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Autonomie énergétique, mode d’emploi pour les communes

Comment développer son potentiel d’énergie renouvelable et augmenter son autonomie ? Cette question, déjà centrale dans le cadre de la transition, devient désormais plus qu’essentielle dans le contexte de la guerre en Ukraine. Relevé il y a longtemps, le problème de la dépendance énergétique nécessite une refonte du système de production et d’approvisionnement. Voici comment les communes peuvent agir.

Si la transition énergétique nécessite de tendre vers l’autonomie, les récents événements en Ukraine nous rappellent à quel point la dépendance aux hydrocarbures provenant d’autres pays est inquiétante. Dans le cadre du conflit actuel, il est évidemment compliqué de continuer à s’approvisionner, même indirectement, en hydrocarbures russes, notamment pour ne pas subir les effets de levier économiques engendrés par l’éclatement du conflit. Pour rappel, plus d’un tiers du gaz naturel acheminé en Europe par gazoduc provient de Russie (Le Temps, mars 2022).

Les estimations suisses indiquent par ailleurs que près de la moitié du gaz utilisé dans notre pays proviendrait d’exploitations russes. En Suisse romande, cette part a oscillé autour de 25% l’année passée, selon Gaznat. Enfin, notons encore qu’en 2020, le gaz représentait 15,1% de la consommation finale dans le mix énergétique helvétique.

Dans ce cadre, tendre vers un paradigme d’autonomie devient particulièrement urgent. Précisons encore qu’autonomie ne signifie pas autarcie – modèle où l’on se coupe du réseau. L’idée de l’autonomie étant de produire son énergie et de pouvoir en réinjecter le surplus dans le réseau, auquel on reste bien sûr connecté, tout en pouvant aussi s’y alimenter en cas de production propre insuffisante. En Suisse, le pouvoir fédérateur dont bénéficient les communes pourrait jouer un rôle décisif. Proches des habitants et impliquées dans la concrétisation territoriale des incitations durables poussées aux échelles cantonales et fédérales, les communes constituent en quelque sorte un maillon stratégique. Pour ce faire, plusieurs scénarios sont à envisager.

Mobilisation citoyenne

Selon sa taille et son budget, une commune ne bénéficie pas forcément d’une task force à l’interne pour opérer sa transition énergétique avec succès. Dans ce cas, il reste tout à fait possible de solliciter les services et l’expertise d’acteurs énergétiques, tels que producteurs, distributeurs mais aussi gestionnaires de réseau. Autrefois cantonnés à des opérations industrielles de plus ou moins grande envergure, ces acteurs ont progressivement fait évoluer leur panel de services pour s’adresser au grand public également. Un pivot devenu essentiel, en particulier dans le cadre de la transition énergétique, alors que les consommateurs deviennent producteurs à leur tour.

Un des modèles illustrant cette approche consiste pour une commune à mandater un expert énergétique afin de proposer ses services aux habitants, à l’image du programme « Ma Commune et moi ». Il s’agit d’un coaching énergétique personnalisé qui permet à la population de comprendre quelles démarches entreprendre pour diminuer concrètement son empreinte carbone et quels types de programmes de subventions il est possible de solliciter. « L’idée consiste à favoriser une approche éducative, d’information et de sensibilisation, visant notamment à faire changer les comportements au niveau individuel pour finalement engendrer un effet collectif. », précise Philippe Corboz, responsable de produits destinés aux collectivités publiques au sein de Romande Energie.

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Autre levier à activer, la sollicitation de l’engagement des citoyens. Objectif : sonder les habitants pour comprendre leurs souhaits et préférences en matière de durabilité ou encore leur proposer de faire partie intégrante d’un projet durable mené à l’échelle communale.

« Il est même intéressant de pousser la logique un cran plus loin. », lance Stéphane Genoud, professeur responsable du Management de l’énergie à HES-SO Valais-Wallis. « En observant les modèles gagnants en termes de durabilité, on remarque que le cas de figure dans lequel les démarches se concrétisent le mieux consiste à ouvrir le capital des infrastructures durables aux citoyens. En Allemagne ou encore au Danemark, les régions qui sont parvenues à devenir autonomes énergétiquement sont des endroits au sein desquels la population est allée rencontrer les autorités locales afin de demander des changements concrets. Parmi eux : le fait de devenir acteur, décisionnaire et propriétaire des infrastructures concernées. Au Danemark, sur l’île de Samsø, les habitants sont par exemple propriétaires d’un parc de plusieurs dizaines d’éoliennes depuis 1998. L’île est autonome au niveau énergétique parce que les habitants ont eu la possibilité de s’impliquer. En Suisse, tant que les décisions et projets seront poussés par les distributeurs ou les gestionnaires de réseau, il sera difficile de reproduire ce cas de figure. Surtout dans le contexte actuel de la décentralisation qui, à mon sens, ne peut pas s’effectuer de manière industrielle. ».

Quelques exemples suisses vont dans ce sens. Sans encore détenir le capital durable, certaines populations ont soutenu la mise en place d’un réseau de chauffage à distance initiée par leur commune en s’engageant à s’y raccorder. Le modèle, qui se distingue par sa vision fédératrice, a notamment fait ses preuves en Valais.

Un village d’irréductibles Conchards résiste encore et toujours au mazout

Remplacer les chaudières à mazout de toute une commune par un système de chauffage à distance (CAD) n’est pas chose aisée, encore moins en milieu alpin. À Ernen, dans la vallée de Conches, cette transition a pourtant été effectuée avec succès. La transformation durable du village, notamment initiée par l’ancienne présidente Christine Clausen, représentait un défi complexe. Car les travaux ont dû se dérouler dans de minces ruelles, au sein d’une région de montagne qui compte de nombreuses habitations de petite envergure.

« Entre 2011 et 2014, nous avons raccordé plus de 300 logements à notre CAD. Chaque année, cette infrastructure nous permet d’économiser 300’000 litres de mazout. Outre l’aspect durable, la démarche comporte une forte valeur ajoutée d’un point de vue économique. Le projet aide en effet à maintenir des emplois sur place, notamment dans l’entreprise Forst Goms chargée de la coupe de bois local qui alimente le CAD. ».

Modèle économique gagnant

L’investissement de 5 millions de francs nécessaire à la transformation, supporté par la société coopérative fondée pour le projet, devrait être amorti d’ici quelques années, permettant ainsi aux habitants de profiter d’une réduction des coûts significative par rapport à l’ancien système de chauffage à mazout.

L’union fait la force

Sans forcément se limiter à leur propre territorialité, les communes ont également intérêt à développer des synergies et des regroupements plus larges. Cela dans le but de joindre leurs forces ainsi que leur budget. Souvent proches les unes des autres, les communes d’une même région peuvent, via des groupes de travail communs, mener des travaux conjoints visant par exemple à mutualiser l’achat ou la construction d’infrastructures durables.

« Un modèle qui a d’ailleurs largement fait ses preuves. », ajoute Stéphane Genoud. « Le fait de se regrouper entre communes d’une même région permet en effet de réaliser des appels d’offres en commun, et donc de bénéficier de meilleurs prix. Ce que nous avons par exemple fait dans le cadre de GROUP-IT – un projet de recherche lancé par la HES-SO Valais-Wallis et soutenu par l’Office Fédéral de l’Energie (OFEN) – pour les communes du Parc naturel régional Gruyère Pays-d’Enhaut. ».

On l’aura compris, dans l’optique de tendre vers un paradigme énergétique basé sur l’autonomie régionale, les communes peuvent activer des leviers décisifs. Et dans le contexte de la décentralisation, il devient de plus en plus intéressant et pertinent de se tourner davantage vers les premiers concernés : les habitants. Former des synergies économiques durables avec la population constitue peut-être la clé pour mener à bien la transition. Dans ce sens, si le rôle des industriels reste évidemment essentiel, leur positionnement pourrait être amené à changer. Car le marché énergétique de demain doit certainement appartenir davantage aux consomm’acteurs.

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

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Manger mieux pour le climat

Selon la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), environ un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) proviennent du secteur de l’alimentation. En Suisse, ce chiffre est estimé par l’Office fédéral de l’environnement à 28%. D’où viennent exactement ces impacts, mais surtout comment faire pour les réduire ? Tour d’horizon de la problématique et présentation de solutions pour un système alimentaire durable.

Impact climatique des aliments

Viande et produits d’origine animale

Tous les aliments n’émettent pas la même quantité de gaz à effet de serre. Dans le panier moyen suisse, la viande et les produits d’origine animale produisent à eux seuls près de la moitié de l’impact environnemental lié à l’alimentation.

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Au niveau mondial, jusqu’à 83% des terres cultivables servent à élever du bétail alors que cela ne représente que 18% des calories consommées dans le monde. Dans de nombreux pays, l’élevage contribue à la déforestation car les terres boisées sont rasées soit pour en faire des zones de pâturage pour le bétail, soit pour produire des cultures qui sont ensuite utilisées pour nourrir les animaux, très souvent du soja. La déforestation libère une grande quantité de GES et diminue la quantité de CO2 absorbées ; c’est une double peine.

L’impact des produits d’origine animale en Suisse représente la moitié de l’impact de notre alimentation, et il dépasse largement nos frontières nationales. 65% de la production de viande et 20% des produits laitiers suisses dépendent des importations de fourrage, en majorité du soja. De plus 20% de la viande consommée en Suisse est d’origine étrangère.

Selon le WWF Suisse, adopter un régime végétarien diminue notre impact lié à l’alimentation de 24%. Un régime végétalien (vegan) le réduit même de 40% (par rapport à la moyenne suisse). Mais commencer par réduire la quantité de viande ou le nombre de repas carnés peut déjà avoir un impact significatif. Au niveau des produits laitiers, il est également possible de remplacer le lait de vache par du lait d’avoine suisse dont le bilan est bien moindre. Le régime « flexitarien », qui réduit la consommation de viande et de produits d’origine animale permet déjà de diminuer notre bilan de 15%.

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Transport et origine des produits

Le transport ainsi que la provenance des produits impactent également de manière importante le bilan carbone de notre alimentation. Il n’y a donc pas que les produits d’origine animale qui produisent une grande quantité de GES. Prenons pour exemple un kilo d’asperges : si ces dernières viennent en camion depuis l’Espagne, le bilan carbone augmente de 50% en comparaison avec des asperges suisses. Et pour des asperges péruviennes transportées par avion, on multiplie carrément l’impact climatique par quinze ! Ainsi, quand il faut 0.3 litre de pétrole pour produire un kilo d’asperges suisses en mai, on passe à 5 litres pour un kilo d’asperges péruviennes transportées par avion pour remplir nos étals au mois de février.

La distance joue donc un rôle, mais l’aspect le plus important reste le moyen de transport. Pour évaluer l’impact environnemental des transports, on utilise le « kilomètre alimentaire » qui permet de calculer la quantité de CO2 émise pour transporter une tonne d’aliments sur un kilomètre. Par exemple le transport par cargo émet 15 à 30g de CO2 par tonne au kilomètre alors que l’avion émet 570g à 1’580g de CO2 par tonne au kilomètre. C’est quarante fois plus !

Modes de production

Les modes de production ont eux aussi un impact important. Intéressons-nous par exemple au café. Ce dernier nous vient de loin, on le sait bien : Brésil, Colombie, Éthiopie ou encore Vietnam. Cependant ce n’est pas le transport qui pèse le plus dans son bilan carbone, cet aspect ne représente en effet que 5% à 10% de l’empreinte totale. La demande en café ayant beaucoup augmenté ces dernières décennies, elle a entraîné une augmentation des plantations de café – en monoculture gourmande en intrants chimiques – aux détriments d’hectares de forêt vierge. La transformation des grains de café avant consommation est également un processus complexe qui demande une grande quantité d’énergie. Tout ceci explique le bilan carbone pharaonique du kilo de café qui se rapproche de celui du kilo de bœuf ! Le chocolat n’est pas en reste puisque son bilan carbone est très similaire à celui du café.

Plus proche de chez nous, les serres chauffées sont également des grandes émettrices de carbone, un haricot suisse sous serre chauffée aux énergies fossiles produit 15 fois plus de CO2 qu’un haricot suisse en plein air. Et pour un haricot suisse congelé, c’est quatre fois plus d’énergie consommée qu’un haricot frais. Les produits ultra-transformés et ultra-emballés ont aussi un impact, notamment à cause de l’énergie utilisée pour leur production.

