer leurs marges bénéficiaires.

    Cet argument visant en réalité à plumer les salariés au profit des actionnaires s’appuyait sur le théorème de Helmut Schmitt, le chancelier allemand et ami personnel de Valégy Giscard d’Estaing. En substance ce théorème ou plutôt cette conjecture pour respecter le langage précis des mathématiciens, nous dit que les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les investissements sont les emplois d’aprés demain. Une telle proposition même si le monde était complétement déteeministe i.e. sans incertitude sentait à plein nez l’entourloupe et donc la manipulation stratégique. En effet en tant que salarié vivant exciusivement de mon revenu salarial (pas de patrimoine diversifié à l’instar des nantis des beaux quartiers de la capitale française), je n’ai aucune garantie que mon arbitrage intertemporel débouche sur le résultat que prédit la conjecture de Schmitt. En clair, l’austérité salariale pourrait ne pas déboucher sur davanntage d’emplois et des hausses de salaire dans le futur, en particulier si l’on prend en compte la logique qui gouverne les esprits animaux. De ce point de vue, Raymond Barre a fait des promesses au monde du travail en lui vendant des mesures de l’offre dans un contexte marqué par un changement de paradigme: la vision court-termiste du monde de la finance commençait à dominer la vision longue des investisseurs du monde industriel. Mais il est vrai que les promesses n’engagent que ceux qui les croient avec le risque de se trouver Gros Jean comme devant.

    Il est indéniable qu’à partir de ce tournant de l’austérité salariale la France a sombré dans le chômage de masse et les déficits chroniques, sans parler des attaques spéculatives récurrentes et humiliantes au franc français dans le cadre du SME (serpent monetaire europeen). La France a perdu l’autonomie de sa politique monétaire dans le cadre du SME comme d’ailleurs l’Italie. Le seul moyen de partager le pouvoir monétaire avec l’Allemagne et de mettre un terme à la tyrannie des marchés des changes est la création d’une monnaie unique gérée par une banque centrale commune dont les experts prennent des décisions qui ont des consequences pas toujours favorables sur le bien-être des citoyens alors qu’ils n’ont aucune légitimité démocratique. Naturellement cette observation vaut aussi pour les dirigeants de la BNS.

    1. Je vous en prie cher NOEL, avec plaisir. D’ailleurs, en son temps, je vous avais adressé deux graphiques illustrant le point zéro de cette dichotomie entre Travail et Capital à l’heure du monétarisme.

      En postant l’analyse pour MANGO, j’ai hésité à lui adresser cette dernière étant donné que l’orthodoxie budgétaire (austérité) en période récessive reste aussi un des mantras des monétaristes. On (les hétérodoxes) a vu les dégâts de ce phénomène dans l’histoire; on les a vu post-2008 lors de la crise des dettes souveraines (2009…), et on mesure encore mieux aujourd’hui cette inflation localisée dans les actifs financiers et immobiliers, principale conséquence des politiques monétaires non conventionnelles qui n’ont pas été soutenues par des politiques contracycliques de relance budgétaire. Et maintenant les monétaristes viennent pleurnicher sur la “rotation inflationniste” accélérée par l’aléa sanitaire, ça devient franchement fatiguant.

      Pour MANGO: voici la leçon “d’économie pour les nuls” (ou d’histoire?) comme il l’a suggéré.
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      RAYMOND
      28 octobre 2019 à 9 h 28 min
      Eh oui, cher professeur, la théologie Luthérienne demeure si profondément ancrée (mais toutefois grossièrement sélective) dans les entrailles du modèle ordolibéral de gouvernance de l’Allemagne, que celui-ci a une fâcheuse tendance – par son orthodoxie paranoïaque – à chasser les vieux démons de son histoire. Pourtant, elle est riche d’enseignants, surtout à l’heure des populisme. Rappelons-nous de 1930, alors que l’Allemagne se remettait doucement de la période d’hyperinflation de 1923 et 1924 (et ses traumatismes après ceux de WW1) l’onde de choc de la grande dépression traverse l’Atlantique et frappe l’Europe toute entière. Le pays est touché en profondeur. De 650 000 en 1928, le nombre de chômeurs progresse rapidement pour atteindre le seuil de 3 millions en 1930. C’est dans ce contexte de crise économique que le Président Hindenburg va désigner Heinrich Brüning à la Chancellerie. A son arrivée au pouvoir, le nouveau Chancelier se fixe plusieurs objectifs : résorber le chômage, rétablir la balance commerciale et les déficits du pays mais surtout l’obtention de la révision du plan Young, c’est à dire la suppression de la dette due au titre des réparations de guerre. Afin de rendre une telle décision possible, Brüning juge indispensable de rétablir les comptes de la nation. La stratégie suivie est d’adoucir la position de ses créanciers par un affichage de rigueur et de vertu. Dès lors pour Brüning, il n’y a pas d’alternative, c’est une politique d’austérité qui s’impose dans un contexte pourtant déjà déflationniste. Le 16 juillet 1930, Brüning soumet son projet au Reichstag : réduction de 10% du salaire des fonctionnaires, diminution des indemnités chômage, augmentation des impôts. Le projet est cependant rejeté. Brüning tente alors de passer en force, sans succès. La dissolution devient inévitable, elle aura lieu le 22 juillet. Mais les électeurs vont d’ores et déjà se montrer récalcitrants face au programme qui les attend. Si les élections de la mi-septembre voient le SPD (parti social-démocrate) progresser, c’est le parti nazi (NSDAP) qui réalise une forte percée à 18% des voix. Le parti de Heinrich Bruning, le “Zentrum”, n’obtient de son côté que 11% des suffrages. La pression sur le Chancelier est alors maximale, mais il reste déterminé. Face au nouveau blocage du Parlement et en vertu de l’article 48 de la constitution Heinrich Brüning va alors gouverner par décrets, et ce, avec le soutien du Président Hindenburg. A la fin de l’année 1930, les premières mesures sont prises, la politique d’austérité entre dans le dur. Les résultats sont catastrophiques pour le pays. La politique menée par Brüning aggrave une situation déjà calamiteuse. Le 1er juin 1931, le clou s’enfonce encore un peu plus. Un nouveau décret-loi s’attaque à la protection sociale ; baisse de 14% de l’aide aux chômeurs, les femmes ne sont plus indemnisées, tout comme les moins de 21 ans, baisse des allocations familiales, hausse des impôts de 4 à 5%. Malgré son évident caractère “récessioniste”, la politique est poursuivie avec vigueur. Lors de cette année 1931, la crise économique atteint son paroxysme en Allemagne et le PIB se contracte de 7%. Au cours de l’été 1931, la faillite bancaire démarrée en Autriche se propage à l’Allemagne. En moins de deux années, la politique d’austérité enterre l’économie du pays. Suite aux élections présidentielles de 1932, et la victoire d’Hindenburg, Brüning se voit contraint de “démissionner”. Fin 1932 Le chômage atteint un niveau de 30% de la population active, soit 5 millions de personnes dont la moitié n’est pas indemnisée. La production industrielle s’est effondrée de près de 30% en deux ans. La population est excédée. La conférence de Lausanne de juillet 1932 permettra une révision drastique des montants dus au titre des réparations de guerre, mais ne changera rien, le mal est fait. Le 30 juillet, les nazis obtiennent 37% des voix aux élections législatives. La fin de l’année 1932 et le début 1933 se résumeront à quelques misérables tactiques politiciennes, au “gouvernement des barons” de Franz Von Papen, et à la fin de la République de Weimar. Les deux années qui séparent l’arrivée d’Heinrich Brüning à la Chancellerie et la prise de pouvoir du parti nazi se résument à la convergence de plusieurs facteurs. Une crise déflationniste à laquelle Brüning va répondre par une politique d’austérité, un passage en force devant le Parlement rendu possible par les décrets lois, et une volonté d’afficher une politique “stricte” devant les créanciers internationaux afin de se mettre en capacité de demander la révision du plan Young).

