Attention à la déconstruction de l’Europe – elle nous laissera bien seuls

Les nuages s’accumulent sur l’UE.
La crise du coronavirus a déjà fait oublier la tragi-comédie du Brexit, où une majorité de la classe politique britannique prête à soumettre l’accord de sortie à un second vote populaire s’est fait mener en bateau par l’équipe de Boris Johnson décidée à quitter l’UE coûte que coûte.

La démocratie aurait pourtant voulu qu’un vote de principe, de plus acquis avec 52% de oui, soit suivi d’un vote sur le résultat que la mise en oeuvre de ce principe a permis d’obtenir. L’année 2020 aura ainsi commencé par un sérieux coup de griffe à l’idée européenne.

Puis il y a le refus récurrent de divers pays de l’est européen d’intégrer les valeurs fondamentales de l’UE. Leur adhésion est essentiellement opportuniste, ils profitent du grand marché et des subventions européennes, mais n’en continuent pas moins à consolider leur conception « illibérale » de la démocratie.

C’est le cas en tout premier lieu en Hongrie, mais aussi en Pologne et en République tchèque, bien en mains de populistes et d’apprentis-dictateurs qui considèrent l’Etat de droit non pas comme une garantie pour les citoyen.ne.s, mais comme un obstacle à la « volonté populaire » qu’ils incarneraient. Dans ces conditions, poursuivre l’élargissement de l’UE vers l’Est ne va qu’augmenter le nombre d’Etats membres dont l’adhésion à l’UE n’est que de façade.

Enfin, dernier épisode en date, l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande qui veut limiter les capacités d’agir de la Banque centrale européenne. Le compromis obtenu pour mutualiser quelque peu le soutien aux économies en difficulté du Sud de l’Europe avait déjà dû être arraché à une Allemagne qui n’a toujours pas surmonté son complexe de supériorité face à ces Etats membres.

Complexe qui a tant fait de mal à la Grèce, au point qu’elle a dû accepter l’offre intéressée de la Chine de racheter une partie de ses infrastructures, comme le port du Pirée. Les dirigeant.e.s de l’UE cherchent à répliquer en voulant élargir leur champ de compétence, mais leur affaiblissement rend cette opération particulièrement hasardeuse.

L’épreuve de vérité : en cas de coup dur, c’est l’Etat nation qui compte

La fermeture pour des raisons sanitaires des frontières est une chose ; l’exception est prévue dans les accords de Schengen. Autre chose est la manière. C’est surtout cela qui a choqué et vidé l’UE d’une partie de sa substance : en cas de crise, chaque Etat ne se soucie que de lui-même.

Toutefois, on n’était pas à quelques jours près ; la pandémie était détectée dès le mois de février sur notre continent et une concertation entre Etats parties des conventions de Schengen était tout à fait concevable. Tout comme des restrictions de déplacement liées non pas aux frontières nationales mais aux situations sanitaires différenciées à l’intérieur de chaque pays.

Les nationalistes, dont on constate la montée en puissance un peu partout, s’en frottent les mains : ce qu’ils ont toujours appelé de leurs vœux – la sacralisation des frontières plutôt que leur dépassement – se réalise enfin. Emotionnellement, mentalement, on a frappé là le projet européen au cœur. Et déjà certains, comme le ministre de l’intérieur allemand, commencent à évoquer d’autres raisons sécuritaires de relativiser les acquis de Schengen.

C’est bien dans le vécu des citoyens que se fait ou se défait l’idée européenne. Ce vécu des frontières qui ressuscitent en une nuit, routes barrées, drônes au-dessus des champs et armes au poing, a montré clairement la hiérarchie du réel : l’UE s’éloigne tel un mirage ; l’Etat nation revient en force.

