Comment réduire l’impôt de succession sur des biens français ou lorsqu’un héritier vit en France ?

Dans un précédent billet de blog, en date du 20 février dernier, j’examinais les moyens d’éliminer le risque de double imposition en matière de succession ou de donation causée par la détention par un résident suisse de biens mobiliers français sous toutes ses formes. La solution passe par le rapatriement de ces biens en Suisse, voire, lorsqu’il s’agit de sociétés civiles immobilières (SCI), par leur liquidation (avec des conséquences en Suisse à déterminer, sujet que j’avais traité dans mon billet du 22 mars). On avait également évoqué le cas de titres français, même déposés en Suisse, dont il faudrait également se débarrasser.

Imposition en ligne directe

On avait laissé de côté les biens immobiliers français ou le patrimoine suisse, qui ne font pas l’objet d’une double imposition entre la France et la Suisse. Toutefois, on peut essayer de réfléchir à en réduire la charge fiscale. Dans le cas d’un bien immobilier français ou d’héritiers en France, la succession devra faire face aux impôts français, qui sont généralement plus lourds que dans les différents cantons suisses. En particulier, les héritiers en ligne directe, qui ne sont pas ou peu taxés en Suisse, sont soumis à un barème progressif qui démarre à 5% pour aller jusqu’à 45%, en bénéficiant cependant d’un abattement de 100’000 euros par héritier et par parent. Avant d’aller plus loin, il faut souligner que lorsque le défunt est domicilié en Suisse, c’est le droit successoral de ce pays qui va s’appliquer sur le plan civil et donc déterminer quelles sont les parts et les droits des héritiers. En revanche, c’est le droit fiscal français qui fixe la manière dont l’impôt va être prélevé, et à quels taux, sur les différents héritiers.

Mesures d’optimisation fiscale

Aubin Robert

Dans cette perspective, je me suis à nouveau adressé à Aubin Robert, fiscaliste auprès d’Avacore Family Office à Genève. Notre expert propose ainsi différentes pistes pour optimiser la taxation de biens situés en France ou du patrimoine global si un héritier est domicilié en France : il s’agit tout d’abord d’aménager la dévolution – c’est-à-dire la manière dont on transfère ses biens dans le processus successoral – pour étaler l’impôt qui sera prélevé en France. La deuxième voie passe par l’anticipation de la transmission de son patrimoine, en faisant des donations avec réserve d’usufruit. Par ailleurs, le spécialiste présente des alternatives plus radicales pour le futur défunt et/ou pour ses héritier(ère)s, consistant à changer de pays de domicile fiscal.

Décès du conjoint sans patrimoine

Commençons par l’aménagement de la dévolution, qui se fait, en principe, conformément à la législation suisse. Rappelons toutefois que sur le plan civil les étrangers peuvent opter pour la loi successorale de leur nationalité. Cette opération n’a de sens que lorsqu’on parle d’un couple marié avec des enfants. Afin d’en comprendre la logique, et pour simplifier la démonstration, notre interlocuteur suppose que le couple, marié avec un contrat de séparation de biens et domicilié en Suisse, avait eu deux enfants et que seul un des deux conjoints était propriétaire du bien immobilier en France. « Si c’est le conjoint qui n’est pas propriétaire de la maison qui décède le premier, rien ne change : le bien immobilier reste dans les mains de son propriétaire. Ce n’est qu’à son propre décès que ce bien tombe dans la masse successorale pour être partagé entre ses deux enfants. Ces parts seront ensuite soumises au barème fiscal français, chacun des héritiers bénéficiant de l’abattement de 100’000 euros. »

Décès du conjoint propriétaire

« En revanche, poursuit l’expert, si c’est le propriétaire qui décède le premier, son bien tombe dans la masse successorale, qui est répartie selon le droit suisse, en l’absence de testament, à hauteur de la moitié en faveur du conjoint survivant, l’autre moitié revenant aux enfants. Le conjoint survivant n’est pas imposé, contrairement aux enfants. Lorsque le conjoint survivant décède à son tour, la moitié du bien dont il a hérité tombe dans la masse successorale, qui sera alors soumise au barème progressif, les héritiers profitant à nouveau de la franchise de 100’000 euros. » Sans entrer dans le détail des calculs, on comprend que l’impôt sera moins élevé lorsqu’il est réparti sur deux successions avec une franchise par enfant à chaque fois plutôt que lorsqu’il est prélevé sur l’intégralité du bien lors d’une seule succession.

Décès d’un conjoint propriétaire à parts égales

De cette comparaison, il ressort de manière évidente du point de vue fiscal qu’il vaudrait mieux, dans le cadre de la dévolution légale, que le conjoint qui était le propriétaire unique décède le premier. Mais, comme le dit Aubin Robert,  « on ne maîtrise pas l’ordre des décès ! ». Pour étaler le risque, on peut recourir à une solution intermédiaire qui consiste à acquérir conjointement le bien, ou à le transformer en bien commun, en changeant de régime matrimonial et en l’apportant à la communauté : « De cette manière, au premier décès, en partant du principe que c’est la dévolution légale suisse qui s’applique, le conjoint survivant conserve sa moitié du bien, et va recevoir la moitié de la succession, c’est-à-dire la moitié de la moitié, soit le quart. Au total, il possède alors les trois quarts de la maison. Le dernier quart, s’il y a deux enfants, va être partagé à hauteur d’un huitième chacun. Chaque héritier va alors bénéficier de l’abattement de 100’000 euros et au-delà le barème progressif s’appliquera. »

Décès du conjoint survivant

« Lorsque le second conjoint décédera à son tour, les enfants hériteront de la totalité de son patrimoine, c’est-à-dire des trois quarts de la maison dans notre exemple. Il en ressort que les héritiers seront soumis à un taux d’impôt plus élevé qu’au premier décès, puisqu’on monte dans les tranches d’imposition. L’impôt sur les deux décès sera néanmoins moins élevé que dans le cas d’un bien détenu par un seul des conjoints et qui décéderait en second. »

Legs d’usufruit

Dans le même cas de figure, en restant sur l’hypothèse d’une détention à parts égales, on peut recourir au legs d’usufruit, selon l’article 473 du code civil, qui vient d’être révisé, et à qui j’ai consacré un billet détaillé le 28 juin dernier. On rappellera que dans sa nouvelle mouture, cet article prévoit que le futur défunt peut laisser à son conjoint survivant l’usufruit de toute la part dévolue à leurs descendants communs. Et ce quel que soit l’usage de la quotité disponible. Pour simplifier, on suppose que la part du bien immobilier revenant au conjoint survivant, c’est-à-dire la moitié, lui est attribuée sous forme d’usufruit, qui est de toute façon exonérée d’impôt.