      En 2019, sur le plan de la “science économique”, il demeure toujours aussi dramatique de constater que l’idéologie “mainstream” (propre aux monétaristes), qui a pris le relais de l’orthodoxie néo-libérale, “ignore” encore et encore les outils de politique monétaire contracyclique, c’est-à-dire via le levier de la relance budgétaire. A moins, et comme vous le soulignez très justement, que nous assistions à un formidable transfert des richesses piloté par le truchement des marchés financiers et immobiliers (bulles des actifs) puisque la vélocité du capital n’a d’égal au facteur travail, lequel tend à disparaître. Il va s’en dire, que la déflation salariale qui accompagne la politiques de l’offre (qui ne créé plus sa propre demande) a un effet récessionniste. Tout comme une demande agrégée atone se renforce par un sentiment de perte de confiance des ménages et dont le niveau d’épargne de précaution n’est qu’un révélateur. Tout comme l’investissement calamiteux des entreprises (même dans la Recherche & Développement) sont des signes d’échèc de politiques économiques ayant fait leur temps.
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      Ceci étant dit, pour revenir à nos moutons, le professeur Sergio Rossi nous avait concocté avec brio et courage un excellent billet intitulé “La Suisse a dix ans de retard”. À (re)lire ce billet visionnaire que je soutiens bien évidemment.

      Bien à vous cher NOEL

  8. La “Déconnomie”?

    Robert Lucas, économiste orthodoxe, nobelisé en 1995 pour ses travaux sur les anticipations rationnelles est connu comme principal représentant de l’école des nouveaux classiques et reste farouchement critique à l’égard de toute intervention de l’Etat. Influencé par les travaux de Samuelson et de Friedman. En 1974, il entre à l’Ecole de Chicago et devient l’un des principaux opposants aux théories keynésiennes. Bien qu’elles furent dominantes jusqu’en 1970, Lucas les juge trop rigides, et inefficaces à long terme.

    Robert Shiller, quant à lui, est un économiste hétérodoxe, récipiendaire du “prix Nobel d’économie” en 2013 pour ses travaux sur les prix des actifs financiers, marié à une psychologue, cet économiste reste l’un des contributeurs majeurs de la finance comportementale qui lie l’étude des marchés financiers à la sociologie et la psychologie. Il demeure particulièrement connu pour avoir décrit et prédit l’éclatement de la bulle internet des années 2000 – soit cinq ans après le sacre de Lucas – ainsi que la bulle immobilière de 2007 (crise du subprime).

    Pour illustrer l’effet moutonnier propre à nos “esprits animaux”, Shiller note qu’en 1999, seulement 1% des recommandations effectuées par les analystes financiers américains étaient “à la vente”. Quelques mois plus tard, le krach de l’an 2000 montrera qu’ils avaient tort pour les 99% restants. Parmi les biais cognitifs décrits par Shiller, le conformisme est sans nul doute l’un des plus puissants en finance. Le conformisme, c’est se conformer à l’opinion du groupe ou de la majorité. C’est tout simplement avoir un comportement moutonnier. En se basant sur ses expériences, le psychologue Solomon Asch explique que l’on se conforme d’une part pour éviter le conflit (perdu d’avance contre la majorité) et d’autre part de peur d’être jugé ou rejeté par le groupe. Plus généralement, dans la vie de tous les jours, nous avons appris que si la majorité exprimait une opinion commune, c’est bien que celle-ci devait être vraie ; si nous n’étions pas d’accord, c’est qu’après tout nous n’avions peut-être pas bien analysé la question.

    En novembre 2008, soit deux mois après le fameux 15 septembre, Robert Shiller emploiera une formule qui n’a aucunement vieillit depuis: “La confiance est un phénomène psychologique caractérisé par des sautes d’humeur aussi bien vers le haut que vers le bas. Le facteur le plus prometteur d’un retour de la confiance des acteurs économiques serait celui d’une source d’inspiration publique (…) Les “esprits animaux” que Keynes a évoqués il y a quelques générations sont encore avec nous aujourd’hui”. Par là, Keynes plaçait les mouvements de la psyché au cœur du cycle économique.

    L’année des Nobélisés en économie – 2013 – sera également celle de tous les paradoxes seulement cinq ans après la conflagration de 2008. Crise du subprime prédite par Shiller. En effet, le prix Nobel d’économie fût aussi attribué à Eugène Fama (orthodoxe). Un des pères du monétarisme et de l’idéologie néo-libérale. N’est-ce pas ce dernier qui affirmait péremptoirement “que l’hypothèse des marchés efficients est une affirmation simple qui dit que les prix des titres et des actifs reflètent toutes les informations connues”? C’est en effet suite aux travaux d’économistes comme Fama (orthodoxe), Friedman (orthodoxe/père du monétarisme et de l’École de Chicago) et Malkiel (orthodoxe) que les marchés financiers subirent dès le début des années 1980 (avec l’aide du politique) une authentique transfiguration. Et c’est bien évidemment les orthodoxes/monétaristes que l’on retrouvera donner des leçons – lors de la prochaine crise financière (post 2021/2022) – lorsqu’ils feront les critiques des politiques monétaires non conventionnelles des banques centrales (dites de type keynésien par abus de langage), tout en se gardant bien à préciser les mécanismes ayant détourné implicitement cette nouvelle manne providentielle vers la financiarisation, comme je l’ai déjà (re)précisé, ici-même, le 15 septembre 2021 à 18 h 52 min. Redondances ou une hémérothèque constituée pour des avis critiques futurs?

    Richard Thaler, économiste hétérodoxe, fût récipiendaire du “prix Nobel d’économie” en en 2017 pour l’ensemble de “ses” découvertes sur l’économie comportementale. Cette nouvelle discipline fondée par Richard Thaler renouvelle l’analyse économique (de matrice dominante) en étudiant les comportements réels des êtres humains, et non plus la fiction de l’homo œconomicus chère à la pensée dominante (orthodoxes/monétaristes) post 1970. Quarante ans de recherches ont en effet DÉFINITIVEMENT établi que les consommateurs, les entrepreneurs, les investisseurs, les chauffeurs de taxi, etc., pensent et agissent bien souvent de travers par rapport à la fiction du choix rationnel et du marché efficient. Et pourtant…

    En conclusion, ces extraits issus de la présentation du dernier ouvrage du professeur Jacques Généreux, enseignant en économie à Sciences Po et membre des Économistes atterrés, sont révélateurs de notre monde d’aujourd’hui: “En mobilisant la psychologie sociale et cognitive, il révèle la “banalité de la bêtise” et de sa forme entêtée, la connerie (…) La connerie économique, c’est aussi la maladie d’une société dont toutes les sphères sont contaminées par le virus de la compétition (la politique, l’usine, le bureau, l’école, la recherche, les médias). Un virus qui stimule la bêtise et pervertit la démocratie en piège à cons”. Un antidote existe: l’intelligence collective.

  9. Le texte du professeur Rossi nous invite à juste titre à relativiser les travaux qui sont supposés révolutionner l’économie grâce à des méthodes empruntées à d’autres sciences comme la physique ou la biologie (par exemple les essais cliniques pour tester un médicament ou un vaccin). Mais en vérité, certains travaux dépouillés de l’habillage méthodologique leur conférant souvent un statut scientifique, donnent l’impression au boétien qu’ils enfoncent des portes ouvertes. C’est le cas notamment de ceux du colauréat David Card dont les contributions empiriques portent sur le marché du travail. Ainsi on y apprend que l’immigration n’a d’impact ni sur le chômage ni sur les salaires et que le salaire minimum ne décourage pas non plus l’emploi des personnes peu qualifiées et peu expérimentées, contrairement aux prédictions de la théorie microéconomique, laquelle néglige, à mes yeux, le fait que le salaire minimum est avant tout un revenu, et donc il constitue un soutien à la consommation des ménages, ce qui est aussi le point de vue du professeur Rossi.

    Aujourd’hui la reprise économique est observable un peu partout dans le monde avec ses tensions et ses goulots d’étranglement, certes temporaires (par exemple, pénurie de main-d’œuvre, de matières premières ou de produits semi-finis) sur fond de spectre inflationniste. Il est curieux de constater que tout le monde semble être d’accord, y compris les libéraux, pour qu’on fasse des efforts en matière de salaires afin de soutenir la croissance économique via le pouvoir d’achat des ménages. Ce simple constat est la preuve que le monde fonctionne selon une logique keynésienne. En effet, l’ombre de la demande globale est omniprésente dans les travaux empiriques consacrés à l’analyse du marché du travail (choc migratoire ou salaire minimum) et couronnés par l’Académie royale de Suède. D’où l’importance d’une vision du monde qui semble cruellement absente dans l’économie expérimentale, laquelle me semble en effet valoriser l’empirisme outre mesure au détriment du recours à un cadre conceptuel ou à une théorie. Ce modèle conceptuel n’est pas forcément le modèle néo-classique, compte tenu de la pluralité des représentations conceptuelles du monde même si, il est vrai, les outils analytiques et méthodologiques sont les mêmes.

    Par ailleurs, les pays où il existe un salaire minimum depuis des lustres montrent que le salaire minimum n’a pas conduit à une explosion du chômage des travailleurs non qualifiés. Bien au contraire celui-ci constitue de facto un outil de politique économique, notamment en période de crise, que les pouvoirs publics peuvent actionner dans l’espoir d’influencer les salaires qui sont dans le voisinage du salaire-plancher, et espérer ainsi provoquer une réaction en chaîne des hausses de salaires; vu que les pouvoirs publics ne contrôlent pas les rémunérations salariales dans une économie libérale. En tout cas, une chose est sûre, on n’a pas besoin des travaux de l’économie expérimentale comme ceux de David Card, par exemple, pour redécouvrir que le salaire minimum n’est pas nuisible à l’emploi. Ainsi, en France, le salaire minimum existe depuis les années 1950 (par exemple le SMIG avant de devenir le SMIC) et les travaux scientifiques dont on dispose ne démontrent pas que la causalité fonctionne dans le sens indiqué par la théorie néo-classique. C’est pourquoi je suis entièrement d’accord avec le professeur Rossi quand il nous dit en substance que l’Académie royale des sciences de Suède vient de récompenser un économiste qui a réinventé le fil à couper le beurre!

    En ce qui concerne la méthodologie de l’économie, depuis la fin du dix-neuvième siècle, l’économie politique, considérée comme une science positive, a affiché sa prétention de mathématiser la représentation du monde en mimant la démarche inductive de la physique dans le but de comprendre et d’agir sur le réel des agents en chair et en os. Or, force est de reconnaître que cette représentation du monde réel est quelque peu caricaturale, malgré l’élégance de ses habits mathématiques. En effet les acteurs économiques sont réduits à des atomes mus par un calcul rationnel et égoïste ne tenant compte ni de l’éthique ni des normes sociales, culturelles ou institutionnelles. Pourtant celles-ci constituent le substrat du système économique à l’intérieur duquel les agents sont censés interagir, avec souvent des externalités positives ou négatives inhérentes à leurs décisions. La méthodologie dominante de l’économie standard (théorie néo-classique) peut être schématisée ainsi: formulation des hypothèses, construction d’un modèle pour mettre en évidence les relations entre les variables pertinentes et leur causalité, confrontation à l’observation ou données, généralisation des résultats, prédiction et recettes pour l’action des décideurs publics.

    Il n’est pas excessif d’affirmer que c’est ce type de démarche que le Comité Nobel privilégie de récompenser, comme en témoigne le nombre impressionnant des lauréats dont les travaux s’inscrivent dans le cadre du modèle standard de l’économie (la théorie néo-classique), certes avec des innovations méthodologiques. Par exemple, Robert Lucas a utilisé la technique du signal pour redécouvrir les intuitions de l’Ecole autrichienne: faire le départ entre la hausse générale des prix et le changement des prix relatifs suite à une expansion monétaire initiée par la banque centrale. De même Arrow et Debreu, deux prêtres de l’équilibre général walrasien s’il en est, ont allongé la liste des marchés en introduisant le lieu, le temps et les états du monde (marchés contingents) associés à la disponibilité des biens.

    Selon ces critères, si le Prix Nobel pour l’économie avait existé au début du vingtième siècle, Keynes n’y aurait probablement pas été éligible, lui qui était si rétif à l’économétrie. Celle-ci n’était en fait pas la tasse de thé de l’Anglais, car il a mis en doute, dans un article publié en septembre 1939 dans «The Economic Journal» sous le titre «Official papers: The statistical testing of business cycle theories», l’utilité des travaux auxquels se livrait Jan Tinbergen pour modéliser quantitativement l’évolution d’économies concrètes comme celles de l’Angleterre ou des Etats-Unis.

    Par ailleurs, il importe de noter que l’Académie royale des sciences de Suède vient de consacrer pour la troisième fois l’économie expérimentale dont le principal mérite est sans doute d’humaniser le héros de la théorie économique dominante, à savoir l’homo oeconomicus dont le comportement est supposé rationnel en toutes circonstances et dont les capacités de calcul et de traitement de l’information sont supposées sans limites. En réalité les décisions prises par les agents économiques sont influencées par une série de facteurs cognitifs et psychologiques (erreurs de jugement, émotions, mimétisme…). Sans parler de l’incertitude et du coût de la collecte et du traitement de l’information pour prendre une décision éclairée. D’autre part, une des qualités de l’économie expérimentale qui mérite une mention particulière réside dans le fait qu’elle réhabilite le statut de science sociale de la discipline économique, et partant elle remet en cause l’ambition et la prétention de celle-là de se hisser au rang des sciences de la nature. Alors qu’il est de notoriété publique que les êtres humains qui constituent son champ d’observation ne sont ni des atomes ni des rats de laboratoire, dans la mesure où leur interaction peut modifier les causalités et les régularités que les chercheurs veulent mettre en évidence en vue de formuler des prédictions dans une diversité de contextes temporels, spatiaux et stochastiques. Je me permets de reproduire ici un extrait d’un texte que j’ai lu sur le site de l’Encyclopédie Universalis:

    “La science économique est loin d’être une science exacte, tant les divisions des économistes sont notoires et tant leurs prévisions font l’objet de contestations et de révisions. Par ailleurs, si la science économique évolue, on ne peut guère la créditer de découvertes majeures au cours de ces dernières années. On pourrait d’ailleurs se demander s’il y en a jamais eu; l’attribution chaque année, depuis 1969, par l’Académie royale des sciences de Suède, d’un prix de sciences économiques (dit communément «prix Nobel d’économie» bien que cela n’en soit pas un) ne suffit pas à en persuader.
    Les relations économiques n’en constituent pas moins une part importante des activités humaines, et un esprit scientifique ne peut que chercher à les comprendre. Des générations d’économistes, dont les plus connus ont eu souvent une solide formation scientifique, s’y sont essayés; on ne peut donc ignorer leurs réflexions, ni l’influence éventuelle que celles-ci ont pu avoir sur l’évolution des sociétés. Faire le point sur les connaissances en économie, et sur les théories des économistes, relève, en soi, d’une démarche scientifique – même si, au bout du compte, les résultats sont maigres ou sujets à caution. Savoir que l’on ne sait pas, ou que l’on sait peu, fait aussi partie de la connaissance scientifique”.