L’UE paie très cher son incapacité, des décennies durant, à susciter un sentiment national européen, seule façon d’encadrer la montée des nationalismes.
Son incapacité à souligner que, seul face aux grandes puissances du monde (Chine, Inde, Russie, Etats-Unis – ces derniers étant d’autant plus dangereux qu’ils sont en pleine décadence auto-alimentée), chaque pays de l’UE ne compte guère – la Grande-Bretagne va bientôt en faire l’expérience.
Son incapacité à sortir d’un discours incantatoire argumentant à partir de la catastrophe de la 2e guerre mondiale, dont les acteurs directs disparaissent à vue d’œil.
Enfin, elle a laissé s’installer dans les ressentis des peuples la perception qu’elle ne serait qu’un vaste marché non régulé et que, si régulation il y a, celle-ci serait le fruit d’une bureaucratie sans âme ni mesure.

Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire… La Suisse, qui a tout fait pour ne pas être dans l’UE, a néanmoins un intérêt majeur à ce que cette UE que nous observons de loin continue d’exister. Car dans le vaste monde, il n’y a bientôt plus guère qu’elle qui partage nos valeurs.

René Longet

Licencié en lettres à l’Université de Genève, René Longet a mené en parallèle d’importants engagements, dans le domaine des ONG et du monde institutionnel, pour le vivre-ensemble ainsi qu'un développement durable. Passionné d’histoire et de géographie, il s’interroge sur l’étrange trajectoire de cette Humanité qui, capable du meilleur comme du pire, n’arrive pas encore bien à imaginer son destin commun.

10 réponses à “Attention à la déconstruction de l’Europe – elle nous laissera bien seuls

  1. “L’UE paie très cher son incapacité, des décennies durant, à susciter un sentiment national européen, seule façon d’encadrer la montée des nationalismes”, entièrement d’accord avec vous. On n’entraîne pas l’adhésion des citoyens européens en se contentant de mettre en place des mesures bureaucratiques. Comme je l’ai déjà écrit suite à un autre blog, notre continent manque de grands projets capables de “fédérer” les forces et les bonnes volontés (qui ne manquent pourtant pas, j’en suis persuadé). J’ai aussi souligné l’absence aujourd’hui de femmes/hommes politiques en Europe charismatiques et d’envergure susceptibles de “motiver les troupes”; Un Kennedy européen osant dire: “ne demandez pas à l’Europe ce qu’elle peut faire pour vous, mais ce que VOUS pouvez faire pour elle”!
    Ce qui est désolant, face à d’autres “grandes” puissances de plus en plus erratiques et imprévisibles, c’est que certains se réjouissent de la déliquescence et de l’affaiblissement de notre continent, et rêvent de revenir à la situation qui a conduit celui-ci à s’entre-déchirer si catastrophiquement à deux reprises au siècle passé. Car l’alternative à la construction européenne est claire, c’est le retour aux nationalismes, avec conflits programmés, et “la loi du plus fort” imposée aux plus faibles. Ce n’est vraiment pas ce que je souhaite à mes enfants pour ce qui me concerne, ayant eu la chance de vivre, moi, une période de paix inédite par sa longueur sur notre continent grâce aux décision du “plus jamais ça” prise après la seconde guerre mondiale, et malgré les imperfections actuelles de la construction européenne (mais c’est une construction encore relativement jeune et donc perfectible; combien de temps a-t-il fallu à la Confédération suisse pour se structurer à peu près “idéalement”?!).

  2. Tant que l’Europe de la diplomatie (c’est-à-dire des rapports de forces) ne cèdera pas le pas à l’Europe de la démocratie (où un Grec vaut autant qu’un Allemand), la construction européenne restera une coquille vide.

  3. Lors d’un dossier sur Arte consacré à l’économie « Travail, salaire, profit » (https://servicepresse.arte.tv/travail/), plusieurs parmi les économistes interviewés pensent que l’on s’achemine vers un retour modernisé du mercantilisme pratiqué entre le XVIème et le XVIIIème siècle.

    La Chine serait la grande porteuse de ce retour en force avec sa « route de la soie » et ses pratiques coloniales, même si elle s’en défend, en Afrique et ailleurs.

    Certains rebondissent sur ce mouvement soit pour tenter de le contrer (comme Trump) soit pour se « vendre » aux Chinois, comme certains pays de l’est de l’Europe, pensant en tirer profit et faire ainsi une forme de chantage sur l’UE.