Diminution de l’impôt dû

« Bien évidemment, poursuit notre interlocuteur, seule la valeur de la nue-propriété sera soumise à imposition, un montant inférieur à la valeur de la pleine propriété du bien. On rappellera que plus la personne qui bénéficie de l’usufruit est jeune, plus basse est la valeur de la nue-propriété. On arrive donc à faire diminuer l’impôt dû. En droit français, il n’y a aucune imposition au décès de l’usufruitier. La valeur de cet usufruit ne subira donc jamais d’imposition. Par exemple, si l’usufruitier a 78 ans, 30% échappent à l’impôt ». Comme on le voit dans le barème français de valorisation de l’usufruit reproduit ci-dessous, la valeur de la nue-propriété peut tomber jusqu’à 10% de la valeur du bien, permettant ainsi de réduire l’assiette fiscale de 90%. Mais il faut pour cela que l’usufruitier ou l’usufruitière ait moins de 21 ans. Ce qui n’est pas forcément le cas de figure le plus courant !

Donations avec réserve d’usufruit

Si le legs d’usufruit permet de réduire l’impôt de succession, elle ne pourrait, dans notre cas de figure, ne porter que sur la moitié, en l’occurrence la moitié de la maison. Mais on peut optimiser fiscalement cette opération. « En effet, propose notre spécialiste, il faudrait plutôt faire une donation conjointe, qui est possible puisque le bien est détenu en indivision à parts égales. Concrètement, cela veut dire que chaque conjoint fait une donation aux deux enfants de sa quote-part du bien, c’est-à-dire de la moitié, avec une réserve d’usufruit. Au total, le bien transmis est entièrement grevé d’un usufruit et non seulement la moitié, tandis que les deux héritiers reçoivent chacun la moitié de la nue-propriété. »

Économies fiscales dopées par le nombre de donateurs

« Le gain s’avère plus élevé, lorsqu’il y a deux donateurs (le bien étant détenu conjointement) au lieu d’un seul car vous avez un double impact. Tout d’abord, comme il s’agit d’un barème progressif, il est plus avantageux de répartir le montant à transmettre sur deux têtes plutôt qu’une. Ensuite, comme il y a deux héritiers, chacun d’eux bénéficie d’un abattement de 100’000 euros. Or, lorsqu’il y a deux donateurs, chaque héritier bénéficie d’un abattement par parent. Au total, en présence de deux enfants, les donataires bénéficient de quatre abattements, pour un montant de 400’000 euros, contre seulement 200’000 avec un donateur unique. Pour des personnes dont le patrimoine est susceptible d’être soumis encore à l’impôt français sur les successions, il leur sera possible de répéter l’exercice au bout de 15 ans. Ils pourront ainsi à nouveau bénéficier de l’abattement de 100’000 euros par donateur et par donataire, ainsi que des tranches basses du barème progressif déjà utilisées lors de la première donation, comme si aucune donation n’avait été faite jusque-là. »

« Faire preuve de bon sens »

Si les donations constituent un outil d’optimisation fiscale efficace, notre expert met toutefois en garde contre certains risques : « Sur le plan fiscal, tout vous incite à anticiper votre transmission. Mais, ce n’est pas forcément opportun, sachant que l’espérance de vie est très élevée à l’âge de la retraite et que le coût des EMS s’avère très lourd. En se dessaisissant de son bien immobilier pour n’en conserver que l’usufruit, le détenteur de ce droit ne peut plus vendre le bien sans l’accord du nu-propriétaire. Il peut donc se retrouver coincé. C’est pourquoi il faut faire preuve de bon sens : allez-vous limiter vos options pour réduire des droits de succession que vous ne verrez pas et que ne payerez évidemment pas ! »

Pas de « fil à la patte » français

Par ailleurs, notre interlocuteur tient à dissiper un malentendu courant, selon lequel un héritier d’une personne domiciliée en Suisse qui a habité en France au cours de la dernière décennie et qui la quitterait continuerait après son départ à être redevable des droits de succession et de donation en France sur l’intégralité de sa part, y compris les biens non français – on rappellera que les biens français sont toujours taxables en France.  : « En fait, ce n’est pas ce que dit la loi : pour être soumis à imposition en France tant au titre des successions que des donations pour les biens non français, il y a en effet deux conditions. Il faut non seulement avoir été domicilié en France pendant, et je souligne ce terme, au moins six ans au cours des dix dernières années précédant la transmission, mais encore être toujours domicilié dans l’Hexagone le jour de la transmission. Si l’une des deux conditions n’est pas réunie, la personne n’est pas soumise à l’impôt sur les biens non français. » Il n’y a donc pas de « fil à la patte » français, pour reprendre une expression consacrée dans ce cas.

Droit de suite dans certains pays

« Ce droit de suite existe en revanche dans d’autres législations fiscales, comme aux Pays Bas : vous continuez à être soumis à l’impôt pendant un certain temps après avoir quitté définitivement le territoire. Enfin, les personnes domiciliées en France depuis moins de six ans au cours de la dernière décennie précédant la transmission, peuvent bénéficier d’une donation de biens non français de la part de leurs parents domiciliés à Genève sans avoir d’impôt à payer, sous réserve de prendre certaines précautions, puisqu’ils seraient complètement exonérés tant en France que dans le canton de Genève. »

