Qu’est-ce que la fragilité ? Quelle différence y a-t-il entre fragilité et vulnérabilité ? De nos cellules à nos sociétés, qu’est-ce qui nous rend fragiles ? Peut-on transformer nos fragilités en forces ?
…
C’est à ces questions qu’a décidé de répondre le festival Usinesonore, qui aura lieu dans la jolie ville de La Neuveville du 10 au 18 juin 2022, à travers un cycle de conférences à deux voix qui viendra se nicher entre deux week-ends de spectacles et de performances artistiques exceptionnelles.
En tant que qualité structurelle intrinsèque, la fragilité d’un objet ou d’un être n’est pas très intéressante en soi. Bien plus stimulante est la réflexion qui porte sur celles des conditions extérieures à cet être ou à cet objet qui exacerbent sa fragilité.
Car à bien y réfléchir, la bulle de cristal la plus fine n’est pas fragile lorsqu’elle flotte dans le vide intersidéral, loin de toute poussière cosmique. Mais qu’un météore l’effleure et elle volera en mille éclats.
Nous sommes un peu semblables à cette bulle de cristal : préservés de toute forme d’agression extérieure, nous sommes capables de préserver notre intégrité physique et psychique. Mais que survienne un choc, une frustration, voire même une tentation, et nous voilà précipités vers la douleur ou le malheur.
Ce qui est vrai pour les objets, le corps et l’esprit individuels reste vrai pour les systèmes géopolitiques, le corps social ou l’esprit démocratique. Autant d’entités fragiles, soumises à autant d’environnements fragilisants.
Du 12 au 16 juin, sous l’incroyable tente du festival Usinesonore, tous les jours à 18 heures, 10 conférencier·es prestigieux·ses se succéderont pour aborder tour à tour la notion de « fragilité(s) » au prisme de leurs expertises professionnelles et académiques respectives.
Un événement culturel interdisciplinaire conçu pour tous les goûts et toutes les sensibilités artistiques et intellectuelles : concerts, performances, défilés de mode, spectacles de danse et de cirque, activités de médiation culturelle et expérimentations sensorielles convoqueront des artistes sensationnels et feront frétiller de plaisir nos synapses frustrées par de trop longs mois de privation culturelle.
Le programme des conférences est présenté plus bas et de plus amples informations peuvent être trouvées sur le site du festival : www.usinesonore-festival.ch
…
Usinesonore Festival: zoom sur les conférences
Pour la première fois cette année, Usinesonore Festival accueille un cycle de conférences-agora Arts&Sciences. Philosophes, sportif·ve·s, médecins, ambassadeurs, historien·ne·s échangeront sur le thème des FRAGILITÉS, qui accompagne en filigrane la programmation du festival.
Du 12 au 16 juin à 18h, elles et ils se succéderont sous la Tente Usinesonore pour présenter leurs conceptions de la fragilité, partager leur expertise et échanger des idées et impressions avec le public. Ces soirées seront pensées pour tous les publics à partir de 14 ans. À la fin de chaque conférence, les discussions avec nos invité·e·s pourront se poursuivre autour du bar du festival. Un espace dédié, un climat convivial et des interventions artistiques seront la clé de soirées instructives, divertissantes et inclusives. Nous nous réjouissons de vous y retrouver!
Arbitre international de football pendant 10 ans, Tony Chapron a fait le tour du monde avec un sifflet. Il a découvert des cultures multiples et un rapport à la fonction d’arbitre souvent complexe. Après une formation en sociologie, il devient enseignant-chercheur à l’université de Grenoble pendant quelques années. Il est aujourd’hui consultant pour Canal+ et anime une chronique hebdomadaire. Il vient également de réaliser un documentaire “dans la tête des hommes en noir”, et a écrit un livre “Enfin libre” qui décrit la vie d’arbitre.
Athlète et entraîneur suisse, Jean-Pierre Egger a voué son existence au sport. Instituteur et maitre d’éducation physique de formation, il fut neuf fois champion suisse du lancer du poids et trois fois au lancer du disque, avant d’entraîner de nombreux athlètes et équipes sportives de haut niveau. Auteur de l’ouvrage “The way to Excellence”, il dispense désormais des conférences et des séminaires de formation de cadres d’entreprises sur ce thème. Plébiscité par ses pairs, il a reçu en décembre 2020 l’Award du meilleur entraineur des 70 dernières années.
SCIENCE, INFORMATION ET OPINION : FORCES ET FRAGILITÉS
Etienne Klein est physicien et philosophe des sciences. Il est directeur de recherches au CEA où il dirige depuis 2007 le Laboratoire de Recherche sur les Sciences de la Matière. Il est membre de l’Académie des Technologies et anime tous les samedis sur France culture l’émission “Science en questions “. Il s’intéresse à la question du temps et à d’autres sujets qui sont à la croisée de la physique et de la philosophie, tels que l’interprétation de la physique quantique, la question de l’origine de l’univers ou encore celle du statut du vide dans la physique contemporaine. Soucieux de la diffusion des connaissances scientifiques, il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages.
Laurence Kaufmann est professeure de sociologie à l’Université de Lausanne et chercheuse associée au Centre d’étude des mouvements sociaux (CNRS-EHESS). Recourant principalement à la sociologie mais aussi à l’histoire, la philosophie, la linguistique et la psychologie, ses recherches portent sur l’espace public, l’opinion publique et la constitution des collectifs, ainsi que sur l’autorité de la première personne et le rôle des émotions.
FRAGILITÉ DES SYSTÈMES TECHNIQUES ET GÉOPOLITIQUES
Avec Bernadette Bensaude-Vincent et Jean-Daniel Ruch
20.- / 15.-
Bernadette Bensaude-Vincent, professeure émérite de philosophie à l’université de Paris1-Panthéon-Sorbonne travaille sur l’histoire et la philosophie des sciences et des technosciences comme sur les rapports entre science et société. Membre de l’Académie des technologies, elle siège dans plusieurs comités d’éthique, Elle a publié une quinzaine de livres en auteur et dirigé une douzaine d’ouvrages collectifs, notamment sur les enjeux philosophiques et culturels des sciences et des techniques.
Jean-Daniel Ruch est né à Eschert. Il a rejoint la diplomatie en 1992. Après divers engagements en Corée du Sud, pour l’OSCE à Vienne et Varsovie, et dans les Balkans, il a conseillé la procureure du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie, Carla Del Ponte. Il est Ambassadeur de Suisse en Turquie depuis 2021, après avoir représenté la Suisse en Israël (2016-2021) et en Serbie (2012-2016). De 2009 à 2012, il s’est occupé des conflits au Moyen-Orient.
Delphine Berthod est une valaisanne nomade qui a vécu au Mali dans son enfance. Elle a étudié la médecine pour pouvoir exercer son travail partout et l’infectiologie par intérêt pour les maladies tropicales. Elle a travaillé sur la maladie du sommeil avec Médecins sans Frontières au Congo. Devenue épidémiologiste, elle a été très occupée par le Covid-19. Particulièrement intéressée par les cultures diverses, et sensible aux vulnérabilités de ce monde, elle s’engage contre toute forme de discrimination et a à cœur de valoriser les différences.
Guillaume le Blanc est philosophe, écrivain, professeur de philosophie à l’Université́ de Paris-Diderot. Il est membre du comité de rédaction de la revue Esprit et directeur de la collection “Diagnostics” au Bord de l’Eau. Il est l’auteur, avec Fabienne Brugère, des livres, “Le peuple des femmes. Un tour du monde féministe” et “La fin de l’hospitalité”. Il a également publié “Vies ordinaires vies précaires”, “L’invisibilité sociale”, “Dedans dehors. La condition d’étranger”, “Que faire de notre vulnérabilité ?”. Il a en outre écrit un essai sur la course à pied intitulé “Courir. Méditations physiques”, qui a obtenu le prix lycéen de la philosophie.
Nathalie Clobert est psychologue clinicienne, hypnothérapeute, formatrice et auteure. Elle accompagne les personnes dotées d’une sensibilité élevée, ainsi que les personnes à haut potentiel. Elle a une double formation en philosophie des sciences et en psychologie. Elle a écrit plusieurs livres à destination des professionnels et du grand public, dont “Ma bible de l’hypersensibilité” (Leduc) et “Psychologie du haut potentiel” (De Boeck).
Sarah Koller est diplômée en psychologie et en sciences de l’environnement. Elle a participé à la création du réseau romand en écopsychologie (www.ecopsychologie.ch) et facilite des ateliers de reliance au vivant. Terminant une thèse sur les conditions psycho-existentielles d’une culture économique de la suffisance, elle développe un intérêt croissant pour les diverses modalités d’expression artistique de la recherche scientifique.
Depuis la campagne de Donald Trump, durant sa présidence, au moment de l’assaut du Capitole par les adeptes du mouvement QAnon, plus encore depuis le début de la pandémie de Covid-19 et aujourd’hui au sujet de la guerre en Ukraine, beaucoup a été dit sur le phénomène complotiste. Peut-être même trop. Mais la diversité des émissions, des articles et des ouvrages consacrés à ce sujet a au moins permis de comprendre une chose : il s’agit d’un phénomène complexe et multiforme, aux multiples causes, que l’on ne saurait réduire à un défaut de culture ou à un QI limité chez les adeptes de ses “théories”.
Phénomène social et psychologique bien plus que cognitif, le développement du complotisme mérite dès lors que l’on s’interroge non seulement sur ce qu’il est et sur la manière dont il se manifeste, mais également sur ce qu’il traduit. Sur ce qu’il dit de notre monde, des inégalités économiques, sociales et cognitives qui traversent nos sociétés, comme autant de forces d’éclatement tristement révélées à la faveur des crises politiques et sanitaires récentes.
C’est pour cette raison qu’il nous a semblé utile de rassembler la diversité des points de vue et des travaux académiques sur la question, de les digérer et de les condenser dans une série de vidéos dont la description figure en bas de cet article et dont le quatrième épisode vous est présenté ici (consultez ici les articles relatifs aux épisodes 1,2 et 3).
…
Réagir aux argumentaires complotistes
Vous aimeriez pouvoir vous protéger des arguments complotistes ?
Vous avez raison car, comme nous l’avons vu dans notre précédent post, il est parfois difficile d’exercer son esprit critique et de dénoncer les dérives que l’on perçoit dans le fonctionnement de notre monde, sans risquer de céder à la facilité et de se laisser entraîner sur la pente glissante de la pensée complotiste. Il convient dès lors de s’en prémunir soi-même, mais également de savoir y réagir pour en protéger nos proches. Mais parler à une personne qui est enfermée dans ce type de pensée est particulièrement difficile. En effet, face à un système de pensée perverti par la démarche complotiste, toute critique est souvent perçue comme la preuve même de l’existence du complot.
Prenons un exemple. Vous êtes climatologue et vous voulez expliquer à votre voisin climatosceptique que oui, vraiment, l’évolution du climat de la Terre nous met tous en danger. Il vous rétorquera que propager la peur vous permet de conserver vos budgets de recherche et votre salaire. Et cela vous laissera sans voix…
Mais il existe plusieurs leviers pour contrer ce type de discours.
