Urgence durabilité: les cinq clés de la transition

Cette année, plus de doute possible : le changement climatique n’est plus une projection mais une réalité. Violents feux de forêts en Sibérie, dans la région méditerranéenne, en Amérique du Nord. Inondations catastrophiques ailleurs. Plus personne n’est dupe de ces signes qui ne nous disent rien de bon ; désormais les choses peuvent basculer rapidement et brutalement. Un peu à l’image de l’implosion de l’Etat afghan ; on le savait vermoulu, fragile, fictif – mais à ce point et si vite… Et comme pour certaines maladies insidieuses, mais hélas souvent fatales, quand on a mal, il est déjà bien tard.

Pourtant ce serait une erreur de ne voir que le changement climatique. La dynamique de déstabilisation est tout aussi inquiétante en matière de biodiversité, d’autant plus qu’elle est peu détectable par les non-spécialistes. Il y a les enjeux de l’eau, des sols, des océans, mais aussi des inégalités croissantes, de la défiance à l’égard des dirigeants ou de la science… Tout cela fonctionne comme un vaste jeu de dominos aux pièces interconnectées. Dès lors, toute action qui se veut efficace se doit d’être systémique.

Répondre au cercle vicieux du déclin par une systémique positive

En 1987 déjà, la Commission des Nations Unies pour l’environnement et le développement soulignait qu’il n’y a pas «une crise de l’environnement, une autre du développement, une autre énergétique. Non, de crise il n’y en a qu’une». C’est cette même Commission qui a proposé, sous le vocable de développement durable, une synthèse entre l’urgence sociale et l’urgence environnementale. Il s’agit de veiller à ce qu’il y ait assez pour tous sur cette Terre, en suivant une claire hiérarchie des besoins. Et simultanément de veiller aux capacités productives de la nature – dont les limites ne sont toujours pas intégrées ni dans notre mental ni dans le logiciel de la plupart des décideurs.

Cette approche a été actualisée et concrétisée voici 6 ans maintenant par l’Assemblée générale des Nations Unies à travers l’Agenda 2030 adopté en septembre 2015. Ce document résume 30 ans d’engagements internationaux en matière de durabilité en 169 cibles regroupées en 17 Objectifs de développement durable, donnant à chaque personne, chaque organisation, chaque entreprise et chaque collectivité publique sa feuille de route pour tirer désormais à la même corde.

L’Agenda 2030 rappelle en particulier la formule du Plan d’action du Sommet mondial du développement durable de 2002 soulignant que «des changements fondamentaux dans la façon dont les sociétés produisent et consomment sont indispensables pour réaliser un développement durable à l’échelle mondiale» appelant consommateurs, producteurs et régulateurs à avancer ensemble dans la bonne direction. Dans pratiquement toutes les activités économiques il existe désormais de bonnes pratiques durables, dont il faut maintenant faire la loi pour tous.

Mesure n°1 : Une reconversion économique et technologique

Mais il ne suffit pas de faire les mêmes choses autrement, il faut changer de logiciel et passer :
• De la sous-enchère globale à un commerce équitable et valorisant l’autonomie locale ;
• Du fossile et du fissile aux énergies renouvelables et à un usage économe de l’énergie, à l’image des bâtiments«à énergie positive » produisant davantage d’énergie qu’ils n’en consomment;
• De l’obsolescence organisée à l’optimisation de la durée de vie et à l’économie circulaire;
• De l’agro-industrie à l’agroécologie, seule façon de nourrir une population croissante sans dégrader les terres et de maintenir une agriculture à visage humain ;
• De la finance spéculative et hors sol à la finance durable.
La chimie devra produire des substances à l’innocuité établie, l’aéronautique s’investir dans le transport ferroviaire et le pétrole et le plastique se reconvertir dans les énergies renouvelables et les matériaux sans impact négatif.