    En résumé, l’économie expérimentale nous invite à nous appuyer sur l’expérience et les données de l’observation pour construire de nouvelles théories et non d’user et d’abuser de l’expérience en vue de confirmer des modèles préexistants. Cette nouvelle approche, bien qu’innovante et prometteuse, soulève une série d’interrogations d’ordre méthodologique. Peut-on se contenter d’interpréter les données sans recourir à un cadre conceptuel? Autrement dit, peut-on se passer d’une représentation du monde? Quelle validité prédictive accorder à une analyse purement empirique qui concerne des données spécifiques et qui n’est pas transposable à une diversité de situations dans l’espace et dans le temps? Par exemple si on veut tester l’efficacité d’une politique publique anti- pauvreté sur un échantillon avec la méthode de l’inférence statistique retenue, par exemple, par l’économiste Esther Duflo, peut-on généraliser le résultat obtenu sur cet échantillon à l’ensemble de la population et à une diversité de pays en voie de développement? Admettons que le programme d’aide améliore de manière infinitésimale le sort des pauvres: on peut dire que la méthode utilisée par l’économiste franco-américaine est efficace. Mais elle ne saurait constituer une stratégie de développement pour aider les populations bénéficiaires de l’assistance occidentale à rompre définitivement avec le drame de la pauvreté. On aimerait avoir une réflexion approfondie sur les stratégies musclées utilisées par certains pays asiatiques et sur le rôle des institutions comme par exemple une bonne gouvernance et la lutte contre la corruption, la mise en place d’un système d’éducation de qualité et des banques dédiées au financement des infrastructures et des projets industriels.

    En fait l’économie expérimentale a pour ambition de surmonter les difficultés d’expérimentation inhérentes à l’économie en tant que science sociale en cherchant à dégager des régularités à partir des données individuelles ou collectives sans recourir à un modèle théorique préalable comme c’est le cas en physique. Par exemple, le boson de Higgs a été prédit par un modèle théorique de la physique quantique dans les années 1960 et son existence a été confirmée par les données de l’observation en 2012 par les physiciens du CERN. David Card a voulu montrer la neutralité de la variation du salaire minimum sur l’emploi en recourant à une expérience naturelle et donc sans faire appel à un modèle théorique. Ce faisant il a confirmé les prédications du modèle de monopsone mis au point par l’économiste Georges Stigler dans les années 1940: l’instauration d’un salaire minimum oblige la firme en situation de monopsone à payer un salaire plus élevé à ses employés sans nuire à l’emploi. Autrement dit, le salaire minimum améliore la capacité de négociation des salariés face à un monopsone. Certes, c’est un cas rare, vu que la plupart des marchés sont concurrentiels. C’est pourquoi on est enclin à penser que la trouvaille empirique de David Card est la preuve qu’il est difficile de raisonner et de faire progresser la connaissance scientifique sans faire appel à un schéma théorique préalable, en l’occurrence une représentation du monde. «On fait la science avec des faits, comme on fait une maison avec des pierres: mais une accumulation de faits n’est pas plus une science qu’un tas de pierres n’est une maison» (Henri Poincaré).

    1. Merci pour ce partage, NOEL, vous avez bien fait de choisir un angle différent en rappelant que la “représentation du monde” n’est point la vision du monde au sens philosophique. D’ailleurs, le mot “philosophie” a même fini par prendre un sens si vague qu’il n’a plus grand-chose à voir avec ses significations d’origine. Il ne désigne plus “un savoir réfléchi”, autrement dit une “science” au sens le plus général du mot (Aristote), encore moins “l’examen rationnel de notions obtenues par abstraction” (Bacon) ou “l’étude de la sagesse” (Descartes), voire l’ambitieuse “connaissance la plus complètement unifiée” (Spencer) ou “la recherche des principes de la certitude” (Cournot). Loin de ces références historiques pourtant fondatrices, le terme “philosophie” renvoie désormais à n’importe quel modèle global de “représentation du monde”.

      Visionnaire, Adam Smith avait saisi un élément clé lorsqu’il soulignait qu'”une fois le problème économique réglé, on pourra s’atteler à l’essentiel de la République philosophique”, qui est la rencontre des questions premières qui se posent à l’humain, à savoir “la question du vivre ensemble”, “la question de l’amour” et “la question du rapport au sens”. Keynes parlait de son côté “de l’au-delà de l’économie” et allait jusqu’à inciter ses collègues à l’humilité en disant: “Si les économistes pouvaient parvenir à ce qu’on les considère comme des gens humbles, compétents, sur le même pied que les dentistes, ce serait merveilleux!”

      Bien à vous

    1. L’harmonisation fiscale est à la fois un serpent de mer et l’arlésienne au sein de l’Union européenne. C’est pourquoi il ne faudrait pas s’étonner que la Grande-Bretagne opte pour une stratégie agressive en matière de la fiscalité des sociétés. Sans connaître les tenants et les aboutissants des accords résultant des longues et laborieuses négociations du Brexit, la Grande-Bretagne a retrouvé sa liberté des décisions pour défendre ses propres intérêts; quand bien même ceux-ci sont contradictoires avec ceux de l’UE.

      Il convient de noter que le Brexit n’est pas à l’origine du dumping fiscal, n’en déplaise à tous les partisans d’une concurrence libre et non faussée. Ce principe est en effet un pilier fondamental sur lequel repose toute la construction de l’Union européenne. En outre, il n’est un secret pour personne que l’UE est devenue de facto un supermarché fiscal, et ce, à vrai dire, depuis la ratification du traité de Maastricht, dans la mesure où chaque Etat membre est libre de remplir son caddie avec des recettes fiscales en choisissant les taux d’imposition sur les bénéfices des entreprises nationales et étrangères en fonction de leurs intérêts égoïstes. Dans ces conditions, la stratégie du chacun pour soi et l’Union pour tous, notamment en cas de pépin ou de choc asymétrique, ne pourra pas fonctionner sans engendrer des tensions. Tout particulièrement quand certains Etats membres comme les Pays-bas, le Luxembourg, l’Irlande, Malte ou certains Etats baltes se livrent ouvertement au siphonnage de la base fiscale des autres grands Etats par la taille de leur population, et par conséquent ayant besoin des revenus fiscaux conséquents pour financer les services publics, lesquels sont non seulement indispensables au bien-être de leurs citoyens, mais aussi à la croissance économique (par exemple, infrastructures, système de santé et d’éducation, recherche et innovation). La Grande-Bretagne va sans doute livrer une concurrence sans merci aux paradis fiscaux précités au sein de l’UE dans la mesure où ces Etats pratiquant le moins-disant fiscal depuis des lustres abritent un grand nombre de sociétés multinationales souvent originaires des autres Etats de l’UE.

      Paradoxalement le comportement prédateur de la Grande-Bretagne a toutes les chances d’induire un comportement vertueux de la part des passagers clandestins au sein de l’UE. En effet, il est illusoire d’aspirer à la réalisation d’une équité fiscale sans un minimum d’harmonisation des règles au sein des Vingt-Six. C’est pourquoi, il est urgent de limiter la concurrence fiscale agressive que se livrent les Etats membres, au moment où les déficits budgétaires se creusent dangereusement en raison des conséquences de la pandémie de Covid-19. La solidarité européenne n’est pas qu’une question de mutualisation des dettes ou de transferts budgétaires. Elle doit aussi s’exprimer dans un cadre fiscal cohérent, qui permette à chaque Etat membre de garantir ses recettes sans siphonner celles de ses voisins.

      Enfin, last but not least, le comportement de la Grande-Bretagne pourrait fournir des encouragements à certains cantons suisses qui se livrent déjà à une concurrence fiscale destructrice pour les recettes fiscales et les emplois, et bien souvent ils se comportent comme des “free-riders” ou plutôt comme des profiteurs, surtout quand ils comptent sur la solidarité nationale et/ou des externalités positives liées aux dépenses des autres cantons vertueux attachés à une certaine équité fiscale pour servir le bien commun.