Lesquels ?
Le levier argumentatif d’abord. Dans certains cas, vous pouvez essayer de démonter les argumentaires complotistes, en expliquant par exemple que le gouvernement n’a pas besoin d’introduire des puces 5G dans notre corps puisque nous sommes tous traçables par nos téléphones portables.
Le levier cognitif (et technologique) ensuite. A vos amis et voisins qui font la preuve d’un scepticisme douteux, vous pouvez décrire le fonctionnement des algorithmes des réseaux sociaux. Vous pouvez aussi leur expliquer leurs propres biais cognitifs, ceux qui les poussent à croire des choses qui les empêchent finalement de penser.
Le levier épistémologique encore. Plutôt que de dire que vous avez raison « parce que » vous êtes scientifique, ou “parce que” vous avez lu tel livre ou vu telle émission, vous pouvez plutôt essayer d’expliquer “pourquoi” vous avez confiance en votre information. Si votre voisin croit que le GIEC est une officine politique, expliquez-lui par exemple comment cet organisme a été constitué, comment il travaille, et quelles études et méta-analyses il exploite pour rédiger ses scénarios.
Le levier psychosocial enfin. En tant qu’acteurs et actrices de la société, chacun peut également agir pour réduire l’importance des ingrédients du développement du phénomène complotiste. En sortant de sa bulle intellectuelle, en partageant son savoir avec le plus grand nombre, en luttant pour la réduction des inégalités sociales, en s’engageant pour la régulation de l’économie numérique… C’est quelque chose que vous pouvez faire au quotidien.
A présent, vous vous demandez peut-être quoi faire avec tout cela…
Et bien après avoir lu cet ensemble de textes et visionné les vidéos associées, vous pouvez commencer par les partager, mais aussi tout simplement essayer d’expliquer ce qu’est la pensée complotiste, et en quoi elle s’oppose à la démarche scientifique. Pourquoi elle ne peut pas produire des informations fiables et pourquoi elle menace la stabilité des démocraties.
La tâche est aussi immense que le problème est sérieux… tout le monde est concerné. Car comme l’écrivait la philosophe politique allemande et américaine Annah Arendt (1906-1975) :
« Le résultat d’une substitution cohérente et totale de mensonges à la vérité de fait n’est pas que les mensonges seront maintenant acceptés comme vérité, ni que la vérité sera diffamée comme mensonge, mais que le sens par lequel nous nous orientons dans le monde réel sera détruit. »
Vérité et politique, La crise de la culture, folio poche, 1972.
…
…
“Les complotistes n’ont jamais raison de l’être,
mais ils ont parfois de bonnes raisons de l’être”.
Sans cautionner pour autant l’attitude complotiste, cette série de vidéos ne constitue ni un procès à charge, ni une attaque en règle contre les personnes qui peuvent être amenées à défendre des thèses non vérifiables et incriminant des puissants, accusant ces derniers de conspirer pour leur intérêt et contre celui de citoyen·nes opprimé·es. Comme en atteste l’ensemble des vidéos présentées dans cette série de textes, elle constitue encore moins une tentative de faire passer pour du complotisme, en vue de les dénigrer, les discours critiques envers les médias ou les gouvernements. Elle prétend au contraire qu’il est possible d’exercer son esprit critique sans le faire de manière complotiste !
Par ce travail, nous tentons toutefois de montrer en quoi ces discours critiques, souvent portés par des préoccupations légitimes, ne sont intellectuellement pas acceptables lorsqu’ils prennent certaines formes et adoptent certaines méthodes. Lesquelles ? Celles-là même que nous nous sommes efforcés de caractériser aussi finement que possible, pour permettre à tout un chacun de comprendre ce que désignent vraiment les termes “complotisme” et “conspirationnisme”.
Une dernière précaution encore : même si le mouvement dit “antivax” se nourrit de nombreux argumentaires complotistes, alimentés eux-mêmes par un raz-de-marée de désinformation sur les réseaux sociaux, il n’est pas réductible à ce phénomène, qu’il dépasse très largement. On peut en effet être contre la vaccination (ou contre le pass sanitaire) et invoquer pour cela des arguments (plus ou moins pertinents bien sûr) qui ne relèvent pas du complotisme.
…
“REVEILLEZ-VOUS !” – Une playlist de la chaîne Savoirs en Société
Nourrie par de nombreuses références à la littérature scientifique, cette série de 8 vidéos de la chaîne www.savoirs-en-societe.ch aborde la thématique du phénomène complotiste en 4 temps :
Spécificités du discours complotiste
Aux origines du phénomène complotiste
Pensée complotiste et pensée critique
Réagir aux argumentaires complotistes
Les internautes y sont successivement invité·es à :
Reconnaître les éléments de langage et les biais argumentatifs propres aux discours complotistes
Comprendre les origines historiques et sociologiques du phénomène
Analyser la nature et les spécificités de la pensée complotiste, et ce qui la distingue de la pensée critique
Concevoir des stratégies de réaction aux argumentaires complotistes et de résistance à leur développement.
Chacun des thèmes traité est constitué systématiquement d’une présentation détaillée, suivie d’un résumé sous la forme d’un court film d’animation. Dans la description de chacune des vidéos thématiques se trouve également un texte résumé du sujet traité.
…
A nos ami·es lecteurs et lectrices
La question du complotisme, parce qu’elle fait référence à des questions socialement vives qui nourrissent des clivages désormais profonds dans notre société, a tendance à susciter facilement des réactions épidermiques. Ce texte et les vidéos associées constituent certes une tentative argumentée de tracer une ligne rouge entre un discours crédible et un argumentaire inacceptable, mais ils tentent surtout d’expliciter les rouages et les fondements du phénomène, et en aucun cas d’en dénigrer les représentants (du moins lorsque leurs “théories” ne sont pas objectivement abracadabrantesques).
Les idées présentées ici sont issues de réflexions personnelles nourries par la littérature académique mais, bien entendu, chacun·e est invité·e à les commenter et à les critiquer. L’espace de commentaires de cet article est prévu pour cela. Toutefois, afin de préserver un dialogue constructif et des échanges sereins, nous précisons d’emblée qu’aucun commentaire agressif, irrespectueux ou contraire aux règles de la bienséance ne sera validé lors du processus de modération. Nous vous demandons également de bien vouloir éviter les commentaires anonymes ; nous nous réservons le droit de bloquer tout propos rédigé sous pseudo ou avec une fausse adresse e-mail.
Allongement de l’espérance de vie, chirurgie cardiaque, transplantations d’organes, guérison de cancers, éradication vaccinale des épidémies, traitement de la douleur, médicaments de confort… comment se passer de la médecine moderne ?
Surconsommation médicamenteuse, auto-médication, effets secondaires, risque iatrogène, maladies nosocomiales, machinisation du corps… cette médecine procure-t-elle pour autant toujours un mieux-être à celles et ceux qui en bénéficient ?
A travers 3 courtes vidéos, nous avons tenté de problématiser la place des médicaments dans notre vie et de questionner leur rapport à notre bien-être. Pour ce faire, trois personnages fictifs se succèdent sur le plateau de l’émission Qui dit vrai ? Interrogés par le comédien Vincent Morieux, ils et elles tentent d’éclairer avec humour et sincérité notre rapport aux médicaments… et n’attendent plus que vous !
Qui dit vrai ?Les médicaments sont-ils bons pour la santé 1/3 Interview du Dr. Fletcher, pharmacienne
Dr. Fletcher : “Vous n’imaginez pas tout ce que l’on vend… et à quels motifs !”
…
Qui dit vrai ?Les médicaments sont-ils bons pour la santé 2/3 Interview du Pr. Meunier, Médecin hospitalier et chef de service
Pr. Meunier : “Vous avez besoin de nous pour vivre !”
…
Qui dit vrai ?Les médicaments sont-ils bons pour la santé 3/3 Interview de M. Sauvage, Herboriste, homéopathe et naturopathe
M. Sauvage : “C’est tout juste si les chirurgiens voient encore le corps attaché au membre qu’ils réparent“.
…
Et vous, qu’en pensez-vous ?
…
_____ _____ _____ _____ _____
Ces vidéos ont été produites en 2014 dans le cadre du projet Tam Tam conduit par l’association de médiation scientifique Traces. Au nombre de 33 (à savoir 3 pour chacun des 11 sujets science & société traités), elles entendaient illustrer la pluralité des points de vue sur des thématiques complexes, porteuses de nombreuses controverses sociotechniques relatives au corps, à l’environnement et à l’éthique. Sérieusement documentées, elles ne cherchent ni à défendre un parti contre un autre, ni à polariser les opinions des internautes, mais à mettre en avant une diversité d’arguments et de postures, nourries par des valeurs souvent antagonistes.
Huit ans plus tard, dans un contexte de tension sociale, de polarisation et de radicalisation inquiétantes, il nous a semblé intéressant de les remettre à l’honneur, pour rappeler qu’aucun de ces sujets n’est simple et qu’aucune opinion ne peut se targuer d’être supérieure à une autre. Pour autant qu’elle soit exprimée avec honnêteté et sur une base objectivement documentée bien sûr.
Depuis la campagne de Donald Trump, durant sa présidence, au moment de l’assaut du Capitole par les adeptes du mouvement QAnon, et plus encore depuis le début de la pandémie de Covid-19, beaucoup a été dit sur le phénomène complotiste. Peut-être même trop. Mais la diversité des émissions, des articles et des ouvrages consacrés à ce sujet a au moins permis de comprendre une chose : il s’agit d’un phénomène complexe et multiforme, aux multiples causes, que l’on ne saurait réduire à un défaut de culture ou à un QI limité chez les adeptes de ses “théories”.
Phénomène social et psychologique bien plus que cognitif, le développement du complotisme mérite dès lors que l’on s’interroge non seulement sur ce qu’il est et sur la manière dont il se manifeste, mais également sur ce qu’il traduit. Sur ce qu’il dit de notre monde, des inégalités économiques, sociales et cognitives qui traversent nos sociétés, comme autant de forces d’éclatement tristement révélées à la faveur des crises politiques et sanitaires récentes.
C’est pour cette raison qu’il nous a semblé utile de rassembler la diversité des points de vue et des travaux académiques sur la question, de les digérer et de les condenser dans une série de vidéos dont la description figure en bas de cet article et dont le troisième épisode vous est présenté ici (consultez ici les articles relatifs aux épisodes 1 et 2).
…
Pensée complotiste et pensée critique
Comment savoir si on devient complotiste ?
Si je m’inquiète de la manière dont les décisions politiques sont prises, si je pense que les lobbys ont trop de poids, ou si je crains que les géants du numérique n’exploitent mes données personnelles, cela signifie-t-il que je développe une pensée complotiste ? Bien évidemment non. Ces inquiétude relèvent de préoccupations citoyennes très légitimes et ne sont pas criticables en tant que telles.
