Comment la prévoyance peut-elle s’adapter aux changements technologiques ?

Bruno Parnisari, directeur suppléant de l’OFAS

Faut-il que la jeune génération descende dans la rue pour conspuer les aînés qui ne leur laisseraient plus que des miettes pour leurs futures retraites ? C’est un peu la question que posait mon confrère Alain Jeannet ce matin dans le premier débat – très feutré – consacré à la prévoyance aux deux spécialistes invités, Virginie Raisson, fondatrice du laboratoire d’études prospectives et d’analyses, et Bruno Parnisari, directeur suppléant de l’OFAS. Cet événement était diffusé uniquement en ligne sur le site de ce journal.

Vieillissement de la population

Dans leurs réponses, les deux experts s’accordaient sur l’impact négatif du vieillissement de la population sur les assurances sociales, sans compter l’effet de court à moyen terme de la pandémie, qui fragilise notre système d’assurances sociales. Toutefois, le directeur suppléant de l’OFAS, se voulait plus optimiste, en mettant notamment en avant le potentiel du marché des actions pour redonner plus de poids au 3e cotisant afin de compenser la faiblesse des rendements des titres à taux fixes.

Transmission aux nouvelles générations

Par ailleurs, ce même spécialiste relativisait quelque peu le préjudice subi par les jeunes générations puisqu’elles bénéficient également des grandes avancées en matière technologique dues à leurs prédécesseurs. L’argument est parfaitement recevable, mais aurait sans doute été battu en brèche si la manifestation avait eu lieu en public. En effet, l’héritage n’est malheureusement pas constitué que d’actifs, mais de passifs lourds à porter, notamment sous la forme d’une quantité astronomique de CO2 !

Taxer les robots ?

Par ailleurs, puisque la discussion portait sur la pérennité de notre système de prévoyance pour les prochaines décennies, on peut regretter que l’impact de l’évolution de notre modèle de production, qui pourrait conduire à la destruction massive d’emplois actuels pour être remplacés par des systèmes entièrement robotisés, n’ait même pas été évoqué. Il faudrait peut-être imposer les robots ! C’est en fait une proposition tout à fait sérieuse, puisque l’un de nos plus éminents fiscalistes, le professeur Xavier Oberson, lui a même consacré un ouvrage (1). Mais on aura sans doute l’occasion d’en reparler au cours de ces prochaines années.

(1) Taxing Robots, Helping the Economy to Adapt to the Use of Artificial Intelligence (Londres, Elgar Publishing, May 2019).

 

Un couple avec deux enfants travaillerait plus de 6 mois pour l’Etat ! Vraiment ?

En cette journée historique du 14 juin, j’ai parcouru distraitement le tout ménage de l’UDC, baptisé Edition spéciale, que j’ai découvert dans ma boîte aux lettres tout à l’heure. Sans grande surprise, je n’ai trouvé aucune allusion à une certaine grève, mais une attaque en règle contre l’instrumentalisation des changements climatiques qui serait à l’oeuvre: « (…) les idéologues de la gauche et des verts abusent sans aucune gêne de cette situation pour tenter d’imposer leurs recettes inefficace. Nous devons nous y opposer et faire appel à la raison ».

L’impôt serait-il si lourd pour les classes moyennes ?

En revanche, le titre d’un encadré dans la double page où le parti expose son programme pour les années 2019 à 2023, a capté mon attention . «Les couples avec deux enfants travaillent plus que six mois pour l’Etat !» On imagine évidemment qu’il s’agit de l’ensemble des impôts et des taxes que les couples doivent régler. Or ce chiffre paraît énorme.

(Source : Edition spéciale – UDC)

Raccourci un peu trop saisissant

En examinant de plus près les données fournies, on constate rapidement qu’il s’agit d’un raccourci un peu trop saisissant : on parle en fait non seulement des impôts et des taxes sous toutes ses formes, mais également de l’ensemble des prélèvement obligatoires ! En d’autres termes, les cotisations aux assurances sociales, y compris celles qui sont versées par l’employeur, au titre de l’AVS, de l’AI, de l’assurance chômage, de la caisse de pension et l’assurance accidents professionnels et non professionnels, ainsi que pour les allocations familiales, sans oublier les primes d’assurance maladie, constitueraient des sortes d’impôt !

Dérapage contrôlé ?