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Gaspillage alimentaire

Le type d’aliments, la production, le transport, tous ces éléments ont un impact. Il en est encore un qui pourrait facilement être évité : le gaspillage alimentaire.

Portions trop grandes, fruits difformes ou trop laids, produits périmés : les raisons de jeter des aliments sont innombrables, mais souvent infondées. Ainsi, sur 100 pommes de terre récoltées, seules 34 seront effectivement consommées par l’homme. Les 66 autres, même parfaitement comestibles, sont éliminées ou utilisées comme nourriture animale. Le gaspillage alimentaire est également un gâchis de ressources, d’argent et d’énergie. Pas moins de 2,8 millions de tonnes de denrées alimentaires sont perdues chaque année en Suisse, soit environ un tiers de toutes les denrées alimentaires achetées en Suisse. Cela correspond à 330 kilos par personne et par an. Le plus grand responsable du gaspillage alimentaire est la consommateur (38%), loin devant les étapes de production ou de transformation.

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Solutions

Mais alors, que pouvons-nous faire concrètement ? Tous ces faits implacables et ses chiffres ont de quoi nous faire tourner la tête. Mais pas de panique, des actes concrets et simples permettent de réduire l’impact climatique de notre alimentation.

Collectivités publiques et entreprises

Les collectivités publiques et les entreprises, ont également un rôle à jouer pour limiter l’impact environnemental de l’alimentation. Rien qu’en Suisse romande, chaque année plus de 50 millions de repas sont servis dans la restauration collective publique et parapublique. Les communes ou les cantons ont donc en main un levier d’action important au niveau de l’approvisionnement en denrée alimentaires de ces différentes lieux (écoles, hôpitaux, prisons, crèches, etc.).

Grâce à une volonté politique forte, plusieurs actions peuvent être mises en place pour réduire l’impact de la restauration collective d’une ville ou d’un établissement. La Ville de Lausanne a par exemple adopté un plan d’action au niveau de la restauration collective publique qui a permis de passer à 55% d’aliments produits localement, contre 35% trois ans plus tôt. La coopération avec les agriculteurs de la région est primordiale pour pouvoir proposer des produits locaux, il est donc nécessaire pour les collectivités de mettre en place des circuits courts et de créer un réseau de producteurs locaux qui puisse fournir les denrées nécessaires.
Pour la suite, le but de la Ville de Lausanne est d’augmenter encore le pourcentage de produits locaux et labellisés et de promouvoir le label « Fait maison ».

Les labels peuvent représenter un bon objectif pour la restauration collective publique ou privée, cela permet d’avoir des buts clairs et atteignables pour orienter la politique d’achats alimentaires. Il existe par exemple le label « Ama Terra », lié à Fourchette verte qui prend notamment en compte la dimension locale et saisonnière des produits, ainsi que la réduction des protéines d’origine animale. Le label « Fait maison » permet lui de réduire l’utilisation de produits transformés en certifiant que la majorité des produits sont cuisinés et transformés sur place.

Transformer les produits sur place, en travaillant avec des produits locaux, demande des infrastructures dont les établissements sont souvent dépourvus. De nombreux réfectoires ne font que réchauffer des plats préparés à l’avance dans une centrale par une grande entreprise de restauration collective. La marge de manœuvre au niveau des produits et de leur provenance est donc un peu plus limitée. Pour inverser cette tendance, les collectivités et les entreprises ont deux solutions : soit investir dans de vraies cuisines de production pour leurs différents lieux de restauration afin d’avoir la mainmise sur les commandes de denrées ainsi que leur préparation ; soit mettre des critères de durabilité dans les appels d’offres pour les prestataires de restauration collective.

Toujours au niveau des collectivités et des entreprises, il est possible de mettre en place des actions destinées aux collaborateurs et influencer leur consommation de produits alimentaires hors cantines et réfectoires. Par exemple, la mise en place d’un système de paniers de légumes et autres produits locaux distribués dans l’entreprise ou au sein de l’administration sur abonnement permet aux employés de profiter de produits régionaux sans avoir besoin de se déplacer chez un producteur. Une politique d’achats alimentaires responsables, par exemple pour les événements ou les manifestations, est aussi une bonne idée qui nécessite peu d’investissements.

Cantons, communes et villes

Pour les citadins, et même pour les habitants des campagnes, il est parfois difficile d’avoir une alimentation locale et de saison tout en étant diversifiée, car l’accès à ces produits peut être compliqué.

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Les collectivités publiques telles que les cantons et surtout les communes ou associations régionales ont la possibilité de mettre en place des alternatives intéressantes pour le producteur et le consommateur, par exemple en créant un projet alimentaire territorial. Le but est de rapprocher les consommateurs des producteurs et transformateurs locaux afin de faciliter l’accès à leurs produits. Aujourd’hui, cela se développe de plus en plus grâce à des initiatives individuelles ou associatives, notamment à travers les paniers de légumes (agriculture contractuelle de proximité) et les épiceries coopératives. Mais pour éviter que cela reste marginal, un réel soutien des collectivités publiques et nécessaire pour développer ces nouveaux modèles de production et de consommation. Et il existe pléthore de solutions innovantes :

  • Agriculture contractuelle de proximité (ACP) : des paniers de légumes et/ou d’autres produits alimentaires locaux sont proposés sur abonnement aux consommateurs qui peuvent aller les récupérer dans divers lieux une fois par semaine. Il s’agit de vente directe, il n’y a pas ou très peu d’intermédiaire entre le producteur et le consommateur. Les communes peuvent soutenir ces initiatives par exemple en fournissant des locaux pour les points de collecte de paniers ou en « louant » des terrains à des prix avantageux pour des agriculteurs pratiquant l’ACP.
  • Fermes ou micro-fermes urbaines : ces fermes de petites tailles sont situées au cœur des villes, principalement sur des terrains prêtés ou loués par des communes, elles pratiquent la vente directe auprès des habitants du voisinage. Cela permet de récréer un lien entre les habitants des villes et le secteur agricole.
  • Coopératives alimentaires ou épicerie participative : ces épiceries en autogestion ont pour but de réduire les intermédiaires entre les producteurs et les consommateurs. Ces derniers sont membres de la coopérative et participent à son fonctionnement (choix des produits, gestion des commandes, travail à la caisse, etc.), l’épicerie propose des produits en circuit court et locaux. La participation bénévole des consommateurs permet de réduire le prix de vente tout en rémunérant correctement les producteurs.
  • Supermarché paysan : comme pour les épiceries participatives, le but est de rapprocher le consommateur du producteur, cependant les supermarchés paysans sont gérés par les producteurs plutôt que par les consommateurs. C’est un moyen de mutualiser les forces et de garantir que la récolte sera écoulée à travers le magasin, il peut ainsi planifier sa production plus facilement. Le supermarché paysan regroupe des agriculteurs et des transformateurs produisant toutes sortes de denrées pour faire en sorte qu’il soit possible de faire l’ensemble de ses courses dans un seul magasin. Un soutien communal, à travers le prêt d’un local ou un subventionnement, permet aux coopératives alimentaires ou aux supermarchés paysans de se lancer plus facilement.
  • Ceinture maraîchère : le but est d’assurer l’approvisionnement d’une ville grâce à des maraîchers et autres producteurs de produits frais situés tout autour de la ville. La collectivité publique crée une coopérative avec les agriculteurs et leur fournit des parcelles ainsi que la promesse que les denrées seront achetées. En contrepartie, les agriculteurs versent une cotisation à la coopérative. Cela crée des circuits extrêmement courts et favorise la consommation de produits locaux.

Ces différentes solutions peuvent paraître idéalistes ou futuristes, mais aujourd’hui leur succès grandissant prouve le contraire. Afin de ne pas dépasser les limites planétaires, il est nécessaire de repenser notre système alimentaire pour qu’il devienne plus résilient, juste et bon pour la planète et l’être humain. Le passage à des circuits courts et locaux, ainsi qu’une modification de nos régimes alimentaires, en sont les premiers pas.

 

Nelia Franchina

Spécialiste durabilité

autoroutes solaires

Et si les autoroutes produisaient de l’électricité ?

Énergie-clé dans le cadre de la transition énergétique, le solaire n’est de loin pas exploité pleinement en Suisse. Les solutions innovantes et réalistes se multiplient pourtant. En Valais ainsi qu’en Suisse alémanique, un ambitieux projet avance : recouvrir des tronçons d’autoroute de panneaux photovoltaïques. Un peu folle de prime abord, la démarche s’avère particulièrement faisable et efficiente.

Face à l’ampleur de la crise environnementale, le développement de solutions de production d’énergie durables devient urgent. Car au rythme actuel, force est de constater que la décarbonisation de notre paradigme énergétique avance trop lentement. À titre indicatif, le soleil fournit aujourd’hui environ 6% du courant consommé en Suisse (Swissolar). Pour rappel, l’objectif fixé dans le cadre de la Stratégie énergétique consiste à couvrir 40% de nos besoins en électricité grâce au photovoltaïque à l’horizon 2050.

Le potentiel solaire du pays s’avère pourtant conséquent. En considérant la superficie du territoire helvétique, la Suisse reçoit en effet 200 fois plus d’énergie sous forme de rayonnement solaire que ce qu’il faudrait pour couvrir notre consommation totale ! Et selon des estimations de la plateforme Swiss-Energyscope, si nous équipions 80% de la surface totale des toitures et façades bien exposées du pays avec des panneaux photovoltaïques, nous pourrions couvrir 35 à 45% de nos besoins en électricité escomptés en 2050.

Toitures, façades, et ensuite ?

Au niveau architectural, l’intégration massive de structures photovoltaïques sur le parc immobilier pose cependant problème. Déjà d’un point de vue technique, tous les bâtiments ne permettent pas d’implanter si facilement des panneaux solaires, sans parler des oppositions encore trop fréquentes, notamment pour des questions d’esthétique. Toutefois, les filières photovoltaïques suisse et européenne progressent rapidement sur ces points, par exemples avec les technologies BIPV (n.d.l.r. pour Building Integrated Photovoltaics, soit des panneaux dont la couleur et les dimensions peuvent être modifiées afin de faciliter leur intégration en façade).

Identifier rapidement de nouvelles surfaces exploitables pour accélérer le développement du parc solaire suisse devient donc nécessaire. Et en dehors des logements et bâtiments, aussi bien dans les zones urbaines que dans les campagnes, il faut composer avec des défis complexes en matière de segmentation du territoire. Car entre ses zones agricoles, ses forêts et ses montagnes, la Suisse ne se prête pas particulièrement bien à l’implantation de centrales solaires de grande envergure comme on peut en voir en Allemagne, au Portugal, en Espagne, aux Emirats Arabes Unis mais aussi aux États-Unis.

Réseau routier, nouvel élan du photovoltaïque ?

En tenant compte de cette donne énergétique et géographique, le nouveau paradigme qui se dessine progressivement en Suisse propose donc de rassembler de multiples infrastructures durables décentralisées qui doivent engendrer un effet de levier significatif en fonctionnant en complémentarité. Et pour les emplacements des prochaines infrastructures photovoltaïques, pourquoi ne pas les installer sur nos autoroutes ?

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Un projet avant-gardiste, développé depuis plusieurs années dans les locaux de la start-up alémanique EnergyPier, pourrait bien réaliser cette vision qui, de prime abord, peut sembler un peu folle. Concrètement, l’idée consiste à profiter des espaces artificiels que sont les autoroutes pour en exploiter le plein potentiel énergétique en les recouvrant de panneaux solaires. La démarche permettrait par ailleurs de minimiser les nuisances liées à la circulation. « Notre approche permet en effet de produire de l’énergie durablement tout en réduisant les inconvénients sonores de 5 à 8 décibels et en préservant le bitume des intempéries », souligne le CEO et ingénieur Laurent David Jospin. « En hiver, on évite donc de devoir passer la lame et de saler, et en été on protège le revêtement des fortes chaleurs et des irrégularités structurelles qu’elles génèrent. L’idée consiste finalement à donner plusieurs multifonctionnalités aux technologies photovoltaïques pour les rendre plus compétitives. Et pour y parvenir, une des pistes à suivre repose paradoxalement sur la capacité à faire de l’ombre avec les dispositifs solaires. »

Projet pilote en Valais

Pour démontrer la faisabilité de son projet, EnergyPier a identifié deux sites prometteurs entre la Suisse alémanique et le Valais. Objectif : bâtir des installations pilotes de démonstration. Aux abords de Fully, l’idée consiste ainsi à recouvrir un tronçon de 1,6 km de l’autoroute A9. Entre les 76’800 m2 de panneaux photovoltaïques qui recouvriraient la route et les éoliennes qui pourraient être incorporées à la structure par la suite, le dispositif permettrait de produire environ 50 GWh par an, soit la consommation de 12’500 ménages. L’accord de l’OFROU (voir ci-dessous) concerne initialement la partie photovoltaïque. L’ajout des éoliennes ne sera possible que s’il peut être démontré que les usagers de la route ne sont en aucune manière mis en danger par ces dernières. Le potentiel énergétique et les aspects sécuritaires du volet éolien seraient donc étudiés à l’aide d’anémomètres dans un premier temps.