Mesure n° 2 : En finir avec un PIB trompeur

En se limitant aux seuls mouvements financiers, qu’ils résultent d’une invention bénéfique ou d’un accident, en excluant ce qui ne relève pas du circuit monétaire et en négligeant les stocks tout comme la répartition des biens ou les capacités productives de la nature, le PIB nous induit quotidiennement en erreur. Si bien, que pour reprendre la formule de l’économiste belge Paul Jorion, «un PIB en pleine forme peut être l’indice d’une accélération du processus destructeur».

Lancé voici une trentaine d’années par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), l’Indice de développement humain (IDH) pondère le PIB par le taux de scolarisation et l’espérance de vie. Le PNUD propose aujourd’hui d’y ajouter «le niveau d’émissions de dioxyde de carbone et la consommation de matières d’un pays, par habitant» pour obtenir «l’IDH ajusté aux pressions exercées sur la planète (IDHP)». Ce correctif indispensable doit maintenant faire foi.

Mesure n°3 : Donner une valeur au travail de la nature

A l’image du PIB, les calculs de rentabilité sont aujourd’hui faussés, n’enregistrant pas la valeur du »travail» de la nature, ni celle du «capital-nature» accumulé par ce travail. Sur le plan mondial, la contribution annuelle de la pollinisation à l’agriculture a été estimée en 2019 par l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) à 577 milliards de $ par an ; pour l’agriculture suisse, l’apport annuel de la pollinisation des cultures par les abeilles a été chiffré en 2017 par Agroscope à 350 millions de francs.

Mais les prestations que la nature nous offre, qu’on appelle aussi les services écosystémiques, sont bien plus vastes : c’est l’eau, l’air, les animaux et les plantes, les matières premières (matériaux rocheux, métaux, sources d’énergie, etc.)… Et aussi la filtration de la pollution par les zones humides et les forêts, le captage de gaz carbonique par la végétation terrestre et marine («puits de carbone»), la régulation des eaux par le sol et la fertilité de ce dernier, la prévention de l’érosion par le couvert végétal, les fonctions récréatives et touristiques. La conception dominante de l’économie occulte ainsi les bases mêmes qui la rendent possible.

Mesure n° 4 Recalculer la notion de rentabilité

En 2020, Greenpeace chiffrait à 2’900 milliards de $ par an le coût de la pollution de l’air due aux énergies fossiles. Les dommages causés par le réchauffement climatique, la pollution de l’air et les nuisances de la circulation routière ont été estimés par le Fonds Monétaire international (FMI) en 2015 à 5’300 milliards de $. Là aussi les comptes sont faussés au quotidien.

Il ne doit plus être possible de séparer les résultats financiers de ceux écologiques et sociaux. Les administrateurs et directeurs ne devront plus être évalués sur les seules performances financières de l’entreprise dont ils ont la charge, mais tout autant sur ses impacts écologiques et sociaux. Ces impacts doivent maintenant figurer dans les évaluations et les comptes des entreprises et des collectivités.

Mesure n° 5 : Créer des emplois utiles, pérennes et non délocalisables par la durabilité

En 2018, l’OIT estimait à «24 millions les emplois créés à l’échelle mondiale d’ici à 2030 si l’on met en place (…) une économie plus respectueuse de l’environnement». Quant à l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), elle signale qu’aux États-Unis le secteur de ces énergies emploie huit fois plus de salariés (près de 800’000) que le charbon (100’000) porté aux nues par d’aucuns.

En septembre 2019, l’ONU annonçait «380 millions de nouveaux emplois d’ici 2030» à travers la réalisation de l’Agenda 2030. Selon la Commission européenne, l’application de son plan d’action pour l’économie circulaire pourra accroître le PIB de l’UE de 0,5 % d’ici 2030 et créer 700’000 nouveaux emplois. Il y a donc vraiment moyen de faire converger les «fins de mois» de la Planète et les fins de mois des entreprises et des individus.

Toutefois, sans rectification de la notion de rentabilité – en intégrant dans les prix par des taxes les coûts infligés à la collectivité (externalités négatives) et en rémunérant, par des subventions, les externalités positives qui ne trouvent pas de financement suffisant sur les marchés – ces emplois ne verront pas le jour. On croyait s’éloigner de la défunte loi sur le CO2 qui avait prévu tout cela. Mais tout nous en rapproche…

René Longet

Licencié en lettres à l’Université de Genève, René Longet a mené en parallèle d’importants engagements, dans le domaine des ONG et du monde institutionnel, pour le vivre-ensemble ainsi qu'un développement durable. Passionné d’histoire et de géographie, il s’interroge sur l’étrange trajectoire de cette Humanité qui, capable du meilleur comme du pire, n’arrive pas encore bien à imaginer son destin commun.

8 réponses à “Urgence durabilité: les cinq clés de la transition

  1. Mesure N° 6 (la plus importante mais que personne n’ose dire): Diminuer la population mondiale ou tout au moins ne plus l’augmenter…

    1. Toujours la même fausse appréciation de la situation actuelle. Oui, il y a bien eu dans la deuxième moitié du XXème siècle une forte croissance de la population due: 1/ au boom des naissances après la seconde guerre mondiale et 2/ surtout à un formidable accroissement de l’espérance de vie. Si nous sommes aujourd’hui si nombreux sur Terre, c’est parce que le génération des “boomers” (dont je fais partie) est encore largement présente en même temps que les générations suivantes; il n’est pas rare de nos jours d’avoir des familles comprenant 4 générations vivantes. Mais, rassurez-vous, la “décrue” est d’ores et déjà fortement amorcée. Dans les pays les plus développés (donc ceux qui consomment et polluent le plus), les taux de natalité sont même TRES en-dessous de ce qui serait nécessaire pour simplement assurer la relève des générations, et cette tendance se répand partout dans le monde. Au siècle prochain, ce n’est pas l’explosion de la population, mais son effondrement qui va devenir LE problème crucial pour l’Humanité; une décroissance exponentielle est tout aussi, voire plus, problématique encore, qu’une croissance du même type. Compte tenu de l’inertie démographique, les effets de la “décrue” mentionnée plus haut ne se feront cependant sentir que dans quelques décennies; il n’y a aucun moyen d’éviter de voir passer la population mondiale près des 9 à 10 milliards d’habitants, … sauf à euthanasier les “vieux” à partir d’un certain âge (!). En effet, si on veut une baisse rapide de la population mondiale tout en évitant un effondrement démographique catastrophique à la fin de ce siècle ou au siècle prochain, ce n’est pas les jeunes, futures forces vives absolument nécessaire pour qu’une société fonctionne, qu’il faudrait dans ce cas faire disparaître (ou éviter de faire naître de manière exagérée), mais alors les plus anciens (re – !). Est-ce ce que vous préconisez (je ne connais pas votre âge)?

      1. Merci pour cet intéressant point de vue. Mais le boomers en Afrique, n’est-ce pas maintenant ? La Chine a fait un effort dans ce sens, mais n’est-ce pas le seul pays ? Avant d’accepter l’affirmation que c’est une fausse appréciation de la situation il me faut quelques références à des publications sérieuses soutenant ceci ? PS: Oui, je suis aussi parmi les anciens !

      2. Mais aujourd’hui, c’est la population asiatique qui s’accroît le plus . Votre analyse ne reflète que la population occidentale .
        Chaque année, 80 millions d’êtres humains s’ajoutent à la population mondiale et ce chiffre n’est pas près de diminuer , pour obtenir un milliard de plus en douze ans ! Il faudra attendre le siècle prochain pour assister à un déclin …
        Et même si il décroît légèrement , l’impact sur la nature augmente parce que les besoins augmente parce que chacun exige le mode de consommation américain tellement vanté par les médias et toutes les publicités envahissant notre quotidien …

      3. La fausse appréciation est double dans le sens que les émissions per capita suivent les inégalités de revenus. Les 10% les plus riches produisent plus de 50% des émissions globales, alors que les 50% les plus pauvres moins de 5%.

        Autrement dit, si les 10% les plus aisés au niveau global (i.e. nous) réduisons nos émissions de 10%, cela aurait autant d’effet que si les 50% les plus pauvres n’émettaient plus rien du tout.