Expatriation des héritiers ou du futur défunt

L’autre grande piste pour réduire la charge fiscale sur les biens détenus hors de France, c’est l’expatriation, explique notre interlocuteur, soit de l’héritier, soit du futur défunt. « Considérons tout d’abord le cas de l’héritier qui part à l’étranger : il doit s’établir dans un pays qui ne taxe pas sur la base du domicile de l’héritier. Donc, qu’il n’y ait pas de règles similaires à celles applicables en France, comme c’est le cas en Allemagne et en Espagne. En revanche, cela marche parfaitement avec le Portugal, l’Italie, le Royaume-Uni ou encore la Belgique. Si l’on considère la situation du futur défunt, on constate que l’Italie s’avère également très favorable parce qu’il y a une convention fiscale entre la France et l’Italie couvrant les donations et les successions. »

Difficultés d’adaptation et coût de la vie

« Ce déménagement sous d’autres cieux fiscaux peut faire une énorme différence, explique notre spécialiste car les biens non français ne seront taxables qu’en Italie, avec un abattement d’un million d’euros par enfant et un taux de 4% seulement au-delà, même si les héritiers sont en France. Toutefois, avant de songer à changer son lieu de vie, il ne faut pas se focaliser uniquement sur les droits de succession ou de donation, mais aussi sur les différences de coût de la vie et sur les autres impôts. En outre, si ce sont des futurs défunts âgés qui doivent changer d’environnement, avec une culture voire une langue différente, l’adaptation peut s’avérer difficile. »

Notion de domicile français

Si vous voulez quitter votre domicile français pour un autre pays, il faut encore que cela soit effectif, prévient notre interlocuteur, « un changement de résidence fiscale, cela se vit, cela ne se décrète pas ! », sinon la France pourrait requalifier votre domicile. En l’absence de convention fiscale en matière de successions et donations entre la France et la Suisse, il convient d’examiner le droit interne français. La notion de domicile repose sur plusieurs critères : « Le premier critère, c’est le foyer, là où vivent le conjoint et les enfants mineurs. Par exemple, si l’épouse et les enfants vivent à Paris, le mari sera considéré comme domicilié en France par le droit français. Le lieu de séjour principal est le critère classique. Toutefois, passer moins de six mois en France par année n’est pas suffisant. Si l’on séjourne dans plusieurs pays au cours de l’année, la France considère que l’on est domicilié sur son territoire si c’est le pays dans lequel on passe le plus de temps. Autre critère, l’activité professionnelle sur le territoire français. »

Critère du centre des intérêts économiques

Mais le critère qui peut constituer un véritable piège, c’est le centre des intérêts économiques, c’est-à-dire le pays dont vous tirez votre principale source de revenus, précise le fiscaliste d’Avacore : « S’ils proviennent essentiellement de France, cela a pour conséquence une domiciliation fiscale sur le territoire français alors que cette personne n’y met peut-être jamais les pieds. C’est d’autant plus un piège qu’elle peut parfaitement être résidente en Suisse selon la convention fiscale en matière d’impôt sur le revenu et la fortune, mais être considérée comme domiciliée en France pour les droits de successions en raison de l’absence de convention dans ce domaine entre les deux pays. » On comprend donc qu’il faut faire particulièrement attention à ses sources de revenu, qui peuvent être des rentes de vieillesse françaises, des revenus locatifs, des dividendes, etc. entraînant du même coup, s’ils constituent la principale source de revenus de son bénéficiaire, le risque d’être domicilié des deux côtés de la frontière sans pouvoir invoquer une convention fiscale !

Détenir un bien immobilier en France via une SCI est devenu une très mauvaise idée

On savait déjà que les sociétés civiles immobilières (SCI) françaises étaient source de double imposition en cas de succession qui peut s’avérer catastrophique si le ou les héritiers(s) n’ont pas de lien de parenté proche avec le défunt, comme je l’explique dans mon billet du 17 décembre dernier. Mais, pour enfoncer le clou, un arrêt du Tribunal fédéral (TF) du 13 décembre dernier (2C_365/2021) confirme la pratique de l’administration fiscale vaudoise de soumettre les parts de telles sociétés détenues par des résidents suisses à l’impôt sur la fortune, sous certaines conditions, et avec d’éventuelles conséquences sur l’impôt sur le revenu.

Que dit l’arrêt du TF ?

Avant de détailler les conséquences de cet arrêt, il est nécessaire de s’y arrêter un instant. Le TF a statué sur recours d’une contribuable établie dans le canton de Vaud qui détient deux immeubles en France, d’une valeur d’un peu plus d’un million d’euros, par le biais d’une SCI. La France n’a pas prélevé l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) au niveau des associés la SCI car la valeur de ces deux immeubles était inférieure à 1,3 million d’euros. En revanche, le canton de Vaud a soumis les parts de la SCI à l’impôt sur la fortune, considérant qu’elles constituaient de la fortune mobilière, et non pas immobilière, sans tenir compte du traitement fiscal en transparence de la SCI en France.

Argumentaire de la recourante

Dans son recours, la contribuable rappelait que la France considérait la SCI comme fiscalement transparente. Cela signifie que l’administration fiscale française attribue, fiscalement, l’immeuble directement aux associés de la SCI en fonction de leur participation respective. Si l’administration fiscale vaudoise avait eu la même approche, elle n’aurait pas imposé les parts de la SCI, car la société détient uniquement des biens immobiliers à l’étranger. Or, selon le droit fiscal suisse, les immeubles situés à l’étranger sont exemptés de l’impôt sous réserve de progressivité. Ceci veut dire que l’administration fiscale vaudoise en tiendrait uniquement compte pour déterminer le taux de l’impôt applicable à la fortune imposable. En d’autres termes, la prise en compte des immeubles sis en France détenus par le truchement de la SCI aurait conduit à un taux moyen d’imposition des autres biens plus élevé, mais sans que ces biens immobiliers entrent dans le patrimoine imposable.

Qu’est-ce qu’une SCI au regard du droit suisse ?

