Pierre-Nicolas Chenaux (1740-1781), une certaine idée de la Justice

la « révolution Chenaux » est une réaction qui se déroule à la fin du XVIIIème siècle, en territoire helvétique, dans la ville-État de Fribourg. Pierre-Nicolas Chenaux, gruérien du XVIIIème siècle, incarna au-delà de l’homme qu’il fut, une certaine idée de la justice.

 

Au préalable, il est indispensable de préciser quelques points concernant les notions de justice et d’injustice. Avec la notion de justice, nous touchons de prime abord à une question épineuse et délicate. Ce concept demeure problématique, néanmoins il est d’usage de définir la justice, justicia, comme le sens du droit et le droit, jus, comme ce qui dit la justice.

À cet égard, notons que ce droit se dédouble en deux acceptions: le jusnaturalisme, le droit par nature fondé par la raison, supposé universel et non arbitraire, s’opposant au positivisme juridique. Ce droit positif est conventionnel et se rapporte à un fait objectif. Édicté par l’État, il évolue en fonction des sociétés et des époques.

En d’autres termes, est légale la loi qui provient du droit positif et est légitime ce qui est conforme à la loi de la raison. Or, comme le rappelle la philosophe Simone Goyard-Fabre, il faut mentionner le caractère ambivalent pesant sur l’idée du juste, écartelée entre moralité et légalité[1].

Ce qui a suscité, on en conviendra, bien des débats et controverses de Platon à Aristote en passant par James Rawls et Habermas. Droit naturel et droit positif sont, en leur statut spécifique, irréductibles l’un à l’autre. En ce sens, l’historien de la philosophie, Patrick Wotling, part du postulat selon lequel il existe une antinomie du bien et de la justice, agathon d’un côté polairement opposé au diké ou dikaiosuné[2].

 

 

A contrario, il va sans dire que l’injustice désigne l’absence de justice et d’équité. Partant de là, il est intéressant de constater qu’Aristote, dans son livre V de l’Ethique à Nicomaque, s’empare de la question et opère une distinction entre justice et injustice, faisant de l’une une vertu et de l’autre un vice. Dans cette perspective, citons la pièce de Sophocle ayant comme personnage central Antigone qui oppose aux lois que posent les hommes, des lois qui ne sont pas écrites mais qui s’imposent à eux, incarnant le refus légitime de la légalité politique[3].

En ce sens, la mort brutale de Pierre-Nicolas Chenaux – mettant fin à un vaste mouvement de mécontentement populaire dirigé contre le gouvernement patricien – légale d’un point de vue de la loi, n’est pas légitime pour le peuple.

 

[1] Simone Goyard-Fabre, La justice, une problématique embarrassée, Philopsis : Revue numérique, Delagrave Éditions 2002. http://www.philopsis.fr/IMG/pdf_justice-goyard-fabre.

[2] Patrick Wotling (dir.), La justice, Paris, Vrin, 2007, coll. « Thema », p. 9.

[3] Ibid.

 

Serge Kurschat, Pierre-Nicolas Chenaux : le révolté gruérien, Éditions Montsalvens, 2017, 208 p.

Crédit photo : Wikimedia Commons.

 

Serge Kurschat

Historien diplômé de l'Université de Franche-Comté, multientrepreneur, chroniqueur sur le blog du journal Le Temps.

4 réponses à “Pierre-Nicolas Chenaux (1740-1781), une certaine idée de la Justice

  1. Encore une bonne réflexion dans votre article.
    En appliquant votre texte et en le démontrant par les faits que nous vivons actuellement on peut le transposer en 2022.
    “Ne commençons nous pas tous à devenir des Antigone? Car à la lecture des bilans de nos décideurs de lois, il y a comme un courant qui monte et qui s’oppose aux lois que posent les hommes et qui s’imposent à eux ”
    “Les représentants de ce courant incarne effectivement le refus légitime de la légalité politique.”

    1. Je vous remercie pour votre message. Vous avez entièrement raison l’actualité entre en résonance avec les objets de recherche.
      J’ajouterais même que lorsqu’on peut estimer raisonnablement avoir épuisé tous les moyens légaux de protestation, le modèle ouvert que nous venons de décrire comporte également la possibilité d’une interpellation de l’Etat de droit par la désobéissance civile.

  2. Le sujet de la désobéissance civile est un trop vaste sujet pour que je m’y plonge. Mais je pense que notre état de droit va être secoué par ce type d’engagement que voudront prendre de plus en plus de personnes ou d’organisations.
    Notre acratie, comme le nomme très justement votre confrère de blog M. Neyrinck, poussera ces organisations à refuser la légalité politique de l’état et en finalité se tourneront vers l’action de désobéissance civile.

  3. Je résume: le fils de l’homme le plus important du patelin fait faillite, maudit le pouvoir pour ses erreurs, et utilise habilement la fermeture du couvent qui aidait les pauvres pour s’en aller cacher sa honte en battant le fer contre la grande ville.

    Battu militairement, humilié, il meurt tué par un proche, puis décapité par un bourreau ivre.

    Son nom sera utilisé un siècle plus tard, pour rappeler au petit peuple ce qu’il arrive si l’on fâche le pouvoir.

    Je parie, vu ses déboires financiers, que si l’on cherche, on trouvera qu’il a investi de l’argent dans la traite d’êtres humains…

    Une statut à déboulonner.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *