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Les clusters au cœur de l’ENAC « Le futur doit se penser de manière collective »

L’ENAC est la faculté de l’environnement naturel, architectural et construit de l’EPFL. Elle s’est donné pour mission d’apporter des réponses aux enjeux de la durabilité pour l’environnement naturel et construit, en particulier représentés par le changement climatique, la digitalisation et l’urbanisation rapide de nos sociétés. Pour relever ces défis, elle a mis en place différents outils, dont deux clusters de recherche.

« Digitalisation des villes et des infrastructures » et « territoires durables », voilà les noms donnés aux clusters de l’ENAC qui permettent aux 583 chercheuses et chercheurs, issus des domaines de l’architecture, du génie civil et des sciences de l’environnement, d’interagir sur ces thématiques. Frédéric Dreyer en est le responsable. Après avoir occupé le poste de directeur de l’Office genevois de la promotion des industries et des technologies (soit l’accompagnement aux PME innovantes actives dans le secteur industriel), il a rejoint l’EPFL il y a une année. Il nous parle de la création de ces entités, des buts visés et des projets qui y sont menés.

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Qu’est-ce qui a motivé la mise sur pied de ces clusters ?

Nous souhaitions renforcer et stimuler l’interdisciplinarité de la recherche des trois instituts de l’ENAC sur la thématique de la durabilité pour l’environnement naturel et celui du construit, mais également accélérer la contribution de la recherche au sein de la faculté sur les défis majeurs liés aux développements durables de nos villes et territoires. Le pas d’après, c’est la transdisciplinarité, soit l’ouverture de cette recherche académique et la création de ponts avec des partenaires privés, publics, semi-privés ou semi-publics. L’idée est vraiment de développer et de faciliter la mise en connexion des différents acteurs.

Et comment les thématiques « digitalisation des villes et des infrastructures » et « territoires durables » ont-elles été choisies ?

Sous l’impulsion de notre doyenne, la professeure Claudia R. Binder, les chercheuses et chercheurs de tous les laboratoires de l’ENAC ont défini de manière collégiale des axes d’interdisciplinarité, en réfléchissant aux futurs souhaitables et durables pour les villes et les territoires. L’importance de l’utilisation de la digitalisation, en tant qu’outils au service du développement durable, a été mise en lumière et renforcée, et ce en visant la protection maximale de l’environnement et ses citoyens.

Dans le cluster « digitalisation des villes », vous travaillez sur les « jumeaux numériques ». Pourriez-vous nous expliquer le but de l’approche ?

La création d’un jumeau numérique (digital twin) d’une ville ou d’un territoire permet d’étudier les interactions entre des flux : énergétiques, au niveau de la qualité de l’eau, de l’air, des bâtiments, de l’utilisation en économie circulaire de nos ressources, de la mobilité et de la citoyenneté. On étudie également l’impact de l’optimisation de la consommation énergétique au niveau du climat et de la décarbonisation. Ce jumeau numérique est alimenté avec des données collectées auprès de différents acteurs, notamment Romande Energie qui nous fournit des données liées à la consommation énergétique. Les chercheuses et chercheurs établissent ensuite des modèles prédictifs ou prescriptifs. Les données détenues par les acteurs privés et publics sont vraiment un élément-clé. Elles permettent d’alimenter, dans un cercle vertueux, des modèles de recherche qui permettront à leur tour aux pouvoirs publics ou aux acteurs privés de prendre des décisions concrètes.

Vous mentionnez Romande Energie, avec qui vous menez le Blue City Project. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Le projet – mené en consortium avec des acteurs privés, publics, semi-privés et semi-publics, des start-up et l’ENAC – devrait démarrer en janvier 2022 et durer quatre ans (sous couvert de l’acceptation par Innosuisse (organe fédéral de l’Innovation) en octobre prochain). Nous allons créer la ville numérique de demain et y développer différents scénarios. Le but est de proposer une ville la plus autonome possible, la plus positive en termes d’impact carbone ou de consommation. Romande Energie nous transmettra alors des données liées à la consommation énergétique et l’optimisation des réseaux. Il faut également mentionner que Romande Energie a déjà intégré de manière très forte la technologie du BIM (building information modeling), un outil qui va permettre d’implémenter ces jumeaux numériques. Nous serons alors en mesure de modéliser les réseaux énergétiques (entre autres, mais également des flux de gestions des déchets, de la logistique des biens de consommations, de la mobilité ou encore l’utilisation en économie circulaire des ressources pour le bâti), puis de les montrer sur une enveloppe virtuelle pour effectuer différentes simulations et apporter les optimisations possibles.

Le deuxième cluster, « territoires durables », vise à repenser l’urbanisation afin de la rendre socialement et écologiquement soutenable. De quoi s’agit-il exactement ?

