Marché du travail et demande globale

Les perspectives économiques restent sombres pour la Suisse et bien d’autres pays en Europe et dans le reste du monde. Face au franc fort, les milieux d’affaires et les autorités de la Confédération appellent sans cesse à davantage de flexibilité sur le marché du travail, comme si cela pouvait être la clé de voûte pour une relance de l’activité économique.

Or, il n’en est rien, parce que le ralentissement de cette activité, en fait, est tributaire d’une demande insuffisante sur le marché des produits en Suisse comme ailleurs. «Flexibiliser» davantage le marché du travail et dès lors accroître la précarité et l’insécurité d’une partie importante des travailleurs de la classe moyenne reviendrait à aggraver la situation et les perspectives de ceux-ci, les amenant à limiter leurs dépenses pour toute sorte d’achat. La «loi fondamentale» du circuit économique étant incontournable, cela signifie au final que les ventes des entreprises sur le marché des produits ne leur permettraient pas d’éponger la totalité des stocks de biens accumulés à l’issue de leur production. Selon la doctrine néolibérale, cela appellerait alors évidemment un autre tour de vis (entendez encore davantage de flexibilité) sur le marché du travail, dans une spirale perverse sans fin, péjorant la situation de l’ensemble des parties prenantes au fur et à mesure de l’écoulement du temps.

En réalité, la solution au problème du chômage et, de là, au problème du ralentissement de l’activité économique doit être cherchée au sein du marché des biens et services produits. En clair, il faut augmenter la demande globale sur ce marché, par une augmentation des dépenses publiques dont le besoin devient de plus en plus évident, en Suisse et ailleurs. Qu’il s’agisse de la formation, des nouvelles technologies qui sont favorables à l’environnement, des soins personnels (notamment d’une population vieillissante), ou des infrastructures de toute sorte, les collectivités publiques (Confédération, cantons et communes) doivent accroître leurs dépenses, quitte à augmenter leurs recettes par une stratégie équitable, c’est-à-dire qui déplace la charge fiscale du travail (dépendant) vers le capital (financier).

Si l’idéologie néolibérale continue en revanche à l’emporter sur un sain pragmatisme, il faudra commencer à réfléchir sérieusement à éviter les déboires du populisme montant, avant que celui-ci ébranle la cohésion sociale et nous fasse précipiter dans les affres d’une «troisième guerre mondiale» dont les germes sont de plus en plus visibles en Europe.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.