L’aléa moral des banques de l’Euroland

Au début de cette année le mécanisme de résolution unique au sein de la zone euro est entré en vigueur afin de constituer – à l’horizon 2024 – un fonds doté de 55 milliards d’euros pour éviter des faillites bancaires, renflouer les banques en grave difficulté et contribuer à restructurer les bilans bancaires en cas de crise majeure à travers l’Euroland. Il s’agit du deuxième pilier de l’Union bancaire européenne qui, avec ses deux autres piliers (le mécanisme de surveillance unique, mis en œuvre le 4 novembre 2014 par la Banque centrale européenne, avec la garantie européenne des dépôts bancaires, que les États membres de l’Union européenne doivent encore finaliser), est censée éviter la prochaine crise d’ordre systémique dans la zone euro.

Au-delà des illusions du premier pilier et de l’insuffisance du troisième pilier qui se dessine à l’horizon 2024, il faut être naïf (ou un politicien) pour croire que le deuxième pilier de l’Union bancaire européenne va éviter (seul ou avec ses deux confrères) une crise bancaire systémique dans l’Euroland.

Mis à part l’ampleur, visiblement insuffisante, du fonds de résolution (à 55 milliards d’euros en 2024), qui ne peut nullement suffire à protéger ne serait-ce qu’un pays membre de l’Euroland d’une crise touchant son système bancaire de manière transversale, le deuxième pilier souffre à bien regarder d’un défaut structurel dirimant pour la stabilité financière: étant donné que ce sont les banques elles-mêmes qui doivent (à juste titre) contribuer financièrement pour constituer le fonds de résolution à 55 milliards d’euros, les «top managers» de chacune d’entre-elles vont prétendre avoir le droit d’accroître la prise de risques de leur banque à travers les marchés financiers globalisés, étant donné que celle-ci paie sa part dans le pot commun représenté par ledit fonds et qu’elle estime dès lors avoir le droit de faire appel à ce fonds en cas de besoin. C’est, mutatis mutandis, ce que certains assurés pensent, lorsqu’ils prennent des risques excessifs sachant que si un risque s’avère, l’assurance qui intervient dans ce cas couvrira une (large) partie des coûts engendrés par l’événement assuré. Cet aléa moral est d’autant plus dangereux à l’égard de l’Union bancaire européenne qu’il peut avoir des effets bien au-delà du secteur bancaire concerné, parce qu’il affecte tout à la fois les débiteurs et les créanciers d’une banque en détresse et contamine par là l’ensemble du système économique national, avec de possibles ramifications à travers les marchés globalisés, affectant l’économie de toute la zone euro (voire même au-delà de celle-ci).

Dès lors, il ne faudra pas s’étonner de constater que la survalorisation du franc suisse n’est pas un phénomène transitoire, censé disparaître, ou en tous cas s’atténuer, à l’horizon des dix prochaines années. Il ne s’agit pas d’une prévision économique, mais d’une prédiction qu’il vaut la peine de considérer sérieusement avant que ce soit trop tard pour le bien commun à l’échelle du Vieux continent – déjà mis à mal par trente années de politiques économiques néolibérales, qui ont trahi l’esprit du libéralisme politique et ses principes de responsabilité individuelle pour l’appât du gain sans fin d’une poignée de ploutocrates abominables (et bien soutenus par la pensée dominante en «sciences économiques»).

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.