Comment éliminer la double imposition des biens soumis à l’impôt français sur les successions ?

Il y a quelques semaines, la scandaleuse affaire de ces héritiers domiciliés en France frappés d’un impôt dépassant la valeur d’une partie du montant qui leur était dévolu, à hauteur de 115%, a finalement suscité une émotion dans les milieux politiques de notre pays. Cette situation, qui avait constitué le point de départ de mon billet de blog du 17 décembre, résultait du cas de figure suivant : le défunt était établi à Genève et était un cousin éloigné des deux héritiers, tandis que la somme imposée de manière aussi outrancière était déposée dans une banque sur le territoire français. En l’absence de convention de double imposition successorale entre les deux pays, chacun avait prélevé son impôt, sans tenir compte de l’autre, au point d’arriver à ce résultat choquant. C’est ainsi que notre nouvelle ministre des Finances, Karin Keller-Sutter, apparaît « sommée de négocier avec Paris » sur les impôts de succession par des représentants de tous les partis, pour reprendre l’expression de la Tribune de Genève dans son édition du 14 janvier dernier, afin d’éviter cette double imposition. Pour l’instant, il n’y a guère eu de réaction de la part du Conseil fédéral.

Une nouvelle convention en perspective ?

Malgré ces remous politiques, il paraît peu probable qu’ une nouvelle convention de non double imposition sur la fiscalité successorale entre la France et la Suisse voie le jour dans un avenir proche. La France a, en effet, indiqué dans une réponse ministérielle du 7 février que la conclusion d’une nouvelle convention n’était pas d’actualité. Aubin Robert, fiscaliste auprès d’Avacore Family Office, basé à Genève, rappelle qu’un nouvel accord avait été négocié et signé par la Suisse le 11 juillet 2013 : « Celui-ci permettait notamment à la France de taxer les bénéficiaires domiciliés sur son territoire. Et comme la précédente convention, elle ne visait que les successions, à l’exclusion des donations.

Aubin Robert

Ce nouvel accord permettait ainsi, d’une part, de régler la question des conflits de domiciles du défunt lorsque les deux pays considéraient qu’il était établi sur leur sol et, d’autre part, d’éviter la double imposition. Dans ce cadre juridique, l’affaire des deux cousins n’aurait jamais eu lieu. Malheureusement, poursuit notre interlocuteur, une forte opposition de la part des cantons, notamment romands, s’est manifestée. Face à ce blocage, la France a dénoncé de manière unilatérale en 2014 la convention existante avec effet au 1er janvier 2015. La solution pourrait passer par l’amendement des lois fiscales cantonales sur les donations et successions, afin de diminuer ou supprimer la double imposition. Par exemple, à Genève, on n’élimine jamais la double imposition, alors que c’est partiellement le cas dans le canton de Vaud ou du Valais ».

Liquider les comptes bancaires français

On l’a bien compris, ce problème de double imposition tel qu’il ressort de l’affaire évoquée ne sera pas résolu de sitôt. Et il n’existe malheureusement aucun moyen pour réparer les dégâts après coup. En revanche, cette double imposition aurait été très facilement évitable puisqu’elle ne portait que sur un compte bancaire : il aurait donc suffi au futur défunt de rapatrier ces fonds en Suisse. Au décès, dans le cas d’un héritier domicilié en France, les deux administrations fiscales auraient prélevé leur impôt de succession, mais la France, dont l’impôt est généralement plus élevé, aurait appliqué un crédit d’impôt d’un montant correspondant à celui qui aurait été réglé en Suisse. En d’autres termes, les deux héritiers n’auraient dû payer au total que le montant de l’impôt français, l’essentiel restant acquis à la Suisse et l’excédent allant à la France. On soulignera le fait que la problématique aurait été la même si les héritiers avaient été également domiciliés en Suisse, car c’est la qualification de biens mobiliers français qui induit la double imposition.