Cedric Panchaud

Si l’on est peu familiarisé avec les arcanes du droit fiscal, on peut s’étonner de cette divergence de traitement fiscal de la SCI des deux côtés de la frontière. En fait, explique Cedric Panchaud, avocat et expert fiscal diplômé, associé en l’étude Beker, Guiramand & Associés : « La forme juridique de SCI française n’existe pas en droit suisse. La première étape dans l’analyse consiste donc à déterminer à quelle forme juridique suisse on peut la rattacher. Le TF a ainsi confirmé l’analyse du canton de Vaud, considérant la SCI comme une personne morale. » En d’autres termes, et pour reprendre le jargon juridique, elle est dite opaque, c’est-à-dire qu’à l’instar d’une SA ou d’une Sàrl, elle sera soumise à un impôt à deux étages : tout d’abord au niveau de la société, puis une seconde fois sur les dividendes versés aux détenteurs de parts. Parts qui sont donc considérées comme des valeurs mobilières. « Bien que le TF tienne également compte, mais de manière secondaire, du statut fiscal de la société dans le pays d’origine, qui est en l’occurrence la transparence, ce facteur n’a pas joué de rôle dans ce dossier. »

Convention de double imposition

Le processus d’analyse n’est cependant pas encore terminé, précise notre interlocuteur : « Les juges doivent vérifier dans une ultime étape s’il existe une convention de double imposition limitant le droit d’imposition de la Suisse. Tel est le cas selon la convention de double imposition en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune conclue entre la Suisse et la France. Au terme de cette convention, la Suisse doit renoncer à percevoir l’impôt sur des parts de sociétés immobilières détenant des immeubles en France lorsque ces parts sont imposées en France. Or, la France prélève uniquement l’impôt sur la fortune lorsque l’immeuble détenu par la SCI vaut plus de 1,3 million d’euros. Aussi, les juges sont arrivés à la conclusion que c’est à bon droit que l’administration fiscale vaudoise a considéré que le droit du canton de Vaud de soumettre les parts des SCI à l’impôt sur la fortune en Suisse n’est pas limité par la convention de double imposition en dessous de ce seuil. En conclusion, et c’est la mauvaise surprise pour les détenteurs de parts dans des SCI détenant des biens immobiliers exonérés en France parce que d’une valeur inférieure à 1.3 million d’euros, le canton de Vaud peut soumettre ces parts de SCI à l’impôt sur la fortune. Le TF conforte cette pratique, qui pourrait donc être reprise par les autres cantons, et notamment à Genève. »

Autres conséquences

Aubin Robert

Mais les conséquences de cet arrêt pourraient aller beaucoup plus loin si l’on en croit Aubin Robert, fiscaliste auprès d’Avacore Family Office : « Si l’on va jusqu’au bout du raisonnement retenu par le TF, la distribution par la SCI du prix de vente du bien qu’elle détenait ou la dissolution de la SCI pourrait être vue comme un rendement de la fortune mobilière taxable en Suisse. » L’arrêt pourrait également avoir un fort impact fiscal pour un certain nombre de contribuables selon le mode de financement du ou des biens immobiliers détenus par la SCI, que ce soit par un emprunt bancaire ou par un prêt d’associé. Commençons par le prêt bancaire.

SCI financée par un emprunt bancaire

« Si la société a été jusqu’à présent traitée en pure transparence dans le canton de domicile de l’associé, la dette a été portée au passif de la déclaration du contribuable, poursuit notre interlocuteur. Cette dette a alors été répartie proportionnellement entre les actifs bruts français et suisses. Cela a pour conséquence qu’une partie de la dette a été déduite en Suisse alors même qu’elle a servi à financer un bien immobilier français, qui est pris en compte uniquement pour la progressivité de l’impôt en Suisse. »

Situation actuelle

Pour être concret, le fiscaliste prend l’exemple suivant : « On part de l’hypothèse que le bien français acquis par la SCI vaut un million de francs, financé avec une dette bancaire de 500’000 francs souscrite par la société. On suppose également que le bien représente 10% des actifs bruts du contribuable et que ses actifs suisses en constituent le solde, soit 90%. Donc, selon cette clé de répartition, 90% de la dette a été déduite des actifs détenus en Suisse, c’est-à-dire pour un montant de 450’000 francs (= 90% x CHF 500’000). »

Arrêt du TF appliqué

Mais si l’arrêt du TF était appliqué jusqu’au bout de la logique, cette dette risquerait d’être uniquement retenue pour valoriser les parts de la SCI, c’est-à-dire qu’elles seraient ramenées à 500’000 francs, après la déduction de la dette de 500’000 francs et non plus déduite pour partie de l’assiette taxable en Suisse. « L’actif net taxable augmenterait donc du montant de la dette qui n’est plus déductible en Suisse, c’est-à-dire de 450’000 francs ainsi que de la valeur des parts de 500 000 francs, qui ne seraient pas taxées en France puisque d’un montant inférieur à 1,3 million d’euros. Il en résulterait mathématiquement une augmentation de l’impôt sur la fortune suisse. »

SCI financée par un prêt d’associé

Avant d’aller plus loin, il est nécessaire de comprendre que les SCI ont le plus souvent un capital social faible, qui peut être de 1’000 euros seulement. « Les frais d’acquisition et le prix lui-même sont donc financés par un apport des associés. Il s’agit comptablement d’un prêt de l’associé, et donc d’une dette pour la société. Ce prêt d’associé est dénommé « compte courant d’associé » du côté français. »

Situation actuelle

Pour illustrer son propos, Aubin Robert prend l’exemple d’un bien acquis pour un million d’euros. Le capital social est de 1’000 euros. Le reste du financement vient du prêt d’associé de 999’000 euros, comme on le voit dans le bilan ci-dessous :

« L’associé possède donc deux actifs différents : les parts de la SCI dont la valeur n’est que de 1’000 euros, d’une part, et sa créance d’associé pour 999’000 euros, d’autre part. Si la société est traitée en transparence, ces aspects ne sont pas pris en considération. »

Application de l’arrêt du TF

Si les cantons changeaient leur pratique, le traitement fiscal pourrait s’en trouver modifié, poursuit l’expert : « Il faudrait examiner la comptabilité de la SCI, quand elle existe car elle n’est pas obligatoire en France. Dans ce cadre, le prêt d’actionnaire de 999’999 euros serait taxable en Suisse, même si les parts de la SCI l’étaient en France également, si par hypothèse il y a d’autres biens, car il ne s’agit pas du même actif. Il y aurait potentiellement une double imposition économique car un prêt d’actionnaire, du côté français, n’est pas toujours déductible pour valoriser les parts de la SCI pour l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI), tandis que la convention fiscale autorise incontestablement la Suisse à taxer cette créance. Espérons qu’on n’aille pas jusque-là. »

Comment éliminer la double imposition des biens soumis à l’impôt français sur les successions ?