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Le raccord de ce nouveau dispositif au réseau électrique est pour l’instant imaginé selon trois scénarios. Il serait par exemple possible de venir se greffer au réseau moyenne tension de la commune qui se trouve à proximité. « Une solution qui nécessiterait d’intégrer un système de batterie à notre infrastructure pour lisser la production », précise Laurent David Jospin. Les deux autres alternatives consistent à rejoindre le réseau haute tension situé à 3,5 km, soit en finançant directement les travaux nécessaires pour enterrer le câble de raccord et installer un transformateur dans une station existante, soit en planifiant cette opération d’entente avec les Forces motrices valaisannes, qui ont également des besoins additionnels à couvrir sur ce secteur géographique.

En attendant les décisions cantonales, le projet est dans les starting blocks. Coûts estimés des travaux pour l’infrastructure de Fully : 40 millions de francs. « En termes de rentabilité, notre installation s’avère tout à fait comparable à ce que l’on obtient avec un barrage dans la filière hydroélectrique », ajoute l’ingénieur. « À terme, une fois le potentiel helvétique davantage exploité, notre ambition consiste également à exporter ce nouveau savoir-faire industriel et d’ingénierie pour renforcer le positionnement suisse dans un domaine appelé à devenir de plus en plus stratégique. »

La demande de permis de construire devrait être soumise à l’OFROU fin juin pour approbation technique sur le plan sécuritaire avant d’être déposée officiellement auprès de l’autorité cantonale. Le délai effectif dépendra néanmoins de la concrétisation de l’inscription au plan directeur cantonal qui reste un prérequis. En Suisse, le potentiel s’avère significatif puisqu’en recouvrant près d’un tiers du réseau autoroutier avec ce type d’installations, EnergyPier estime qu’il serait possible d’égaler les capacités énergétiques actuelles de nos centrales nucléaires.

Ce qu’en dit l’OFROU

Impliqué dans les réflexions et décisions liées au projet, l’Office fédéral des routes se montre ouvert à l’idée de recouvrir l’A9 de panneaux solaires. En Suisse alémanique, des parois antibruit recouvertes de modules photovoltaïques longent déjà certaines routes argoviennes depuis plusieurs années. Concernant le projet avant-gardiste d’EnergyPier, la première préoccupation de l’OFROU concerne la sécurité, tant des 40’000 véhicules qui transitent quotidiennement par la route que des travailleurs. « Il nous faudra en effet examiner attentivement ces aspects sécuritaires durant la phase de travaux mais aussi tout au long du cycle de vie de l’ouvrage », souligne Guido Bielmann, porte-parole de l’OFROU. « Ces impératifs s’ajoutent aux questions de maintien du trafic. Car il n’est pas possible de fermer l’autoroute pour une durée importante, que ce soit pour les travaux de construction ou de maintenance. » Autre aspect à examiner : la luminosité. Recouvrir la voie, même sur le modèle d’un semi-tunnel, peut en effet nécessiter la mise en place d’un système d’éclairage.

Si ce projet pilote venait à se concrétiser, il ouvrirait ainsi une nouvelle voie dans le développement d’infrastructures durables aussi inédites que prometteuses. En Suisse, pays dont la complexité de la topographie oblige à faire preuve d’innovation pour étendre les dispositifs durables, les autoroutes pourraient bien constituer des emplacements stratégiques. Avec le volet éolien qui pourrait encore venir se greffer sur le projet par la suite, les voies de circulation prendraient ainsi un tout nouveau rôle, jusque-là insoupçonné.

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

pétrole

Le mouvement de la transition nous prépare à nous « sevrer » du pétrole

Apprendre à se passer du pétrole pour limiter, notamment, le dérèglement climatique, ne pourra pas se faire du jour au lendemain. Pour s’y préparer, le mouvement de la transition se veut positif et encourageant. Sans attendre, il faut imaginer et apprendre à vivre avec le moins de pétrole possible, mais sans perdre en qualité de vie, bien au contraire. Prêts pour l’aventure ?

Une transition : vers quoi et pourquoi ?

La transition se définit comme « un état, un degré intermédiaire, un passage progressif entre deux états, deux situations ». La transition implique un avant et un après, et elle consiste en cet entre-deux, cette phase où l’on se prépare à cet après qu’on ne connaît pas encore. Sans phase de transition, les changements sont brutaux, difficiles à vivre. Ainsi, la transition permet d’envisager une rupture dans l’organisation de nos sociétés, sans pour autant invoquer la violence ou la révolution. L’idée de « transition » se décline aujourd’hui sous plusieurs formes : « transition écologique », « transition énergétique », « transition post-carbone », « sustainability transitions », « transition citoyenne », « villes et territoires en transition ». Pour les acteurs du mouvement des initiatives de transition, cet entre-deux consiste à apprendre à se passer du pétrole en testant des nouveaux modes de vie, de nouvelles formes d’économies et de consommation, etc. Le tout en évitant au maximum le chamboulement que cela pourrait engendrer et en s’y préparant dans les meilleures conditions possibles.

Apprendre à s’affranchir du pétrole dans les nombreux secteurs qui en dépendent

En 2018, la moitié de l’énergie consommée en Suisse était dérivée de produits pétroliers : les carburants représentent 35% de la demande (destinés à la production d’énergie mécanique dans les moteurs) et les combustibles pétroliers 14% (utilisés pour le chauffage). Mais notre dépendance au pétrole va plus loin que son utilisation pour nous déplacer ou nous chauffer. Il est utile pour un grand nombre de nos produits quotidiens (plastiques, solvants, cosmétiques, textiles), pour la construction de routes (90% de la production mondiale de bitume est issu des pétroles lourds), ou pour la production de nombreux engrais et pesticides. D’ailleurs, l’agriculture industrielle dépend également totalement du pétrole. Ainsi, aujourd’hui, toute notre organisation sociale est basée sur l’accès aisé à cette ressource : nos logements, notre alimentation, nos déplacements, les objets que nous utilisons, l’organisation du territoire, la sécurité alimentaire et l’agriculture, etc. D’où l’importance d’apprendre dès aujourd’hui à s’habituer à fonctionner sans.

De très nombreuses initiatives possibles

Une des forces du mouvement est qu’il permet d’impliquer un grand nombre de personnes selon leurs intérêts respectifs. De très nombreuses actions peuvent être imaginées et mises en œuvre par un groupe d’habitants. Par exemple : monter un projet d’énergie renouvelable citoyenne, créer des jardins partagés dans des espaces délaissés au cœur des quartiers, former les jardiniers à la permaculture, mettre en place une grainothèque pour conserver des espèces oubliées, construire et faire vivre un four à pain, apprendre à réaliser des conserves, mettre en place des initiatives d’agriculture contractuelle de proximité ou une monnaie locale, organiser des ateliers de couture, de réparation d’objets ou de fabrication de produits cosmétiques, constituer un groupement d’achats, réaliser une épicerie participative. Il y en a pour tous les goûts !

Il s’agit ainsi de développer une société dans laquelle les échanges sont locaux, les exploitations agricoles plus petites et polyvalentes, la consommation d’énergie drastiquement réduite, les énergies renouvelables produites localement. Une société dans laquelle l’utilisation des transports en commun, de l’autopartage et du vélo est largement pratiquée, le tourisme longue distance et l’étalement des villes sont sensiblement réduits, l’efficience énergétique des logements et les habitats groupés sont développés.

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Objectifs du mouvement de la transition

Le mouvement a été créé en 2006 à Totnes en Grande-Bretagne, à l’initiative de Rob Hopkins, un enseignant en permaculture. Le projet a connu un grand succès et le mouvement s’est rapidement répandu dans le monde entier. Aujourd’hui, il existe environ 1000 initiatives de transition dans plus de 50 pays. Le terme initial de « Villes en transition » a été transformé en « Initiatives de transition » car elles ne naissent pas seulement en ville, mais aussi dans des quartiers ou à la campagne. Ces initiatives forment un réseau mondial, le Transition Network. Elles touchent à tellement d’aspects de la société qu’on parle de « mouvement » de la transition.

Le mouvement de la transition souhaite :

Renforcer la résilience et réapprendre les savoir-faire oubliés

Le concept de résilience est utilisé dans de nombreux domaines, comme en psychologie pour désigner la capacité d’un individu à surmonter un traumatisme, ou en écologie pour décrire la capacité d’un écosystème à intégrer une espèce invasive. Ici, il s’agit de se préparer au choc de l’ensemble des crises liées au dérèglement climatique et à l’affranchissement du pétrole, notamment. Le mouvement parle de reconstruction de la résilience locale plutôt que de construction, car les communautés locales étaient encore résilientes il y a seulement quelques décennies, avant que le pétrole n’ait bouleversé les modes de vie. Un exemple parlant est la manière par laquelle le Royaume- Uni a su résister au blocus dont il a été victime pendant la Seconde Guerre mondiale : du jour au lendemain, le pays entier a dû revenir à une forme d’autosuffisance alimentaire, et cela ne fut possible que parce qu’il existait encore dans la population des savoir-faire aujourd’hui bien plus rares, comme entretenir un potager, faire des conserves, élever des poules ou des lapins, réparer, coudre, bricoler. Le « ré-apprentissage des savoir-faire » est donc l’un des buts des villes en transition, qui tentent de revivifier la vie locale en suscitant le partage de ces connaissances pratiques dans les écoles, dans les maisons de retraite ou encore des associations locales. D’ailleurs, l’un des ingrédients du mouvement est d’impliquer les seniors, qui ont connu une organisation sociale bien moins dépendante du pétrole, pour un partage d’expérience et la transmission des savoir-faire.

Favoriser le retour au local

Les initiatives de transition remettent « le local » au cœur de leur réflexion. Retour au local de l’agriculture, de l’économie (monnaies locales, Système d’Echange Local), de l’énergie, du tourisme, etc. Les « transitionnaires » valorisent les bénéfices écologiques et humains de ces relocalisations, notamment en termes de solidarité, de convivialité ou d’autonomie. Par ailleurs, l’échelle locale permet aux citoyens de proposer des solutions adaptées à leur quotidien et de passer concrètement à l’action.

Un exemple qui a inspiré les villes en transition est celui d’Overtornea, petite ville suédoise de 6’000 habitants. Fortement atteinte par la crise de 1980 (20 % de la population active était au chômage, 25 % partait pour les grands centres urbains), les autorités ont tenté d’y remédier en adoptant un type de développement sur le modèle des villes en transition. Résultat : en six ans, près de 200 entreprises et quelques milliers d’emplois ont été créés dans l’agriculture biologique, l’éco-tourisme, l’apiculture ou la pisciculture. Cet exemple montre également qu’une requalification de la population est nécessaire : les citoyens doivent réapprendre à cultiver, être capables de réparer les objets, etc.

Collaborer

Une des marques de fabrique du mouvement de la transition est l’idée de faire ensemble : se réunir à plusieurs pour créer une initiative, favoriser l’intelligence collective, se mettre en réseau, partager. Autant de mots qui reviennent régulièrement dans la description du mouvement. Pas de chasse gardée, ni de prise de pouvoir dans ce mouvement, mais le souhait de collaborer et d’avancer ensemble pour faire face aux défis qui nous attendent tous.

Donner envie

Un aspect important du mouvement est de créer une vision positive de l’avenir, de donner une vision attrayante d’une société sans pétrole, porteuse de sens, festive, créative et conviviale. Sans culpabiliser ni faire peur, le mouvement cherche à motiver les gens à imaginer et créer la société qui leur fait envie.

 

En Suisse romande, de nombreuses initiatives existent déjà. Interview de Martin Gunn-Sechehaye du Réseau Transition Suisse Romande

Martin-Gunn-Sechehaye

Vous êtes l’un des trois salariés du Réseau Transition Suisse Romande. Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste ce réseau?

