Nobody expects the…

La musique doit se suffire à elle-même pour plaire. Et donc pour déclencher un acte d’achat – car oui, la musique s’achète et doit s’acheter, fût-ce en téléchargement payant (je ne suis vraiment, vraiment pas fan du streaming). Mais la musique ne nous est jamais donnée nue; elle est emballée. Au sens propre dans une boîte en carton, ou de manière plus distante avec un fichier jpg. Le goût de la pochette peut d’ailleurs se transformer en profond fétichisme. La musique est emballée au sens figuré aussi: les press releases, même s’ils témoignent (c’est encore heureusement souvent le cas) de la passion qui lie un label à ses artistes et à leurs productions, alignent les superlatifs conçus pour vendre l’artefact.

On a donc là des éléments «para-musicaux» qui viennent s’ajouter au son pour lui offrir un supplément de séduction. Il y en a encore un autre, que l’on peut trouver dans les communiqués de presse, mais qui ont un statut légèrement différent. Ce sont toutes les anecdotes, déclarations d’intention et fragments autobiographiques qui expliquent le pourquoi et / ou le comment de tel ou tel disque – autant d’éléments qui sont d’ailleurs souvent, par le biais de la presse spécialisée ou par celui des blurbs de Bandcamp ou Boomkat, la première manière, pour moi, d’accéder à telle ou telle œuvre. Et de m’en saisir – surtout si j’y vois de l’insolite fertile, de l’inattendu. Je vous donne quelques exemples récents de craquages allumés par la surprise.

Eomac, Water Tracks (Emika Records). Un disque entièrement réalisé à base d’eau qui coule, comme son nom l’indique. Eomac, alias Ian McDonnell, spécialisé dans une techno réverbérée, quelques fois accompagnée de modes orientaux. Ne vous précipitez pas encore sur ce disque, il ne sort que le 28 avril (mais une pré-écoute est déjà possible).

Amber Meulenijzer, Saab Fanfare (Edições CN). En voici une partie du descriptif: «En octobre 2022, Musica Impulscentrum a invité Amber Meulenijzer à composer une œuvre en collaboration avec les fanfares locales de Pelt, une petite municipalité située dans l’est verdoyant de la Belgique. Ces fanfares sont profondément ancrées dans la culture belge. Même dans les plus petits villages, on trouve au moins un ou plusieurs de ces ensembles. Le résultat de cette confluence: une procession, une composition pour cuivres au rythme lent, jouée en direct et retransmise par douze haut-parleurs montés sur le toit d’une vieille Saab 900.»

Masayoshi Miyazaki, China Life (Flaming Pines). Une histoire d’exil: le Japonais Masayoshi Miyazaki s’est retrouvé coincé en Chine au moment où le pays se barricadait à cause de la pandémie de Covid. Il venait d’avoir un enfant, resté sur l’archipel avec sa mère. Il ne le verra que bien longtemps après, ce qui donne un disque d’une fatale mélancolie.

Il y en aurait d’autres: je vous ai déjà parlé de Rubbish Music (par Kate Carr et Iain Chambers, toujours chez Flaming Pines), réalisé littéralement à partir de déchets. Je vous parlerai bientôt de Philip Samartzis, qui est allé enregistrer les vents qui soufflent sur le Jungfraujoch pour documenter esthétiquement le dérèglement climatique. Tous ces disques ont en commun de m’avoir hameçonné l’attention avant même que je les écoute, par l’originalité de leur projet. Bien entendu, leur importance ne peut s’y résumer – encore faut-il que le matériel sonore tienne les promesses. Mais c’est généralement une porte dans laquelle il est utile de s’engouffrer.

 

Si j’étais chez vous, je partirais:

Vous trouverez une sélection de concerts dans les notules que je livre, chaque samedi, pour la page Passe-Temps du supplément culturel du Temps. Voici quelques autres idées encore pour les jours à venir:

Vendredi 24:

-> Cult of Luna, Russian Circle (Les Docks, Lausanne)

-> Emilie Roulet & Michael Frei (Les Caves, Versoix; puis le dimanche 26 à la Cave du Château d’Etoy)

-> Louis Jucker (Parterre One, Bâle)

-> Metius (Cinéma Bellevaux, Lausanne)

Samedi 25:

-> Vitalic (Usine, Genève)

-> Hommage à William Byrd (Eglise Saint-Germain, Genève)

-> Salomé Guillemin & Félicien Goguey (Arcoop, Genève)

Dimanche 26:

-> El Khat (Cave 12, Genève)

Mercredi 29:

-> Ensemble Contrechamps (Institut Florimont, Genève)

Jeudi 30:

-> Thurston Moore Group (Alhambra, Genève)

 

Une mixtape pour la route?

Vous trouverez ici quelques sons qui m’ont accroché l’oreille dans les derniers jours. Cette fois-ci: Salac, 3Phaz, Friske, Hammered Hulls, Carrier, Masayoshi Miyazaki, Strapontin & Zillas on Acid, Nightmarer, Hemlock Smith & Les Poissons Autistes, Hundschopf, Kilim Mosh, William Basinski, Flore, Tio Madrona, Hands Up Who Wants To Die, Rxmode, PÖ, Matt Rösner, Jorhero, Khost, Coffins, Holy Scum, Mungo’s Hi Fi featuring Lady Ann, Agnes Haus, Solypsis, Nine Inch Nails, Godflesh, Avalanche Kaito, Benales, Dreamcrusher, Dredd Foole & The Din, Emænuel, Hide, IrisLight & Dave Kirby, Laibach, Ryoji Ikeda, Stefan Goldmann, Sourdurent, Marcus Fjellström, Vladislav Delay, The Bug, Oltrefuturo.

 

 

Philippe Simon

Philippe Simon est chef d'édition au «Temps» et Dr ès Lettres de l'Université de Genève, spécialiste de Rabelais et des littératures de la Renaissance. En marge de cela, il se passionne pour les musiques singulières, curieuses, aventureuses – tous styles confondus. C'est de ces sons qu'on n'entend guère qu'il va vous parler ici.