Le piège des SCI

Une solution aussi simple n’aurait cependant pas pu s’appliquer à tous les biens mobiliers français, c’est-à-dire non seulement tous les objets situés physiquement en France (meubles, véhicules, œuvres d’art, etc.), mais aussi toutes les créances contre des personnes domiciliées en France ou titres ou valeurs mobilières émises par des sociétés françaises. Or dans ces catégories figurent les Sociétés civiles immobilières (SCI), qui sont un moyen de transformer en quelque sorte un bien immobilier en un bien mobilier. Si vous possédez un bien immobilier français via une SCI en étant domicilié en Suisse, les parts seront considérées comme un bien mobilier français, présentant donc le même inconvénient fiscal que le compte bancaire ouvert en France, à savoir une double imposition sur les successions qui s’additionne (sous réserve bien entendu que l’héritier en question ne soit pas exonéré côté suisse). Si l’on veut éviter cette situation absurde, il vaudrait mieux transformer cette détention indirecte en une possession directe. Ainsi le bien ne sera imposable qu’en France, tandis qu’en Suisse, sa valeur sera prise en compte ou non, selon le canton de domicile du défunt pour la détermination du taux d’imposition applicable aux éléments de la succession.

Liquidation coûteuse

Le problème lié aux SCI peut paraître anecdotique, mais ce n’est pas du tout le cas, comme l’indiquait Aubin Robert, dans mon billet du 17 décembre dernier : il y en a en effet de très nombreuses qui sont détenues par des résidents en Suisse. Situation qui se justifiait par le traitement fiscal très favorable des SCI dans le cadre de l’ancienne convention, la logique voudrait donc de liquider au plus vite ces SCI pour échapper à ce risque éventuel de double imposition sur les successions. Mais, comme le précisait notre interlocuteur, la liquidation d’une SCI n’est pas sans conséquences : « Liquider une société entraîne la taxation de la plus-value sur l’immeuble détenu par celle-ci, même s’il n’y a aucune transaction financière. Cela génère, en outre, des frais de notaire. Par ailleurs, le traitement fiscal côté suisse de la liquidation d’une SCI suscite depuis récemment des interrogations»

Titres en portefeuille : attention aux mauvaises surprises

Une autre situation de double imposition en cas de succession est liée aux titres français contenus dans son portefeuille, même si ses titres sont déposés en Suisse. Dans ce cas, il vaudrait mieux s’en séparer si l’on veut privilégier des héritiers soumis à impôts. Au passage, on précisera que les titres américains exposent également les héritiers de détenteurs résidents en Suisse à un risque d’alourdissement de l’impôt sur les successions. Ce risque est heureusement limité par une convention de double imposition qui lie la Suisse aux États-Unis, comme l’explique de manière détaillée une analyse de BNP Paribas (Impôt sur les successions américain : l’exception Suisse (wealthmanagement.bnpparibas). Selon la taille du portefeuille, il peut être judicieux de le faire analyser pour connaître la charge fiscale potentielle en cas de décès.

Réduire la fiscalité française ou s’expatrier

Éliminer le risque de double imposition constitue une étape incontournable pour éviter la catastrophe en cas de succession. Si l’on s’est séparé de tous ses biens mobiliers français, il reste la question des biens immobiliers détenus en direct sur le sol français. Les héritiers n’auront plus à faire face qu’à l’impôt français. Mais cet impôt peut s’avérer lourd, en tout cas plus qu’en Suisse. En particulier, les héritiers en ligne directe, qui sont souvent peu taxés en Suisse, sont soumis à un barème progressif qui démarre à 5% pour aller jusqu’à 45%, en bénéficiant cependant d’un abattement de 100’000 euros par parent et par enfant. Pour réduire cet impôt, Aubin Robert présente trois grandes voies possibles : « La première de ces voies revient à travailler sur l’impact de la dévolution – c’est-à-dire la manière dont on transfère ses biens dans le processus successoral – pour répartir au mieux sur les deux décès l’impôt qui sera prélevé en France. La deuxième voie passe par l’anticipation du transfert de son patrimoine, en faisant des donations avec réserve d’usufruit. La troisième, plus radicale, est la vente du bien immobilier. Il faut, toutefois, évaluer l’impôt de plus-value avant de s’engager dans cette direction. » Par ailleurs, notre spécialiste présente les alternatives pour échapper à l’impôt français par le biais de l’expatriation des futurs défunts ou des héritiers vers une destination qui dépendra des règles de taxation du pays d’accueil ou de l’existence d’une convention de double imposition avec la France, comme l’Italie.