On a le droit de se poser des questions ! On a le droit d’avoir un esprit critique ! Même se demander si vraiment la Terre est ronde, c’est bizarre mais c’est intéressant. Et il est bien évidemment sain de ne pas accepter toutes les évidences qui se présentent à nous. Parce que les vrais complots, ça existe. Et les informations erronées aussi.
En revanche, on n’a pas le droit de répondre à ces questions n’importe comment (en décidant de la conclusion au mépris des faits objectifs, par exemple). Ce qui est complotiste, ce ne sont pas les questions qu’on pose, c’est la manière dont on y répond. La méthode qu’on emploie pour élaborer ses certitudes.
On a le droit de se demander si Joe Biden est pédophile, si la CIA n’aurait pas pu organiser les attentats du 11 septembre, si les entreprises pharmaceutiques ont chercher à décrédibiliser des traitements médicamenteux pour pouvoir vendre davantage de vaccins. On a même le droit de se demander si ces vaccins servent à implanter des puces 5G dans nos organismes.
Mais ce qu’on ne peut pas faire, c’est poser cela comme des vérités préétablies, rassembler des faits isolés et, sous prétexte qu’ils ne sont pas en contradiction avec ces “vérités”, considérer ces faits comme des “preuves”. Une image de Joe Biden portant un enfant dans ses bras ne peut pas être la preuve qu’il est pédophile… sauf si on a décidé avant qu’il l’était.
Mais alors, comment faire pour répondre à ces questions ?
Depuis des siècles, les scientifiques et les philosophes des sciences élaborent des critères et des méthodes permettant de considérer qu’une proposition est fiable, qu’elle peut être considérée comme « vraie ». Du moins jusqu’à preuve du contraire. C’est ce que l’on nomme la « méthode scientifique ». Et c’est tout le contraire de la démarche complotiste !
Car ce que fait la démarche scientifique, ce n’est pas essayer d’étayer une conclusion préétablie, c’est poser une hypothèse et essayer de démontrer qu’elle est fausse. Oui oui, qu’elle est fausse ! Comment ? En faisant des expériences, en soumettant l’hypothèse à des collègues scientifiques, en se demandant quelles seraient les conséquences de l’hypothèse si elle était vraie et en vérifiant si ces conséquences sont observables, etc.
Et tant qu’on n’y arrive pas, on considère que l’hypothèse est valide. Si on fait ça avec la Terre plate, eh bien, devinez quoi… l’hypothèse ne tient pas longtemps. Par contre, on n’est encore jamais parvenu à invalider l’hypothèse de sa rotondité : jusqu’à preuve du contraire, elle est ronde.
Comment dès lors développer son esprit critique en ce sens ?
En comprenant tout simplement ceci : l’esprit critique, ce n’est pas remettre tout en question tout le temps. C’est se poser des questions, oui, mais c’est surtout questionner ses propres hypothèses, pour pouvoir les abandonner rapidement si elles sont fausses.
C’est aussi cela, avoir l’esprit scientifique !
…
…
“Les complotistes n’ont jamais raison de l’être,
mais ils ont parfois de bonnes raisons de l’être”.
Sans cautionner pour autant l’attitude complotiste, cette série de vidéos ne constitue ni un procès à charge, ni une attaque en règle contre les personnes qui peuvent être amenées à défendre des thèses non vérifiables et incriminant des puissants, accusant ces derniers de conspirer pour leur intérêt et contre celui de citoyen·nes opprimé·es. Comme en atteste la vidéo présentée plus haut, elle constitue encore moins une tentative de faire passer pour du complotisme, en vue de les dénigrer, les discours critiques envers les médias ou les gouvernements. Elle prétend au contraire qu’il est possible d’exercer son esprit critique sans le faire de manière complotiste !
Par ce travail, nous tentons toutefois de montrer en quoi ces discours critiques, souvent portés par des préoccupations légitimes, ne sont intellectuellement pas acceptables lorsqu’ils prennent certaines formes et adoptent certaines méthodes. Lesquelles ? Celles-là même que nous nous sommes efforcés de caractériser aussi finement que possible, pour permettre à tout un chacun de comprendre ce que désignent vraiment les termes “complotisme” et “conspirationnisme”.
Une dernière précaution encore : même si le mouvement dit “antivax” se nourrit de nombreux argumentaires complotistes, alimentés eux-mêmes par un raz-de-marée de désinformation sur les réseaux sociaux, il n’est pas réductible à ce phénomène, qu’il dépasse très largement. On peut en effet être contre la vaccination (ou contre le pass sanitaire) et invoquer pour cela des arguments (plus ou moins pertinents bien sûr) qui ne relèvent pas du complotisme.
…
“REVEILLEZ-VOUS !” – Une playlist de la chaîne Savoirs en Société
Nourrie par de nombreuses références à la littérature scientifique, cette série de 8 vidéos de la chaîne www.savoirs-en-societe.ch aborde la thématique du phénomène complotiste en 4 temps :
Spécificités du discours complotiste
Aux origines du phénomène complotiste
Pensée complotiste et pensée critique
Réagir aux argumentaires complotistes
Les internautes y sont successivement invité·es à :
Reconnaître les éléments de langage et les biais argumentatifs propres aux discours complotistes
Comprendre les origines historiques et sociologiques du phénomène
Analyser la nature et les spécificités de la pensée complotiste, et ce qui la distingue de la pensée critique
Concevoir des stratégies de réaction aux argumentaires complotistes et de résistance à leur développement.
Chacun des thèmes traité est constitué systématiquement d’une présentation détaillée, suivie d’un résumé sous la forme d’un court film d’animation. Dans la description de chacune des vidéos thématiques se trouve également un texte résumé du sujet traité.
…
…
A nos ami·es lecteurs et lectrices
La question du complotisme, parce qu’elle fait référence à des questions socialement vives qui nourrissent des clivages désormais profonds dans notre société, a tendance à susciter facilement des réactions épidermiques. Ce texte et les vidéos associées constituent certes une tentative argumentée de tracer une ligne rouge entre un discours crédible et un argumentaire inacceptable, mais ils tentent surtout d’expliciter les rouages et les fondements du phénomène, et en aucun cas d’en dénigrer les représentants (du moins lorsque leurs “théories” ne sont pas objectivement abracadabrantesques).
Les idées présentées ici sont issues de réflexions personnelles nourries par la littérature académique mais, bien entendu, chacun·e est invité·e à les commenter et à les critiquer. L’espace de commentaires de cet article est prévu pour cela. Toutefois, afin de préserver un dialogue constructif et des échanges sereins, nous précisons d’emblée qu’aucun commentaire agressif, irrespectueux ou contraire aux règles de la bienséance ne sera validé lors du processus de modération. Nous vous demandons également de bien vouloir éviter les commentaires anonymes ; nous nous réservons le droit de bloquer tout propos rédigé sous pseudo ou avec une fausse adresse e-mail.
Depuis la campagne de Donald Trump, durant sa présidence, au moment de l’assaut du Capitole par les adeptes du mouvement QAnon, et plus encore depuis le début de la pandémie de Covid-19, beaucoup a été dit sur le phénomène complotiste. Peut-être même trop. Mais la diversité des émissions, des articles et des ouvrages consacrés à ce sujet a au moins permis de comprendre une chose : il s’agit d’un phénomène complexe et multiforme, aux multiples causes, que l’on ne saurait réduire à un défaut de culture ou à un QI limité chez les adeptes de ses “théories”.
Phénomène social bien plus que psychologique ou cognitif, le développement du complotisme mérite dès lors que l’on s’interroge non seulement sur ce qu’il est et sur la manière dont il se manifeste, mais également sur ce qu’il traduit. Sur ce qu’il dit de notre monde, des inégalités économiques, sociales et cognitives qui traversent nos sociétés, comme autant de forces d’éclatement tristement révélées à la faveur des crises politiques et sanitaires récentes.
C’est pour cette raison qu’il nous a semblé utile de rassembler la diversité des points de vue et des travaux académiques sur la question, de les digérer et de les condenser dans une série de vidéos dont la description figure en bas de cet article et dont le second épisode vous est présenté ici (consultez ici l’article relatif au 1er épisode).
…
Aux origines du phénomène complotiste
Contrairement aux idées reçues, le complotisme est loin d’être un phénomène récent.
On trouve en effet des exemples de théories du complot tout au long de l’histoire, du Moyen-Âge à l’attentat du World Trade Center en passant par la Révolution française.
Les exemples en sont extrêmement variés mais, dans tous les cas, les supposés artisans du complot sont désignés : ce sont des individus, comme Bill Gates ou les Rockefeller, des organismes étatiques, comme l’ONU ou la CIA, des organisations secrètes, comme la franc-maçonnerie, et même parfois des groupes humains entiers, comme les juifs, les communistes ou, plus récemment, “les” écologistes. Ils sont accusés d’avoir volontairement déclenché des catastrophes ou d’avoir l’intention de le faire, dans leur intérêt propre.
Ces accusations sont portées sans preuves et même souvent à contrecourant des preuves, mais elles s’appuient sur des collections de faits isolés qui semblent donner du crédit à la théorie du complot. Dans certains cas, il n’y a même aucune preuve de catastrophe, aucun fait objectif. Comme lorsque le mouvement QAnon a récemment accusé le parti démocrate américain d’entretenir un réseau pédophile sous-terrain aux Etats-Unis.
Pour autant, il n’est pas aisé d’associer le complotisme à une cause unique.
Parce que des leviers de la pensée complotiste, il y en a beaucoup. Au contraire, à l’origine, il y a souvent des questionnements et des préoccupations très légitimes. Elles s’expriment simplement d’une mauvaise manière.
Il y a d’abord ceux et celles qui voient la marche du monde leur échapper et à qui cela fait peur, parce que cela se fait à l’encontre de leurs valeurs. Ils ont l’impression que la politique, l’économie et la science décident pour eux, ou plutôt contre eux, et ils n’ont pas toujours tort.
D’autres se sentent déclassé·es ou marginalisé·es et réalisent que leur sort est aux mains des élites, ce qui n’est pas toujours faux non plus. Les transformations du monde leur apparaissent comme un rouleau compresseur et ils ont besoin de désigner des boucs émissaires responsables de leurs maux. D’ailleurs, l’existence de vrais complots leur donne parfois raison !
Le terreau du complotisme est donc avant tout créé par le contexte social.
Les thèses complotistes apparaissent souvent absurdes à la plupart des gens. Pourquoi alors se propagent-elles si bien ?
Si les rumeurs ont toujours été véhiculées par de multiples canaux, les théories du complot du 21e siècle bénéficie de l’existence d’un accélérateur et d’une caisse de résonnance inédite : les réseaux sociaux. Par le truchement d’algorithmes perfectionnés, ils cherchent à tout prix à capter l’attention des internautes.