Il s’agit de la modélisation de ce qu’on appelle le « système des systèmes ». Nous observons de quelle manière la mobilité va impacter le métabolisme de la ville, comment la nature en ville va impacter la qualité de l’air, ou encore comment développer une approche systémique de la planification territoriale centrée sur les personnes et leur épanouissement. Nous étudions également la transsudation des territoires, soit les conséquences de l’interaction croissante entre le côté rural et le côté urbain. Les configurations urbaines changent et, de ce fait, brouillent les frontières entre les villes et leur arrière-pays, d’où la nécessité de repenser les interactions entre les milieux ruraux et urbains dans différents domaines, comme la mobilité, l’alimentation ou la santé.

On évoque parfois la difficulté de se comprendre entre les mondes académique, économique et politique. Ressentez-vous cela ?

Absolument, le décalage est réel. C’est pourquoi nous avons fondé l’association Fustic (Future Sustainable Territories, Infrastructure and City) en mars dernier. Le but est de faciliter la traduction entre les différents acteurs, car les langages académique, politique et économique sont parfois différents. On parle peut-être de la même chose, mais pas de la même manière. Il est pourtant essentiel de bien comprendre les besoins et les attentes de chacun. Une des missions données aux académies par la Confédération et de promouvoir l’innovation. Or, cela ne peut se faire sans connexion avec l’écosystème local. C’est essentiel pour comprendre les besoins et définir les orientations à prendre. Je pense que le succès de l’innovation réside dans l’intelligence collective. Il faut absolument rassembler autour de la table les différents acteurs. Politiques, privés, publics, académiques et citoyens doivent réfléchir ensemble au futur souhaitable. En résumé, si les clusters stimulent l’interdisciplinarité à l’interne, l’association Fustic amène une notion de transdisciplinarité et d’ouverture sur l’extérieur.

Le rapport du GIEC publié en août dernier ne fait que confirmer l’urgence climatique dans laquelle nous nous trouvons. Quel impact ont eu ces conclusions scientifiques au sein des clusters ?

C’est clairement une sonnette d’alarme. Nous devons tous être acteurs et moteurs dans cet état d’urgence. Ce rapport confirme également la pertinence des orientations de nos recherches, puisque la faculté travaille sur les éléments qui sont au cœur des conclusions de ce rapport, et ce de manière transversale, inter- et transdisciplinaire. Au niveau des clusters, cette annonce amène des chemins de réflexion et permet de se questionner sur la manière d’être percutant à court terme, alors que les académiciennes et académiciens ont plutôt l’habitude de réfléchir sur du long terme. Aujourd’hui, il est important d’identifier, sensibiliser et transmettre les bonnes pratiques à mettre rapidement en place pour réduire et limiter au maximum les impacts de nos actions passées, actuelles et futures.

Quels sont les projets innovants menés au sein des clusters ?

Je pense aux approches de jumeaux numériques ou encore aux interactions rurales et urbaines que je mentionnais précédemment. Nous travaillons également sur les questions de réemploi de matériaux dans le domaine bâti, ou encore sur la réutilisation du béton et comment lui donner une deuxième vie de manière intelligente. Des recherches se concentrent également sur les impacts positifs du changement climatique. On a réalisé que certains organismes et bactéries présents dans les lacs alpins réagissent de manière plutôt bonne à la hausse des températures.

Sur le site de l’ENAC, on peut lire que « rendre les territoires durables nécessite de changer notre vision de l’urbanisation et de la ville ». Selon vous, comment percevoir correctement la ville ?

Il faut l’imaginer comme un membre de la famille avec qui on doit vivre, qu’on doit côtoyer. Il y a peut-être des distorsions, mais elle est partie prenante de notre quotidien. On doit la respecter, l’aborder comme quelqu’un qui va nous accompagner pour les trente prochaines années au moins. Il faut penser à l’urbanisation inclusive de la nature également, se demander quel lien on entretient avec elle et comment on la souhaite pour l’avenir. Et, là encore, le futur doit se penser de manière collective.

 

Joëlle Loretan

Journaliste

Romande Energie

Energéticien de référence et premier fournisseur d'électricité en Suisse romande, Romande Energie propose de nombreuses solutions durables dans des domaines aussi variés que la distribution d’électricité, la production d’énergies renouvelables, les services énergétiques, l’efficience énergétique, ainsi que la mobilité électrique.

Une réponse à “Les clusters au cœur de l’ENAC « Le futur doit se penser de manière collective »

  1. Un exemple assez bien fait de l’utilisation débridée de la “novlangue” …
    Digitalisation des villes et des infrastructures – interdisciplinarité – transdisciplinarité – la mise en connexion des différents acteurs – utilisation en économie circulaire de nos ressources, de la mobilité et de la citoyenneté – la mobilité va impacter le métabolisme de la ville – développer une approche systémique de la planification territoriale centrée sur les personnes et leur épanouissement – la transsudation des territoires – faciliter la traduction entre les différents acteurs – le succès de l’innovation réside dans l’intelligence collective – En résumé, si les clusters stimulent l’interdisciplinarité à l’interne, l’association Fustic amène une notion de transdisciplinarité et d’ouverture sur l’extérieur -les éléments qui sont au cœur des conclusions de ce rapport, et ce de manière transversale, inter- et transdisciplinaire – Il faut penser à l’urbanisation inclusive….

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