Un des ingrédients du mouvement de la transition est la mise en réseau des initiatives de transition, localement et internationalement. Le réseau crée ainsi le lien entre les différentes initiatives, et favorise les échanges d’expériences et les rencontres, notamment lors des journées de la transition. Le réseau consiste également à faire connaître le mouvement, et à accompagner les personnes qui souhaitent créer une initiative, au moyen de formations notamment.

Vous avez intégré le mouvement de la transition d’abord comme bénévole, puis comme stagiaire et enfin comme salarié. Qu’est-ce qui vous a particulièrement motivé?

Son côté positif et orienté solutions. Je partage le constat qu’il faut agir et vite – j’ai d’ailleurs participé à d’autres mouvements comme Extinction Rebellion. J’aime le fait qu’il suscite la créativité et l’imagination pour se projeter vers d’autres manières de vivre ensemble : on est trop souvent limités par la vision imposée par la société patriarcale et consumériste : c’est difficile parfois de s’en défaire et le mouvement de la transition nous aide à imaginer d’autres voies possibles. Par ailleurs, le mouvement agit également sur sa capacité à bien « être ensemble » autant que « faire ensemble ». L’aspect de la transition personnelle pour y parvenir est également important.

Si quelqu’un souhaite lancer une initiative, comment peut-il s’y prendre?

Il existe un guide pour accompagner celles et ceux qui souhaitent initier un mouvement de transition. Ce guide décrit concrètement comment s’y prendre et met l’accent sur l’importance d’être à plusieurs pour se lancer et sur la manière de s’appuyer sur le réseau existant pour maintenir l’engagement bénévole de ses membres.

Un petit coup de projecteur sur une initiative qui vous plaît particulièrement?

C’est difficile de choisir parmi tous les projets, mais j’aime particulièrement le journal biennois « Vision 2035 », porte-voix des initiatives de transition. Le journal participatif permet à chacun de montrer tout ce qui se fait à Bienne en termes de transition et valorise ces initiatives. Il donne envie d’agir.

Quelles sont les difficultés auxquelles les transitionnaires sont confrontés et comment pourrait-on réduire ces blocages?

Le mouvement de la transition est un mouvement citoyen, un mouvement de bas en haut. Mais pour que certains des projets initiés puissent se réaliser, il faut que les politiques s’engagent aussi : qu’ils osent transformer des espaces délaissés en jardins potagers, développer des pistes cyclables, soutenir des monnaies locales, etc. C’est parfois difficile pour les transitionnaires d’obtenir ce soutien politique. Nous serions ainsi heureux que ces politiques osent parfois tester des nouvelles manières de penser l’avenir de leurs communes, de concert avec les initiatives portées par tous les acteurs de la transition.

 

Hélène Monod

Rédactrice

blocage

Informer, entendre et impliquer la population peut réduire les blocages de nombreux projets « ENERGY FRIENDLY »

Pour atteindre les objectifs définis dans la Stratégie énergétique 2050, nous devons notamment réduire notre consommation d’énergie et augmenter notre production d’énergies renouvelables. Cela implique par exemple de construire des parcs éoliens, d’installer des panneaux solaires, de transformer une partie de nos espaces dédiés à la mobilité individuelle en espaces pour la mobilité active, de densifier nos villes, de rénover nos bâtiments, etc. Mais l’expérience nous montre que toutes ces actions sont trop souvent freinées, et notamment par la population. Voici quelques pistes pour réduire certains de ces blocages.

Un grand potentiel bloqué

De nombreux projets développant l’énergie renouvelable ou permettant des économies d’énergie suscitent des inquiétudes et des réactions négatives de la part de la population impactée : nuisances sonores, visuelles et olfactives des projets, craintes pour sa santé, etc. Ces appréhensions sont parfois basées sur de fausses croyances. Mais elles doivent être entendues.

Potentiel d’énergies renouvelables – Selon les calculs de Suisse Eole, il serait possible de couvrir 20 % des besoins en électricité de la Suisse en hiver grâce à l’énergie éolienne. Mais aujourd’hui, près de quatre projets éoliens sur cinq sont bloqués devant les instances judiciaires, par les habitants ou les associations de protection du paysage. En 2019, la Suisse exploitait seulement 3,87% de son potentiel en matière de production de courant solaire sur les toits. Le potentiel du biogaz, quant à lui, n’est exploité qu’à environ 50% en Suisse. Ainsi, notre pays, qui est à la traîne par rapport à ses voisins en termes de production d’énergies renouvelables, peut faire beaucoup mieux !

Potentiel d’économies d’énergie – De nombreux projets permettant de réelles économies d’énergie sont eux aussi trop souvent freinés. Par exemple, mieux isoler notre bâti peut réduire de moitié nos besoins en énergie, mais de nombreux propriétaires d’immeubles craignent que leurs locataires se mobilisent contre les travaux de rénovation qui engendrent des nuisances ou se répercutent sur leur loyer, et renoncent donc à ces travaux d’assainissement. Autre exemple : 38% de l’énergie finale consommée est imputable au trafic. Mais les projets permettant de réduire l’espace dédié à la mobilité individuelle au profit de la mobilité active sont souvent bloqués par les défenseurs de la voiture. Enfin, densifier les lieux déjà bien desservis en transports publics, par exemple, permet de réelles économies d’énergie. Mais très souvent, les nouvelles constructions suscitent des blocages et des oppositions du voisinage.

Ainsi, pour permettre à ces projets énergétiquement favorables de se réaliser, il s’agit aujourd’hui notamment d’entendre les différentes craintes, d’y répondre, et de concevoir les projets avec tous les acteurs concernés, impliqués ou impactés.

Pour réduire les blocages : impliquer et concevoir ensemble

Identifier toutes les parties prenantes

Toujours plus d’acteurs publics et privés comprennent qu’ils ne peuvent plus concevoir leur projet seuls de leur côté et les présenter seulement en fin de course à la population. Parfois, des années de travail aboutissent à des oppositions, constituant ainsi des fronts solides. Et la confiance se rompt. Pour éviter ces situations, de nouvelles manières de faire se développent de plus en plus. Il s’agit d’impliquer le plus en amont possible toutes les parties prenantes : les usagers actuels et futurs liés au projet (habitants, commerçants, propriétaires, locataires, associations de quartier, riverains, acteurs socioculturels, etc.), les personnes qui subissent des dommages liés au projet, les associations professionnelles, associations expertes, etc. Un projet éolien, par exemple, impactera peut-être le paysage des habitants, ou suscitera la crainte de créer des nuisances sonores. La suppression des places de parc impactera peut-être sur la fréquentation des commerces. L’isolation de bâtiments engendrera peut-être une hausse du loyer et des nuisances de chantier. Bref, toutes les personnes concernées par un projet devront donc être identifiées.

Communiquer de façon cadrée et transparente

Encore aujourd’hui, les porteurs de projets craignent souvent de communiquer de façon transparente avec les différentes parties prenantes. Mais c’est un mauvais calcul.

Dans tous les projets, il y a trois catégories de réactions. Les personnes qui sont favorables au projet, les personnes indécises et les « Nein Sager ». Sans communication transparente, le risque est de faire des indécis des personnes facilement mobilisables contre le projet, par de mauvaises informations ou une mauvaise compréhension du projet. Impliquer la population le plus en amont possible permet de faire comprendre les apports du projet, son cadre, ses contraintes et ses marges de manœuvre. Cela permet également d’entendre les craintes que le projet suscite et d’y répondre dans un deuxième temps, en s’y préparant. Trop souvent, les séances de présentation en plénière sont contre-productives si les questions, interventions, revendications des opposants prennent toute la place et que les intervenants n’ont pas de réponses claires immédiates à donner. Certaines méthodes participatives aident à présenter des projets en plénière, et permettent de faire réagir les participants de façon cadrée, structurée, en petits groupes. Une fois que les craintes et demandes des participants ont été exprimées, les porteurs de projet peuvent y répondre, lors d’une deuxième rencontre, en s’y préparant. Toutes les demandes ne pourront obtenir des réponses favorables, mais toutes les demandes auront des réponses.

Autre ingrédient : aucun terme technique ou compliqué tout au long du processus, les ingénieurs et techniciens porteurs du projet doivent être accompagnés pour rendre leur présentation compréhensible par tous. Il faut sortir des présentations techniques, sur plan, mais aller sur le terrain, montrer les volumes, montrer d’autres exemples, et rendre les informations accessibles. Si la crainte identifiée des riverains d’un futur parc éolien est le bruit des éoliennes, pourquoi ne pas organiser avec eux une excursion sur un autre parc éolien pour qu’ils prennent conscience que, finalement le bruit n’est pas si gênant ? Si des commerçants d’une rue craignent que la piétonisation de la rue impacte sur la fréquentation de leur commerce, pourquoi ne pas aller visiter des bons exemples de rues commerçantes piétonnes et d’échanger avec ces commerçants ? Informer de façon vulgarisée et claire, permettre aux gens d’exprimer leurs craintes et leurs besoins de façon cadrée, y répondre de façon transparente, tenter de réduire ces craintes concrètement : voici quelques-uns des apports de la participation dans la mise en place des nombreux projets favorables aux économies d’énergie et aux énergies renouvelables, aujourd’hui trop souvent bloqués pour de mauvaises raisons.

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Le Canton de Genève et ses Services industriels se sont fait accompagner par l’association française Vie to b pour réfléchir à intégrer les habitants dans des processus de rénovation des bâtiments, pour communiquer avec eux de façon transparente sur les futurs travaux et entendre leurs craintes. Le service s’appelle AMU « Assistance à maîtrise d’usages » et se base sur une étude « TEPI » (Transition Energétique du Parc Immobilier genevois) qui a montré qu’en effet, parmi les freins et obstacles des propriétaires d’immeubles, il y a l’anticipation de plaintes de la part des locataires qui les dissuade à s’engager.

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La Ville de Morges et Losinger Marazzi SA ont conçu le plan partiel d’affectation du futur quartier « Prairie Nord – Eglantine » avec les riverains et plusieurs associations professionnelles, dans le but de réduire les craintes de ces différents acteurs et de concevoir un projet qui leur convienne au mieux. Une des particularités de ce processus a notamment consisté à inviter toutes ces personnes sur le terrain, et les porteurs de projet ont marqué les volumes des futurs bâtiments, des généreux espaces publics, des traversées piétonnes que le projet allait offrir, etc. Cela a permis aux habitants de mieux comprendre ce qui allait se construire et de voir également les apports du projet. Des discussions ont ensuite suivi cette présentation sur le terrain et ont permis aux participants d’exprimer leurs craintes et leurs besoins. Au total, 150 personnes se sont impliquées dans cette réflexion.

Pour celles et ceux qui souhaitent apprendre à mettre en pratique cette nouvelle manière de concevoir des projets en participation : « Réussir un processus participatif ».

 

Hélène Monod

Rédactrice

EPFL

Les clusters au cœur de l’ENAC « Le futur doit se penser de manière collective »

L’ENAC est la faculté de l’environnement naturel, architectural et construit de l’EPFL. Elle s’est donné pour mission d’apporter des réponses aux enjeux de la durabilité pour l’environnement naturel et construit, en particulier représentés par le changement climatique, la digitalisation et l’urbanisation rapide de nos sociétés. Pour relever ces défis, elle a mis en place différents outils, dont deux clusters de recherche.

« Digitalisation des villes et des infrastructures » et « territoires durables », voilà les noms donnés aux clusters de l’ENAC qui permettent aux 583 chercheuses et chercheurs, issus des domaines de l’architecture, du génie civil et des sciences de l’environnement, d’interagir sur ces thématiques. Frédéric Dreyer en est le responsable. Après avoir occupé le poste de directeur de l’Office genevois de la promotion des industries et des technologies (soit l’accompagnement aux PME innovantes actives dans le secteur industriel), il a rejoint l’EPFL il y a une année. Il nous parle de la création de ces entités, des buts visés et des projets qui y sont menés.

enac

Qu’est-ce qui a motivé la mise sur pied de ces clusters ?

Nous souhaitions renforcer et stimuler l’interdisciplinarité de la recherche des trois instituts de l’ENAC sur la thématique de la durabilité pour l’environnement naturel et celui du construit, mais également accélérer la contribution de la recherche au sein de la faculté sur les défis majeurs liés aux développements durables de nos villes et territoires. Le pas d’après, c’est la transdisciplinarité, soit l’ouverture de cette recherche académique et la création de ponts avec des partenaires privés, publics, semi-privés ou semi-publics. L’idée est vraiment de développer et de faciliter la mise en connexion des différents acteurs.