      1. Bonjour NOEL,

        Tout d’abord, il va sans dire que je rejoins profondément votre intervention…

        Ensuite, à l’heure où le système public de santé s’effondre dans l’hexagone, que l’appel du 18 juin 2008 du Dr. André Grimaldi ne fut entendu pour sauver l’hôpital public, n’est-il pas venu le temps de revenir sur ce cas d’école?

        2013 – La France, ce paradis fiscal pour multinationales! “Menaces de nationalisation, spectre d’un taux d’imposition à 75% sur les plus fortunés, coûts salariaux élevés, code du travail rigide… Rien n’y fait! Puisque la France est le troisième pays au monde (après la Chine et les Etats-Unis) à attirer les capitaux étrangers. C’est cette capacité de l’économie française à avoir pu attirer quelque 43 milliards d’euros sur les neuf premiers mois de l’année 2012 que le New York Times qualifiait tout récemment de « paradoxe ».

        Etrangement, la réalité crue du quotidien de ses classes moyennes et pauvres n’altère pas ce diagnostic selon lequel la France constitue une mine d’or pour des entreprises qui y bénéficient de crédits d’impôts et d’allègements fiscaux parfois substantiels sur des dépenses affectées à différents postes. Contexte idéal qui motive en effet l’installation sur l’Hexagone de grands noms comme Google, ou Amazon (qui y établit un second centre de distribution). A l’exemple de ces 171 compagnies ou usines qui ont opté en 2011 pour la France, préférée de très loin à l’Allemagne et à la Grande Bretagne. Sachant que le gouvernement français actuel persévère dans cette voie avec des mesures emblématiques comme les allègements de 20 milliards d’euros de charges, ou encore le « Crédit Impôt Recherche » donnant droit à un remboursement de 45% des dépenses de l’entreprise sur le poste de la recherche et du développement.

        Car, en dépit de l’austérité mise en place par tous ses gouvernements successifs depuis le déclenchement de la crise, malgré un contexte social tendu et un écheveau de lois et de règlementations complexes – à moins que ce ne soit grâce à cette complexité? -, la France est bel et bien un paradis fiscal pour les multinationales et pour les moyennes à grosses entreprises. Elles peuvent en effet s’y établir et y prospérer quasiment sans payer d’impôts sur leurs bénéfices, en «triturant» ses lois à la limite de la légalité, souvent au-delà… Forçant la réaction, parfois brutale et souvent légitime, des autorités françaises.

        Autorités françaises qui ont perquisitionné le groupe Partouche, propriétaire de casinos, d’hôtels, de restaurants et de sociétés de paris en ligne. Qui ont déboulé dans les bureaux de Microsoft (en juin 2012) et de Google (en juin 2011), accusés d’avoir fait facturer à leurs succursales irlandaises des tâches accomplies par les branches établies sur le territoire hexagonal. Autorités françaises qui ont également «visité» les locaux de Facebook (été 2012), pour revenir en novembre de la même année perquisitionner quatre centres de Google. Et y saisir des dossiers dans une affaire où cette entreprise est accusée de ne pas déclarer nationalement des transactions de ventes d’encarts publicitaires effectuées auprès de consommateurs français. Google qui se défend naturellement en arguant que ses recettes françaises ne proviennent que de tâches subalternes, même s’il reste inconcevable et injustifiable qu’elle ne paie que 5 millions d’euros d’impôts (en 2011) sur le 1,25 milliard d’euros de profits générés en France! Idem pour eBay et pour sa société affiliée PayPal, qui furent encerclées et fouillées de manière spectaculaire en décembre dernier. Accusées de n’avoir réglé que 1,35 millions d’euros d’impôts sur les 22 millions engrangés en France…

        Certes, les multinationales excellent dans l’art de payer le moins possible d’impôts sur leurs bénéfices, comme dans celui de contourner subtilement les règlementations fiscales. Les exemples de GE et de Boeing qui, en dépit de leurs profits colossaux, ne s’acquittent aux USA de nul impôt sur les bénéfices sont bien connus. Pour autant, ces géants ont parfait leurs méthodes et affiné leur stratégie en France. Par l’usage de succursales en Irlande ou aux Pays-Bas qui reçoivent le gros des recettes pendant que la société enregistrée en France n’est rémunérée que pour couvrir ses frais. Ce qui permet de transférer par la suite les profits vers des centres offshores. Autant de tours de passe-passe qui se situent dans cette zone grise que le système judiciaire français, très lent, peine à élucider et à démêler.

        A l’heure de la rigueur qui touche le citoyen français et alors que cette année 2013 risque fort d’être celle de la contraction économique pour la France, espérons que notre «hospitalité industrielle» ne nous transforme pas en «idiots du village global».

        Source: M.S., ex-conseiller de banques centrales de pays émergents, membre du World Economic Forum, de l’IFRI et membre fondateur de l’ONG Finance Watch.

  10. Bonjour Raymond,

    Un grand merci pour cette contribution documentée et argumentée, qui nous apprend que la France est en fait un paradis fiscal qui s’ignore. En effet, les gouvernements successifs de gauche comme de droite ont toujours courtisé les investisseurs étrangers à coups de subventions et de crédits d’impôts. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour analyser le recours à ces mesures de politique économique comme du dumping fiscal, dans la mesure où elles aboutissent à l’amélioration de la rentabilité des entreprises bénéficiaires, et donc à faire le délice et la fortune de leurs actionnaires. Il est exact qu’en France nous avons la fâcheuse tendance à faire régulièrement des griefs à nos voisins en matière de fiscalité des entreprises. Cette ruse qui consiste à voir plus facilement la paille dans l’œil du voisin que la poutre dans son propre œil, est aussi repréhensible que l’agressivité de la fiscalité des entreprises utilisée par certains pays de l’UE ou la Suisse, à qui nous collons facilement l’étiquette de paradis fiscal sur fond de moralise.

    Bien évidemment la France dispose de grands atouts à l’instar des autres pays européens. Ceux-ci exercent indubitablement une attractivité sur les investisseurs étrangers, lesquels, faudrait-il le rappeler, ne sont pas des philanthropes, loin s’en faut. Leur but non avoué n’est pas d’apporter des emplois et des salaires à des Français que la mondialisation a dépouillés de leurs fleurons industriels, en laissant de nombreux salariés sur le carreau, notamment dans les régions qui ont basé leur développement sur la mono-industrie.

    C’est pourquoi il n’est pas déraisonnable d’affirmer que les investisseurs étrangers qui nous sont présentés comme les bienfaiteurs de l’humanité, sont motivés avant tout par le rendement du capital sous la pression des actionnaires. Ceux-ci exigent souvent un rendement de l’ordre de 15%. Cette exigence de profitabilité est purement et simplement incompatible avec l’environnement actuel des faibles taux d’intérêt, en raison notamment des politiques monétaires ultra-accommodantes et non-conventionnelles des banques centrales.

    Comment tout un chacun il m’arrive de lire les articles économiques dans les journaux. Ce qui me frappe c’est la liste impressionnante de nos atouts qui sont mis en exergue pour expliquer l’attractivité de l’Hexagone: la qualité de notre main-d’œuvre, la productivité de notre personnel, la qualité de notre système de santé et de nos services de transport, l’attractivité de l’immobilier résidentiel et des bureaux notamment dans les villes de province. Cet inventaire de nos avantages n’est bien évidemment pas exhaustif. C’est dommage que l’on y ait oublié de mentionner les fromages et les vins et plus généralement l’art de vivre à la française. En outre, les bonnes nouvelles affluent ces derniers jours, sans doute en raison du calendrier électoral. Ainsi on apprend que la pauvreté n’a pas augmenté malgré la pandémie, que les Français sont le peuple le plus heureux de l’Europe, voire de la planète.

    En revanche, les études consacrées à l’attractivité de la France désignent la réduction du temps de travail mise en place sous le gouvernement de gauche de Lionel Jospin comme un sérieux handicap; mais dans le même temps elles relativisent cet inconvénient par le fait qu’il existe des dispositifs dérogatoires pour les investisseurs étrangers dont le rêve est de faire suer les hommes et les machines afin d’atteindre leurs objectifs en matière de rentabilité fixés par les propriétaires du capital.

    Cependant, il convient de noter qu’il existe de nombreuses ombres à ce tableau idyllique de notre attractivité: pourquoi le personnel de santé usé par les conditions de travail et mal payé est en train de quitter l’hôpital public? Pourquoi rencontre-t-on beaucoup de médecins étrangers dans les hôpitaux avec des rémunérations inférieures à celles des médecins français? Pourquoi le désert médical est en progression constante dans nos campagnes et nos villes? Pourquoi la France se livre-t-elle à un véritable pillage des cerveaux de ses anciennes colonies au risque d’accentuer la pression migratoire sur la société en privant les pays d’origine de la possibilité de développement? Pourquoi les jeunes français quittent-ils l’Hexagone pour avoir un avenir professionnel meilleur ailleurs ou tout simplement pour exercer correctement le métier pour lequel ils ont été formés? Sur ce point, je peux apporter un témoignage personnel: mon fils est professeur de mathématiques. Il est titulaire dans l’Education nationale; il se plaint constamment des conditions de travail et de la baisse des niveaux des élèves en raison des effectifs pléthoriques par classe et de l’hétérogénéité sociale et ethnique du public. C’est pourquoi il envisage de démissionner et de tenter sa chance ailleurs en tant que professeur de mathématiques.

    Toute personne normalement constituée admet que la France dispose de réels atouts et que les réformes sont nécessaires pourvu qu’elles améliorent le sort de tout le monde, dès lors que les gagnants compensent les perdants. Mais dans le cas français, au risque de me tromper, j’ai le sentiment que les réformes sont utilisées pour démanteler l’Etat social dont l’existence a pourtant permis à la société de faire montre de sa résilience face aux crises financière et sanitaire que nous avons connues depuis 2008. Ainsi le pouvoir actuel nous explique en long, en large et en travers que la France occupe une position de leader. Bercy communique donc fortement sur le sujet et explique ce résultat par «la solidité des fondamentaux de l’économie française, renforcés par les réformes volontaristes menées depuis quatre ans par le gouvernement». En l’occurrence, la réduction de l’impôt sur les sociétés, la réforme du marché du travail, la pérennisation du crédit impôt recherche, ou encore la réforme de la fiscalité des personnes grâce à la création du prélèvement forfaitaire unique ou de l’impôt sur la fortune immobilière.

    Le président Macron est sans conteste un défenseur de la théorie du ruissellement, surtout quand il fait l’éloge des premiers de cordée, même s’il est vrai, il a changé, au gré des circonstances, son fusil d’épaule, du moins au niveau de sa communication, en découvrant que les premiers de corvée à la faveur de la crise épidémique. En attendant d’avoir des études plus fouillées que celle de l’INSEE sur l’évolution de la pauvreté, les inégalités en France ne sembleraient pas avoir régressé. Car en matière de pouvoir d’achat, les mesures économiques mises en place par le gouvernement ont davantage profité aux ultrariches tout en donnant l’illusion aux plus pauvres et au gros de la classe moyenne que les miettes du système redistributif sont de véritables gains de pouvoir d’achat.

    1. Bonjour NOEL,

      Vous avez parfaitement résumé l’état du patient. Tout en sachant que la Suisse se borne également à vouloir emprunter la même ligne de crête.

      Ceci dit, puisque j’ai ici-même évoqué à plusieurs reprises l’antithèse de la théorie du ruissellement (cette dernière étant un leurre), il n’est dès lors pas inintéressant de regarder le “chart” – en page 7 – de la dernière étude “Janus Henderson Global Dividend Index” pour réaliser “la main bien visible et providentielle” des politiques monétaires non conventionnelles des BC, tandis que l’autre main des politiques budgétaires fut menottée par les dogmes. À qui profite le crime?

      Pour accéder au Rapport Dividendes, cliquez ICI.

  11. Désolé, le link étant brisé, voici donc une source qui reprend les chart’s de l’ étude “Janus Henderson Global Dividend Index” portant sur la distribution mondiale des dividendes (avec échelle dans le temps)

    https://www.investir.ch/article/augmentation-globale-des-dividendes-au-3e-trimestre-2021/

    Le “RBI” dérange alors même que la politique des rachats d’actions – dopée par les politiques monétaires – favorise le transfert des richesses du bas de la pyramide (ai-je dis de Ponzi?) vers le haut et via le truchement des dividendes. Sans compter que ce genre d’opération financière exerce une manipulation “légale” du cours des titres. Bien évidemment, le “Revenu de Base Inconditionnel” choque mais paradoxalement – dans cette guerre des classes entamée de longue date – la politique du “dividende universel” ne chagrine point les masses populaires.

    1. Rappelez-vous de cette analyse écrite en 2013 – mon “collègue” travaillant dans la lumière pour l’Intérêt général et moi-même dans l’ombre. “Le contexte général d’incertitude explique certes partiellement la frilosité des entreprises à investir et à embaucher. La crise européenne, la falaise fiscale aux Etats-Unis de même que les négociations en cours sur le plafond de leur dette, le ralentissement du moteur chinois, sont bien-sûr autant de facteurs qui entrent en ligne de compte dans les décisions – ou dans l’absence de décision – des directions générales. Après tout, les perspectives économiques en Europe – y compris en Allemagne – n’inspirent que du pessimisme. Les Etats-Unis ayant, pour leur part, évité de justesse en fin d’année 2012 une catastrophe annoncée avec la résolution in extremis de leur contentieux budgétaire. Néanmoins, les taux d’intérêts actuels, proches du zéro absolu dans la majorité des pays aux économies dites « intégrées », devraient – en tout cas théoriquement – favoriser l’investissement de la part des patrons d’entreprises.

      La réponse se trouve en fait dans la question. Car c’est précisément ce niveau des taux d’intérêts à leur plus bas historique qui, contre toute attente, freine de manière décisive tout investissement sur le moyen et sur le long terme de la part des entreprises. En tentant de sauver le système à travers le levier des injections de liquidités et des baisses de taux quantitatives, les banques centrales ont en réalité contribué bien involontairement à enfler une nouvelle bulle spéculative. De fait, ces taux d’intérêts réels infimes, voire négatifs dans certains pays, censés favoriser l’investissement et dynamiser les économies ont créé un monstre ! Tandis que le marché des actions offrait traditionnellement rentabilité et croissance sur le long terme aux investisseurs, et que le marché obligataire permettait, lui, de dégager du revenu. Les baisses de taux quantitatives ont en effet bousculé cette donne car les liquidités globales se sont dès lors progressivement agglutinées vers les marchés boursiers internationaux qui disposaient d’un atout de taille en ces temps de taux déprimés : les dividendes.

      Comme les investisseurs en mal de rentabilité se sont rendus compte que la distribution de dividendes sur les portefeuilles actions répondait très honorablement à leur quête de rendement. Ils ont donc détourné le marché boursier de sa vocation originelle de financement des entreprises pour en faire une machine à produire du rendement par dividendes interposés. Phénomène sans précédent depuis 50 ans, le marché des actions est ainsi devenu un marché obligataire alternatif. Cette mue des bourses mondiales en tiroir caisse pour investisseurs, friands de revenus réguliers et substantiels, est à l’évidence lourde de conséquences pour le monde de l’entreprise, pour les travailleurs, et bien-sûr pour les banques centrales comme pour les dirigeants politico-économiques. Alors que la vocation première des bourses était de mettre les pourvoyeurs de capitaux en relation avec les sociétés ayant besoin de leurs liquidités. Alors que les investisseurs sont supposés percevoir une participation au développement de l’entreprise en contrepartie du risque assumé en mettant leurs capitaux à sa disposition.