Certes, ils ne sont pas volontairement conçus pour encourager le complotisme, bien sûr. Mais comme ils propagent plus facilement les publications les plus partagées et les plus commentées, ils favorisent les interprétations les plus simples, et celles qui parlent directement aux gens. Ce faisant, ils enferment ces derniers dans des bulles d’informations concordantes.
Pourtant, les interprétations les plus parlantes ne sont pas toujours les plus justes… Et si on pouvait déjouer un complot mondial simplement en surfant sur Internet, ça se saurait !
…
…
“Les complotistes n’ont jamais raison de l’être,
mais ils ont parfois de bonnes raisons de l’être”.
Sans cautionner pour autant leur attitude, cette série de vidéos ne constitue ni un procès à charge, ni une attaque en règle contre les personnes qui peuvent être amenées à défendre des thèses non vérifiables et incriminant des puissants, accusant ces derniers de conspirer pour leur intérêt et contre celui de citoyen·nes opprimé·es. Elle constitue encore moins une tentative de faire passer pour du complotisme, en vue de les dénigrer, les discours critiques envers les médias ou les gouvernements. Elle prétend au contraire qu’il est possible d’exercer son esprit critique sans être complotiste, thème qui fait spécifiquement l’objet de l’une des 4 vidéos de la série.
Par ce travail, nous tentons toutefois de montrer en quoi ces discours critiques, souvent portés par des préoccupations légitimes, ne sont intellectuellement pas acceptables lorsqu’ils prennent certaines formes et adoptent certaines méthodes. Lesquelles ? Celles-là même que nous nous sommes efforcés de caractériser aussi finement que possible, pour permettre à tout un chacun de comprendre ce que désignent vraiment les termes “complotisme” et “conspirationnisme”.
Une dernière précaution encore : même si le mouvement dit “antivax” se nourrit de nombreux argumentaires complotistes, alimentés eux-mêmes par un raz-de-marée de désinformation sur les réseaux sociaux, il n’est pas réductible à ce phénomène, qu’il dépasse très largement. On peut en effet être contre la vaccination (ou contre le pass sanitaire) et invoquer pour cela des arguments qui ne relèvent pas du complotisme.
…
“REVEILLEZ-VOUS !” – Une playlist de la chaîne Savoirs en Société
Nourrie par de nombreuses références à la littérature scientifique, cette série de 8 vidéos de la chaîne www.savoirs-en-societe.ch aborde la thématique du phénomène complotiste en 4 temps :
Spécificités du discours complotiste
Aux origines du phénomène complotiste
Pensée complotiste et pensée critique
Réagir aux argumentaires complotistes
Les internautes y sont successivement invité·es à :
Reconnaître les éléments de langage et les biais argumentatifs propres aux discours complotistes
Comprendre les origines historiques et sociologiques du phénomène
Analyser la nature et les spécificités de la pensée complotiste, et ce qui la distingue de la pensée critique
Concevoir des stratégies de réaction aux argumentaires complotistes et de résistance à leur développement.
Chacun des thèmes traité est constitué systématiquement d’une présentation détaillée, suivie d’un résumé sous la forme d’un court film d’animation. Dans la description de chacune des vidéos thématiques se trouve également un texte résumé du sujet traité.
…
…
A nos ami·es lecteurs et lectrices
La question du complotisme, parce qu’elle fait référence à des questions socialement vives qui nourrissent des clivages désormais profonds dans notre société, a tendance à susciter facilement des réactions épidermiques. Ce texte et les vidéos associées constituent certes une tentative argumentée de tracer une ligne rouge entre un discours crédible et un argumentaire inacceptable, mais ils tentent surtout d’expliciter les rouages et les fondements du phénomène, et en aucun cas d’en dénigrer les représentants (du moins lorsque leurs “théories” ne sont pas objectivement abracadabrantesques).
Les idées présentées ici sont issues de réflexions personnelles nourries par la littérature académique mais, bien entendu, chacun·e est invité·e à les commenter et à les critiquer. L’espace de commentaires de cet article est prévu pour cela. Toutefois, afin de préserver un dialogue constructif et des échanges sereins, nous précisons d’emblée qu’aucun commentaire agressif, irrespectueux ou contraire aux règles de la bienséance ne sera validé lors du processus de modération. Nous vous demandons également de bien vouloir éviter les commentaires anonymes ; nous nous réservons le droit de bloquer tout propos rédigé sous pseudo ou avec une fausse adresse e-mail.
Depuis la campagne de Donald Trump, durant sa présidence, au moment de l’assaut du Capitole par les adeptes du mouvement QAnon, et plus encore depuis le début de la pandémie de Covid-19, beaucoup a été dit sur le phénomène complotiste. Peut-être même trop. Mais la diversité des émissions, des articles et des ouvrages consacrés à ce sujet a au moins permis de comprendre une chose : il s’agit d’un phénomène complexe et multiforme, aux multiples causes, que l’on ne saurait réduire à un défaut de culture ou à un QI limité chez les adeptes de ses “théories”.
Phénomène social bien plus que psychologique ou cognitif, le développement du complotisme mérite dès lors que l’on s’interroge non seulement sur ce qu’il est et sur la manière dont il se manifeste, mais également sur ce qu’il traduit. Sur ce qu’il dit de notre monde, des inégalités économiques, sociales et cognitives qui traversent nos sociétés, comme autant de forces d’éclatement tristement révélées à la faveur des crises politiques et sanitaires récentes.
C’est pour cette raison qu’il nous a semblé utile de rassembler la diversité des points de vue et des travaux académiques sur la question, de les digérer et de les condenser dans une série de vidéos dont la description figure en bas de cet article et dont le premier épisode vous est présenté ici (consultez ici les articles relatifs aux épisodes 2 et 3).
Spécificités du discours complotiste
Est-il possible d’isoler des traits caractéristiques de ce phénomène ?
Le complotisme (ou conspirationnisme), c’est d’abord une attitude, une certaine manière d’interpréter le monde, plus qu’un état mental global. On préférera donc parler de “tendance” ou de “pensée” complotiste chez un individu, plutôt que d’utiliser ce terme pour l’enfermer dans une identité spécifique en disant par exemple que c’est “un” ou “une” complotiste.
Pourquoi ? Parce qu’il serait un peu trop simple de considérer le complotisme comme une maladie mentale. Comme les fake news, le “fait complotiste” est d’abord un phénomène politique et social. Cela signifie que même si on peut le rencontrer dans toutes les catégories de la population, il n’arrive pas n’importe quand et dans n’importe quel contexte.
Et c’est peut-être la raison pour laquelle on en entend tellement parler ces temps-ci, ceci bien que le concept de “théorie du complot” ait été défini au milieu du 20ème siècle déjà.
Mais comment le reconnaître au milieu d’autres discours critiques ?
En premier lieu, le complotisme consiste toujours à attribuer la responsabilité d’un fait politique ou social, a priori désagréable pour une catégorie de la population, à un petit groupe de puissants supposés comploter secrètement dans leur propre intérêt.
Ensuite, il existe un vocabulaire spécifique au discours complotiste. Parmi les expressions les plus courantes, on retrouve invariablement “pensée unique”, “mouton”, “réveillez-vous” ou “médias mainstream”.
Enfin et surtout, le complotisme, c’est l’exact contraire de la démarche scientifique. Il consiste à supposer vraie une conclusion donnée et à chercher ensuite tous les faits qui sont susceptibles de la renforcer. Avec ce genre de démarche, on peut prouver n’importe quoi, même que la Terre est plate !
On pourrait toutefois se demander si, malgré tout le battage qui est fait autour de ce terme, les conséquences réelles de ses manifestations sont si graves que cela…
Hélas oui. Car même si l’on parvient à comprendre le phénomène, à reconnaître ses manifestations et à en identifier les causes, il n’est globalement pas sain pour la démocratie et le vivre ensemble.
Non seulement il polarise la société et jette un discrédit indifférencié sur les élites et les institutions économiques, politiques et intellectuelles, mais il nuit aussi profondément à notre capacité à nous mettre d’accord collectivement sur ce que l’on peut considérer comme “vrai”.
Comment, dans ces conditions, résoudre ensemble les problèmes du monde, de la pandémie de Covid-19 à la catastrophe climatique en cours ?
……
…
“Les complotistes n’ont jamais raison de l’être, mais ils ont parfois de bonnes raisons de l’être”.
Sans cautionner pour autant leur attitude, cette série de vidéos ne constitue ni un procès à charge, ni une attaque en règle contre les personnes qui peuvent être amenées à défendre des thèses non vérifiables et incriminant des puissants, accusant ces derniers de conspirer pour leur intérêt et contre celui de citoyen·nes opprimé·es. Elle constitue encore moins une tentative de faire passer pour du complotisme, en vue de les dénigrer, les discours critiques envers les médias ou les gouvernements. Elle prétend au contraire qu’il est possible d’exercer son esprit critique sans être complotiste, thème qui fait spécifiquement l’objet de l’une des 4 vidéos de la série.
Par ce travail, nous tentons toutefois de montrer en quoi ces discours critiques, souvent portés par des préoccupations légitimes, ne sont intellectuellement pas acceptables lorsqu’ils prennent certaines formes et adoptent certaines méthodes. Lesquelles ? Celles-là même que nous nous sommes efforcés de caractériser aussi finement que possible, pour permettre à tout un chacun de comprendre ce que désignent vraiment les termes “complotisme” et “conspirationnisme”.
Une dernière précaution encore : même si le mouvement dit “antivax” se nourrit de nombreux argumentaires complotistes, alimentés eux-mêmes par un raz-de-marée de désinformation sur les réseaux sociaux, il n’est pas réductible à ce phénomène, qu’il dépasse très largement. On peut en effet être contre la vaccination (ou contre le pass sanitaire) et invoquer pour cela des arguments qui ne relèvent pas du complotisme.
…
“REVEILLEZ-VOUS !” – Une playlist de la chaîne Savoirs en Société
Nourrie par de nombreuses références à la littérature scientifique, cette série de 8 vidéos de la chaîne www.savoirs-en-societe.ch aborde la thématique du phénomène complotiste en 4 temps :
Spécificités du discours complotiste
Aux origines du phénomène complotiste
Pensée complotiste et pensée critique
Réagir aux argumentaires complotistes
Les internautes y sont successivement invité·es à :
Reconnaître les éléments de langage et les biais argumentatifs propres aux discours complotistes
Comprendre les origines historiques et sociologiques du phénomène
Analyser la nature et les spécificités de la pensée complotiste, et ce qui la distingue de la pensée critique
Concevoir des stratégies de réaction aux argumentaires complotistes et de résistance à leur développement.
Chacun des thèmes traité est constitué systématiquement d’une présentation détaillée, suivie d’un résumé sous la forme d’un court film d’animation. Dans la description de chacune des vidéos thématiques se trouve également un texte résumé du sujet traité.