Et comment les thématiques « digitalisation des villes et des infrastructures » et « territoires durables » ont-elles été choisies ?

Sous l’impulsion de notre doyenne, la professeure Claudia R. Binder, les chercheuses et chercheurs de tous les laboratoires de l’ENAC ont défini de manière collégiale des axes d’interdisciplinarité, en réfléchissant aux futurs souhaitables et durables pour les villes et les territoires. L’importance de l’utilisation de la digitalisation, en tant qu’outils au service du développement durable, a été mise en lumière et renforcée, et ce en visant la protection maximale de l’environnement et ses citoyens.

Dans le cluster « digitalisation des villes », vous travaillez sur les « jumeaux numériques ». Pourriez-vous nous expliquer le but de l’approche ?

La création d’un jumeau numérique (digital twin) d’une ville ou d’un territoire permet d’étudier les interactions entre des flux : énergétiques, au niveau de la qualité de l’eau, de l’air, des bâtiments, de l’utilisation en économie circulaire de nos ressources, de la mobilité et de la citoyenneté. On étudie également l’impact de l’optimisation de la consommation énergétique au niveau du climat et de la décarbonisation. Ce jumeau numérique est alimenté avec des données collectées auprès de différents acteurs, notamment Romande Energie qui nous fournit des données liées à la consommation énergétique. Les chercheuses et chercheurs établissent ensuite des modèles prédictifs ou prescriptifs. Les données détenues par les acteurs privés et publics sont vraiment un élément-clé. Elles permettent d’alimenter, dans un cercle vertueux, des modèles de recherche qui permettront à leur tour aux pouvoirs publics ou aux acteurs privés de prendre des décisions concrètes.

Vous mentionnez Romande Energie, avec qui vous menez le Blue City Project. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Le projet – mené en consortium avec des acteurs privés, publics, semi-privés et semi-publics, des start-up et l’ENAC – devrait démarrer en janvier 2022 et durer quatre ans (sous couvert de l’acceptation par Innosuisse (organe fédéral de l’Innovation) en octobre prochain). Nous allons créer la ville numérique de demain et y développer différents scénarios. Le but est de proposer une ville la plus autonome possible, la plus positive en termes d’impact carbone ou de consommation. Romande Energie nous transmettra alors des données liées à la consommation énergétique et l’optimisation des réseaux. Il faut également mentionner que Romande Energie a déjà intégré de manière très forte la technologie du BIM (building information modeling), un outil qui va permettre d’implémenter ces jumeaux numériques. Nous serons alors en mesure de modéliser les réseaux énergétiques (entre autres, mais également des flux de gestions des déchets, de la logistique des biens de consommations, de la mobilité ou encore l’utilisation en économie circulaire des ressources pour le bâti), puis de les montrer sur une enveloppe virtuelle pour effectuer différentes simulations et apporter les optimisations possibles.

Le deuxième cluster, « territoires durables », vise à repenser l’urbanisation afin de la rendre socialement et écologiquement soutenable. De quoi s’agit-il exactement ?

Il s’agit de la modélisation de ce qu’on appelle le « système des systèmes ». Nous observons de quelle manière la mobilité va impacter le métabolisme de la ville, comment la nature en ville va impacter la qualité de l’air, ou encore comment développer une approche systémique de la planification territoriale centrée sur les personnes et leur épanouissement. Nous étudions également la transsudation des territoires, soit les conséquences de l’interaction croissante entre le côté rural et le côté urbain. Les configurations urbaines changent et, de ce fait, brouillent les frontières entre les villes et leur arrière-pays, d’où la nécessité de repenser les interactions entre les milieux ruraux et urbains dans différents domaines, comme la mobilité, l’alimentation ou la santé.

On évoque parfois la difficulté de se comprendre entre les mondes académique, économique et politique. Ressentez-vous cela ?

Absolument, le décalage est réel. C’est pourquoi nous avons fondé l’association Fustic (Future Sustainable Territories, Infrastructure and City) en mars dernier. Le but est de faciliter la traduction entre les différents acteurs, car les langages académique, politique et économique sont parfois différents. On parle peut-être de la même chose, mais pas de la même manière. Il est pourtant essentiel de bien comprendre les besoins et les attentes de chacun. Une des missions données aux académies par la Confédération et de promouvoir l’innovation. Or, cela ne peut se faire sans connexion avec l’écosystème local. C’est essentiel pour comprendre les besoins et définir les orientations à prendre. Je pense que le succès de l’innovation réside dans l’intelligence collective. Il faut absolument rassembler autour de la table les différents acteurs. Politiques, privés, publics, académiques et citoyens doivent réfléchir ensemble au futur souhaitable. En résumé, si les clusters stimulent l’interdisciplinarité à l’interne, l’association Fustic amène une notion de transdisciplinarité et d’ouverture sur l’extérieur.

Le rapport du GIEC publié en août dernier ne fait que confirmer l’urgence climatique dans laquelle nous nous trouvons. Quel impact ont eu ces conclusions scientifiques au sein des clusters ?

C’est clairement une sonnette d’alarme. Nous devons tous être acteurs et moteurs dans cet état d’urgence. Ce rapport confirme également la pertinence des orientations de nos recherches, puisque la faculté travaille sur les éléments qui sont au cœur des conclusions de ce rapport, et ce de manière transversale, inter- et transdisciplinaire. Au niveau des clusters, cette annonce amène des chemins de réflexion et permet de se questionner sur la manière d’être percutant à court terme, alors que les académiciennes et académiciens ont plutôt l’habitude de réfléchir sur du long terme. Aujourd’hui, il est important d’identifier, sensibiliser et transmettre les bonnes pratiques à mettre rapidement en place pour réduire et limiter au maximum les impacts de nos actions passées, actuelles et futures.

Quels sont les projets innovants menés au sein des clusters ?

Je pense aux approches de jumeaux numériques ou encore aux interactions rurales et urbaines que je mentionnais précédemment. Nous travaillons également sur les questions de réemploi de matériaux dans le domaine bâti, ou encore sur la réutilisation du béton et comment lui donner une deuxième vie de manière intelligente. Des recherches se concentrent également sur les impacts positifs du changement climatique. On a réalisé que certains organismes et bactéries présents dans les lacs alpins réagissent de manière plutôt bonne à la hausse des températures.

Sur le site de l’ENAC, on peut lire que « rendre les territoires durables nécessite de changer notre vision de l’urbanisation et de la ville ». Selon vous, comment percevoir correctement la ville ?

Il faut l’imaginer comme un membre de la famille avec qui on doit vivre, qu’on doit côtoyer. Il y a peut-être des distorsions, mais elle est partie prenante de notre quotidien. On doit la respecter, l’aborder comme quelqu’un qui va nous accompagner pour les trente prochaines années au moins. Il faut penser à l’urbanisation inclusive de la nature également, se demander quel lien on entretient avec elle et comment on la souhaite pour l’avenir. Et, là encore, le futur doit se penser de manière collective.

 

Joëlle Loretan

Journaliste

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Quelles actions simples modifient durablement nos comportements ?

Savoir que notre comportement impacte négativement sur l’état de la planète ne nous suffit visiblement pas pour agir. Pour changer, d’autres leviers que celui de l’information et de la sensibilisation doivent être utilisés. Nous sommes des êtres rationnels, parfois, mais pas dans nos comportements. Alors, comment fonctionnons-nous ?

Nos choix quotidiens essentiels pour une transition écologique

Aujourd’hui, je prends mon vélo ou ma voiture pour me rendre au travail ? Je règle mon chauffage sur 20 ou sur 23 degrés ? Je mets dans mon panier des légumes locaux ou cultivés à l’autre bout du monde ? J’achète des billets de train ou d’avion pour mon week-end à Rome ? Je coche « Fonds écologiques » ou « Fonds provenant d’énergies fossiles » dans mon application bancaire ? Tous les jours, nous effectuons des centaines de choix. Faites le compte. La plupart du temps, nous les faisons de façon automatique, sans y penser, alors qu’ils sont importants, essentiels même pour sortir de la crise climatique à laquelle nous sommes confrontés, pour économiser nos ressources naturelles, pour rester en bonne santé, etc. La mauvaise nouvelle c’est que l’information est loin de suffire pour influencer le choix des personnes que nous cherchons à convaincre. C’est ce que nous apprend le livre d’Eric Singler « Green Nudge, Réussir à changer les comportements pour sauver la planète », Pearson France, 2015. La bonne nouvelle, c’est que toujours plus de chercheurs issus de l’économie comportementale s’intéressent à la compréhension des comportements humains et des facteurs qui les influencent. Discipline relativement jeune, elle combine des connaissances sur le comportement humain issues de la psychologie, de la sociologie et de l’économie.

Qu’est-ce qui nous pousse à changer de comportement ?

Les études scientifiques montrent que 80% des facteurs influençant les changements de comportement pro-écologiques résultent de facteurs situationnels et non pas de connaissances de l’individu. En effet, le fait que nous bénéficions d’informations claires, que nous comprenions le problème ne garantit pas que nous agissions en adéquation avec cette information. Une enquête menée en 2015 par l’ADEME en France montre par exemple que deux tiers des Français se déclarent soucieux de la protection de l’environnement. Mais cette prise de conscience se traduit-elle par un changement de comportement de la grande majorité des Français ? La réponse est non. Et c’est la même chose dans tous les pays. Plusieurs leviers sont utilisés aujourd’hui pour favoriser de nouveaux comportements : informer pour convaincre, utiliser des leviers économiques pour inciter, réguler pour imposer, innover pour apporter de nouvelles solutions. Toutes ces actions sont importantes mais insuffisantes. Les défenseurs du Green Nudge en proposent d’autres qui ne s’adressent pas à notre système rationnel et calculateur, mais à notre système intuitif, émotionnel et avare d’efforts qui pilotent visiblement la plupart de nos décisions. Alors de quoi s’agit-il ?

Les leviers pour favoriser le changement

Deux grandes catégories de facteurs ont une influence importante sur notre comportement. Les facteurs sociaux : « Ce que font et pensent les autres (famille, amis, voisins, collègues, etc.) influence considérablement mes comportements » ; et les facteurs environnementaux, situationnels : « Nous sommes fortement influencés par la manière dont les choix nous sont proposés ». Comment donc « utiliser » ces facteurs d’influence pour favoriser un comportement eco-friendly ? En créant des Nudges :des interventions mineures dont le coût est bas et qui vont s’inscrire facilement dans le processus de décision, l’objectif étant de faire basculer le comportement du bon côté, vers des comportements favorables à l’environnement dans les domaines aussi variés que l’énergie, la mobilité, la consommation, les éco-gestes, l’alimentation, etc.

1. Le levier des normes sociales

Il s’agit de communiquer une information relative aux autres à un moment pertinent dans le processus de décision. Cette méthode est l’un des leviers les plus utilisés.

Expérimentation sur la réduction d’utilisation d’énergie par des foyers américains
Menée sur 600’000 foyers aux Etats-Unis par la société d’électricité américaine Opower, active dans les solutions d’économies d’énergie, cette expérimentation a consisté à informer les foyers sur leur consommation d’énergie de deux manières différentes : le premier groupe a reçu une lettre standard relative à sa consommation d’énergie. Le second groupe a reçu cette lettre accompagnée des chiffres de consommation des voisins : « Vous avez utilisé x% d’électricité de moins/de plus que vos voisins ». Si leur consommation est supérieure aux autres, la lettre fournit des conseils pour réduire sa consommation. Le groupe ayant été comparé aux voisins a réduit de 3% sa consommation par rapport au premiers groupe. 3% peut sembler faible, mais c’est l’équivalent de la consommation énergétique des villes américaines de Saint Louis et Salt Lake city réunies. Une manière simple et rapide de faire des grandes économies.

Hunt Alcott, « Social Norms and Energy Conservation », Journal of Public Economics, 95 (9), 1082-1095, 2011.

Expérimentation sur des messages de sensibilisation à la réduction de consommation d’énergie
Menée à San Marco en Californie, cette expérimentation a testé différents messages de sensibilisation qui ont été placés sur les portes d’entrées d’habitants de la ville à plusieurs mois d’intervalles : un premier message montrait l’apport économique des économies d’énergie, un second montrait ses apports écologiques, un troisième était un message citoyen et enfin le dernier message était un message de comparaison avec son voisinage :« 77% de vos voisins ont déclaré qu’ils éteignaient leur climatiseur et utilisaient leur ventilateur, svp faites comme eux ». Ce dernier message a permis de réduire de 10% la consommation énergétique des foyers, devançant significativement les autres messages.

