Qui stoppera l’avancée de l’extrême-droite?

Qui stoppera l’avancée de l’extrême-droite ?

 

Ainsi donc sans les Autrichiens établis hors de leur pays, un homme ouvertement d’extrême-droite aurait présidé aux destinées de notre voisin de l’Est. Entre une extrême-droite à un tiers des voix en Allemagne et en France, des formations autoritaires, ultranationalistes et anti-européennes au pouvoir dans la plupart des pays de l’Est européen (Pologne, Hongrie, Slovaquie, sans parler de la Serbie et de la Biélorussie), le continent peu à peu change de main – et de destin.

 

Plus loin de nous, en Russie, en Turquie, en Israël, même glissement vers cette posture politique faite d’intolérance, d’esprit de meute et de négation de l’autre. Aux Etats-Unis, pour peu que les électeurs de Sanders ne rejoignent pas massivement la candidature Clinton, Trump est quasi assuré du pouvoir.

 

L’extrême-droite, longtemps banalisée

Que se passe-t-il dans notre monde industrialisé ? La démocratie se réfugierait-elle en Amérique latine et en Asie ? Précisément, le paradoxe, l’élément nouveau est que, contrairement aux années 1970 et 1980, où les peuples ont pu se libérer d’abord des dictatures méditerranéennes (Portugal, Espagne, Grèce) puis de la chape de plomb du parti unique et de l’économie dirigée (Est), cette fois-ci, ce sont les peuples qui l’un après l’autre optent pour un régime fort, le nationalisme le plus excessif et la restriction des libertés publiques.

 

Et au sein de ces peuples, invariablement, les couches populaires sont au cœur de ce virage. Cette option, qui est désormais un fait sociologique, du milieu populaire pour les solutions simplistes et la recherche de l’homme fort (rôle qui n’est d’ailleurs pas réservé aux hommes, comme l’illustre l’exemple allemand et français) devrait nous inquiéter profondément. Mais non, les dirigeants européens se limitent à se pincer le nez, à dénoncer les choix des peuples sans jamais se demander quelle est leur responsabilité dans ce fossé de plus en plus abyssal entre leur discours et leur comportement, et le ressenti populaire.

 

L’aveuglement des politiques

La gauche européenne tout d’abord. Faute d’avoir saisi à temps la demande de sécurité des milieux fragilisés, pour y répondre de manière crédible mais humaine, faute d’avoir su illustrer ensemble compétence économique et sociale, regroupe aujourd’hui une catégorie morale, intellectuelle, culturelle, dont le milieu populaire est désormais largement absent.

 

La droite, dont le corpus politique se limite à laisser l’économie s’autoréguler, donc à installer la loi du plus fort au cœur de nos sociétés, a depuis une génération systématiquement distillé à la fois les valeurs de compétition et exposé forts et faibles à une même concurrence déloyale dans une globalisation sans garde-fous. Cette politique d’abandon a directement fait le lit du repli nationaliste et de l’intolérance. L’idéal libéral s’est dissous dans le consumérisme le plus béat et a produit la première civilisation au monde dont le modèle est l’accumulation matérielle individuelle.

 

Le centre, quant à lui, au lieu d’affirmer des valeurs humanistes – et d’en tirer la conséquence que cela exige une cohésion politique et pratique autour des trois piliers à conjuguer de pair que sont l’économie, l’écologie et le social – s’est enfermée dans une technocratie inaudible.

 

Le prix de l’abandon

Or, les peuples ont un besoin vital d’un récit explicatif quant à leur destin, d’une politique de régulation, et de protection des couches les plus fragilisées de la population. La tolérance ne peut être prêchée par les privilégiés qui ne partagent rien, elle doit être rendue possible par une politique assurant avec efficacité égalité de droits et équité économiques et sociales. Cette politique n’a pas été menée, et maintenant il est bien tard pour sortir les peuples de l’attirance vers les fausses certitudes de l’extrême-droite. Dont la recette est, partout et toujours, de flatter des mauvais côtés de l’être humain. Où cela peut mener, l’histoire nous l’a abondamment montré. Dans les années 30 aussi, des peuples ont choisi cette voie. On a vu quel en était le prix.

Plus on tarde à trouver les réponses plus le mal aura avancé

Quand les dirigeants européens se réveilleront-ils, pour sortir de l’embrouille matinée d’une morale inopérante car faite de reniements et de renonciations, de tactiques façon 4e République à la Hollande, pour retrouver les accents des Roosevelt, Kennedy, De Gaulle, Mandela ou même Delors ?

Abandonner les peuples aux inégalités sociales croissantes, c’est non seulement trahir son rôle, mais c’est surtout décrédibiliser profondément les valeurs humanistes et démocratiques dont on se pare. Dans cette marche vers le délitement d’un projet politique européen, des valeurs qui devaient le porter et qu’il aurait dû incarner, l’épreuve du Brexit est encore devant nous. Et même si le Royaume-Uni devait, avec un résultat de type autrichien, dans un mois décider de rester au sein de l’UE, ce serait le fruit du hasard bien plus que la source d’une quelconque légitimité.

René Longet

Licencié en lettres à l’Université de Genève, René Longet a mené en parallèle d’importants engagements, dans le domaine des ONG et du monde institutionnel, pour le vivre-ensemble ainsi qu'un développement durable. Passionné d’histoire et de géographie, il s’interroge sur l’étrange trajectoire de cette Humanité qui, capable du meilleur comme du pire, n’arrive pas encore bien à imaginer son destin commun.