Tous vulnérables

Vulnérable. A peine né, Jésus est menacé de mort par Hérode le Grand, raconte l’évangéliste Matthieu. Ayant appris par des mages la naissance à Bethléem du « roi des Juifs », n’étant pas l’héritier légitime du trône de David et craignant un futur rival temporel, le roi de Judée fait ardemment rechercher cet enfant bien encombrant. En vain. Prévenu par un ange dans un songe, Joseph s’enfuit en Égypte avec Marie et Jésus. Vulnérables. A quelques semaines de Noël, nous avons enfin réalisé que nous le sommes aussi. Où que nous soyons sur cette planète, le Covid 19 nous le rappelle avec insistance. Mais pour nous, pas de message angélique, pas de fuite possible. Comme le roi Hérode qui a peur de perdre son pouvoir temporel, nous avons peur de perdre ce que nous croyons être le contrôle de notre vie. Et pourtant, la prise de conscience de notre vulnérabilité n’est-elle pas le plus beau cadeau de Noël ?

« Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». La plus belle parole de Jésus devenu Christ est aussi la plus puissante. C’est au creux le plus profond de sa vulnérabilité que l’Envoyé, cloué sur la croix, a reçu Sa plus grande force en ressuscitant d’entre les morts. Donner, tout donner, pour recevoir, tout recevoir. Quant à nous, que faire de notre vulnérabilité individuelle et collective ? Qu’elle nous enseigne, pour commencer, que tous les vaccins du monde ne nous sortiront pas d’affaire si nous continuons à vivre comme avant la pandémie. En nous croyant tout puissants, boursoufflés d’orgueil, secrètement persuadés d’être sauvés par notre « savoir technologique » qui pourra réparer le vivant que nous avons copieusement saccagé sur terre, dans les airs et les océans. Qu’elle nous enseigne encore, cette vulnérabilité, que nous sommes étroitement liés les uns aux autres, interdépendants, une alliance invisible et intime que masques et distance sociale ne font, paradoxalement, que renforcer. Qu’elle nous enseigne, enfin, que c’est précisément dans l’obscurité de la souffrance et du deuil que jaillit Sa Lumière, dans la vie, au-delà de la mort qui n’est qu’une naissance inversée.

En tentant d’épargner son pouvoir, Hérode le Grand n’a fait que révéler son impuissance cristallisée par la peur. La sienne est aussi la nôtre face à ce qui semble nous échapper, inexorablement. L’apparente faiblesse du Nazaréen, à l’aube comme au crépuscule de son incarnation, laisse le champ libre à une force gigantesque que nous n’avons pas encore explorée collectivement, celle de l’amour inconditionnel. Une force qui ne demande qu’à se faufiler dans la brèche de notre vulnérabilité. (Chronique publiée dans l’Écho Magazine du 2 décembre 2020)

Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)