J.M Nolan, P.W. Schultz, R.B. Cialdini, N.J Goldsteinet V. Griskevicius, « Normative Social Influence is Underdetected », Personality and Social Psychology Bulletin, 34(7), 913-923, 2008.

2. Le levier de la reconnaissance

La reconnaissance des autres est également importante pour modifier nos comportements.

Expérimentation américaine visant à réduire la demande énergétique aux moments de forte consommation en Californie
Pour cette expérience, une lettre a été envoyée à tous les ménages pour qu’ils s’engagent à réduire leur consommation lors des moments de forte consommation. Dans le premier cas de figure, le nom des volontaires a été affiché sur les kiosques d’information du quartier, dans le deuxième cas de figure, il n’y avait que le code postal des volontaires qui était affiché. Il y a eu trois fois plus de volontaires dans le cas de figure où le nom avait été affiché. Et même sept fois plus qu’avec une incitation financière de 25 dollars.

Erez Yoeli, Moshe Hoffman, David G. Rand et Martin A. Nowack. “Powering up with indirect reciprocity in a large-scale field experiment”. PNAS, 18 juin 2013, vol. 110, Suppl.2, 10424-10429.

3. Le levier des choix par défaut

Les choix par défaut proposés ont un impact très important sur les décisions et les comportements des gens. Ils ne demandent aucun investissement supplémentaire.
Si tous les choix par défaut proposés étaient pensés de façon écologique, ils impacteraient positivement l’environnement de façon très simple.

« Comment renforcer le choix de l’énergie renouvelable dans les foyers allemands »
Cette étude, menée sur 42’000 foyers allemands devant choisir un plan relatif à la fourniture d’électricité, consistait à leur proposer deux options : un plan classique et un plan énergie verte avec un surcoût par rapport au plan classique. Dans le premier cas de figure, l’adoption du plan classique proposé était pré-coché avec possibilité de cocher l’énergie verte. Dans le second cas, c’est l’option énergie verte qui était pré-cochée. Dans le premier cas, seuls 7% ont coché l’énergie verte, dans le second cas, 70% ont maintenu le choix de l’énergie verte. Pourquoi un tel comportement ? Est-ce la force de l’inertie ? Le fait que les foyers perçoivent ce choix comme un recommandation implicite ?

Ebeling F. & Lotz S, « Domestic uptake of green energy promoted by opt-out tariffs”, Nature Climate Change, 2015

Une imprimante qui imprime recto-verso en noir et blanc par défaut, des contenants de sodas plus petits pour lutter contre l’obésité, etc. Réfléchissons tous aux choix par défauts que nous pourrions préinstaller en vue d’économies d’énergie, de consommation responsable ou encore de promotion de la santé.

4. Le levier de la saillance

Le levier de la saillance consiste à capter l’attention et à donner une information claire et directe AU MOMENT OÙ la décision se prend.

Exemple de réduction de consommation énergétique par les utilisateurs de la lessive Ariel
Afin de promouvoir le lavage à 30 degrés, tout aussi efficace qu’un lavage à 40 degrés et plus économe en énergie, une agence d’économie d’énergie anglaise s’est associée à la lessive Ariel pour communiquer l’information au bon moment. La bouteille s’est transformée en excellent supports d’information car il informe juste au moment de l’action. « Turn to 30 » a été écrit en gros sur la bouteille. L’information a déclenché le comportement souhaité pour 15% des gens en plus.

5. Le levier du cadrage des informations

Nous sommes très sensibles à la forme que prend une information ou au vocabulaire utilisé pour présenter les options de choix que l’on souhaite privilégier.

Quantité de nourriture consommée selon le nom donné à un sachet de frites ?
Cette expérimentation menée pour des questions de santé publique montre que selon le nom donné à des sachets de frites 1. (petit, moyen et grand), 2. (normal, grand et king), 3. (mini, petit et normal), les gens achèteront des sachets plus ou moins grands et mangeront plus ou moins. Dans le cas 3, les gens consomment 20% de calories en plus par exemple.
Nous prenons tous de nombreuses micros-décisions quotidiennes et faisons des choix rapides. Le choix des mots est ainsi un levier favorable vers des comportements souhaités.

Pierre Chandon et al, 2013, INSEAD.

6. Le levier de la simplification

Ce levier consiste à simplifier et réduire au maximum les efforts nécessaires à l’action souhaitée.

Expérimentation à Copenhague pour réduire le littering
La Ville a placé des empreintes de pied vertes sur le sol de certaines zones qui se dirigent vers les poubelles pour les trouver plus facilement. Ceci a permis de réduire de 46% les déchets dans les zones concernées.

Ainsi, nous l’avons vu, de nombreux leviers efficaces existent pour favoriser les comportements souhaités.

Pour réfléchir à un projet qui fonctionne, vous pouvez vous appuyer sur le « Guide de l’économie comportementale : comprendre et changer les comportements » publié par l’Office fédéral de la santé publique pour favoriser la promotion de la santé et la prévention. Ce guide peut également être utile pour faire changer des comportements environnementaux. Il s’agit, comme le montre ce guide, de se questionner tout d’abord sur les publics cibles, les comportements actuels, les blocages identifiés, et les comportements souhaités.

Des spécialistes qui nous accompagnent

Le bureau international Behavioral Insights accompagne les gouvernements, les autorités locales, les entreprises et les organisations caritatives de plus de 30 pays en proposant des nudges et en utilisant souvent des changements simples pour résoudre des problèmes politiques majeurs, notamment dans les questions écologiques.

comportement

En Suisse, le bureau aXess, composé d’Yves François, psychologue, et de Jeremy Grivel, docteur en neurosciences, accompagne la conception d’actions favorisant des comportements plus respectueux de l’environnement. Interview.

Yves François, quels types d’acteurs font appels à vos services et pourquoi ?

Nous accompagnons des entreprises, des villes, des cantons, des régions, des parcs naturels, etc. qui souhaitent modifier certains comportements de leurs employés, habitants, visiteurs,et cherchent de nouvelles manières de le faire. Ils souhaitent par exemple réduire certaines incivilités dans des espaces publics, promouvoir une mobilité plus douce pour les déplacements de leurs employés, réduire le littering dans des parcs, favoriser le tri des déchets. En bref, les nudges que nous mettons en place avec nos mandants permettent de changer tous types de comportements allant dans le sens d’une transition écologique.

Comment vous y prenez-vous concrètement pour mettre en place ces actions ?

Nous commençons toujours par une phase d’observation : de l’environnement, des comportements actuels, de la communication utilisée. Ensuite, selon chaque contexte et selon les objectifs souhaités, nous proposons différentes actions : des adaptations de l’environnement, des messages à communiquer, etc. Parfois certains éléments de l’environnement actuel ne doivent pas être modifiés : un parking à vélo débordant ? Il ne faut rien changer car cela renvoie comme message aux employés que ce moyen de transport est très apprécié de ses collègues, et grâce au levier de la norme sociale, cela favorisera l’utilisation du vélo par d’autres.

Un exemple concret pour illustrer votre travail ?

Nous avons eu le mandat d’une ville située au bord d’un lac de réduire le littering dans un des parcs naturels bordant le lac. Une première phase d’observation nous a permis de situer les trajets des utilisateurs du parc et leur comportement. Notre proposition a été de renforcer l’aspect naturel du parc – en enlevant tout aménagement urbain comme les bancs (remplacés par des troncs de bois), d’enlever toutes les poubelles du parc et de les remplacer par un gros container propre et visible placé à l’entrée du parc. L’être humain adapte son comportement à l’environnement dans lequel il se trouve : dans un chantier rempli de poussière on laisse plus facilement traîner ses déchets, alors que dans un environnement naturel et soigné, on fera attention d’en préserver la propreté.

En quoi ces nudges, qui apportent de petits changements, peuvent-il avoir un effet boule de neige ?

Le cerveau humain a besoin de cohérence. Si par exemple on troque sa voiture contre un vélo pour faire ses courses, cela nous poussera peut-être à nous rendre au travail à vélo afin de tendre vers plus de cohérence. Le premier petit changement issu d’un nudge est une sorte de produit d’appel vers des changements plus importants. Aux collectivités publiques et aux entreprises de promouvoir cette cohérence : par exemple rien de moins efficace que de promouvoir des poubelles à tri sous l’évier de chaque foyer et de contredire ce comportement en ayant des poubelles uniques dans l’espace public. Bon nombre de communes ont compris ce manque de cohérence et installent maintenant sur le domaine public, des poubelles permettant le tri.

Pour celles et ceux qui souhaitent aller plus loin, le Sanu organise avec aXess :

Une formation sur « Comment favoriser des comportements plus respectueux de l’environnement : Stratégies pour changer les comportements en faveur du développement durable »
Une formation sur les « Neurosciences de la transition ».

 

Hélène Monod

Rédactrice

hydrogène

Le potentiel de l’hydrogène

La Commission européenne a adopté mi-décembre une nouvelle série de propositions législatives visant à réduire ses émissions nettes de gaz à effet de serre. Et l’hydrogène en est un élément-clé : on ne fera pas sans. Ni en Europe, ni en Suisse.

Multifacette et polyvalent, l’hydrogène s’applique à plusieurs secteurs (transports, énergie, industrie) et offre une large palette d’applications. Il peut non seulement servir de vecteur énergétique ou de matière première, mais également être utilisé pour stocker de l’électricité renouvelable saisonnière. Il est aussi dans le viseur pour faciliter la décarbonation de secteurs industriels ou encore remplacer les carburants fossiles pour les modes de transport lourds. L’Europe affiche d’ailleurs de grandes ambitions sur ce dernier point : d’ici à 2035, le territoire devra proposer un point de ravitaillement tous les 150 kilomètres pour les véhicules à hydrogène.

Chez nous, on compte également sur ce vecteur énergétique pour réussir la transition. Dans son étude thématique consacrée au développement de l’hydrogène en Suisse publiée en décembre 2021, CleantechAlps constate qu’« en dopant la production d’énergie renouvelable et en la stockant sous forme d’hydrogène, la Suisse pourra résoudre certains problèmes énergétiques tout en préservant le climat (…). Des acteurs économiques sont prêts à déployer des applications (…). Le cadre réglementaire doit également rapidement évoluer afin que des installations de démonstration à l’échelle préindustrielle puissent être réalisées dans notre pays pour convaincre les futurs clients. »

L’HYDROGÈNE SOUS LA LOUPE

Chez Romande Energie, l’hydrogène a fait l’objet d’une attention toute particulière ces derniers mois. En effet, Jérémie Brillet, en charge du développement hydrogène, vient de passer une année à évaluer, avec le concours de parties prenantes internes et externes, le potentiel de l’hydrogène (production, transport, stockage, utilisation) pour Romande Energie. À quelques semaines de présenter le résultat des réflexions sur ce thème aux organes de décision de l’entreprise, il rappelle « les trois leviers » pour décarboner nos sociétés :

  • se diriger vers la sobriété en gaspillant le moins d’énergie possible et soutenant un développement raisonnable.
  • électrifier là où c’est possible (systèmes de chauffage, parc automobile, etc.) ; « mais augmenter les usages électriques tout en visant une réduction des consommations pose l’épineuse question de l’approvisionnement. »
  • utiliser l’hydrogène là où il fait sens écologiquement et économiquement, et là où l’électrification directe n’est pas adéquate. Car il n’est pas possible de tout électrifier, comme dans le cas de la mobilité lourde. « Prenez l’exemple d’un transporteur qui chargerait ses 50 camions électriques durant la nuit. Le réseau ne supporterait pas de si fortes puissances, il faudrait le redimensionner. Ce n’est économiquement pas viable. »

L’HYDROGÈNE POUR…

… décarboner la mobilité

H2 Energy mène un important projet en matière de mobilité lourde, avec l’ambition de faire circuler 1600 camions à hydrogène dans notre pays d’ici à 2030. Le projet est mené en joint-venture avec PanGas, Hyundai, Alpiq et Hydrospider, un dernier acteur dont le rôle est d’assurer la production et la distribution de l’hydrogène… renouvelable ! Un tour de force, quand on sait que la production mondiale est composée de 95% d’hydrogène gris et de 5% d’hydrogène vert.