Dans un premier temps, j’ai pensé qu’il s’agissait peut-être du dérapage du metteur en page qui cherchait à faire « mousser » ces données, en amalgamant l’ensemble des prélèvements obligatoires à la ponction fiscale effective. Malheureusement, en parcourant le corps central du dossier consacré au programme du parti, on retrouve le même ordre de grandeur : «Nous travaillons cinq mois par an pour l’Etat. Ce qui n’est pas forcément faux pour les très hauts revenus, au taux marginal d’imposition très élevé et dont les cotisations au titre de l’AVS-AI vont s’avérer particulièrement lourdes puisque non plafonnées, contrairement aux prestations à venir.

Très forte redistribution dans l’AVS-AI

Dans ce cas, les cotisations à l’AVS-AI peuvent être considérées comme une sorte d’impôt en raison du caractère redistributif très fort de ces assurances sociales. Mais l’exemple de l’encadré parle d’un revenu effectif de couple de 116’000 francs… Quand l’idéologie remplace la raison !

Initiative sur les couples mariés : revoter, mais sur quoi ?

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L’annulation de la votation du 28 février 2016 constitue sans nul doute une bonne leçon pour le Conseil fédéral puisque c’est dans sa brochure qu’avaient été publiées les erreurs d’estimation des couples mariés pénalisés par un système d’imposition discriminant. Va-t-on revoter pour obliger notre exécutif à concocter un projet de loi pour corriger ces inégalités ? Peut-être. Sauf que c’est déjà fait ! Le Conseil fédéral a ainsi soumis au parlement un projet de loi qui vise à modifier le système d’imposition des couples dans le sens demandé par les initiants.

Initiative mal ficelée

Mais, évidemment, les parlementaires ne sont aujourd’hui aucunement liés par le projet du Conseil fédéral. C’est pourquoi une nouvelle votation permettrait, en cas de victoire, de donner un mandat impératif à nos élus puisqu’un nouvel article de loi serait inscrit dans la Constitution pour éliminer cette inégalité. Mais la partie n’est pas encore gagnée même si la situation s’avère inédite. Tout d’abord, parce que l’initiative présentait deux grosses failles. Tout d’abord, en définissant de manière traditionnelle le mariage, soit entre un homme et une femme, elle avait suscité une forte opposition. A-t-elle faibli ? C’est peu probable.

Inégalités en matière d’assurances sociales ?

Par ailleurs, l’initiative exigeait que l’on corrige les inégalités en matière d’assurances sociales. Pour preuve, l’addition des rentes individuelles des conjoints qui est limitée à 150% de la rente individuelle maximale. Ce qui est parfaitement exact mais n’est pas probant. Il faut en effet élargir le cadre car les couples mariés, ou partenaires enregistrés, bénéficient de couvertures en matière de décès au niveau de l’AVS, de l’assurance accidents ou encore du 2e pilier, contrairement aux concubins ou concubines.

Concubin(e)s discriminé(e)s en cas de décès

Il est vrai que les caisses de pension peuvent élargir leurs prestations aux concubin(e)s, mais sous certaines conditions, comme cinq ans de vie commune et une obligation d’annoncer sa situation à la caisse avant le décès. Sans compter un droit successoral qui leur est très défavorable même si la loi est en cours de révision, et une imposition qui peut s’avérer extrêmement lourde en cas de décès de leur compagnon ou compagne. En comparaison, la situation des conjoints ou des partenaires enregistrés est bien meilleure. Dans cette perspective, le déplafonnement des rentes AVS des conjoints, comme le demandaient les initiants, pourrait être perçu comme un cadeau injustifié pour des personnes déjà bien lôties, réduisant d’autant le soutien à l’initiative.

Initiative modifiée ?

Si c’est le même texte qui est soumis à la population, on peut imaginer que la publication des chiffres corrigés des personnes pénalisées permette de passer outre les oppositions rencontrées lors de la première votation, étant donné le faible écart de voix qui avait fait échouer l’initiative. Mais, comme on est dans les supputations, on peut aussi supposer que chacun regarde surtout sa propre situation, en toute connaissance de cause, sans trop se préoccuper de ce qui peut se passer chez son voisin. Dans ce cas, il faudrait idéalement présenter un texte plus consensuel et limité aux questions fiscales. Mais est-ce qu’un tel document pourrait être soumis rapidement à votation en lieu et place de l’initiative originelle ? Je laisse la réponse aux juristes et aux politologues !