    L’Europe, mal organisée, arrive trop tard face à ce mouvement de repli conquérant que la crise du Covid va certainement contribuer à accélérer.

    Cela fait des années que je pense que le XXIème siècle ne sera fait ni par ni pour l’Europe.

    C’est Isabelle Huppert qui a dit “Les Américains ont tout. Ils n’ont besoin de rien. Ils envient certes, et admirent notre passé et notre culture, mais au fond nous leur apparaissons comme une sorte de Tiers-Monde élégant.”

    Cette observation pourrait tout aussi bien s’appliquer à la vision qu’ont de l’Europe les Chinois ou les Indiens de 2020.

  4. Ce projet européen, au début c’était pas mal. Les communautés européennes marchaient assez bien. Mais depuis Delors ils ont voulu devenir un empire et ils font tout tout pour écraser la souveraineté des pays comme la Suisse qui ne veulent pas faire partie de leur empire. C’est inacceptable. Leur système est basé sur le chantage: si vous ne vous soummezzez pas par un accord cadre qui revient à céder votre souveraineté législative à un pouvoir étranger, nous allons vous étrangler économiquement. Alors voilà, maintenant c’est trop tard. Si l’Union Européenne avait respecté la volonté du peuple suisse de rester indépendant, on regretterait que leur construction politique se défasse. On pourrait même essayer de les aider, tout en restant en dehors de leur machin. Mais c’est que l’Union Européenne nous a soumis à un chantage permanent, pour nous contraindre à abandonner notre souveraineté. C’est à dire qu’objectivement l’Union Européenne est une puissance qui veut nous asservir. Dans ces conditions nous ne pouvons que nous réjouir qu’elle disparaisse.

    1. L’UE n’impose et n’a jamais rien imposé à la Suisse … si celle-ci ne lui demande pas des avantages normalement réservés aux pays membres (car c’est la Suisse qui est “demanderesse”). D’autant plus après le Brexit, l’UE ne peut accepter la politique du “un pied dedans, un pied dehors”, avec choix à la carte des avantages qui conviennent à un pays ne voulant pas adhérer mais sans les contraintes qui vont avec. SI la Suisse veut rester un pays tiers vis-à-vis de l’UE, comme d’autres pays d’Asie, d’Afrique, d’Amérique ou d’Océanie, elle est parfaitement libre de le faire, l’UE n’enverra pas de chars sur la Place fédérale pour la “soumettre” (ce que ferait effectivement un empire!)!
      Après la période difficile (revoir les statistiques de l’époque, inflation, taux de chômage, etc.) qui a suivi le rejet de l’EEE, grâce à l’habileté de nos négociateurs et. il faut bien le reconnaître, en faisant croire à une adhésion ultérieure, la Suisse a obtenu avec les bilatérales des avantages substantiels d’accès au marché européen, notre principal, et de loin, partenaire commercial rappelons-le. L’UE ne nous les accorderait certainement plus aujourd’hui. échaudée par le Brexit. Il serait donc particulièrement stupide de les faire maintenant “sauter”, ajoutant une crise supplémentaire à celle déjà créée par la Covid-19; ce n’est vraiment pas le moment! Mais si nous préférons nous couper de ce partenaire, nous pouvons le faire en toute liberté, mais assumons-en alors pleinement les conséquences, sans espérer pouvoir avoir le beurre et l’argent du beurre.

  5. Quand on lit un texte avec des e.e.s
    on sait immédiatement qu’il s’agit d’une opinion bobo pour bobos.

    1. Vous êtes lassant avec vos sophismes.

      Nous (les patriotes) ne demandons aucun “avantage réservé aux pays membres”.

      Ca c’est vous (les euroturbos) et les négociateurs du Conseil fédéral qui l’ont demandé.

      Ils ont essayé de faire croire à Bruxelles que les Suisses se laisseraient forcer la main. Alors que peuple Suisse ne veut pas rejoindre cette pseudo Europe. ce faisant nos dirigeants nous ont trahi et ils ont trahi notre pays en se mettant à la merci des oppresseurs qui essaient de nous étrangler pour nous contraindre à bazarder notre souveraineté, nos libertés, notre démocratie semi directe.