      Le contexte des taux très bas stérilise de facto toute la palette des investissements. Et la dépendance accrue des entreprises à ces détenteurs de liquidités – préoccupés par obtenir du rendement sur le court terme – opère une redistribution en profondeur des ressources. Tout en contraignant les sociétés à modifier leur stratégie voire leur façon de diriger et de gérer leur outil de travail. De même pour les banques centrales qui constatent que leur politique, souvent agressive, de taux d’intérêts proches du zéro – loin de forcer la main des entreprises pour placer sur le long terme – conduit celles-ci à opter au contraire pour des instruments privilégiant la liquidité à court, voire à très court terme. Comme la distribution de dividendes ou le rachat d’une partie de leurs propres actions. A l’instar de Ford qui a tout récemment décidé de doubler (de 5 à 10 cents) son dividende : opération qui lui coûtera 762.5 millions de dollars mais qui a par ailleurs autorisé la flambée de son titre de 35% ces trois derniers mois !

      Comme toujours, le monde de l’argent a donc trouvé la parade pour surmonter – ou contourner – l’écueil des taux nuls et des injections de liquidités en parvenant à trouver une nouvelle « vache à lait ». Son appât du gain a en effet gonflé une nouvelle bulle et a, accessoirement, faussé et dévoyé toute la théorie économique qui veut que des taux d’intérêts à de tels niveaux et qu’une création monétaire dynamique doivent logiquement profiter aux acteurs économiques. Au lieu de cela, les mécanismes de transmission monétaire ont été déroutés pour transformer les marchés boursiers en bandits manchots crachant systématiquement de la monnaie. En outre, la notion de gestion du risque – censée privilégier les marchés obligataires sécuritaires aux bourses nettement plus spéculatives – s’est estompée. Inversement, l’escalade de la prime de risque – c’est-à-dire la rémunération offerte au détenteur d’action en contrepartie du risque assumé – atteint de tels niveaux que les détenteurs de cash (les fonds de pension, les gros investisseurs, les fonds souverains, etc…) ne jurent plus que par des marchés boursiers ayant comme avantage considérable de payer des dividendes, alors que la conjoncture économique est pour le moins déprimée.

      Le contexte des taux d’intérêts proches du zéro absolu n’a ainsi fait qu’exacerber cette quête effrénée aux profits de l’investissement globalisé avec, une fois de plus, des conséquences calamiteuses pour l’économie réelle. Les entrepreneurs préfèrent en effet consacrer leurs cash-flows à distribuer des dividendes en lieu et place d’opérer à des placements sur le moyen et sur le long terme dans l’intérêt de leur société et de ses salariés. Les banques centrales savaient-elles que leur politique monétaire hyper laxiste ne ferait qu’accentuer cette guerre que se livrent travail et capital ? En 2011, les entreprises américaines ont en effet dépensé 650 milliards de dollars en distribution de dividendes et rachats d’actions par rapport à un montant de 580 milliards destinés à l’investissement et au développement. Sachant que la tendance pour 2012, meilleure année boursière depuis 10 ans, devrait se révéler encore plus dommageable aux postes bénéficiant traditionnellement à l’outil de travail. Pire encore puisque les émissions obligataires des sociétés ayant prévu de réutiliser ces fonds pour investir dans l’outil de production furent lourdement boudées, au profit de celles qui avaient annoncé dès le départ leur intention de recycler ces sommes en dividendes et en rachats de leur propre titre !

      L’influence prépondérante de l’actionnariat sur les stratégies des sociétés cotées dénature donc le métier d’entrepreneur. Pour avoir cédé aux sirènes – parfois aux avertissements – des détenteurs de liquidités ayant pris leur titre en otage, le chef d’entreprise et son directeur financier sont progressivement devenus des pourvoyeurs de revenus réguliers, au détriment de l’investissement et bien-sûr de l’emploi. Le marché des capitaux lui-même n’est plus qu’un gigantesque « hedge fund » qui exploite opportunément les bourses et qui s’en détournera dès que la bulle sera sur le point d’imploser. Que les responsables politiques, économiques et monétaires daignent enfin s’intéresser de près au théâtre boursier et à ses coulisses, si leur souci est bien de rétablir la croissance économique et de résorber le chômage. Car les grands patrons d’entreprises dont le titre est coté ont désormais achevé leur mue en grands argentiers, et jouent à fond le jeu de la financiarisation. C’est pourquoi il n’est plus possible de miser aujourd’hui sur eux, ni sur leurs entreprises, et encore moins sur le marché boursier pour relancer nos économies. Devenue distributrice de capitaux, l’entreprise participe aujourd’hui pleinement de la mort, lente mais inéluctable, du culte des bourses”

  12. Bonjour Raymond,

    Merci pour cette analyse que je partage pleinement. Effectivement l’actionnaire-rentier est en passe d’évincer totalement l’entrepreneur schumpétérien dans nos économies. Avec le recul, le profane que je suis a l’impression que les grandes banques centrales oeuvrent pour le bien-être des spéculateurs de tout poil. En effet, les politiques monétaires non-conventionnelles qu’elles mènent depuis l’éclatement de la crise financière de 2008 ont inondé les principales économies de l’OCDE avec des liquidités astronomiques, et celles-ci ne semblent pas avoir profité pleinement à la croissance économique et à l’emploi. En revanche, elles ont alimenté les bulles spéculatives sur les marchés des actifs financiers, de l’immobilier et des matières premières, en accentuant les inégalités entre les salariés (ceux vivant de leur travail) et les détenteurs de patrimoine financier et immobilier, en l’occurrence les rentiers.

    Par ailleurs, contrairement aux prédictions de la théorie quantitative de la monnaie, les politiques monétaires ultra-accommodantes n’ont pas eu un impact significatif sur l’indice des prix à la consommation. La preuve en est que les grandes banques centrales peinaient à atteindre la cible de 2% d’inflation par an afin d’écarter le spectre de la déflation. C’est ainsi que l’inflation est devenue l’Arlésienne. Pour espérer la rencontrer, il faut faire un détour par les marchés financiers et immobiliers. Aujourd’hui on craint sa résurgence avec la reprise de l’économie mondiale et ses tensions sur de multiples marchés. Mais cette crainte ne semble reposer sur aucun fondement sérieux, tant que le pouvoir des négociations des salariés reste faible.

    En outre les facteurs inflationnistes liés à la reprise économique généralisée avec ses pénuries sont considérés par de nombreux experts comme des phénomènes transitoires, dans la mesure où ils devraient progressivement s’estomper au cours des prochains trimestres. C’est précisément ce que les grandes banques centrales ont expliqué jusqu’à présent pour justifier le maintien de leurs politiques monétaires, toujours très expansionnistes. La Réserve fédérale américaine, par exemple, a clairement indiqué aux marchés qu’elle était prête à accepter une inflation transitoirement supérieure à son objectif de moyen terme.

    En tout état de cause, pour envisager une hausse plus durable et inquiétante des rythmes d’inflation mondiaux, il faudrait que cette hausse des prix entraîne une accélération des salaires, celle-ci provoquant in-fine une nouvelle accélération des coûts des entreprises. Or, ce scénario est peu probable, car les mécanismes qui contribuent à l’entretien de la spirale prix-salaires sont totalement absents dans les économies contemporaines: les procédures d’indexation des salaires sur l’indice des prix à la consommation ont été abandonnés depuis des lustres.

    Pourtant une inflation modérée est un mal nécessaire, surtout quand elle opère un transfert de richesse des créanciers vers les débiteurs (Etats, particuliers et entreprises endettés); sachant que ceux-ci ont une forte propension à dépenser, en tout cas supérieure à la propension à dépenser de ceux-là. A cet égard, rappelons que Keynes préconisait l’inflation pour euthanasier les rentiers.