Pierre Novello

Pierre Novello est journaliste économique indépendant et auteur d’ouvrages de vulgarisation dans le domaine de la prévoyance, de l’investissement sur les marchés financiers ou encore pour l’accession à la propriété de son logement. Avant d’embrasser la carrière journalistique en entrant au Journal de Genève et Gazette de Lausanne, il a été formé comme analyste financier pour la gestion de fortune.

6 réponses à “Comment éliminer la double imposition des biens soumis à l’impôt français sur les successions ?

  1. Merci pour votre blog qui m’a particulièrement intéressée. En effet nous avons acheté, mon compagnon, mes deux enfants adultes et moi-même, une résidence secondaire en France par le biais d’une SCI. A une double imposition en cas de succession vient maintenant s’ajouter dans le canton de Vaud la taxation en valeur mobilière des parts de la SCI durant la détention, taxation autorisée par un récent arrêt du Tribunal Fédéral.
    La question de transformer cette détention indirecte en une possession directe se pose donc.
    Dans cette optique, pouvez-vous éclaircir ce que sous-entend votre interlocuteur, Aubin Robert, par sa phrase : “Par ailleurs, le traitement fiscal côté suisse de la liquidation d’une SCI suscite depuis récemment des interrogations”? Avez-vous des précisions concernant le traitement fiscal d’une SCI par le canton de Vaud?

    1. Bonsoir,

      Merci pour votre question. Je la poserai à Aubin Robert la semaine prochaine, dans le cadre d’un prochain article sur les SCI et sur ce fameux article du TF, sur lequel je ne sais pour l’instant pas grand chose. Donc, il faut preuve d’un peu de patience avant de bénéficier des lumières de notre expert.

  2. Bonjour, j’aimerai savoir quelle est la situation avec l’Italie : Je suis dans le canton de Vaud ( permis C ) et je paie déjà ici et en Italie, chaque année,
    l’impôt sur la maison familiale que j’ai hérité, ce qui me semble déjà absurde… et après moi ?
    Merci

    1. Bonjour,

      Malheureusement, je n’ai pas la réponse. Mais vous pouvez facilement l’obtenir en vous adressant à l’administration fiscale de votre canton.

  3. Bonjour Pierre,
    Ma maman a une maison en France dont elle a l’usufruit. Moi sa fille et les filles de mon frère sommes propriétaires du bien immobilier. Devons-nous en payer des impôts à Genève?
    De plus il n’y a plus d’impôt foncier en France dès janvier 2023 quelles conséquences pour nous?

    Nos meilleures salutations Sergio et Martine Degli Agosti

    1. Bonjour Martine et Sergio,
      Heureux de vous compter parmi mes lecteurs et lectrices !
      Plus sérieusement, pour répondre à la question de Martine, à ma connaissance, au décès de l’usufruitière, l’usufruit s’éteint. Les nue-propriétaire deviennent alors propriétaires de plein droit de la maison. il ne devrait alors y avoir aucun impôt puisque le legs d’usufruit ou la donation avait déjà été soumis à l’impôt.
      Quant à l’impôt foncier, je ne vois pas en quoi cela peut concerner des résidents suisses, surtout s’il a été supprimé.
      Désolé de la modestie de mes réponses mais vous pourrez en savoir un peu plus dans un blog à venir que je suis en train de terminer sur la réduction des impôts de successions sur des biens français. Une bonne partie du papier est consacré aux biens immobiliers, que je vais bientôt soumettre à validation des citations de mon expert.
      Amitiés
      Pierre

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