Il y a quelques semaines, la scandaleuse affaire de ces héritiers domiciliés en France frappés d’un impôt dépassant la valeur d’une partie du montant qui leur était dévolu, à hauteur de 115%, a finalement suscité une émotion dans les milieux politiques de notre pays. Cette situation, qui avait constitué le point de départ de mon billet de blog du 17 décembre, résultait du cas de figure suivant : le défunt était établi à Genève et était un cousin éloigné des deux héritiers, tandis que la somme imposée de manière aussi outrancière était déposée dans une banque sur le territoire français. En l’absence de convention de double imposition successorale entre les deux pays, chacun avait prélevé son impôt, sans tenir compte de l’autre, au point d’arriver à ce résultat choquant. C’est ainsi que notre nouvelle ministre des Finances, Karin Keller-Sutter, apparaît « sommée de négocier avec Paris » sur les impôts de succession par des représentants de tous les partis, pour reprendre l’expression de la Tribune de Genève dans son édition du 14 janvier dernier, afin d’éviter cette double imposition. Pour l’instant, il n’y a guère eu de réaction de la part du Conseil fédéral.

Une nouvelle convention en perspective ?

Malgré ces remous politiques, il paraît peu probable qu’ une nouvelle convention de non double imposition sur la fiscalité successorale entre la France et la Suisse voie le jour dans un avenir proche. La France a, en effet, indiqué dans une réponse ministérielle du 7 février que la conclusion d’une nouvelle convention n’était pas d’actualité. Aubin Robert, fiscaliste auprès d’Avacore Family Office, basé à Genève, rappelle qu’un nouvel accord avait été négocié et signé par la Suisse le 11 juillet 2013 : « Celui-ci permettait notamment à la France de taxer les bénéficiaires domiciliés sur son territoire. Et comme la précédente convention, elle ne visait que les successions, à l’exclusion des donations.

Aubin Robert

Ce nouvel accord permettait ainsi, d’une part, de régler la question des conflits de domiciles du défunt lorsque les deux pays considéraient qu’il était établi sur leur sol et, d’autre part, d’éviter la double imposition. Dans ce cadre juridique, l’affaire des deux cousins n’aurait jamais eu lieu. Malheureusement, poursuit notre interlocuteur, une forte opposition de la part des cantons, notamment romands, s’est manifestée. Face à ce blocage, la France a dénoncé de manière unilatérale en 2014 la convention existante avec effet au 1er janvier 2015. La solution pourrait passer par l’amendement des lois fiscales cantonales sur les donations et successions, afin de diminuer ou supprimer la double imposition. Par exemple, à Genève, on n’élimine jamais la double imposition, alors que c’est partiellement le cas dans le canton de Vaud ou du Valais ».

Liquider les comptes bancaires français

On l’a bien compris, ce problème de double imposition tel qu’il ressort de l’affaire évoquée ne sera pas résolu de sitôt. Et il n’existe malheureusement aucun moyen pour réparer les dégâts après coup. En revanche, cette double imposition aurait été très facilement évitable puisqu’elle ne portait que sur un compte bancaire : il aurait donc suffi au futur défunt de rapatrier ces fonds en Suisse. Au décès, dans le cas d’un héritier domicilié en France, les deux administrations fiscales auraient prélevé leur impôt de succession, mais la France, dont l’impôt est généralement plus élevé, aurait appliqué un crédit d’impôt d’un montant correspondant à celui qui aurait été réglé en Suisse. En d’autres termes, les deux héritiers n’auraient dû payer au total que le montant de l’impôt français, l’essentiel restant acquis à la Suisse et l’excédent allant à la France. On soulignera le fait que la problématique aurait été la même si les héritiers avaient été également domiciliés en Suisse, car c’est la qualification de biens mobiliers français qui induit la double imposition.

Le piège des SCI

Une solution aussi simple n’aurait cependant pas pu s’appliquer à tous les biens mobiliers français, c’est-à-dire non seulement tous les objets situés physiquement en France (meubles, véhicules, œuvres d’art, etc.), mais aussi toutes les créances contre des personnes domiciliées en France ou titres ou valeurs mobilières émises par des sociétés françaises. Or dans ces catégories figurent les Sociétés civiles immobilières (SCI), qui sont un moyen de transformer en quelque sorte un bien immobilier en un bien mobilier. Si vous possédez un bien immobilier français via une SCI en étant domicilié en Suisse, les parts seront considérées comme un bien mobilier français, présentant donc le même inconvénient fiscal que le compte bancaire ouvert en France, à savoir une double imposition sur les successions qui s’additionne (sous réserve bien entendu que l’héritier en question ne soit pas exonéré côté suisse). Si l’on veut éviter cette situation absurde, il vaudrait mieux transformer cette détention indirecte en une possession directe. Ainsi le bien ne sera imposable qu’en France, tandis qu’en Suisse, sa valeur sera prise en compte ou non, selon le canton de domicile du défunt pour la détermination du taux d’imposition applicable aux éléments de la succession.

Liquidation coûteuse

Le problème lié aux SCI peut paraître anecdotique, mais ce n’est pas du tout le cas, comme l’indiquait Aubin Robert, dans mon billet du 17 décembre dernier : il y en a en effet de très nombreuses qui sont détenues par des résidents en Suisse. Situation qui se justifiait par le traitement fiscal très favorable des SCI dans le cadre de l’ancienne convention, la logique voudrait donc de liquider au plus vite ces SCI pour échapper à ce risque éventuel de double imposition sur les successions. Mais, comme le précisait notre interlocuteur, la liquidation d’une SCI n’est pas sans conséquences : « Liquider une société entraîne la taxation de la plus-value sur l’immeuble détenu par celle-ci, même s’il n’y a aucune transaction financière. Cela génère, en outre, des frais de notaire. Par ailleurs, le traitement fiscal côté suisse de la liquidation d’une SCI suscite depuis récemment des interrogations»

Titres en portefeuille : attention aux mauvaises surprises

Une autre situation de double imposition en cas de succession est liée aux titres français contenus dans son portefeuille, même si ses titres sont déposés en Suisse. Dans ce cas, il vaudrait mieux s’en séparer si l’on veut privilégier des héritiers soumis à impôts. Au passage, on précisera que les titres américains exposent également les héritiers de détenteurs résidents en Suisse à un risque d’alourdissement de l’impôt sur les successions. Ce risque est heureusement limité par une convention de double imposition qui lie la Suisse aux États-Unis, comme l’explique de manière détaillée une analyse de BNP Paribas (Impôt sur les successions américain : l’exception Suisse (wealthmanagement.bnpparibas). Selon la taille du portefeuille, il peut être judicieux de le faire analyser pour connaître la charge fiscale potentielle en cas de décès.