…
…
A nos ami·es lecteurs·trices
La question du complotisme, parce qu’elle fait référence à des questions socialement vives qui nourrissent des clivages désormais profonds dans notre société, a tendance à susciter facilement des réactions épidermiques. Ce texte et les vidéos associées constituent certes une tentative argumentée de tracer une ligne rouge entre un discours crédible et un argumentaire inacceptable, mais ils tentent surtout d’expliciter les rouages et les fondements du phénomène, et en aucun cas d’en dénigrer les représentants (du moins lorsque leurs “théories” ne sont pas objectivement abracadabrantesques).
Les idées présentées ici sont issues de réflexions personnelles nourries par la littérature académique mais, bien entendu, chacun est invité à les commenter et à les critiquer. L’espace de commentaires de cet article est prévu pour cela. Toutefois, afin de préserver un dialogue constructif et des échanges sereins, nous précisons d’emblée qu’aucun commentaire agressif, irrespectueux ou contraire aux règles de la bienséance ne sera validé lors du processus de modération. Nous vous demandons également de bien vouloir éviter les commentaires anonymes ; nous nous réservons le droit de bloquer tout propos rédigé sous pseudo ou avec une fausse adresse e-mail.
En tant que champ d’activités reliant la science et la société, la « médiation scientifique » regroupe un large ensemble de pratiques au périmètre incertain et en permanente évolution. Et c’est tant mieux, car c’est ce qui la maintient vivante, dynamique et créative, capable de s’adapter aux évolutions du monde et aux transformations de la société. Dans ces conditions, est-il tout de même possible de la définir sans l’enfermer ?
On oppose par ailleurs parfois l’idée de « médiation scientifique » à celle de « vulgarisation scientifique », ramenant cette dernière à une pratique descendante et un peu prosélyte dont les préoccupations seraient centrées sur les contenus scientifiques et techniques, et décrivant à l’inverse la médiation comme une démarche d’émancipation intellectuelle et sociale, centrée sur le dialogue avec les publics et la clarification de l’opinion. La différence est-elle si tranchée et la distinction si facile à faire ?
Pour répondre à ces questions, il n’est pas suffisant d’observer simplement les pratiques existantes et de les regrouper selon une typologie réduite à la description de leurs formats. Car, comme le rappelait déjà le groupe Traces en 2010 dans son manifeste Révoluscience, qui prônait alors une médiation scientifique « autocritique, émancipatrice et responsable », la communication publique de la science n’est pas neutre. Ni dans ses impacts, ni dans ses intentions ; ni dans les messages qu’elle promeut, ni dans les valeurs qu’elle propose ; ni dans les publics auxquels elle bénéficie ni dans la place de la science qu’elle installe dans la société.
C’est pour tenter de contribuer au traitement de ces problématiques que j’ai lancé la chaîne de vidéos Savoirs en Société il y a 18 mois. En toile de fond des réflexions qui y sont proposées, le souci de promouvoir la réflexivité des praticien·nes de la médiation scientifique, c’est-à-dire leur autoanalyse et leur autocritique dans une perspective d’amélioration des pratiques.
Une vidéo, en particulier, s’attache à clarifier les relations entre les nombreuses actions de communication publique de la science et à articuler les concepts de communication, vulgarisation et médiation scientifiques. Elle présente un modèle simple qui permet à la fois de construire une typologie des actions et de faire émerger deux formes distinctes de médiation scientifique : une forme épistémique (relative aux savoirs, à ce que l’on sait) et une forme axiologique (relative aux valeurs, à ce à quoi l’on tient).
En réalité, et au-delà de la typologie qu’il propose, ce modèle permet surtout de construire un cadre réflexif invitant les scientifiques engagé·e·s dans de telles actions à s’interroger sur leur rapport aux publics et aux savoirs, voire même à réfléchir à leur trajectoire personnelle dans le diagramme auquel s’adosse le modèle.
Cette vidéo, comme l’ensemble de la chaîne, place ses réflexions dans le cadre théorique des « études de sciences » ou STS (pour Science and Technology Studies), à savoir la branche des sciences humaines et sociales qui étudie la science et la technologie. Inspirée par ces dernières, la chaîne ne se contente donc pas d’observer et de décrire les actions de communication publique depuis l’intérieur des sciences, au sens où elle ne circonscrit pas ses réflexions aux « contenus scientifiques à disséminer », aux « messages à faire passer » ou à la manière « d’améliorer l’image de la science ». Elle adopte au contraire un point de vue symétrique qui permet d’apprécier les enjeux et de décrypter les rouages des relations science-technologie-société dans leur globalité ; exactement comment le font les STS lorsqu’elles s’attachent aussi bien à décrire la manière dont la société agit (ou réagit) sur la science que la manière dont la science transforme la société.
Cette posture, portée par un nombre croissant d’acteurs et actrices de la culture scientifique, privilégie naturellement les formes de médiation qui mettent la science en discussion, qui créent du lien social et donnent du pouvoir d’agir à leurs publics.
En ce sens, elle se démarque de formes de communication de la science plus archaïques qui se donnent pour mission d’instruire les foules ou de les éduquer à la rationalité, selon l’approche connue sous le nom de « deficit model ».
À cet égard, la posture défendue par la chaîne Savoirs en Société reste pour le moment assez représentative de celle d’une grande partie de la communauté des acteurs et actrices de la médiation scientifique. Très consciente des enjeux socio-éducatifs et socioculturels associés à une certaine manière de « mettre la science en culture », cette communauté a en effet largement tendance à éviter d’interroger la dimension politique de ses activités.
Non qu’elle ne se préoccupe pas de l’émancipation et de l’inclusion sociale des publics et des « non-publics » ! C’est même là l’une de ses principales préoccupations actuelles, comme en atteste la variété des projets et formations qui s’en revendiquent. Si nous employons ici le terme politique, c’est dans un sens beaucoup plus fort : celui des rapports de force et de pouvoir qui sont, souvent malgré nous, perpétués et renforcés par nos efforts de diffusion de la culture scientifique. Qui produit le savoir ? Qui le partage ? Qui en choisit les thèmes et les méthodes ? Au véritable bénéfice de qui ?
Car le monde de la culture scientifique, très corporatiste et soudé autour de ses missions, apparaît particulièrement enclin à éluder les questions susceptibles de le diviser ; au risque de friser parfois la pusillanimité et le paradoxe, notamment au regard des sources de financement de ses activités.
Un malaise qu’il contourne en se concentrant sur la problématique de l’appropriation culturelle de la science par la société et en perpétuant les réflexions sur la nature des savoirs à partager, menée de plus longue date par les actrices et acteurs de la vulgarisation scientifique.
En restant dans une approche de la médiation scientifique essentiellement culturelle (dont témoigne l’usage ubiquitaire de l’expression « culture scientifique et technique »), en considérant que des médiateurs et des médiatrices scientifiques sont en capacité de faciliter l’émancipation de populations plus ou moins « éloignées de la science », mais surtout en n’interrogeant pas les rapports de pouvoir qui en découlent, cette posture ne reste-t-elle pas enfermée dans une sorte de deficit model « politique », deficit model qu’elle était pourtant parvenue à surmonter peu ou prou sur le plan culturel ?
Un imposant travail de critique des sciences existe pourtant dans le monde occidental depuis des décennies, et en France avec des auteurs comme Alexandre Grothendieck. Hormis au travers de ses formes les plus modérées, portée par des auteurs comme Jean‑Marc Lévy-Leblond ou Jacques Testart, la critique politique des sciences ne semble toutefois jamais avoir vraiment pénétré les réflexions et les pratiques du monde de la culture scientifique, restant plus ou moins cantonnée aux sphères académiques ou anarchistes, et transparaissant seulement dans quelques rares initiatives confidentielles.
Des ponts existent toutefois entre ces réflexions et le champ des actions science-société. Ainsi celui que tente de bâtir le collectif ALLISS, qui vise à développer les coopérations entre les établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche d’une part, et le tiers secteur de la recherche d’autre part, c’est-à-dire les activités de recherche associées aux secteurs non marchand et non lucratif (et donc non adossées à l’État ou à l’industrie). ALLISS promeut notamment le concept de « médiation de recherche », pensé pour permettre aux citoyen·nes de se réapproprier les enjeux et les bénéfices de la recherche, notamment lorsqu’elle est soutenue par des fonds publics.
Arrivés au terme de cet article, faisons le point. Si la médiation scientifique produit du sens, de la culture et de l’inclusion, est-il à ce point problématique qu’elle ne soit pas politiquement neutre ? Peut-être pas, en effet. Mais plus problématique, en revanche, serait de ne pas s’en apercevoir.
Ce texte a été publié dans sa version originale le 17 juin 2021 sur le site du média The Conversation et sous licence Creative Commons. Je tiens à remercier Bastien Lelu, Antoine Blanchard et Livio Riboli-Sasco pour les inspirations que je leur dois, les échanges qui ont motivé la rédaction de ce texte et leurs précieux conseils rédactionnels.
ou comment éclairer les stratégies obscurcissantes des climatosceptiques par le recours à la caricature platiste.
Je suis de plus en plus convaincu que la Terre est plate.
De toute façon, cette histoire de Terre sphérique m’avait toujours semblée bizarre et, depuis mon plus jeune âge, j’avais des doutes : ces gens qui ont la tête en bas, même si on m’affirmait que la physique pouvait l’expliquer, ça me dérangeait.
Mais j’ai fini par ouvrir les yeux définitivement. Grâce à la découverte de vidéos YouTube anticonformistes puis, de fil en aiguille, à des rencontres sur les réseaux sociaux de chercheurs indépendants et courageux qui osaient remettre en question la doxa scientifique, je me suis enfin rendu compte de la supercherie.
On nous ment délibérément ! Enfin, une petite élite qui a intérêt à cela, du moins. Toute une caste de soi-disant scientifiques, de mèche avec les marchands de GPS et de mappemondes, avec les transporteurs maritimes et aériens, avec les armées et les gouvernements de tous les pays du monde. Oh, je n’en veux pas au commun des mortels : lui ne cherche pas spécialement à occulter ou à subvertir la vérité. Les gens sont juste des moutons de Panurge endoctrinés, qui répètent ce qu’on leur dit sans recul critique et qui suivent béatement le mouvement sans se poser de questions. Heureusement que d’autres prennent le temps de démystifier cette détestable pensée unique.
Ce qui m’ennuie le plus, toutefois, maintenant que j’ai compris que la Terre était plate et qu’on nous le cachait au nom d’intérêts inavouables, c’est que l’école continue à enseigner ces idées dangereuses à mes enfants. Dangereuses, car il ne s’agit pas seulement de rotondité de la Terre : c’est tout un système intellectuel impérialiste de connaissances et de valeurs qui s’articule autour de cette vision du monde erronée de la Terre sphérique. On leur lave le cerveau ! Et avec ça, on prépare consciencieusement les citoyens qu’ils seront plus tard à tout accepter : des restrictions économiques, des taxes, des idées gauchistes… il faut réagir !
