Facilitons la naturalisation des jeunes étudiants étrangers !

La Suisse consacre des sommes importantes destinées à la formation de jeunes étudiants étrangers, européens ou non, qui fréquentent notamment l’EPFL, l’EPFZ ou nos universités. Il est totalement irrationnel de ne pas offrir à ces jeunes la possibilité d’acquérir la nationalité et de pouvoir, en toute liberté, travailler pour des entreprises helvétiques.

En vertu du droit actuel suisse, un jeune étudiant étranger qui souhaite se naturaliser doit notamment remplir les conditions suivantes :

  1. avoir séjourné durant douze ans en Suisse, les années passées entre dix et vingt ans dans notre pays comptant double ;
  2. être titulaire jusqu’à l’issue de la procédure d’une autorisation de séjour qui peut être un permis pour études.

Dans son projet de révision de la loi sur la nationalité, le Conseil fédéral avait déjà durci ces conditions en exigeant qu’au moment du dépôt de la demande, le requérant soit titulaire d’une autorisation d’établissement, appelée également permis C. Dans ces débats du 13 mars 2013, le Conseil national est allé encore plus loin en supprimant le privilège accordé aux jeunes étrangers selon lequel les années passées en Suisse entre dix et vingt ans comptent doubles.

A l’appui de la suppression de ce privilège, la majorité des conseillers nationaux invoque le fait qu’il n’y a plus de raison d’être dans la mesure où la durée de résidence en Suisse exigée a été réduite à huit ans selon le projet du Conseil fédéral, et à dix ans, selon les exigences du Conseil national. Personnellement, je préfère que l’on laisse, comme c’est le cas actuellement, la durée minimum du séjour exigée à douze ans et que l’on conserve la règle que les années passées entre dix et vingt ans comptent doubles. Cette règle a un sens dans la mesure où, à l’évidence, on s’intègre plus facilement lorsque l’on passe son enfance et son adolescence en Suisse que lorsqu’on y arrive en qualité d’adulte. Par ailleurs, il serait erroné de croire qu’en vertu du système actuel un enfant qui arrive en Suisse à l’âge de douze ans acquière la nationalité six ans plus tard. En effet, à ce moment, il a uniquement le droit de déposer sa demande de naturalisation qui, en pratique, vu la durée de la procédure actuelle, il n’acquerra que deux à trois plus tard. Cela signifie qu’en vertu de la législation en vigueur, même en tenant compte du privilège des années qui comptent doubles, le jeune étranger acquière la nationalité non pas après six ans, mais après environ neuf ans de séjour en Suisse.

Cependant, la plus grande aberration de la révision de la loi sur la nationalité est l’exigence posée par le Conseil fédéral et reprise par le Conseil national en vertu de laquelle il est exigé d’être au bénéfice d’un permis C au moment du dépôt de la demande de naturalisation. Il est fondamental de savoir que le fait d’être titulaire d’une autorisation de séjour pour études n’ouvre pas la possibilité pour un ressortissant étranger d’obtenir une autorisation d’établissement. En d’autres termes, un jeune étranger non européen qui aurait fréquenté nos écoles et nos universités entre l’âge de douze et vingt-quatre ans, soit pendant plus de dix ans, ne pourrait pas obtenir en Suisse un permis C. Par conséquent, le système proposé par nos autorités exige qu’un jeune étranger ayant terminé ses études en Suisse passe par l’octroi d’un permis de travail, qui lui permet d’obtenir un permis C après cinq ou dix ans selon nationalité, pour pouvoir être candidat à la nationalité suisse. Cette question revêt moins d’importance pour les Européens dans la mesure où ils bénéficient de la libre circulation des personnes. En revanche, concernant les ressortissants étrangers non européens, il s’agit d’une exigence problématique aussi bien pour l’étranger lui-même que pour la Suisse. En effet, les permis destinés à des non européens font l’objet d’un contingentement et leur octroi est en principe réservé à des travailleurs pouvant justifier d’une expérience professionnelle. Par conséquent, il sera très difficile pour un jeune ressortissant étranger non européen, même brillant, d’obtenir un permis de travail en sortant de l’EPFL. Cependant, si dans un cas tout à fait particulier, une autorisation de séjour et de travail annuelle devait être octroyée à un jeune étudiant, la Suisse ne serait que perdante. En effet, elle consacrera une unité de son contingent des autorisations de séjour et de travail annuelles déjà très sollicité pour une personne qui, au courant des prochaines années, deviendra suisse et, par conséquent, aurait pu avoir accès au marché suisse du travail sans que notre pays doive prélever en sa faveur une unité du contingent.

Cette manière de faire me rappelle le début des années 90, période à laquelle où pour solliciter la naturalisation suisse, il ne fallait pas avoir un permis C, mais, néanmoins, une autorisation ouvrant la possibilité d’acquérir ce permis, soit une autorisation de séjour et de travail et non pas un permis pour études. Conscient que la Suisse gâchait les unités de son contingent, le Conseil fédéral et le Parlement avait pris la sage décision de permettre aux personnes titulaires d’une autorisation de séjour pour études jusqu’à l’issue de la procédure d’acquérir la nationalité suisse. Aujourd’hui, aussi bien le Conseil fédéral que le Conseil national, posent une exigence encore pire. Triste retour en arrière !

Philippe Kenel

Docteur en droit, avocat en Suisse et en Belgique, Philippe Kenel est spécialisé dans la planification fiscale, successorale et patrimoniale. Social démocrate de droite, il prône l’idée d’une Suisse ouverte sachant défendre ses intérêts et place l’être humain au centre de toute réflexion. Philippe Kenel est président de la Chambre de Commerce Suisse pour la Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg à Bruxelles et de la Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA) en Suisse.

Une réponse à “Facilitons la naturalisation des jeunes étudiants étrangers !

  1. Je suis 100% d’accord. C’est dommage – je suis né en Suisse, j’ai vécu 7 ans en Suisse comme fils d’un diplomate, j’ai étudié dans l’école Suisse, j’ai beaucoup d’amis Suisse, je me sens Suisse, je voulais postuler à l’Uni de Genève, en plus mon séjour total fera environ 13-14 ans en total (si on compte les années qui comptent en double), mais je n’ai aucune chance. Déjà trouver un travail en étant un ressortissant d’un état tiers est presque impossible et je ne parle même pas du permis C…

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