Réduire la fiscalité française ou s’expatrier

Éliminer le risque de double imposition constitue une étape incontournable pour éviter la catastrophe en cas de succession. Si l’on s’est séparé de tous ses biens mobiliers français, il reste la question des biens immobiliers détenus en direct sur le sol français. Les héritiers n’auront plus à faire face qu’à l’impôt français. Mais cet impôt peut s’avérer lourd, en tout cas plus qu’en Suisse. En particulier, les héritiers en ligne directe, qui sont souvent peu taxés en Suisse, sont soumis à un barème progressif qui démarre à 5% pour aller jusqu’à 45%, en bénéficiant cependant d’un abattement de 100’000 euros par parent et par enfant. Pour réduire cet impôt, Aubin Robert présente trois grandes voies possibles : « La première de ces voies revient à travailler sur l’impact de la dévolution – c’est-à-dire la manière dont on transfère ses biens dans le processus successoral – pour répartir au mieux sur les deux décès l’impôt qui sera prélevé en France. La deuxième voie passe par l’anticipation du transfert de son patrimoine, en faisant des donations avec réserve d’usufruit. La troisième, plus radicale, est la vente du bien immobilier. Il faut, toutefois, évaluer l’impôt de plus-value avant de s’engager dans cette direction. » Par ailleurs, notre spécialiste présente les alternatives pour échapper à l’impôt français par le biais de l’expatriation des futurs défunts ou des héritiers vers une destination qui dépendra des règles de taxation du pays d’accueil ou de l’existence d’une convention de double imposition avec la France, comme l’Italie.

Quand l’héritage tombe dans un enfer fiscal

Décidément, l’affaire de cet héritage dont une partie a été taxée d’une part par le fisc genevois à hauteur de 54,6% et d’autre part, par l’administration fiscale française à 60%, soit un total de près de 115%  fait de plus en plus de bruit. D’abord révélée en octobre dernier dans la Tribune de Genève, dans un article écrit sous la plume de mon confrère Marc Bretton, cette histoire a rebondi tout d’abord dans la presse régionale française, et notamment dans le quotidien « Le Parisien », dont le journal qui héberge ce site s’est fait l’écho dans un article publié le 7 décembre. On lira avec intérêt l’enquête menée par mon confrère Sébastien Ruche pour en comprendre la problématique.

Retour sur une affaire sulfureuse

De mon côté, j’ai mené mes propres recherches pour comprendre comment on pouvait en arriver là et comment on pouvait réduire le risque d’une imposition aussi délirante Mais revenons tout d’abord sur ce cas, dont j’ai pu avoir les détails auprès d’un des deux frères qui en sont victimes. Voici les faits : les cousins éloignés domiciliés en France d’un défunt établi en Suisse en sont les seuls héritiers. Une partie de l’héritage était constituée de 125’000 euros déposés sur un compte auprès de l’agence d’une banque française sur le territoire français. En l’absence de convention de double imposition entre les deux voisins – celle qui existait depuis 1953 a été dénoncée par la France en 2014 avec effet au 1er janvier 2015 – les deux impôts sur ces biens français se sont donc additionnés, constituant une double imposition dépassant la valeur de cette somme ! Malgré ce résultat défiant le bon sens, les nombreuses démarches des héritiers des deux côtés de la frontière n’ont donné aucun résultat, les administrations fiscales se rejetant la balle.

Principes en fiscalité successorale suisse

Avant de réfléchir aux mesures éventuelles à prendre pour diminuer – en toute légalité – cette charge fiscale outrancière, il faut prendre un peu de recul, comme le propose Cedric Panchaud, avocat et expert fiscal diplômé à Genève, de l’étude Beker, Guiramand & Sepe, en commençant par décrire le système fiscal des deux côtés de la frontière : « Chaque pays a son système fiscal lié aux successions ou donations, qui sont potentiellement en conflit. Ainsi, les différents cantons suisses appliquent un système où le domicile du défunt ou du donateur fait foi pour déterminer quelles en sont les conséquences fiscales, ceci tant au niveau de l’assiette que du taux de l’impôt et ce indépendamment de savoir qui en est le débiteur. »

Deux exceptions

Toutefois, précise notre interlocuteur : « Il y a deux exceptions à ce principe. La première, ce sont les immeubles, qui créent un for fiscal secondaire à leur localisation. C’est-à-dire que le canton au lieu de localisation de l’immeuble prélève généralement l’impôt sur les donations en lien avec l’immeuble indépendamment du domicile du donateur respectivement une partie de l’impôt sur la succession au prorata des actifs nets localisé dans le canton. La seconde, dans l’hypothèse de successions internationales et pour autant qu’une convention respectivement le droit cantonal le prévoit, porte sur certains biens mobiliers, tels les actifs d’établissements stables de raisons individuelles ou des participations dans des sociétés de personnes. Il s’agit de sociétés en commandite, des sociétés simples ou en nom collectif, pour autant qu’elles exploitent une entreprise en la forme commerciale, c’est-à-dire une activité économique indépendante exercée en vue de générer un revenu régulier. Là aussi, on peut avoir un rattachement fiscal pour l’impôt sur les successions au lieu de l’entreprise. En d’autres mots, dans certaines successions transfrontalières les cantons sont tenus d’exempter sous réserve de progressivité les actifs précités ou à l’inverse peuvent les imposer. C’est par exemple le cas avec l’Allemagne, l’Autriche ou encore les Pays-Bas. »

Impôts sur les donations

Pour illustrer son propos, notre expert fiscal prend l’exemple suivant :  « Un résident genevois donne son chalet aux Diablerets – dans le canton de Vaud – à ses enfants. Le fisc vaudois va soumettre le chalet aux Diablerets (après avoir déduit l’hypothèque et autres dettes que les donataires doivent reprendre) à l’impôt sur les donations au taux de 3.5%. Suivant la commune cet impôt peut être majoré d’une part communale pour se monter au maximum à 7%.»