Or, au cours de mes recherches sur la forme de la Terre, j’ai découvert que d’autres communautés refusaient de céder à la dictature des experts et se défiaient du catéchisme scientifique dominant. Parmi elles, les climatosceptiques ont développé une approche très efficace pour neutraliser les arguments des scientifiques et des écologistes sur les blogs et les réseaux sociaux. Plus nombreux que nous, les platistes, ils sont aussi mieux organisés et mieux financés. Inspirés par les actions préalables de désinformation menées par l’industrie du tabac et de l’amiante, ils ont alors élaboré un arsenal d’outils agnotologiques à la fois simples et robustes.
En observant bien leurs façons de faire, j’ai formalisé leur méthodologie sous la forme d’un « manuel du parfait climatosceptique » sur Internet, applicable à la remise en question de n’importe quelle propagande scientifique. Voici en quoi il consiste, en 7 étapes :
« Je suis climatosceptique et, pour le bien de notre société et la préservation de ses formidables acquis technologiques et économiques, j’ai décidé de m’engager pour la vérité sur la question climatique. Voici comment je procède :
Je m’exprime un maximum sur les réseaux sociaux, surtout sur les pages des scientifiques et des écologistes (qui, contrairement à nous, se cantonnent bêtement à se convaincre mutuellement). J’ai également appris à troller efficacement leurs blogs, en utilisant parfois plusieurs identités après avoir découvert le procédé nommé « astroturfing ».
On me le reproche au nom de la gravité de la crise environnementale et de ses conséquences actuelles et futures, mais j’y suis préparé.
Les références scientifiques sérieuses allant dans le sens de mon opinion étant rares, je les assène aussi souvent que possible en les assortissant de n’importe quel élément susceptible d’étayer ma thèse : blogs complotistes, tribunes de toutes origines et de toutes orientations politiques, articles issus de tabloïds évoquant des actions écologistes extrémistes… peu importe tant qu’ils permettent de déconsidérer la communauté « réchauffiste ».
On me le reproche en opposant les travaux et les méthodologies de la communauté scientifique internationale, mais j’ai la parade.
Je me défends au nom de la lutte contre la « doxa », la « pensée unique », le « dogme ». J’accuse mes détracteurs d’aveuglement, d’endoctrinement, identifiant leurs points de vue à des « croyances religieuses » (très efficace contre les scientifiques et les « écolos gauchistes », que ça énerve au plus haut point).
On me le reproche en m’opposant que le fait de dire le contraire de tout le monde (et des spécialistes en particulier) ne saurait constituer un argument de véracité. C’est ici qu’en général on m’accuse d’être conspirationniste, mais je ne me laisse pas démonter.
Faute de pouvoir développer des arguments suffisamment solides aux yeux de certains de mes détracteurs, je change mon fusil d’épaule et passe à l’attaque : je critique l’arrogance et la suffisance des spécialistes, j’invoque même la « dictature des experts ».
On me le reproche et je risque à ce stade de me voir attribuer un point Godwin, mais peu importe. C’est aussi là que l’on perd patience et, dans le meilleur des cas, que l’on en appelle à des règles plus strictes de modération des commentaires. Du pain béni qui me réapprovisionne en munitions !
Je me réfugie immédiatement derrière « la fin de la liberté d’expression » et la « censure des opinions minoritaires ». Au nom de la vertu, je conserve ma position de force grâce à cette valeur qui protège d’autant plus un argument qu’il est contesté par la majorité, même s’il est faux.
Sur ce terrain, les tenants d’une argumentation rationnelle sont complètement déboussolés et recherchent éperdument d’autres angles d’attaque. Comme je m’exprime souvent sous couvert de mes divers pseudos pour profiter du phénomène “d’effet de meute” sans être découvert, il arrive alors que l’on me reproche de m’exprimer anonymement. Mais l’argument est facile à démonter.
Car si j’ai été un tant soit peu brutalisé dans la discussion, je joue la victime et défends mon anonymat au nom de l’insécurité qui pèse sur le lanceur d’alerte que je suis face aux agressions des « bien-pensants » et des « khmers verts ».
On peut alors certes me reprocher ma « malhonnêteté intellectuelle » mais, ayant réussi à prendre la position de victime, je suis devenu intouchable. Peu importe que je ne sois pas parvenu à argumenter sur le plan scientifique, j’ai sacralisé mon opinion au nom de la liberté d’expression et déplacé le débat climatique du terrain des faits à celui des valeurs morales. Je ressors en général victorieux de l’échange.
Variante : Face à l’accusation d’anonymat, je peux également prétendre, d’une part, que l’identité des spécialistes leur sert d’argument d’autorité et, d’autre part, que mon anonymat oblige à se pencher de manière objective sur les idées que j’exprime et non sur qui je suis. Je nivelle ainsi la différence entre les spécialistes du climat et les communs des mortels que je représente, les privant de leurs derniers leviers.
On peut certes me rétorquer que la question de l’origine anthropique du changement climatique n’est pas une question politique mais une question scientifique. Qu’elle ne peut à ce titre se résoudre par une argumentation contradictoire entre opinions contraires. Mais cela n’a aucune importance : quel internaute pourrait en effet raisonnablement soutenir avoir par lui-même vérifié les résultats des dizaines de milliers d’articles publiés par la communauté scientifique internationale sur ce sujet ? Il est impossible d’argumenter sur la crise climatique actuelle sans utiliser ne serait-ce qu’un petit argument d’autorité, qu’il s’agisse de son statut de chercheur ou de l’état de l’art en matière de publications scientifiques. Ainsi, en surfant sur la vague de l’anti-élitisme, sur mon droit à exprimer mes opinions et en faisant vibrer la corde de l’argument d’autorité, hautement sensible chez les scientifiques, je cloue là encore le bec à mes interlocuteurs.
L’utilisation de ce « manuel du parfait climatosceptique » n’est pas limitée à une démarche linéaire. Que votre interlocuteur tombe dans le piège de « l’argumentation objective » à l’étape 7 et il vous suffira de retourner à l’étape 2. Au bout d’un moment, vous aurez tant et si bien embrouillé la discussion qu’il se retrouvera piégé comme une mouche dans une toile d’araignée. Il est bien plus facile de créer du doute sur une connaissance scientifique que d’en prouver la validité. Sans compter qu’au final, vous aurez également réussi à faire perdre du temps et de l’énergie à vos contradicteurs, à les détourner de leur action le temps de vous répondre voire, dans certains cas, à leur faire perdre patience et à les décrédibiliser.
Mais, chers amis platistes, revenons à nos moutons de Panurge, c’est-à-dire aux adeptes de la théorie de la Terre sphérique. Non seulement j’ai commencé à mettre ce manuel très efficace au service de mon propre combat pour la Vérité sur le net, mais j’ai également réfléchi à la manière de l’appliquer dans la vraie vie. Tant sont puissants les procédés agnotologiques d’obscurcissement de la démarche scientifique traditionnelle développées par les climatosceptiques.
Ainsi, appliquant leurs instructions à la lettre, j’ai décidé d’envoyer mes enfants à l’école demain avec la lourde mission de défendre l’idée que la Terre est plate face à leur professeur de physique. J’ai bien pris soin de bourrer leur cartable de tous les arguments de base utiles à cette mission : des impressions de pages de blogs platistes ressemblant à des sites scientifiques (les gens ne font de toute façon pas la différence), les noms de physiciens morts ayant par hasard tenus des propos platistes dans leurs dernières phases de sénilité, des pétitions signées par des scientifiques un peu ratés qui ont soudain trouvé un intérêt et une certaine audience en soutenant le combat platiste (la plupart n’ayant plus d’activité scientifique ou n’ayant qu’une formation scientifique minimale, ce qui permet tout de même de les nommer « scientifiques » sans que les gens fassent la différence avec des chercheurs actifs).
Mais surtout, ils emportent avec eux la précieuse liste de vocabulaire forgée par les climatosceptiques : « pensée unique » et « dogme » des physiciens, « endoctrinement », « dictature des experts », « khmers ronds ». Je vais également leur conseiller d’être assez rapidement irrespectueux afin que le professeur menace de les mettre à la porte, ce qui leur permettra d’invoquer la « liberté d’expression ». Et si cela ne suffit pas, ils y retourneront le lendemain anonymement avec une cagoule qu’ils refuseront d’enlever au motif qu’ils se sentent menacés par les réactions de l’establishment à leurs opinions minoritaires. De quoi parfaire l’attirail de la parfaite victime de la censure. A coup sûr, ils parviendront ainsi à semer le doute dans les esprits de quelques-uns de leurs camarades. Si ça marche pour les climatosceptiques, pourquoi pas pour les platistes ?
***
Ce texte à deux niveaux de lecture est une fiction dont, on l’aura compris, l’auteur véritable est aussi peu platiste que complotiste et climatosceptique. Son objectif est de faire réfléchir à la rhétorique des marchands de doute et, au-delà, de l’ensemble des acteurs du web qui, pour des raisons multiples que nous n’avons pas souhaité analyser ici, sont amenés non seulement à tenir des positions contraires aux conclusions formulées par la science, mais également à remettre en question son fonctionnement et à en décrédibiliser les acteurs. Le procédé a du reste été librement inspiré par le sketch de l’humoriste Yann Lambiel intitulé « Les bananes bleues ».
Face à ces entreprises de désinformation, la communauté scientifique est bien souvent mal équipée. Habitués à produire prudemment ses résultats sur la base de méthodologies rigoureuses et de confrontation aux avis de leurs pairs, les chercheurs peinent à défendre leurs certitudes sur les réseaux sociaux, où les codes ne sont pas ceux de la recherche scientifique, où un blog militant peut être opposé à un papier des meilleures revues, où tout argument scientifique valide est considéré comme de l’arrogance, où la liberté d’expression est opposée à quiconque contesterait une opinion minoritaire parce que simplement fausse.
Mais il faut bien l’admettre, adhérer aux conclusions du GIEC présuppose un acte fort de confiance dans l’efficacité et la pertinence de la méthode scientifique. Dans la moralité et la sincérité des chercheuses et des chercheurs. Dans leur capacité à changer d’avis dès lors qu’une nouvelle information viendrait infirmer leurs conclusions précédentes. De foi dans le fait qu’un chercheur qui sort de son laboratoire pour alerter le grand public ne le fait que mû par un extrême sentiment d’urgence et de nécessité.
Ne pas accorder cette confiance à la communauté scientifique vous autorise à l’inverse à croire n’importe quoi et, comme on l’a vu ci-dessus, sur les réseaux sociaux, à imposer votre avis quel qu’il soit, au nom de valeurs qui viennent indûment interférer avec celles de la recherche. Quand ce n’est pas, comble du cynisme, au nom d’une non-expertise revendiquée ou du génie qu’il y aurait à penser différemment de tout le monde. De quoi nous remémorer la sentence du poète : « Tous les hommes de génie ont leurs détracteurs ; mais ce serait faire une fausse distribution du terme moyen de déduire, partant de là, que tous ceux qui ont des détracteurs sont des hommes de génie » — Edgar Allan Poe, « Marginalia ».
