Comme je l’ai rappelé dans mon blog du 5 septembre 2022, Elie Barnavi a été ambassadeur d’Israël en France de 2000 à 2002. Il a toujours été très engagé dans la lutte en faveur du rapprochement des peuples israélien et palestinien. Il a de tout temps prôné la solution des deux Etats. A ce titre, il a reçu en mai 2022 à Paris en compagnie d’Elias Sanpar le Prix Constantinople créé par l’écrivain genevois Metin Arditi. Le 13 mai 2022, Luis Lema écrivait à propos d’Elie Barnavi ce qui suit : « Il se place lui-même à gauche du Parti travailliste. Cet amoureux de la France, né en Roumanie, n’a jamais manqué à la règle de mettre ses principes en application, donnant par exemple des cours à l’université palestinienne de Ramallah, à une époque où le simple fait de se rendre dans les territoires palestiniens est perçu par les habitants de l’Etat hébreux comme un synonyme de danger mortel.
Le lecteur trouvera ci-dessous un certain nombre de considérations qu’Elie Barnavi fait à propos d’Israël et de la politique israélienne dans « Confessions d’un bon à rien « (Grasset), mémoires qu’il a publiées récemment.
« En Israël, j’ai pu comparer l’attitude des Juifs d’Europe de l’Est à l’égard de leur pays d’origine avec celle des immigrés d’Afrique du Nord à l’égard des leurs. Cela n’avait rien à voir. Ceux-là sont partis sans un regard en arrière, sans regrets ni esprit de retour ; ceux-ci ont gardé pour le pays de leur naissance une affection et une nostalgie qui n’ont cessé de m’étonner. » (p.21)
« Avant de franchir la frontière avec la Hongrie, on a eu droit à un dernier contrôle de la milice et des douanes roumaines, et à une dernière gracieuseté. Un douanier a demandé à ma mère de lui remettre ses boucles d’oreilles, deux petites boules en or dont la seule valeur était sentimentale. « L’exportation d’or est interdite », a-t-il dit en guise d’explication. Il avait l’air un peu gêné. Mon père a baissé la tête et s’est tu. Stupidement, je lui en ai voulu. Mais que pouvait-il faire ? Cet infime événement a joué un rôle disproportionné dans ma culture politique. Après le crâne rasé de mon père, mais plus brutalement encore puisque j’en fus le témoin direct et impuissant, il a contribué à donner chair à mon « sionisme ». Je nourrissais jusqu’alors un sionisme d’emprunt, sans contenu ni contour, totalement vide de sens, auquel mon père ne s’était jamais donné la peine de m’initier. Sans doute avait-il peur que je répande autour de moi la bonne parole, lui qui avait déjà payé le prix du « cosmopolitisme ». Mais là, dans cette voiture de chemin de fer, les yeux rivés sur les deux petits trous vides dans les lobes d’oreille de ma mère en larmes, le sionisme prenait une signification concrète, vitale : il était cette chose indéfinie grâce à quoi une humiliation pareille ne serait plus jamais possible. C’est sur ce sentiment primordial que j’ai bâti avec le temps, au fil des lectures et des expériences politiques, un sionisme informé et critique, une doctrine. Mais de ce noyau primitif, je ne me suis jamais défait. Et c’est en revenant souvent à ce moment-là que j’ai compris une vérité essentielle, trop souvent négligée : n’en déplaise aux déterministes de tout poil, nos convictions sont toujours au départ une affaire de tripes, avant que nous les sublimions en idéologies. » (p.28-29)
« Le kibboutz est sans doute l’invention sociale la plus originale des Juifs de Palestine, celle qui a fait le plus rêver les jeunes en mal d’utopie à travers le monde. Il existait donc dans un coin perdu de la Méditerranée orientale des phalanstères autogérés, égalitaires, ignorant l’argent, fonctionnant selon le principe de la démocratie directe et réalisant concrètement l’idéal communiste « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». Des communes au sens strict du terme, fondées sur le libre arbitre de leurs membres, exaltant la dignité du travail de la terre sans mépriser celui de l’esprit, révolutionnaires jusqu’à vouloir briser le cadre jugé étouffant de la « famille bourgeoise. » (p.38)
« Si on laisse faire les fous de Dieu, aucun compromis n’est envisageable. En effet, deux mouvements nationaux peuvent aboutir à un arrangement raisonnable au moyen de la négociation, donc du compromis ; deux mouvements intégristes en sont incapables, car la parole de Dieu ne souffre pas de compromis. Ainsi, le résultat de notre interminable « processus de paix » ne dépend pas tant de la négociation entre Israéliens et Palestiniens, mais entre Israéliens eux-mêmes et Palestiniens eux-mêmes – entre deux sociétés politiques qui se regardent en chiens de faïence. » (p.79)
« Comment introduire un peu de raison dans le débat sur Israël, comment faire la part des choses entre l’histoire, la morale et la politique, comment juger des faits et gestes d’un gouvernement sans porter l’opprobre sur tout un peuple et son projet national – voilà qui allait occuper une bonne partie de ma vie intellectuelle et professionnelle. Avec des résultats pour le moins incertains. » (p.169-170)
« Les conditions de naissance de l’Etat ont accordé à l’activisme politique et militaire un avantage décisif sur les diplomates. Un mot de Ben Gourion définit excellemment la place des uns et des autres : la politique étrangère d’Israël se décide au ministère de la Défense, le ministère des Affaires étrangères l’explique. En effet, le concept clé de la diplomatie israélienne est hasbara, traduit généralement par « diplomatie publique », mais signifiant littéralement « explication. » (p.332)