Impôts successoraux

« En cas de succession, poursuit Cedric Panchaud, les actifs et passifs ne sont pas répartis par objet (c’est-à-dire considérés isolément), mais entre le canton du dernier domicilie du défunt et le canton où est localisé l’immeuble, en pourcentage du total de la succession. En d’autres mots, la dette hypothécaire n’est pas attribuée au canton où se trouve l’immeuble, mais est répartie avec les autres dettes du défunt entre le canton du dernier domicile du défunt et le canton de localisation de l’immeuble proportionnellement à la quote-part que représente l’immeuble par rapport à l’entier de la succession. Ce mécanisme de répartition des dettes peut, suivant les constellations augmenter ou réduire l’assiette fiscale dans le canton de localisation de l’immeuble respectivement du domicile du défunt par rapport à l’impôt qui aurait été dû en cas de donation de l’immeuble (et répartition des dettes par objet). Suivant les cas, cette différence peut être en faveur ou défaveur du contribuable. »

Impôt successoral selon sa quote-part

« Il convient de préciser, ajoute le spécialiste, que même si un héritier ou légataire se voit attribuer par disposition pour cause de mort un immeuble dans un autre canton que celui du dernier domicile du défunt, il participe à toute la succession avec une quote-part (immeuble/succession totale). Il en découle qu’il peut être amené à payer un impôt successoral au canton du domicile du défunt en fonction de sa quote-part à la succession. Dans notre exemple, si le contribuable genevois donne le chalet aux Diablerets à un de ses enfants, seul le donataire sera impacté par l’impôt sur les donations (sur la valeur nette de l’immeuble donné) alors que si le chalet lui est attribué par voie successorale, tous les héritiers doivent s’acquitter de leur part de l’impôt successoral vaudois (sur les actifs nets localisés dans le canton après répartition proportionnelle des dettes). Ils paieront alors un impôt successoral vaudois quand bien même le chalet ne leur reviendra pas lors du partage. »

Attention à l’impôt successoral dans le canton de domicile du défunt !

« Aussi, détaille encore notre expert fiscal, l’héritier qui s’est vu attribuer par disposition pour cause de mort un immeuble situé dans un canton n’imposant pas les successions (en général ou en uniquement par rapport à son lien de parenté avec le défunt) pourrait quand même devoir payer un impôt successoral dans le canton du domicile du défunt. Comme cas classique, nous pouvons citer un concubin recevant par voie successorale un immeuble dans un canton ne pratiquant pas les impôts successoraux, tel Schwyz, qui devra néanmoins payer un impôt successoral dans le canton du dernier domicile du défunt et ce au taux maximum en l’absence de privilège fiscal pour le concubin qui est souvent traité comme un tiers.»

Base de calcul de l’impôt

Dans l’exemple du chalet attribué par un contribuable genevois à un de ses enfants, cette action pourrait avoir une influence sur le taux que le fisc genevois va appliquer sur les autres éléments de la succession en prenant comme base de calcul la masse successorale ou de donation globale. Mais, dans ce cas particulier bien que fréquent, l’élargissement de l’assiette fiscale ne change rien puisqu’il n’y a pas de droits de succession sur les descendants en ligne directe à Genève. Ce serait évidemment différent pour des personnes non apparentées, avec un taux maximum de 54,6%, mais qui est en fait très vite atteint.

Principes en fiscalité successorale française

Si l’on se tourne maintenant du côté français, on constate que nos voisins ont une approche différente, qui consiste à tout imposer dès qu’il y a un point de rattachement avec ce pays. Ils sont au nombre de trois, détaille Cédric Panchaud : « Le bien est situé en France ; le de cujus – la personne qui décède – est domiciliée en France ; la personne qui est bénéficiaire, donc l’héritier, est domiciliée en France, et c’est une divergence fondamentale avec l’approche suisse. »

Domiciliation « élastique » en France

Pour le dire un peu autrement, Aubin Robert, fiscaliste auprès d’ Avacore Family Office, basé à Genève et qui dispose notamment d’une formation de notaire français, énumère également trois critères pour l’imposition en matière successorale par l’État français : « Si le défunt ou le donateur était domicilié en France, l’intégralité des biens va y être imposée, même ceux qui sont situés en Suisse, bien immobiliers compris ; si l’héritier ou le donataire est établi en France au jour de la transmission et l’a été pendant au moins 6 ans pendant les dix années qui précèdent, la France va taxer l’intégralité de sa part à l’héritage ou de la donation, que ces biens se trouvent en France ou en Suisse, qu’ils soient mobiliers ou immobiliers ; si ni le défunt/donateur, ni l’héritier ou le donataire ne sont domiciliés en France, le fisc français ne taxera que les biens situés en France. »

Qu’est-ce qu’un bien français ?

Dans cette liste de critères, la question du domicile peut prêter à discussion, comme on a pu le voir dans l’affaire de la succession de Johnny Hallyday, pour déterminer quelle législation – américaine ou française – va s’appliquer en matière de droit civil. Pour le droit fiscal, le Code général des Impôts français pose différents critères alternatifs, c’est-à-dire qu’il suffit de répondre à seul de ces critères pour être domicilié en France . Toutefois, pour éviter de surcharger ce billet, on va suivre le conseil d’Aubin Robert de partir du postulat que le domicile fiscal  du défunt/donateur et du bénéficiaire de la transmission sont parfaitement établis et ne prêtent pas à discussion. En revanche, il est nécessaire de s’arrêter sur cette notion de biens français. Qu’est-ce que ce terme recouvre exactement ? « Il s’agit bien entendu, précise notre interlocuteur, d’immeubles situés en France, mais aussi de parts ou actions de sociétés françaises, de sociétés civiles immobilières (SCI), de créances contre une personne domiciliée en France, des brevets français, d’objets situés physiquement en France (meubles, véhicules, œuvres d’art), etc. Il faut souligner que des titres français déposés en Suisse sont considérés comme des actifs français par la France. »

Héritier domicilié en France d’un défunt établi en Suisse

Ces éléments posés, on peut maintenant établir l’application de l’impôt sur les successions transfrontalières. On commencera par le cas d’un héritier établi en France avec un défunt domicilié en Suisse, avec des biens des deux côtés de la frontière puis, dans un deuxième temps, la situation inverse, où il s’agit d’un défunt domicilié en France et dont l’héritier est établi en Suisse.