Le constat est un peu désespérant et, comme après avoir visionné le sketch de Yann Lambiel évoqué plus haut, on se sent désemparé. Pour la communauté scientifique, deux voies se dessinent toutefois. La première consiste à continuer à travailler en respectant une éthique parfaite. La seconde consiste non pas à imposer ses conclusions à ceux qu’elles dérangent, au nom de son statut de chercheur ou de la méthode scientifique, mais à tenter d’expliquer comment la science se fait. Non pas seulement à vulgariser ses résultats mais également sa manière de travailler. A vulgariser l’épistémologie et la sociologie des sciences autant que la science elle-même. Mais face à la peur du changement et de l’inconnu, bien compréhensible du reste, la tâche est immense. Et le résultat bien incertain.
Dans les campagnes telles que celle qui entoure l’initiative multinationales responsables, la quête de voix conduit parfois à l’émergence d’étranges slogans, même sous la plume de représentant·e·s de partis dont on s’attendrait pourtant à un minimum de réflexion critique et de profondeur argumentative.
Ainsi cette citation de la Conseillère Nationale représentant les Vert’Libéraux (VD) Isabelle Chevalley : « Nos multinationales sont responsables et génèrent des millions d’emplois en Afrique qui font vivre autant de familles ». La phrase est illustrée par une photographie datant de 2016, sur laquelle on la voyait déjà poser pour un article au titre paternaliste : Isabelle Chevalley veut « nettoyer le continent ». A ses côtés, une femme probablement ivoirienne, loin de se douter que son sourire serait instrumentalisé 4 ans plus tard au profit d’un message politique aussi cynique. Et Isabelle Chevalley d’ajouter outrageusement : « Combien d’emplois ont créés les ONGs ? » (la faute de grammaire est d’origine).
Des propos qui passent mal
A l’heure où l’opinion publique est sur-sensibilisée à la question des discriminations raciales par l’assassinat de l’afro-américain George Floyd par un policier blanc le 25 mai 2020 à Minneapolis (Etats-Unis), la formule passe particulièrement mal. Coordinatrice romande des Jeunes Vert-e-s Suisse, la militante Mathilde Marendaz est l’une des premières à réagir et dénonce immédiatement « des propos racistes et colonialistes éhontés ». Elle ajoute :
« Alors que notre occident capitaliste s’est construit sur la base du colonialisme en pillant gratuitement les ressources des pays du tiers-monde, en esclavagisant et colonisant les populations pour le faire, et alors qu’aujourd’hui de nombreuses études en sciences politiques et sociales permettent de comprendre comment les multinationales irresponsables d’aujourd’hui perpétuent ce modèle en utilisant la domination économique de nos pays et les législations moins strictes des pays du Sud global pour engrosser les profits des pays du Nord, pour Isabelle Chevalley, ce serait grâce à nous qu’il y a des EMPLOIS EN AFRIQUE ? […] Poser en photo avec une personne racisée en défendant un modèle qui tue et pille les ressources des pays du Sud, c’est le comble du racisme systémique ».
Nicolas Casaux, invité du blog Savoirs en société
Au-delà de l’indignation, la question soulevée par le slogan des Verts’Libéraux est loin d’être anodine car, comme le montre la réaction de Mathilde Marendaz, elle réveille des réflexions aussi douloureuses que délicates sur la responsabilités des pays du Nord face à la misère de ceux du Sud, que nous nous proposons d’approfondir en guise de réponse à Isabelle Chevalley. Cependant, une fois n’est pas coutume, plutôt que de conduire nous-mêmes cette réflexion sur un thème situé un peu loin de notre domaine de compétences académiques, nous avons décidé d’inviter sur ce blog un spécialiste de la critique du développement.
Mais plutôt que la critique molle que l’on trouve habituellement dans la presse traditionnelle, nous avons souhaité présenter à nos lecteurs une critique radicale, que d’aucuns considéreront probablement même extrême. Parce que la radicalité, du moins lorsqu’elle est convenablement argumentée et documentée, permet de penser « au moins jusque là » pour pouvoir ensuite, en toute connaissance de cause, choisir la position de son propre curseur.
C’est ainsi que Nicolas Casaux, rédacteur en chef de la revue www.partage-le.com et membre de l’organisation d’écologie radicale internationale Deep Green Resistance, a accepté de répondre à notre invitation. Nous tenons à l’en remercier. Il nous livre ici les réflexions que lui inspirent à la fois l’initiative sur les multinationales responsables et les slogans des Verts’Libéraux à l’encontre de cette initiative.
Les habits neufs (et verts) de la mission civilisatrice
par Nicolas Casaux
« Vous nous dites que pour vivre il faut travailler… Vous autres, hommes blancs, vous pouvez travailler si vous le voulez, nous ne vous gênons nullement ; mais à nouveau vous nous dites : “Pourquoi ne devenez-vous pas civilisés ?” Nous ne voulons pas de votre civilisation ! »
— Crazy Horse, chef sioux Oglala, Pieds nus sur la terre sacrée.
« Mes jeunes gens ne travailleront jamais, les hommes qui travaillent ne peuvent rêver, et la sagesse nous vient des rêves. »
— Smohalla, Amérindien membre de la tribu des Wanapums, Pieds nus sur la terre sacrée.
« Le travail rend libre. » (Arbeit macht frei)
— Phrase apposée par la société allemande IG Farben
au-dessus du fronton de ses usines avant de devenir un credo nazi.
« Par le travail, la liberté ! »
— Credo soviétique. Formule que l’on trouvait inscrite sur un panneau
à l’entrée de l’un des camps du goulag des îles Solovki.
« Nos multinationales sont responsables et génèrent des millions d’emplois en Afrique qui font vivre autant de familles. »
Richard-Emmanuel Eastes m’a courtoisement proposé de réagir à une question politique suisse opposant multinationales et ONG. Y répondre platement n’aurait servi qu’à occulter les problèmes fondamentaux qui les font émerger. Il m’a semblé nécessaire de resituer les choses dans leur contexte plus étendu.
Les entreprises multinationales devraient-elles être davantage tenues responsables des conséquences de leurs agissements ? Avant de répondre à cette question, ou même d’en discuter la pertinence, il importe de revenir sur quelques développements historiques. Nonobstant ses origines antiques, l’entreprise moderne prend forme avec — et est indissociable de — l’État moderne.
Aujourd’hui, de Kuala Lumpur à New-York en passant par Oulan-Bator et Lagos, les hommes roulent en voiture sur des routes asphaltées, possèdent des smartphones, des téléviseurs, des comptes Facebook, des comptes en banque, travaillent pour des entreprises en échange d’un salaire, obtiennent leur nourriture en l’achetant dans des supermarchés, etc. Contrairement à ce que d’aucuns prétendent absurdement, cette uniformité des sociétés humaines des quatre coins du globe n’est pas le produit d’une volonté démocratique, d’un consensus populaire historique. Tout au contraire. Ainsi que le formule l’anthropologue de Yale James C. Scott dans son livre Petit éloge de l’anarchisme :
« Les pratiques vernaculaires ont été, au cours des deux derniers siècles, éliminées à une vitesse telle que l’on peut raisonnablement voir dans ce phénomène un processus d’extinction de masse apparenté à la disparition accélérée de certaines espèces.
La cause de l’extinction est également analogue : la perte d’habitat. De nombreuses pratiques vernaculaires ont disparu pour de bon, et d’autres sont aujourd’hui menacées.
Le principal facteur d’extinction n’est nul autre que l’ennemi juré de l’anarchiste, l’État, et en particulier l’État-nation moderne. L’essor du module politique moderne et aujourd’hui hégémonique de l’État-nation a déplacé et ensuite écrasé toute une série de formes politiques vernaculaires : des bandes sans État, des tribus, des cités libres, des confédérations de villes aux contours souples, des communautés d’esclaves marrons et des empires. À leur place, désormais, se trouve partout un modèle vernaculaire unique : l’État-nation de l’Atlantique Nord, tel que codifié au XVIIème siècle et subséquemment déguisé en système universel. En prenant plusieurs centaines de mètres de recul et en ouvrant grand les yeux, il est étonnant de constater à quel point on trouve, partout dans le monde, pratiquement le même ordre institutionnel : un drapeau national, un hymne national, des théâtres nationaux, des orchestres nationaux, des chefs d’État, un parlement (réel ou fictif), une banque centrale, une liste de ministères, tous plus ou moins les mêmes et tous organisés de la même façon, un appareil de sécurité, etc. »
Les États-nations qui composent actuellement le continent africain sont de purs artifices, produits du colonialisme, du fameux « partage de l’Afrique ». C’est en détruisant les cultures, les sociétés, les peuples, les mœurs, les coutumes, etc. qui y prospéraient alors que les États déjà constitués (européens, américains, asiatiques) ont pu imposer au continent de rejoindre la monoculture humaine planétaire que déplorait Claude Lévi-Strauss [i] (monoculture aussi appelée « mondialisation » ou « entreprisation du monde ») :
« L’humanité s’installe dans la monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat. »
Il le fallait bien. L’ordre des choses le réclamait. Les « races supérieures » avaient (et ont toujours) le « devoir de civiliser les races inférieures ». Les « nations européennes » se sont simplement acquittées « avec largeur, grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de la civilisation » (Jules Ferry).
« Appréciez votre pauvreté ! »
Désormais que les États-nations et le capitalisme sont bien implantés en Afrique comme partout ailleurs, la mission civilisatrice est presque achevée. Par capitalisme, il faut entendre la forme de vie sociale — fondée sur le travail, l’argent, le salaire, la production de marchandises, la propriété privée, etc. — que les États-nations européens, américains et asiatiques imposent à leurs sujets depuis plusieurs siècles, et qu’ils imposèrent également aux Africains en leur apportant la civilisation. Presque, parce que pas tout à fait. Et d’abord parce que les États africains continuent d’être maintenus dans une position d’infériorité, dans une position de précarité à l’avantage des États et des transnationales européennes, américaines et asiatiques. Le pillage continue, ainsi que l’exposent, par exemple, les documentaires Nous venons en amis d’Hubert Sauper et Enjoy Poverty (« Appréciez votre pauvreté ») du néerlandais Renzo Martens.
Non contentes de s’enrichir de manière parfaitement illégitime, criminelle (grâce aux dispositions précitées, à la colonisation, aux structures sociales historiquement imposées), sur le dos du continent africain et de ses habitants, les multinationales des pays riches osent s’indigner même des plus maigres compensations demandées par « la société civile » (en l’occurrence, par des ONG, une des principales formes d’opposition tolérées, encouragées et subventionnées par les États modernes). Les ONG osent les emmerder ! Leur demander de rendre des comptes ! D’être plus responsables ! À elles… qui fournissent généreusement du travail à ces pauvres Africains, lesquels, sans cela, seraient livrés à eux-mêmes, à la misère, à la faim, à la mort !