    Partant de ces constatations on est enclin à formuler des propositions afin de soutenir la reprise économique qui reste fragile, en dépit de nombreux indicateurs encourageants. Au risque de passer pour un dangereux bolchévique, ne serait-il pas souhaitable de mettre en place temporairement un plafond à la distribution des dividendes aux actionnaires pour qu’une partie de ceux-ci soit orientée vers l’investissement et l’innovation? Dans la même veine, ne faudrait-il pas instaurer une taxe de type Tobin sur la spéculation financière?

    1. Bonjour NOEL,
      Vous êtes loin d’être un profane et je rejoins votre développement. Mais pourquoi mettre un plafond temporaire à la distribution des dividendes sachant que le système en lui-même est dévoyé. De mon point de vue, la répression financière constructive ne doit être temporaire mais durable en l’état de cette orgie mondiale et des relations incestueuses. Quant à taxer la spéculation financière – plus précisément le “HFT” – ça coule de source depuis longtemps, sans compter la nécessité d’une micro-taxe sur l’ensemble des flux financier. Il est désormais indéniable que le facteur Travail supporte la plus grosse part du gâteau fiscal à contrario du Capital; un facteur Travail (viable) qui de surcroît est amené à disparaître. Sans compter que les nouvelles technologies (robotique, IA, numérique) passent au travers du filet. Nous sommes bien évidemment dans un changement de paradigme, une transformation profonde du système capitaliste qui n’a plus rien de comparable à celui qui prévalait à la révolution industrielle, et ceci suppose une adaptation de nos modèles économiques emprisonnés à la sphère financière. Mais les masses populaires ont-elles seulement conscience de ses évidences? J’en doute.

      1. En général quand je raisonne j’ai peut-être le défaut incorrigible d’anticiper l’objection de ceux qui ont des idées diamétrialement opppsées aux miennes. Autrement dit, ma proposition concernant un plafond sur les dividendes a toutes les chances de se heurter à l’hostilité de la pensée dominante. C’est pourquoi j’ai collé l’épithète temporaire au substantif plafond pour signifier simplement qu’il ne s’agit pas d’une spoliation, mais d’une mesure réaliste qui peut sauver paradoxalement la mise au capitalisme. Comme vous je suis keynésien et par conséquent je crois dur comme fer qu’on peut domestiquer les excès du capitalisme via des réformes, sachant que dans une autre vie je croyais que l’alternative au capitalisme sauvage résidait dans la collectivisation des moyens de production. Mais ce qui me console c’est le fait que je n’étais pas seul dans cette croyance erronée, sachant que Marx reste à mes yeux un penseur de premier plan, du moins au plan philosophique.

        1. Nous sommes effectivement sur la même longueur d’onde, cher NOEL, pareil pour Marx. Merci pour la précision.

          Bien à vous

  13. Aujourd’hui, même l’éléphant rose parvient à traverser le salon de porcelaine en passant sous les radars. Est-ce grave docteur?

    Malgré deux décennies marquées par les crises financières/économiques et l’épidémie de Covid-19, nous n’avons jamais été aussi riches collectivement à en croire la récente étude McKinsey (le même cabinet de conseil de quelques gouvernements en matière de gestion sanitaire, ceci dit). En vingt ans, cette étude précise que la richesse amassée dans le monde a été multipliée par trois, passant de 156’000 milliards de dollars en 2000 à 514’000 milliards de dollars en 2020. Soit six fois la valeur du PIB mondial. Beh voyons! Vous avez dit cocasse?

    https://www.mckinsey.com/industries/financial-services/our-insights/the-rise-and-rise-of-the-global-balance-sheet-how-productively-are-we-using-our-wealth

    Évidemment, surtout à la lecture de mes quelques extraits postés, ici-même, le 28 mai 2019: “La nature même du PIB est désormais obsolète pour paraphraser l’économiste hétérodoxe Joseph Stiglitz, car ce thermomètre reste imparfait eu égard aux nombreux agrégats déjà pervertis par l’idéologie dominante. Durant le WEF de Davos, en janvier 2016, la fronde de Joseph Stiglitz résonnera encore en prônant que les instruments de mesure de l’activité économique doivent urgemment évoluer. Pour ce qui a trait à l’économiste hétérodoxe Paul Krugman, lui aussi titulaire du Prix de la Banque de Suède en sciences économiques (Nobel), il publiera une critique éloquente du PIB dans une tribune: “Le Viagra et la richesse nationale symbolise la problématique ambiguë d’un produit, le Viagra, qui donne du bonheur aux utilisateurs/consommateurs alors que sa présence dans les statistiques de production est quasiment absente”. Est-il encore utile de préciser que “la croissance agrégée ne dit plus rien, en réalité, des améliorations du bien-être économique d’une population dans son ensemble? Entre 1980 et 2016, les 1% les plus riches ont accumulé 28% de la croissance agrégée des revenus réels aux Etats-Unis, en Europe occidentale et au Canada, tandis que les 50% les moins riches en ont eu seulement 9%”. Autant le souligner à nouveau comme dans “le jeu” des balances commerciales, où les excédents des uns ont pour corollaire le déficit des autres, l’extrême richesse d’une minorité a pour pendant la dette publique d’une immense majorité (et avec elle, l’orthodoxie budgétaire qui détricotera le filet de sécurité du bien commun).

    Maintenant que “le monstre” s’est démocratisé post 2008/2009, nous pouvons revenir à cet autre magasin de porcelaine. Les États-Unis ont bénéficié d’un “plan de sauvetage” de 2200 milliards de dollars en mars 2020, puis 900 milliards en décembre 2020, suivie d’une “relance” de 1900 milliards de dollars en mars 2021: ainsi le déficit budgétaire américain s’est envolé à près de 18% du produit intérieur brut (PIB). Ce déficit des États-Unis est presque aussi important qu’au sortir de la Seconde guerre mondiale. Certes, si certains y trouveront là un plan de relance “keynésien” – quitte à chercher le coupable idéal – d’autres à l’instar du keynésien que je suis y verront de quoi alimenter le “monstre” en laissant une fois de plus les miettes à un océan de serfs. À contrario de la dette.

    Ceci étant dit, en août 2019, BlackRock Investment Institute – le plus important gestionnaire d’actifs au monde – n’a-t-il pas “anticipé exactement” ce que la Fed commença à faire en mars 2020 – lorsque l’OMS a officiellement déclaré le début de la pandémie au premier trimestre 2020? La Fed a ensuite effectué la création monétaire de plusieurs milliards de dollars d’argent des banques de détail pour acheter des obligations à faible rendement. Une réallocation qui permit un retournement vers des “sociétés d’acquisition à vocation spéciale” (SPAC), ou plus communément connues sous l’appellation de “société de chèque en blanc”, et des actions de haut vol.

    Voici un extrait de ce que BlackRock a “conseillé” à la Fed de faire à Jackson Hole, Wyoming, en 2019: “Des politiques sans précédent seront nécessaires pour répondre au prochain ralentissement économique. La politique monétaire est presque épuisée alors que les taux d’intérêt mondiaux plongent vers zéro ou en dessous (…). La politique budgétaire à elle seule aura du mal à fournir une stimulation majeure en temps opportun étant donné les niveaux d’endettement élevés et les retards typiques de mise en œuvre. Sans un cadre clair en place, les décideurs se retrouveront inévitablement à brouiller les frontières entre les politiques budgétaire et monétaire. Cela menace la crédibilité durement acquise des institutions politiques et pourrait ouvrir la porte à des dépenses budgétaires incontrôlées. Ce document décrit les contours d’un cadre pour atténuer ce risque afin de permettre une coordination sans précédent à travers une facilité budgétaire financée par la monnaie. Activée, financée et fermée par la banque centrale pour atteindre un objectif d’inflation explicite, la facilité serait déployée par l’autorité budgétaire (…).

    https://www.blackrock.com/corporate/insights/blackrock-investment-institute/publications/global-macro-outlook/august-2019

    [Réf: Elga Bartsch, Jean Boivin, Stanley Fischer et Philipp Hildebrand]

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