  • Hydrogène vert (renouvelable) : produit par électrolyse de l’eau à partir d’une électricité produite de manière durable ou provenant d’une source renouvelable
  • Hydrogène gris : produit à partir de combustibles fossiles sans capture du carbone
  • Hydrogène bleu : produit à partir de combustibles fossiles avec capture du carbone

 

potentiel-hydrogene

 

Nicolas Crettenand, chef des opérations chez Hydrospider, est donc particulièrement fier d’annoncer la couleur. « C’est de l’hydrogène vert, produit sur la centrale au fil de l’eau d’Alpiq à Gösgen (ZH). L’électricité utilisée pour l’électrolyse (processus qui vise à séparer les molécules de l’eau en hydrogène et oxygène) est d’origine renouvelable, puisqu’elle est prise directement sur l’ouvrage de production hydroélectrique. » Il précise que l’idéal reste un lieu de production proche du lieu de consommation. « Mais les centrales au fil de l’eau, tout comme d’autres sources d’énergies renouvelables, ne sont pas toujours proches de l’utilisateur final. » Et s’il reste convaincu que l’hydrogène (vert) a un rôle à jouer, il est persuadé que le changement passe par les collaborations. « La transition énergétique doit être gérée d’un point de vue systémique. Tous les secteurs et les métiers qui travaillent de près ou de loin avec l’hydrogène doivent communiquer. Il faut également aborder la question de l’hydrogène sous l’angle de l’économie circulaire, où on cherche à valoriser notamment la chaleur fatale. » En effet, cette perte calorifique lors du processus d’électrolyse pourrait être à l’avenir récupérée, puis injectée dans les réseaux de chauffage à distance.

Quant à la mobilité plus légère, elle n’est pas en reste. La société genevoise Stor-H Technologies SA y croit et annonce la commercialisation dès ce printemps de cartouches réutilisables d’hydrogène vert, destinées aux véhicules de moins de 12kW et de 500 kg maximum. Si le déploiement est prévu en Europe, au Maroc et en Chine, quelques véhicules alimentés à l’hydrogène circulent depuis juillet 2020 déjà chez le partenaire ABB.

… remplacer les vieilles chaudières

Depuis l’été 2021, le projet Aurora – qui réunit en consortium Romande Energie, Realstone, la Fondation Nomads et GreenGT – évalue le potentiel et la pertinence de l’hydrogène pour le parc immobilier, d’abord au niveau romand, puis sur un territoire plus large en cas de résultats concluants. Si les expérimentations menées jusqu’ici par d’autres acteurs concernaient uniquement des maisons individuelles ou des sites isolées, Aurora cherche les fenêtres de pertinence sur des immeubles collectifs connectés au réseau. « À certains endroits et pour certains usages, comme le chauffage par exemple, il n’existe pas de solutions bas carbone faciles à mettre en œuvre, explique Yorick Ligen, responsable Infrastructures et Territoires chez GreenGT, société active dans les technologies électriques-hydrogène. Dans ces cas, il faut alors se demander quelle énergie utiliser et comment l’acheminer jusqu’au lieu de consommation. » Comme dans les centres-villes historiques, où il est parfois impossible de forer pour installer des pompes à chaleur géothermiques. Voilà le genre de situations où le choix de chaudières à hydrogène pourrait alors être envisagé.

Mais le projet Aurora n’a pas encore livré tous ses résultats. Après avoir répertorié les technologies existantes et s’être questionné sur l’ensemble de la chaîne hydrogène (production, transport, stockage et conversion), les acteurs du projet ont abouti à plus de 5000 configurations possibles. « On en a gardé une dizaine, qu’on a intégrées dans un outil de modélisation, précise Yorick Ligen. Nous étudions aujourd’hui leur pertinence technico-économico-environnementale.» Et il en est convaincu : le vecteur hydrogène est une chance pour beaucoup de secteurs lents ou difficiles à décarboner, à condition de l’utiliser là où il est le plus pertinent et en bonne intelligence avec les autres solutions. « C’est une option parmi tant d’autres dans le mix énergétique. Il faut saisir les opportunités qui ont le plus de sens pour viser les objectifs climatiques. »

… pallier au déséquilibre saisonnier de production

En matière d’énergie renouvelable et à une échelle suprarégionale, il y a un déséquilibre de production journalier et saisonnier. Si les batteries sont efficaces pour du stockage à court terme (journalier), il n’en est rien pour le plus long terme (saisonnier), comme l’explique Jérémie Brillet, responsable du développement hydrogène chez Romande Energie : « Éteignez votre téléphone durant trois mois, puis essayez de le rallumer, et vous comprendrez. Le Graal est de trouver des modèles où on arrive à mobiliser les excédents d’énergie solaire en été pour produire de l’hydrogène qu’on stockerait, puis qu’on réutiliserait en hiver. » Mais le stockage de l’hydrogène, qu’il soit comprimé, liquéfié, enterré ou injecté dans le réseau de gaz naturel, reste un vrai casse-tête. Il se stocke mal et les solutions technologiques sont coûteuses. Pour Jérémie Brillet, rendre ces approches économiquement viables est un véritable enjeu.

 

Joëlle Loretan

Journaliste

mobilité douce

Les urbanistes sont essentiels pour promouvoir la marche et le vélo

En Suisse, la mobilité est le secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre. En moyenne, les Suisses parcourent 37 kilomètres par jour, dont les 2/3 se font en voiture. 38% de l’énergie finale consommée en Suisse est imputable au trafic, qui occasionne près d’un tiers des émissions totales de CO2 dans le pays. Pour réduire la mobilité motorisée et promouvoir la mobilité active, de nombreuses actions de sensibilisation et d’incitation sont déployées, et elles sont importantes. Mais le levier essentiel se trouve entre les mains des urbanistes : construire des villes accueillantes pour les piétons et les cyclistes.

Toujours plus de voitures, de piétons ou de cyclistes ? Qui décide ?

L’expérience montre aujourd’hui que plus nous donnons de place aux voitures, plus il y en aura. Et c’est la même chose pour les cyclistes et les piétons ! Ainsi, favoriser un type de mobilité est une question de choix (politiques), et de compétences (urbanistiques). Offrir plus de place aux cyclistes et aux piétons réduit l’utilisation d’énergie et l’émission de CO2 liés aux déplacements, tout en améliorant la santé des citoyens. A contrario, offrir plus d’espace aux voitures engendre une augmentation du trafic motorisé, une plus grande utilisation de l’espace public, une augmentation de la pollution de l’air et des embouteillages, etc. Comme le démontre l’exemple de la plus grande autoroute du monde, la « Katy Freeway », qui sert de contournement à la ville de Huston, le choix politique de l’agrandir jusqu’à 26 voies pour venir à bout des bouchons la rend finalement … encore plus saturée qu’avant son agrandissement. Donner plus d’espace aux voitures pour réduire les embouteillages n’est donc pas la solution.

La mobilité active : une réponse efficiente

Il s’agit ainsi d’inverser la tendance et de redonner la place à une mobilité active, c’est-à-dire une mobilité où l’humain fournit l’effort pour se déplacer. Troquer sa voiture contre des baskets, une trottinette ou un vélo est un choix individuel largement favorisé par un espace public adapté à cette mobilité non motorisée.

Diminution du temps de déplacement

Les statistiques fédérales révèlent que 50% des déplacements motorisés effectués dans notre pays portent sur des distances inférieures à 5 kilomètres. La vitesse moyenne d’une voiture en ville oscille entre 21 km/h et 12km/h aux heures de pointe. Un cycliste roule lui à 15 km/h. En dessous de 5 km, le trajet à vélo en agglomération est ainsi le plus rapide. La mobilité active devient ainsi une réelle alternative.

Réduction de CO2 et économies d’énergie fossile

Nous consommons dans le monde plus de 15 milliards de litres de pétrole chaque jour, dont plus de la moitié est brûlé dans les moteurs des véhicules : voitures, camions, bateaux, trains et avions.

Economies d’espace

L’espace public disponible en milieu urbain est occupé à près de 90% par l’automobile. Pour le même espace, il est possible de faire circuler 4,5 fois plus de personnes en transport en commun (bus) par rapport à l’automobile, 7 fois plus de personnes à vélo.

Meilleure santé

Le manque d’activité physique touche plus de 65% des adultes et plus de 80% des adolescents d’après une étude publiée en 2019 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), impliquant une quantité de pathologies associées à la sédentarité : problèmes cardiovasculaires, hypertension artérielle, perturbations du métabolisme des graisses, diabète, surpoids, cancers, troubles de l’humeur, dépression, etc. Mais il suffit à une personne de pratiquer quelques heures d’activité par semaine pour observer une amélioration tangible de sa santé : pratiquer la marche ou le vélo pour ses déplacements améliore ainsi la santé des marcheurs ou cyclistes.

« Les urbanistes ont à nouveau des humains pour clients »

Comme le dit Jan Gehl, urbaniste et designer danois, l’humain et ses caractéristiques doivent à nouveau être au centre des préoccupations des urbanistes. « Le client de l’urbaniste et de l’architecte : un être humain qui marche en ligne droite, vers l’avant et dans un plan horizontal à 5 km/h ». Et non plus un amas de tôle, qui roule en ligne droite, vers l’avant sur un plan horizontal, pouvant aller jusqu’à 130 km/h. Remettre l’humain au cœur des espaces publics doit donc être la base de la réflexion des urbanistes d’aujourd’hui. Pour cela, il faut lui redonner de la place, et une place de qualité.

Nous sommes tous parfois automobiliste, parfois cycliste, parfois piéton. Réfléchissons donc à ce qui fait que nous pratiquons ou non une mobilité active, aux endroits où nous aimons nous déplacer et à leurs caractéristiques. Est-ce le fait qu’il y ait des espaces généreux dédiés à nos déplacements, qu’ils soient sécurisés et loin de la circulation, qu’ils soient bien connectés, que les paysages urbains qui les composent soient diversifiés, qu’il y ait de l’activité et de l’animation, qu’il y ait des espaces ombragés et végétalisés, que les rez-de-chaussée soient vivants, etc. ?

Dans son ouvrage « Pour des villes à échelle humaine », Jan Gehl donne de nombreux conseils pour y parvenir, basés sur ses années d’expérience partout dans le monde. Ces derniers se centrent toujours sur le même principe : quels sont les caractéristiques et besoins d’un humain en termes de déplacements dans l’espace public ? Pour lui, l’être humain est fait pour marcher. « Une bonne ville est une ville construite autour du corps humain et de ses sens ». Et les espaces développés pour le gain de temps et l’optimisation de la voiture n’offrent guère de distraction ni de sécurité pour le piéton.

Copenhague : un exemple à suivre

Bien que Copenhague soit aujourd’hui un modèle en termes de mobilité active, ça n’a pas toujours été le cas. Pour répondre à des problèmes de trafic motorisé, la ville a commencé dans les années 1960 à éliminer annuellement 2 à 3% des emplacements de parking en ville et à développer parallèlement un réseau de transports en commun efficace et agréable, à améliorer son réseau de pistes cyclables et à connecter tous les quartiers de la ville pour les piétons. Son objectif initial ? Rendre le vélo plus rapide que la voiture pour les déplacements urbains. C’est d’ailleurs la principale raison donnée par les cyclistes de la ville : ça va plus vite ! Copenhague n’a donc pas toujours été exemplaire… mais elle a quelques dizaines d’années d’avance sur les villes qui s’y mettent seulement aujourd’hui. De quoi s’inspirer, donc.

Quelques chiffres parlants

  • 400 kilomètres de pistes cyclables empruntées tous les jours par plus d’1/3 des habitants ;
  • Le nombre de vélos présents sur les routes du centre-ville a dépassé le nombre de voitures en 2016 ;
  • Seuls 40% des Danois possèdent une voiture, alors que 90% possèdent un vélo ;
  • 35% de la population se rend quotidiennement à vélo au travail.

Quelques principes d’aménagements

  • Mis à part sur les zones 30km/h où voitures et cyclistes partagent le même espace, les pistes cyclables sont toujours distinctes ;
  • Le long des artères limitées à 60 km/h, les pistes cyclables, unidirectionnelles, sont séparées de la circulation ;
  • Quand la vitesse autorisée est supérieure à 60km/h, les itinéraires cyclables empruntent un parcours entièrement distinct de celui des voitures. Ces pistes sont larges : deux cyclistes peuvent discuter en roulant, tout en se faisant dépasser par un troisième ;
  • Aux grandes intersections, les feux des voitures et des vélos sont décalés, permettant aux vélos de partir plus tôt ;
  • Sur certains axes, les feux de signalisation sont synchronisés sur la vitesse des deux-roues et un cycliste peut parcourir plusieurs kilomètres en enchaînant tous les feux verts.