L’indécence officiellement admise de la « mission civilisatrice » ne permettant plus d’employer l’expression, c’est désormais du travail que l’on se targue d’apporter aux Africains. Mieux, en ces temps de lutte contre le réchauffement climatique, dès que possible, on — États, multinationales, politiciens, etc. — se félicite de leur fournir des « emplois verts ». C’est-à-dire des emplois s’inscrivant dans le cadre d’industries supposément [i] « vertes » (production d’énergie photovoltaïque, éolienne, etc.). De la sorte, on prétend faire d’une pierre deux coups : améliorer le sort des Africains, et sauver la planète.
Des multinationales responsables…
Dans les faits, le processus n’est pas plus démocratique aujourd’hui qu’il ne l’était hier. L’illusion démocratique repose en Afrique (dans quelques pays africains, du moins) sur la même mystification qu’ailleurs : il suffit à un État de se prétendre démocratique et d’instaurer des élections présidentielles pour l’être aux yeux des autres.
Cependant, les sujets des États désormais bien implantés apprennent à s’en satisfaire. En effet, comme le souligne James C. Scott (dans l’ouvrage susmentionné) :
« Une fois en place, l’État (nation) moderne a entrepris d’homogénéiser sa population et les pratiques vernaculaires du peuple, jugées déviantes. Presque partout, l’État a procédé à la fabrication d’une nation : la France s’est mise à créer des Français, l’Italie des Italiens, etc. »
Et le Congo des Congolais, le Sénégal des Sénégalais, etc. Auxquels on inculque comme à tous les autres, par le biais du système scolaire étatique et des médiums culturels, que la propriété privée, la nécessité de travailler, l’Entreprise, l’argent, le salaire, le développement industriel et technologique, l’État, les élections présidentielles, sont dans l’ordre des choses, et même de très bonnes choses, puisqu’elles constituent le Progrès.
En réalité, l’expansion de la domination de l’État, du capitalisme, de l’Entreprise, du système industriel, est synonyme à la fois de désastre social (destruction de la diversité culturelle humaine, au travers du colonialisme, de l’ethnocide, dépossession et aliénation des hommes dans la servitude moderne du salariat) et environnemental (destruction de la biodiversité, dégradation de la biosphère).
Dans un tel contexte, les entreprises multinationales devraient-elles être davantage tenues responsables des conséquences de leurs agissements ? Bien entendu. Ce serait un minimum. Dont il ne faudrait surtout pas se contenter. Les multinationales et l’ensemble du système étatique et capitaliste dans lequel elles s’inscrivent doivent également — et le plus rapidement possible, étant donné les dégâts qu’ils génèrent — être mis hors d’état de nuire. Non seulement afin d’enrayer la sixième extinction de masse (ou, pour parler moins euphémiquement, la première extermination de masse) des espèces vivantes, mais aussi en vue de constituer de véritables démocraties et d’en finir avec leur règne inhumain et écocidaire.
Nicolas Casaux, le 15 juin 2020.
—
[i] Au sujet de la mystification que constituent ces prétentions « vertes », « propres » et « renouvelables », il faut lire Les illusions renouvelables de José Ardillo ou regarder le documentaire de Jeff Gibbs, Michael Moore et Ozzie Zehner intitulé Planet of the Humans (Planète des humains), ou encore consulter un des nombreux articles traitant du sujet publiés sur le site www.partage-le.com (notamment dans cette catégorie : https://www.partage-le.com/category/environnement-ecologie/le-mythe-du-developpement-durable/).
A nos amis lecteurs
Comme nous l’avons mentionné plus haut, le texte et les propos tenus ici sont radicaux et nous l’assumons. On les voit rarement exprimés dans les médias traditionnels mais chacun pourra constater que, pour adopter une position dure, le discours de Nicolas Casaux n’en est pas moins référencé et argumenté. Personne n’est obligé de partager ces idées mais, bien entendu, chacun est invité à les commenter et à les critiquer. L’espace de commentaires de cet article est prévu pour cela.
Toutefois, afin de préserver un dialogue constructif et des échanges sereins, nous précisons d’emblée qu’aucun commentaire agressif, irrespectueux ou contraire aux règles de la bienséance ne sera validé lors du processus de modération. Nous vous demandons également de bien vouloir éviter les commentaires anonymes ; nous nous réservons le droit de bloquer tout propos rédigé sous pseudo ou avec une fausse adresse e-mail.
Les jeunes et les partis écologistes sont-ils coupables de « chantage » au changement climatique ? De quelles si terribles armes et si puissants soutiens disposent-ils pour se voir régulièrement accusés de vouloir instaurer une « dictature verte » ?
A quelques jours de l’anniversaire de sa troublante publication par l’AGEFI Suisse, nous avons décidé de revenir sur la chronique publiée en juin dernier par le Centre Patronal sous la plume de la juriste Sophie Paschoud. Intitulée « Le chantage climatique commence à bien faire », elle nous semble en effet intéressante à relire au moment où la fuite en avant de nos sociétés occidentales à irresponsabilité illimitée a non seulement conduit au dramatique confinement d’une bonne partie de l’humanité, mais a également mis en évidence la fragilité d’un système d’échanges commerciaux à flux tendu qui menace la souveraineté économique de nos propres Etats. Une crise que d’aucuns considèrent en outre hélas comme une répétition générale de celles que nous feront sous peu affronter les conséquences de nos modes de vie insensés, parmi lesquelles l’effondrement de la biodiversité, la transformation des océans en égouts et le désastreux déplacement de la teneur en CO2 de l’atmosphère.
En effet, ce texte consternant, du reste immédiatement dénoncé par plusieurs acteurs politiques, traduit particulièrement bien les tensions et crispations qui accompagnent depuis plusieurs années la question climatique dans les sphères politiques et économiques. Lors de sa parution, je l’ai toutefois lu avec déception et tristesse et j’aimerais essayer ici d’expliquer, de la manière la plus constructive possible, pourquoi le problème soulevé par Sophie Paschoud ne me semble pas être posé convenablement.
Une montée en puissance de la couleur verte
Depuis les dernières élections, les partis traditionnels s’émeuvent d’une montée en puissance des écologistes et on les comprend. Une des réactions qu’ils opposent à ce phénomène consiste à accuser ces derniers de dramatiser la situation pour « siphonner des voix » et « faire passer leur idéologie ». Ainsi Sophie Paschoud écrit-elle : « On en arrive à un stade où les considérations écologiques ne sont plus qu’un prétexte pour imposer une idéologie en passe de devenir une véritable dictature ».
Avec une phrase telle que celle-ci, sa thèse du « chantage climatique » apparaît comme une version à peine édulcorée de celle du tout-ménage de l’UDC diffusé au printemps dernier dans lequel on pouvait lire des slogans tels que « Voici comment la gauche et les verts veulent rééduquer la classe moyenne » ou « Que cache donc cette hystérie climatique attisée par la gauche écologiste ? », et dont les illustrations reprenaient la traditionnelle représentation libertarienne du diable communiste avançant masqué derrière son camouflage vert.
Or face à cette menace électorale, ces partis traditionnels semblent ne parvenir à se focaliser que sur la question de la réalité du changement climatique ou de la gravité de la crise écologique. Ce faisant, ils prennent nettement position, parfois sans le vouloir, sur le large spectre du climato-scepticisme qui s’étend du climato-quiétisme au climato-dénialisme.
Pourtant, les deux seules questions qui méritent d’être posées et débattues démocratiquement ne portent désormais plus sur l’existence ou non d’une crise climatique mais 1/ sur la société que nous voulons construire COMPTE TENU de la gravité de cette crise et 2/ sur le chemin que nous voulons suivre pour atteindre ce nouvel objectif. Et pour ce faire, nous avons besoin de tous les partis, que tous proposent des solutions, du PS à l’UDC, parmi lesquelles les électeurs choisiront. Parce que face à l’ampleur de la menace, toutes les intelligences et toutes les idées sont nécessaires !
Au lieu de cela, et en dépit de quelques maigres esquisses de propositions politiques (voir image ci-dessous), on voit les énergies se canaliser dans la négation du problème plutôt que dans sa résolution. Là réside le second drame que nous vivons : celui de ne pas être capables de nous atteler ensemble à la tâche colossale qui est devant nous.
Et pourquoi pas la disparition des partis écologistes ?
Je soutiens personnellement les partis écologistes mais je ne pourrais rêver mieux que de les voir disparaître si cela pouvait signifier qu’ils sont devenus inutiles, les partis traditionnels ayant enfin intégré les questions environnementales dans leurs visions du monde, à la place qu’elles méritent. Là où Sophie Paschoud croit que les Verts font du chantage pour aspirer des voix, je ne vois personnellement que des personnes sensées et de bonne volonté, simplement désireuses de faire entendre la leur, sur la base de ce qui saute aux yeux de qui veut bien les garder ouverts. Va-t-on tout de même leur reprocher de défendre en même temps leur vision du monde si celles qui ont cours ne leur conviennent pas ?
A cet égard, Sophie Paschoud ne semble pas très bien informée quant à ce qui se joue en ce moment dans la biosphère. Il suffit pourtant de lire la littérature scientifique et d’essayer de comprendre où ira le monde si l’ensemble de l’organisation de notre civilisation thermo-industrielle basée sur des énergies carbonées n’est pas rapidement révolutionnée. Les mesures qu’elle tourne en dérision ne sont pourtant que le début de ce à quoi il faudra se résoudre en termes de limitation de notre confort pour ne simplement pas perdre tout le reste. Mais c’est probablement une réalité trop difficile à regarder en face.
Alors on préfère critiquer Greta Thunberg et les jeunes qui s’engagent, parler de « retour à l’âge de pierre » ou dire que « la Suisse est responsable de 0,1% des émissions mondiales de gaz à effet de serre ». D’une part, ce chiffre n’a pas de sens car il ne tient pas compte de phénomènes tels que les émissions externalisées par les pays occidentaux qui la font remonter à la 14e place au niveau mondial en termes d’émissions par habitant, ou encore l’impact des investissements des banques suisses dans l’industrie carbonée. D’autre part, ce chiffre n’intègre aucunement le pouvoir d’influence politique, économique et technologique de notre pays.
Pour résumer, quand un navire sombre, les passagers se bagarrent-ils pour savoir si l’avarie est grave, voire si elle existe vraiment ? Accuse-t-on ceux qui préconisent des solutions radicales de chercher à faire passer leur idéologie ? Ne feraient-ils pas mieux de tous chercher, ensemble, à colmater la brèche, quoi que cela en coûte, pour ne pas simplement tous périr ?
Mme Paschoud n’a peut-être pas d’enfants. Sans quoi elle chercherait probablement davantage à anticiper l’état du monde dans lequel ils vont vivre. Mais qu’elle se rassure quoi qu’il en soit : ce qui doit être fait ne le sera pas. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner l’indigence des résultats de la COP25 qui, en décembre 2019, titrait pourtant « Time for Action ». Nous atteindrons sans aucun doute les 2, 3 voire 5°C supplémentaires d’ici la fin du siècle. Pour cela, on peut faire confiance à la robustesse du capitalisme et à la brutalité de la pandémie ultralibérale qui, elle, a démarré bien avant celle du Covid-19.