Depuis que les médias, et récemment, le Procureur général du canton de Vaud, s’intéressent aux voyages en Russie du Conseiller d’Etat Pascal Broulis et de la Conseillère aux Etats Géraldine Savary, en compagnie de Frederik Paulsen, imposé d’après la dépense dans le canton de Vaud, se pose la question de savoir dans quelle mesure un contribuable bénéficiant de cette forme d’imposition peut être administrateur d’une société suisse.
A titre préalable, je tiens à préciser trois points. Tout d’abord, je ne suis pas l’avocat de Frederik Paulsen, ni de sa société, et le connais ni de près ni de loin. En second lieu, contrairement à ce que les opposants à l’impôt à forfait essaient de faire croire, ce système d’imposition est règlementé strictement au niveau fédéral et au cantonal. Il sied de rappeler que sa réforme a été votée par le Parlement le 28 septembre 2012 et que l’Administration fédérale des contributions (AFC) a publié le 24 juillet 2018 la Circulaire n°44 intitulée « Imposition d’après la dépense en matière d’impôt fédéral direct » (Circulaire n°44) qui remplace la Circulaire n°9 et qui datait du 3 décembre 1993. En quelque sorte, cette nouvelle circulaire est la pierre qui parachève l’édifice de la réforme de cette forme d’imposition. Enfin, depuis que je pratique la profession d’avocat, j’ai installé plusieurs centaines de personnes imposées d’après la dépense en Suisse. Jamais, et je tiens à souligner, jamais, je n’ai présenté ou discuté du statut de l’un de mes clients avec un Conseiller d’Etat dans le canton de Vaud ou ailleurs. Par conséquent, je peux affirmer que, selon mon expérience, Pascal Broulis n’interfère jamais ni sur les conditions auxquelles le statut de personne imposée d’après la dépense est octroyé, ni sur le montant des dépenses du contribuable.
La question de savoir si un forfaitaire peut être administrateur d’une société suisse se pose dans la mesure où l’une des conditions pour qu’un contribuable puisse être imposé d’après la dépense est notamment qu’il n’exerce aucune activité en Suisse.
Au chiffre 2.3 de la Circulaire 44, l’AFC a précisé ce qui suit : « Exerce une activité lucrative qui exclut le droit à l’imposition d’après la dépense, la personne qui pratique en Suisse une profession principale ou accessoire de quelque genre que ce soit et en retire, en Suisse ou à l’étranger, des revenus. C’est en particulier le cas des artistes, des scientifiques, des inventeurs, des sportifs et des membres de conseils d’administration qui exercent personnellement une activité lucrative en Suisse ». Il sied de souligner que ce texte correspond pratiquement à celui qui figurait au chiffre 1.3.2 de la Circulaire 9 que la Circulaire 44 a remplacée. Cela signifie que l’AFC n’a pas modifié sa position sur ce point depuis le début des années 90.
De manière générale, il résulte du texte cité ci-dessus qu’un forfaitaire ne peut pas exercer une activité lucrative sur sol helvétique ni en qualité de salarié d’une société suisse ou étrangère, ni comme indépendant. En revanche, il peut exercer toute activité à titre gratuit aussi bien en Suisse qu’à l’étranger, de même que toute activité à l’étranger soit en qualité de salarié, soit comme indépendant. De même, une personne imposée d’après la dépense a le droit d’investir en Suisse ou à l’étranger. Il importe de souligner que dans un arrêt datant de 2000, le Tribunal fédéral avait même admis qu’un forfaitaire soit employé par une société suisse pour exercer une activité exclusivement à l’étranger.
Concernant la question qui nous intéresse plus particulièrement dans ce blog, il résulte clairement de la Circulaire 44 que l’AFC non seulement n’interdit pas à une personne imposée d’après la dépense d’être membre d’un conseil d’administration, mais il en envisage même la possibilité. Par conséquent, il est possible d’affirmer que l’AFC autorise clairement un forfaitaire à être administrateur d’une société suisse. A partir de cette constatation, il y a lieu d’envisager deux hypothèses. Soit cette fonction donne lieu à un revenu, en Suisse ou à l’étranger, et dans ce cas l’administrateur ne doit exercer aucune activité sur le sol helvétique. Soit, elle est exercée à titre gratuit, c’est-à-dire sans que l’administrateur touche un quelconque revenu, et dans cette hypothèse l’activité peut être exercée en Suisse ou à l’étranger.
Si les règles mentionnées ci-dessus ont été respectées cela signifie que Frederik Paulsen pouvait, selon l’AFC elle-même, être l’administrateur d’une société suisse. Je considère avoir répondu ci-dessus aux questions que de nombreuses personnes se posent. Je serai heureux que d’autres répondent à celle de savoir comment Philippe Reichen, journaliste au Tages-Anzeiger, s’est retrouvé en violation du secret fiscal en possession d’informations concernant la situation fiscale dans le canton de Vaud de Frederik Paulsen…
Cher Philippe,
Merci pour ces explications tout à fait claires.
Afín d’effacer un doute potentiel, est-il utile de préciser que lorsqu’un contribuable imposé selon la dépense détient, en Suisse, une société dont il est administrateur non rémunéré mais de laquelle il perçoit des dividendes, il convient alors que cette société soit proprement organisée sur le plan opérationnel (notamment à travers une direction compétente), de manière à éviter une re-qualification des dividendes en produit d’une activité en Suisse.
Je serais très intéressé d’avoir votre avis sur cela.
Meilleures salutations.
Bertrand Bandollier