        Trop souvent l’argumentaire de la population ressemble fortement à une déflexion fasse à la responsabilité écrasante que nous (les 10% les plus riches) portons dans cette situation. Bien sûr qu’une forte population cause d’autres pressions environnementales, mais en terme des émissions de CO2, il faudrait commencer par ôter la poutre dans notre œil avant d’aller chercher des pailles dans celui de nos voisins moins fortunés.

        1. Comme l’a récemment annoncé le GIEC, les émissions à effets de serre ne sont qu’un des 3 problèmes principaux. Il y a également la pollution et la menace sur la bio-diversité.

          Affirmer que la surpopulation dans le tiers monde n’est pas un problème car cela affecte peu les émissions CO2, c’est faire fi des deux autres problèmes.

          Et quant aux émissions CO2, si les européens arrivent a diminué leurs émissions de 2% par année, mais qu’en même temps sa population augmente de 2% par année (via l’immigration de personnes qui émettaient très peu à la base), alors on progresse de rien du tout.
          Et c’est sans compter que la population du tiers monde aspire à avoir un même niveau de vie que nous et donc un même niveau consommation que nous.

  2. M. Longet , comme beaucoup, confond les événements ponctuels , qui d’ailleurs ne varient pas beaucoup dans le temps selon les statistiques, avec le climat qui se mesure différemment à l’échelle de la planète au moyen de satellites.
    Le climat, faut-il le rappeler est un équilibre d’énergie entre ce que la Terre reçoit et émet , et il faut aussi tenir compte des cycles océaniques.
    Ce ne sont pas quelques événements extrêmes de cette année qui changent les faits sur des décennies …

  3. J’ai l’impression que certains n’ont pas bien compris le fond de mon premier commentaire. Peut-être que je n’ai pas été assez clair, mais je comprends aussi qu’il est difficile pour toute une génération ayant connu ce qu’il est convenu d’appeler “l’explosion” démographique (doublement, voire triplement, des “Terriens” en un siècle) d’imaginer que la menace d’un effondrement démographique catastrophique se profile au 22ème siècle. On commence à peine à voir des articles sortir sur le sujet; par exemple récemment sur “Le Temps” l’excellent papier de M. Jutzet:
    https://blogs.letemps.ch/nicolas-jutzet/2021/08/23/le-choc-de-la-decroissance-demographique/
    Et pourtant, les indices sont là si on accepte de prendre un peu de recul et regarder non pas la situation instantanée mais les tendances “lourdes”. Partout dans le monde les taux de natalité chutent fortement et régulièrement. Cela a commencé dans les pays les plus développés, mais touche maintenant l’entier de la planète. Au Niger par exemple, qui enregistrait 7 naissances par femme en 2017, le taux de fécondité descendrait à 1,8 à la fin du siècle, selon des chercheurs américains. L’ONU anticipe de même une baisse importante de la fécondité en Afrique et en Asie globalement, mais un peu moins rapide cependant. Du point de vue de l’impact sur l’environnement et la disponibilité des ressources, il est d’ailleurs heureux que la baisse du taux de natalité soit plus marquée dans les pays qui consomment et polluent (au sens large) le plus, et de loin; mais de toute manière le phénomène de décroissance va rapidement concerner le monde entier. Or il faut comprendre qu’une simple baisse de 2%/an d’une population conduit à presque 2/3 de diminution en 50 ans seulement. Imaginez une population suisse réduite à 1/3 de ce qu’elle est aujourd’hui en 50 ans, avec en plus un déficit, ce qui est le plus grave, de forces jeunes, étant donné que si on ne fait pas “disparaître” les générations qui sont déjà là et pour un certain temps encore, ce sont les jeunes, que l’on n’aura pas mis au monde, qui seront essentiellement la cause de cette décroissance et viendront à manquer. Une société ne peut fonctionner dans ces conditions. Ce n’est pas pour rien qu’on parle de “pyramide des âges”, … mais une pyramide n’est stable que si sa base (les jeunes) est plus importante que sa pointe (les “vieux”); essayez de faire tenir une pyramide à l’envers!

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