Biens immobiliers en Suisse

Commençons par les biens immobiliers situés en Suisse. Ils sont imposables tant en Suisse qu’en France. Toutefois, le fisc français accorde un crédit d’impôt sur l’impôt payé en Suisse. En d’autres termes, si l’impôt suisse se monte à 54,6% comme à Genève pour des personnes non apparentées, et l’impôt français à 60%, l’héritier n’aura qu’à régler la différence de 5,4% à l’administration fiscale française.

Biens immobiliers en France

Pour les biens immobiliers détenus en France, il faut distinguer la possession en direct ou par le biais d’une société civile immobilière (SCI). En direct, l’impôt est prélevé uniquement par la France. Selon les cantons, le bien français sera toutefois pris en compte ou non pour la détermination du taux d’imposition applicable aux autres éléments de la succession. Pour les biens détenus en France par le biais de SCI, rappelons tout d’abord ce que c’est : il s’agit d’un moyen de transformer en quelque sorte un bien immobilier en un bien mobilier, qui sera imposé dans le canton de domicile du défunt. Le nombre de SCI constituées dans le passé par des résidents suisses s’explique par le fait qu’elles bénéficiaient d’un traitement très favorable au regard de l’ancienne convention fiscale applicable aux successions. Côté français, les parts de SCI constituent des biens français qui vont également être soumises aux droits de succession français, donnant lieu à une double imposition, totale ou partielle selon le canton de domicile du défunt. La France n’éliminera pas la double imposition car il s’agit de biens situés en France.

Biens mobiliers en Suisse

Pour les biens mobiliers suisses, la France va appliquer un crédit d’impôt sur la part prélevée par le fisc suisse éliminant l’effet de la double imposition, sur le même principe que pour les biens immobiliers suisses. Au bout du compte, le taux d’imposition global correspondra à celui de l’impôt français puisqu’il est en principe plus élevé.

Biens mobiliers en France

Comme le montre la malheureuse affaire qui constitue le point de départ de ce billet, l’héritage de biens mobiliers français ou de source française, constitue un véritable cadeau empoisonné. Les héritiers ou légataires vont en effet être imposés sur ces biens de deux côtés de la frontière (sauf exonération liée au lien de parenté (descendants ou conjoint)), sans mécanisme de crédit d’impôts.

Vision d’ensemble

En résumé, seuls les biens mobiliers et immobiliers en Suisse bénéficient d’un crédit d’impôt par le fisc français, tandis que les biens mobiliers détenus en France, y compris les parts de sociétés civiles immobilières, vont subir une double imposition. Pour faciliter la distinction des différents cas de figure, on les a réunis dans le tableau ci-dessous :

 

Pratiques cantonales à géographie variable

Si l’on entre un peu plus dans le détail, on constate, comme l’explique Aubin Robert, que certains cantons comme l’État de Vaud ou du Valais éliminent partiellement la double imposition en permettant de déduire de la valeur du bien l’impôt payé en France. Pour illustrer son propos, notre interlocuteur prend l’exemple schématique suivant : « Une personne qui décède et qui était domiciliée dans le canton de Vaud possédait un compte bancaire en France de 100’000 euros. Somme qu’il lègue à  un cousin très éloigné domicilié en France. Ce pays va prélever 60% de ce montant, soit 60’000 euros. Quant au canton de Vaud, il va ponctionner 50%, qui est le taux maximal, mais non pas sur les 100’000 euros mais sur le solde, soit 40’000 euros. L’impôt du canton de Vaud se monte donc à 20 000 euros (= EUR 40’000 x 50%).  Au total, l’impôt à la charge de l’héritier s’élève à 80 000 euros (= EUR 60’000 + EUR 20’000), soit un taux de 80%. Ce qui est tout de même moins pénalisant que les 115% du cas où le défunt était domicilié à Genève. »

Héritier domicilié en Suisse et défunt établi en France

Dans le cadre de notre analyse, on peut également s’interroger sur le risque de double imposition dans la situation inverse, à savoir un héritier domicilié en Suisse et le défunt en France. La Suisse impose selon le principe les biens immobiliers localisés sur son sol. La France taxe également les mêmes objets, mais en accordant un crédit d’impôt sur le montant payé au fisc suisse. Quant aux biens immobiliers situés en France, ils ne sont imposables que chez notre voisin, de même que les biens mobiliers détenus en France ou/et en Suisse. Il n’y a donc jamais de double imposition, mais seulement l’application de l’impôt français, qui est toujours plus élevé que l’impôt suisse. Pour avoir une vue synthétique, on a présenté ces résultats dans le tableau ci-dessous :

Ayant établi ce constat, on peut se poser la question de savoir ce qu’auraient pu faire les héritiers au moment du décès dont on a présenté le cas. En fait, pas grand-chose. Pour s’éviter tous soucis, les deux cousins auraient pu répudier purement et simplement la succession. Mais encore fallait-il qu’ils prennent conscience de la charge fiscale qui les attendait… Par ailleurs, comme une autre partie de l’héritage était constituée de biens suisses, le prélèvement fiscal n’est que – si l’on ose dire – de 60% de leur montant, permettant dans ce cas particulier de couvrir la double imposition sur les biens français, leur laissant même un petit reliquat. Il était donc plus logique d’accepter la succession, mais en acceptant de la voir presque complètement engloutie par le fisc. Pas facile à accepter, surtout si l’on s’imagine, en toute bonne foi et avec raison, victime d’une faille du droit fiscal international.

Comment éviter des situations aussi aberrantes ?

On ne peut évidemment intervenir qu’avant que ne se produise le décès. Dans cette perspective, on peut prendre différentes mesures que je décrirai dans un prochain billet de blog.