Une autoroute à vélo

Afin de promouvoir la pratique du vélo pour les pendulaires des communes proches de Copenhague, 23 municipalités ont collaboré en construisant de nouvelles « autoroutes à vélos » qui totaliseront prochainement 750 km. Ces « autoroutes » sont très larges et éloignées des axes routiers, et traversent souvent des forêts. On peut ainsi rouler pendant des kilomètres sans y croiser une seule voiture. Ces aménagements permettent un réel transfert modal : 1/4 de leurs usagers, qui parcourent pour certains plus de 30 km par jour, utilisaient auparavant la voiture.

Evaluer la marchabilité d’une ville, un concept d’avenir

Une étude menée par l’association actif-trafiC, Mobilité piétonne Suisse et Hochschule für Technik Rapperswil « Marchabilité et santé – comparaison entre 16 villes suisses » montre que l’intérêt pour le piéton grandit. Parmi les éléments issus de cette étude, voici quelques recommandations : proposer des infrastructures séparées pour la mobilité piétonne et cycliste ; offrir davantage d’espace pour la mobilité piétonne ; imposer des temps d’attente moins longs pour traverser ; modérer le trafic automobile et réaliser plus de zones de rencontre ; mieux doter les services de mobilité piétonne.

Donner envie de pratiquer une mobilité active

Se déplacer quotidiennement en marchant, à vélo, en trottinette, etc. est un choix individuel, certes. Mais ce choix est d’autant plus facile si les itinéraires proposés sont sécurisés, agréables et rapides. Et pour cela, les choix de nos dirigeants et des urbanistes sont essentiels. Créer des espaces publics à taille humaine et pensés selon cette échelle est une priorité autant pour notre climat que pour notre santé.

 

Hélène Monod

Rédactrice

stratégie bas carbone

Stratégie bas carbone : ou comment contribuer à la trajectoire de la neutralité carbone à l’échelle mondiale

Depuis quelques années, et en particulier depuis la COP21 et l’adoption de l’Accord de Paris en 2015, accord visant à limiter le réchauffement climatique bien en dessous de 2°C à l’échelle mondiale, de nombreux acteurs privés s’engagent dans une démarche de « neutralité carbone » et ont annoncé vouloir atteindre le « net zéro » en 2050, 2040 ou 2030 déjà. Si la notion de « neutralité carbone » ou de « net zéro » n’est en réalité applicable qu’à l’échelle planétaire, ces engagements des acteurs privés sont essentiels et toute entreprise devrait, à son échelle, contribuer à l’atteinte d’une société bas carbone en activant deux leviers, celui de la réduction des émissions et celui de l’augmentation des puits de carbone, tant à l’interne qu’à l’externe de l’organisation.

La « neutralité carbone » c’est quoi ?

Lorsqu’il est question de lutte contre les changements climatiques, on parle bien entendu de réduire les émissions de gaz à effets de serre (GES), l’augmentation des températures mondiales depuis le début de l’ère industrielle étant directement liée à l’augmentation des émissions de GES d’origine anthropique, à savoir liées aux activités humaines. Atteindre la neutralité carbone ne signifie toutefois pas réduire les émissions de CO2 à zéro, mais bien d’atteindre l’équilibre entre les émissions de CO2 anthropiques et leur absorption de l’atmosphère grâce à des puits de carbone. Le terme puits de carbone est utilisé pour désigner les réservoirs naturels ou artificiels qui absorbent le carbone présent dans l’air, soit en les détruisant par des procédés chimiques, soit en les stockant sous une autre forme. Les puits de carbone constituent un outil essentiel dans la lutte contre le réchauffement climatique, car ils permettent de capter et de stocker une partie importante du dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère. Toutefois, à l’heure actuelle seule la moitié des émissions mondiales de CO2 liées aux activités humaines sont absorbées par les puits de carbone que sont les océans et les écosystèmes continentaux (sols et croissance de la végétation).

Pour respecter l’objectif des 2°C de l’Accord de Paris, nous devons atteindre cette neutralité carbone avant 2050, en retirant chaque année autant de CO2 que l’on en émet afin d’arrêter l’accumulation de CO2 dans l’atmosphère. Pour y parvenir, nous devons agir sur deux grands leviers, d’une part la réduction des émissions de CO2 et d’autre part l’augmentation des puits de carbone.

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Les entreprises passent à l’action

Alors que les États mettent en place des stratégies climatiques plus ou moins ambitieuses afin de respecter les engagements pris au niveau international, les acteurs privés sont eux aussi invités à participer à l’effort collectif pour tendre vers une société bas carbone.

Une telle stratégie à l’échelle d’une entreprise a plusieurs vertus : cela permet tout d’abord de gagner en résilience pour le futur. Cela permet également d’anticiper le risque carbone (coût du CO2), de répondre aux attentes des clients et des investisseurs ou encore de promouvoir son engagement auprès des parties prenantes. Enfin, cela permet de répondre aux ambitions nationales sur le climat.

Il a ainsi été démontré depuis les années 2000 qu’une entreprise qui s’engage avec sérieux sur la question environnementale bénéficie d’une meilleure image, d’une plus grande réputation et d’une motivation supérieure des employés, gagnant ainsi en productivité. C’est une des raisons qui rendent l’adoption d’une stratégie bas carbone immédiatement attractive pour l’entreprise. Mais alors comment s’y prendre ?

De la compensation à la contribution

La stratégie dominante à ce jour s’articule autour d’un processus en trois étapes : 1. mesurer, 2. réduire, 3. compenser. Cette approche consiste à viser la « neutralité carbone » à une échelle individuelle (« mes émissions résiduelles sont entièrement compensées par l’achat de certificats, je suis donc neutre en CO2 ») et nous fait croire en la possibilité d’une « annulation » du problème climatique à peu de frais (achat d’un droit de polluer). Toutefois, cette approche n’encourage que moyennement à agir concrètement sur les émissions induites par l’activité de l’entreprise et donc à réduire les émissions à la source.

Plusieurs critiques sont également émises concernant le mécanisme de compensation dont la finalité est la protection du climat par le financement de projets permettant d’éviter certaines émissions de gaz à effet de serre. Il est en effet souvent difficile de distinguer les projets permettant d’éviter des émissions (installation de fours solaires en Inde pour remplacer des sources fossiles), et les projets qui permettent de retirer des émissions de l’atmosphère (plantation d’arbres). Il est également souvent difficile de vérifier si les projets de réduction n’auraient vraiment pas vu le jour sans l’apport financier des crédits carbone. Par ailleurs, puisque les émissions anthropiques dépassent largement la quantité de compensation disponible à l’échelle mondiale, ce concept n’est pas universalisable et ne peut donc être considéré comme une solution viable à large échelle. Au final, on peut au mieux espérer que ce mécanisme permette de ralentir le rythme de croissance des émissions de GES, mais en aucun cas qu’il permette d’atteindre la neutralité carbone.

Plutôt que de chercher à être une entreprise « neutre en CO2 », en compensant les émissions qui ne peuvent pas être supprimées au sein même de l’activité de l’entreprise, les acteurs privés peuvent voir plus loin et « contribuer à la neutralité carbone au niveau mondial », sans supprimer entièrement la compensation, mais en agissant plus largement sur les deux grands leviers que sont la réduction des émissions et l’augmentation des puits de carbone, ceci tant à l’interne qu’à l’externe de l’entreprise.

Pour contribuer à la baisse globale d’émissions, une entreprise doit ainsi :

1. Réduire ses propres émissions directes et indirectes. Ce pilier incite l’organisation à évaluer et piloter la réduction de ses émissions absolues de GES directes et indirectes au cours du temps.
2. Réduire les émissions des autres. Ce pilier incite l’organisation à évaluer et augmenter ses contributions à la décarbonisation de la société dans son ensemble, soit :

  • sous l’effet des produits et services qu’elle vend qui viennent se substituer à un usage plus carboné chez les clients finaux (vente d’appareils à haute efficacité énergétique, vente d’un service plutôt qu’un bien, etc.),
  • soit sous l’effet de financement de projets de réduction d’émissions hors de sa chaîne de valeur (achats de réductions d’émissions certifiées – compensation, prise de participation directe dans des projets, contrats d’énergie bas carbone sous certaines conditions, etc.)

Pour contribuer à l’augmentation des absorptions mondiales, elle doit :

3. Augmenter les puits de carbone. Ce pilier incite l’organisation à évaluer et augmenter sa contribution à l’augmentation des puits de carbone naturels et technologiques mondiaux, soit :

  • dans sa chaîne de valeur, en développant ses propres puits de carbone (absorptions directes) ou ceux en amont (dans la supply chain) et en aval (au sein des clients ou utilisateurs finaux) ;
  • hors de sa chaîne de valeur, grâce au financement de projets de séquestration (achats de séquestrations carbone certifiées, prise de participation directe dans des projets, etc.).

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Déclinaison de l’action mondiale de neutralité carbone à l’échelle de l’entreprise selon la Net Zéro Initiative

Déroulement d’une stratégie bas carbone

Mesurer ses émissions

Comme dans le processus axé sur la compensation, on commence ici par mesurer ses émissions. Il s’agit de réaliser un bilan carbone sur la base du périmètre d’analyse le plus pertinent au regard de l’activité concernée : en tenant compte non seulement des émissions directes, mais également indirectes (scope 1, 2 et 3). Ceci permet de trouver des réponses aux questions suivantes :

  • Quels sont mes postes d’émissions de GES les plus impactants ?
  • Comment évoluent-ils ?
  • Quels sont les nouveaux risques et opportunités associés (réglementaire, économique, concurrentiel, interne, etc.) ?
  • Comment se positionne l’empreinte carbone de mon activité (via mes produits et services) par rapport à celles d’autres acteurs de mon secteur d’activité ?

Se fixer des objectifs

Une fois le diagnostic établi, il s’agit de se fixer des objectifs compatibles avec l’objectif mondial de neutralité carbone à l’horizon 2050 (science-based targets), à la fois ambitieux et réalistes, et à différents horizons temporels. Cette étape permet de répondre aux questions suivantes :

  • Quels sont mes leviers de réduction des émissions de GES ?
  • Quels sont leurs potentiels de réduction ?
  • Comment les hiérarchiser ?
  • Comment définir mes objectifs pour être cohérent avec l’objectif global 2°C ?
  • Quelles sont les trajectoires des émissions de GES de mon activité en fonction des scénarios envisagés ?
  • Quelle peut-être ma stratégie vis-à-vis de la compensation de mes émissions ?

Agir dans et hors de sa chaîne de valeur

La Stratégie bas carbone se décline ensuite au niveau opérationnel par un plan d’actions qui doit permettre de répondre aux questions suivantes :

  • Que dois-je changer dans mon activité quotidienne pour atteindre les objectifs de la stratégie établie ?
  • Quelles sont les actions prioritaires, à impact fort ou à effet d’entraînement important ?
  • Quels sont mes besoins matériels et financiers, mes besoins d’accompagnement pour monter en compétence sur ces nouveaux sujets ?
  • Quels sont les indicateurs de suivi de la performance, à quelle fréquence doit-on les suivre ? De quels outils de monitoring dois-je me doter ?

Vers une transformation de l’intérieur

De manière générale, on cherchera prioritairement à réduire les émissions directement liées à son activité, au sein même de sa chaîne de valeur, plutôt que d’agir en dehors de sa chaîne de valeur. On parle alors de compensation carbone intégrée ou insetting.

Les projets d’insetting permettent des réductions significatives des coûts et de l’empreinte carbone au cœur du processus de création de valeur des entreprises. L’approche vise donc une transformation du modèle d’affaire, seule à même de permettre l’avènement d’une société bas carbone.

En effet, en compensant annuellement ses émissions par l’achat de certificats, l’organisation ne réduit pas ses émissions propres et est vouée à poursuivre le système de compensation année après année. Impossible donc d’atteindre la neutralité carbone à l’échelle planétaire. Tandis que si l’organisation investit chaque année dans sa transformation (assainissement des bâtiments, remplacement des équipements, éco-conception des produits, nouveau système de distribution, etc., elle réduit petit à petit son impact climatique et contribue ainsi véritablement à atteindre la neutralité carbone au niveau mondial.

Vous souhaitez vous aussi contribuer à la trajectoire de neutralité carbone ? Rejoignez l’une des initiatives suivantes :

CEO for Climate
Net Zero 2030
Net Zero Initiative

 

Hervé Henchoz

Rédacteur