      C’est cette trahison qui rend la Suisse vulnérable aux chantages de Bruxelles.

      Nous, au contraire, nous voulons à tout prix que la Suisse reste un état tiers. Car seulement ainsi on peut résister au chantage de l’empire malveillant qui nous oppresse.

      A l’avenir, abstenez-vous de mentir dans vos raisonnements s’il vous plaît.

      1. Dans ce cas, aucun problème. Comme je l’ai écrit, l’UE – malgré votre qualification ridicule “d’empire malveillant” – n’a absolument aucune intention d’incorporer la Suisse par la force. Si celle-ci ne lui demande aucune faveur spéciale et veut/peut se contenter du statut de pays tiers (ce qui n’a pas été le cas jusque’à aujourd’hui, raison des “bilatérales en particulier”) elle est entièrement libre de le faire! Mais qu’elle se décide une fois clairement et sans ambiguïté pour une option ou l’autre.

  6. C’est le piège tendu à notre pays par l’Empire malveillant:

    ”Si vous nous demandez des faveurs, nous allons les prendre en considération. Mais alors, puisque vous êtes ”demandeurs”, la condition sera que vous devrez vous soumettre et renconcer à votre souveraineté”.

    Voilà le deal qui a été offert à nos négociateurs. Ces derniers, depuis Kellenberger, sont tombés dans le panneau à pieds joints et ont accepté le deal, y compris la honteuse ”clause guillotine” (heureusement inapplicable).

    Ca s’appelle de la trahsion.

    Je suis, sur ce point, sur la ligne de monsieur Christophe Blocher. J’estime que nous n’avions aucun besoin des accords bilatéraux. Notre accès au marché est suffisamment garanti par les accords du GATT.

    Ces accords bilatéraux sont une corde à notre cou. L’Empire malveillant n’a qu’à tirer sur la corde pour nous étrangler en nous menaçant de continuer à tirer si nous ne nous soumettons pas définitivement. Et en nous disant:

    ”Si vous acceptez de signer un contrat d’esclavage (Accord cadre sur les questions institutionnelles) nous vous retirerons alors le collier qui vous étrangle”.

    Evidemment, dans ce cas le collier, et la guillotine, ce collier ne serviraient plus à rien puisque nous serions instituttionnellement réduits en esclavage. Nous aurions capitulé définitivement notre liberté, notre indépendance, notre souveraineté, nos droits populaires, notre démocratie semi-directe., tous nos droits historiques durement gagnés. Nous n’aurions plus aucune prise sur notre destin. Nous serions devenu un pays sujet d’un pouvoir étranger qui déciderait pour nous, alors que toute notre histoire depuis sept siècles a consisté en un effort infatigable pour échapper à ce triste sort.

    Il faut nous débarrasser une fois pour toutes de ces maîtres chanteurs méprisables.

    Il faut résilier tous les accords bilatéraux le plus vite possible pour retrouver enfin notre liberté et pouvoir à nouveau bénéficier d’avantages compétitifs dans le monde au lieu d’être asservis aux règles de Bruxelles qui péjorent notre situation.

    Je ne comprends absolument pas ce genre de rhétorique consistant à dire que ”nous serions bien seuls” si nous desserrions l’étau de l’Union Européenne. C’est un argument qui exprime l’instinct grégaire du mouton de Panurge, qui panique à l’idée de ne pas suivre le mouvement du troupeau, même si ledit troupeau fonce vers l’abîme comme c’est le cas actuellement de l’Union Européenne.

    Je conseille à monsieur René Longet, qui a fait des études de lettres, de relire et méditer le ”Discours de la servitude volontaire” de La Boétie. Ce texte littéraire génial décrit le fonctionnement psychologique de l’asservissement, quand les gens commencent à penser qu’ils seraient plus heureux en esclaves qu’en hommes libres.

    La politique officielle de notre pays est un parfait exemple de servitude volontaire telle que définie par La Boétie.

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